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Domino, Lovely Bitch Writer
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Skitty 8 : La progéniture


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Okay...
Je viens d'écrire le passage le plus DARK que j'ai jamais écrit en 600 chapitres de Smirnoff. Un truc mais tellement noir et dégueulasse qu'en le relisant, je me suis dit que j'étais barge.

Un indice : Dans le chapitre à paraître (bientôt, dans la semaine si tout va bien) ce sera un discours de Wallace. J'ai fini d'écrire ça, je me suis relu et je me suis dit que c'était pas possible que j'aie ça en moi. Une telle noirceur.

La déprime est un bon fuel pour l'écriture, c'est cool, mais ça m’entraîne aussi sur des chemins tortueux.

Au moins ça ne m'engloutit pas, comme pour la guerre de la saison 12.

A propos de cette guerre...

Ecrire "Furie Dimension" m'a fait prendre conscience d'à quel point cette guerre était Anti-Smirnoff, hors de l'esprit de la fic. Déjà, les morts. Comment j'ai pu tuer ainsi des personnages ? Il aurait été mille fois plus intéressant de baser cette guerre sur des accrochages stratégiques. Beaucoup plus gratifiant aussi. Il aurait pu en ressortir du bon, du développement de personnages. Une guerre saine, où les personnages s'affronteraient à la régulière, et où la victoire et la défaite seules auraient eu valeur de conflit. J'ai vraiment merdé en voulant faire un truc "edgy" avec des morts, des crimes de guerre, des bombes H... Merde, à quoi je pensais.

J'étais pas dans un bon état à l'époque, j'avais fait du mal à des gens que j'aimais, j'étais triste, je me sentais con, j'étais en rage contre moi-même, je me détestais... Cette guerre aurait été meilleure au choix si elle avait été moins sale ou...

... si tout simplement je ne l'avais pas racontée. Si la dernière scène de la saison et donc de la série avait été les personnages partant en camion pour les champs de bataille, ça aurait eu beaucoup plus d'impact que 'hahaha, tristesse, mort, malheur, boum boum'.

J'ai enfin trouvé le courage de la relire (pour Furie Dimension, donc) (et donc avec la déprime de la mort de ma chatte qui m'affecte encore) et putain je me suis trouvé mais ridicule. Je me suis limite pas reconnu. C'est vraiment la partie que j'ai le plus mal écrit de tout Smirnoff.

Si un jour je refais cette saison, je la construirais différemment. Je pense que j'aurais allongé la saison précédente sur celle-là, Marigold et Roland auraient rompu genre au 15e chapitre de la saison 12 et pas à la fin de la 11. Roland serait mort dans les mêmes conditions, et le début de la guerre aurait été au chapitre 30.

Et je vous aurais laissés en plan avec cette guerre que je n'aurais pas raconté, et la morale ça aurait été que, peu importe à quel point je continue cette fic, peu importe comment les choses avancent, ce sera toujours de mal en pis.

Peut-être qu'un jour j'écrirais cette saison fantôme de Smirnoff R., la dernière saison parfaite, cette fin encore plus déprimante, ce désespoir total. Je vois bien Malcolm et Claire se tenir la main, Charlie et Léopold s'étreindre, incertains sur le futur de tout, David et Lily dans les bras de leurs parents, Rachel debout dans le camion, à regarder là où ils se rendaient, le tout sous un ciel rouge macabre...

Cette guerre est un déshonneur que je ne pourrais jamais réparer. Je finirais ma vie en repensant à ces chapitres de la honte. Oui, j'ai honte de ça.

Chaque fois que je fais entrer la mort et le sang dans une de mes fics, de toute façon, c'est la merde. J'ai vu ça avec Skitty saison 5 aussi. Tellement honte que je n'y faisais absolument plus référence dans la suite de la fic. Pfff.

C'est une leçon, même pour le futur en tant que romancier.

Un écrivain, ce n'est pas un boucher. L'écrivain, justement, doit trouver l'intelligence, soit de donner une valeur à sa boucherie, de lui donner une poésie suffisante pour la rendre utile et impactante, soit de trouver un moyen plus intelligent de résoudre ses conflits.

J'ai échoué avec cette guerre comme j'ai échoué avec mon chat.

Je ne m'en remettrai jamais.
Article ajouté le Dimanche 11 Mars 2018 à 03h11 |
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Prochainement dans Le Projet Wallace...


[Je suis dans le trou du cul de Satan. Viens me chercher... >_<]
Article ajouté le Vendredi 09 Mars 2018 à 14h32 |
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Dans le prochain chapitre du Projet Wallace


"Santana vous appelle "Le Flagadoss"
Article ajouté le Mercredi 28 Février 2018 à 17h33 |
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Dans le prochain chapitre du Projet Wallace

" Monde 404 – Le premier Pokémon de Justin Truce est un Salamèche "
Article ajouté le Lundi 12 Février 2018 à 06h39 |
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Les petits trucs de la vie comme ça en passant
- Le dernier chapitre paru du Projet Wallace a été réalisé à 50% par mail au boulot. Je m'envoyais des portions de chapitre par mail. Je sais pas si la qualité s'en ressent. Evidemment la post-prod a été faite à la maison, mais le gros du chapitre a été envoyé par mail.

- J'ai relu quelques passages des premières saisons de Smirnoff, il faut VRAIMENT que je reprenne la réfection des saisons en documents word-pdf, ça urge. Voire à refaire les saisons, ça m'insupporte ces chapitres à moitié torchés là.

- Je vais bientôt déménager, inutile de dire que je me chie dessus par avance.
Article ajouté le Mercredi 07 Février 2018 à 15h17 |
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Dans le prochain chapitre du Projet Wallace


"J’suis pourtant plus connu pour réunir les pédés que pour les séparer…"

(#fanfiction avec des dialogues très spirituels)

Article ajouté le Vendredi 02 Février 2018 à 00h45 |
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Prochainement dans Le Projet Wallace Fist.
116 - Crève-cœur

C'est le chapitre de transition où il ne se passe rien, typique de mes histoires trop longues et mal scénarisées. Des gens vont se tirer dessus, ça va s'insulter grave, et il se peut qu'on assiste à du sexe sale inter-espèces, mais je ne peux rien garantir. (Du fist)

117 - Furie Dimension

Les personnages ont une chance de changer la fic dans son ensemble, et ils vont le faire parce que c'est juste trop tentant et trop drôle. Bon, en réalité, ça ne l'est pas. Hey, bonjour Jerry Callum ! (Du fist)

118 - Sanction suprême

On en finit enfin avec toute cette merde, merci Rachel. (Pour le fist)

119 - Vin d'honneur partie 1

Un événement de la plus haute importance doit avoir lieu mais on a pleiiiiiiiin de trucs à aborder avant ça. Dont le fist.

120 - Vin d'honneur partie 2

La reprise de "Past Time Paradise" au karaoké est un échec. Qui pourra sauver le gala de charité, sinon le fist ?

Bonus : La vie que je dois mener

Quelqu'un prend enfin un GPS et mène sa vie correctement, droit sur le fist.
Article ajouté le Dimanche 28 Janvier 2018 à 17h19 |
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Bonané (Hashtag Quoiquilvasepasser)
Bonne année à tous, je reviens d'Edimbourg c'était génial.

Alors, ce qui se passe en ce moment :

- Je suis en période d'hypersensibilité due à une attirance impossible pour un homme beaucoup trop bien pour moi et qui ne me voit que comme un ami peu importe à quel point je rampe à ses pieds (veni, vedi, vici) (et oui, donc, vous comprenez que la nouvelle ci-dessous comporte des éléments hautement autobiographiques) et je me suis mis dans des états assez désastreux suite à de puissantes prises de têtes envers lui (Nommément : Rentrer bourré et en larmes à une heure du mat) ce qui me rend épidermique, a failli gâcher mon réveillon de Noël, m'a rendu neurasthénique une bonne partie du mois de décembre, etc etc. Ca, plus les problèmes de fric, le boulot où j'enchaîne pétages de câble et journées de glandouille, wouhouhou.

- La fic avance un peu, du coup. Mon hypersensibilité m'a fait écrire un combat que j'avais en tête depuis des lustres de la plus belle manière qui soit, j'ai hâte de vous faire lire ça.

- J'ai commencé mon roman mais c'est sans filet, sans construction et écrit à l'instinct. Je sais pas où ça va aller.

- La lecture du tome 34 de HXH n'arrange rien à mon état.

- J'ai fini le tome 2 de Vernon Subutex et mon autisme me pousse à attendre la sortie poche pour lire le 3. Je suis dead.

- Réveillez-moi quand One Piece avancera autrement qu'à la vitesse d'une limace en bonbon sur l'océan.
Article ajouté le Mercredi 03 Janvier 2018 à 22h35 |
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Dans le prochain chapitre du Projet Wallace


" MAIS VA SUCER UN LUCARIO, TOI ! "
(Joyeux Noël !)

Article ajouté le Dimanche 24 Décembre 2017 à 12h33 |
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Et puis merde.
Nouvelle écrite en novembre.

Enjoy !

=========

Il faisait tinter les deux fourchettes l’une contre l’autre. Le bruit créait une sensation de présence. La vision l’aidait à ne pas avoir trop faim. Le truchement des deux sens l’aidait à ne pas perdre la raison et à couvrir le bruit du ventre qui gronde. Cela faisait trop longtemps qu’il marchait. Le ciel était bleu, la nature était belle. Belle mais vide. Pas un bruit.
Vu de loin, Dimitri ressemble à un jeune garçon souffreteux, timide et sinistre, aux cheveux noirs mal coupés, vêtu de guenilles verdâtres. Ses pieds nus étaient couverts de bandages, ses doigts faméliques tenaient les ustensiles de cuisine, frénétiquement. Si on n’était pas après la fin du monde, il aurait été catalogué comme vagabond. Sauf que de nos jours, à peu près tout le monde était un vagabond. On l’aurait aussi pris pour un fou, mais par malchance pour lui, il était tout à fait sain d’esprit. Vagabond, mais sain d’esprit. Il marchait sur cette route de bitume noir, en quête d’un refuge.

La fin du monde avait été un évènement d’autant plus banal que les évènements qui l’avaient précédée ne l’étaient pas. L’humanité toute entière avait reçu un cadeau des cieux. Chaque être humain s’était vu attribuer un pouvoir spécial, unique. Le premier cas recensé était le cas dit de Gédéon Martinez, un homme qui pouvait produire de l’argent à l’infini avec sa carte bancaire. Il s’était avéré plus tard qu’il échangeait en réalité des années d’espérance de vie contre des devises. Cela avait été révélé par un autre cas, Prosper Blum, qui pouvait deviner les pouvoirs des gens rien qu’en les touchant, et qui était passé à la télévision pour l’annoncer publiquement. Cela avait provoqué une défiance à l’égard des pouvoirs. Les gens les avaient mais ne s’en servaient pas publiquement et évitaient d’en parler. Evidemment, tout le monde ne se tint pas à cette règle, notamment des criminels mal dotés, et la loi ne protégeait ni les commerçants pillés sans effraction, ni les gens qui se défendaient avec leurs pouvoirs. Il fallut légiférer et très sévèrement. Une idée de fichage avait commencée par être unanimement décidée, mais des voix s’étaient levées pour faire des parallèles avec la shoah, et on avait dû y renoncer. Il a fallu attendre une certaine campagne présidentielle et l’élection d’un certain Emile Klein pour que les choses prennent une tournure plus favorable et plus radicale.
Emile Klein était un ancien ouvrier, ce genre de gros bonhomme bourru aux rares cheveux gris, au visage buriné, grassouillet à l’œil porcin, un vrai visage de mâle dominant. Il avait quelque chose en lui, une rage immense, soulevée par son pouvoir qui avait été surnommé « Le Déclic » : toute crise de colère d’Emile entrainait de sa part une réaction psycho-kinésique qui équivalait à une manipulation à distance, un coup, une micro-explosion, un claquement, selon l’intensité de la rage, et dont la violence pouvait souvent s’avérer meurtrière. Si une voiture le frôlait et manquait de l’écraser, sa rage envers le conducteur activait son pouvoir, et, d’une simple étincelle provoquée à l’intérieur de la voiture en question, la faisait exploser sans aucun ménagement. Tout était guidé par la colère. La loi avait assoupli les sanctions concernant le meurtre avec les pouvoirs, sachant pertinemment qu’il y avait une notion d’incidence, de non-voulu, de manque de contrôle. L’humanité aurait pu survivre si elle avait appris à contrôler les pouvoirs plutôt que les restreindre et les réfréner. Le soir de l’élection d’Emile Klein à la tête de la France, puis du monde, en avait complètement changé la face : Emile Klein se fit appeler le Juge, il avait un contrôle total sur la population mondiale et avait assis son pouvoir en détruisant la colline sur laquelle reposaient les lettres « HOLLYWOOD » juste parce que le Président des Etats-Unis avait refusé de reconnaître son autorité en tant que Président du Monde, puis envers chaque pays dissident en brisant les édifices du pouvoir de ces pays. Il se mettait en colère pour un rien et les conséquences, avec l’accroissement de ses pouvoirs, étaient catastrophiques. Son surnom lui venait du fait qu’il avait littéralement fait supprimer les tribunaux classiques et établi de force une justice basée sur les dénonciations, l’absence de présomption d’innocence et les exécutions sommaires. Tout criminel réel ou supposé était soumis, soit à une mort immédiate des mains d’un suivant du Juge, soit dans certains cas exposé à une torture brutale à base d’électrochocs, d’amputations inopinées et de tests scabreux qui pouvait s’étaler sur des années. En effet, le chargé du centre carcéral avait le fantastique pouvoir d’empêcher les gens de mourir inopinément dans un certain périmètre – cela excluait les morts naturelles mais empêchait par exemple quelqu’un de mourir de la main de l’homme ou de se suicider – il suffisait qu’il possède l’ADN de cette personne sur lui et se trouve à moins de quinze mètres d’elle. Malheureusement c’était également un grand malade et il préférait les ongles arrachés aux mèches de cheveux, et par chance il n’était pas fiable, il lui arrivait de provoquer la mort de quelqu’un par hasard, en se levant la nuit pour pisser et en balançant l’ADN de quelqu’un dans la cuvette des toilettes, et de fait, le Juge se refusait à l’utiliser pour sa protection. Pour asseoir sa domination, le Juge s’était entouré de puissants pouvoirs. Sa première ministre, surnommée « La Grande Imprécatrice », créait un lien sensoriel avec quiconque possédait un objet lui appartenant, et il suffisait qu’elle touche exactement le même objet pour effectuer une surveillance plus poussée. Lorsqu’elle s’aperçut que cela marchait aussi avec les marques qu’elle possédait et qu’elle obtint le monopole des cartes à puces mondiales, ce fut le début du grand fichage général de la population. Une autre des séides du Juge pouvait déléguer les pouvoirs. Elle touchait quelqu’un de sa main droite (l’émetteur) puis une autre personne de sa main gauche (le destinataire), ce qui permit de créer une police entière avec les pouvoirs du Juge ou de l’Imprécatrice.
Une véritable purge fut, incidemment, mise en place, et elle fut déclarée totalement légale, puisque les porteurs du pouvoir du Juge n’étaient pas déclarés responsables légalement de ce qui les mettaient en colère, ou des mauvaises pensées des gens dans le cas des pouvoirs de l’imprécatrice. Des petits malins ont bien tenté d’intégrer la police afin de retourner les pouvoirs du Juge contre lui ; c’était sans compter sur les gardes du corps du Juge, terriblement efficaces : Le premier avait un pouvoir appelé « L’aimant maso » parce qu’il avait le pouvoir d’attirer à lui les émanations des pouvoirs et donc de subir une éventuelle attaque à la place de son destinataire, et son esprit tordu de scientifique le poussait à chercher à subir les pouvoirs juste pour en éprouver la sensation et l’analyser, d’où le nom de maso. Son collègue – et fortement supposé amant – était surnommé le « Sado-Miroir », en posant sa main sur l’épaule droite de quelqu’un, il annulait les effets du pouvoir précédemment utilisé sur lui, et sur l’épaule gauche, il en renvoyait directement les effets à l’utilisateur, et le pouvoir était cumulable. Il avait hérité de son surnom parce qu’il attendait toujours que son compère souffre terriblement avant de renvoyer l’attaque, et étrangement cette dynamique semblait leur convenir à merveille. Ainsi protégé, le Juge développa une forte mégalomanie qui se mua en misanthropie extrême, qui du fait de son pouvoir, éradiqua une grande partie de la population mondiale. Il finit par mourir lui-même dans des circonstances encore floues. Les rares témoignages parvenus avant la disparition d’Internet font part d’une brigade de police spéciale qui avait enquêté en secret sur le Juge, échappé aux contrôles de la grande imprécatrice, et mis fin à ses agissements, mais ces mêmes témoignages font état de « L’intervention héroïque d’un homme avec le pouvoir de manipuler les bébés » ce qui, de facto, rendait l’info peu crédible.

Tout cela aurait, bien sûr, pu être évité si les gens avaient cherché à comprendre les pouvoirs plutôt que de les utiliser pour leur profit, mais c’est de l’humanité qu’on parle.

Dimitri avait survécu à tout, et il savait que c’était sa lâcheté qui l’avait sauvé. Il aurait carrément pu être purgé lors de la purge dite de la « Sappho Patera », nom de code cryptique qui évoquait une purge géante des minorités sexuelles que le Juge avait en horreur. Son propre pouvoir avait assuré sa survie, lui avait permis de se rendre utile, de supprimer tout élément nocif, d’avoir des informations cruciales et de fuir ses éventuels poursuivants. C’était un pouvoir de carpette dont les usages ne pouvaient être que bas et vils. Il l’avait appelé l’« Assistant Egoïste ». Pour connaître Dimitri et bien prendre conscience de sa nature, il fallait connaître ce pouvoir. Comme il était seul en ce moment, il ne pouvait pas l’activer, mais dès qu’il rencontrerait quelqu’un, il utiliserait son pouvoir, oh ça oui, il s’en servirait.
Dimitri arrivait près d’une ville, ce qui promettait soit une potentielle communauté, soit une rencontre. Il avait fait plusieurs communautés depuis la fin des temps, il y a quelques dix années de cela, et lui comme d’autres allaient de communautés en communautés pour trouver la plus agréable. Le souci c’est que les gens étaient soit très méfiants, soit incapables de travailler ensemble, soit obsédés par le pillage de ressources, soit juste très cons. Peu sociable, bizarre et effacé, Dimitri avait par nature du mal à s’intégrer. Sa première communauté avait été un résidu de la ville où il habitait auparavant qui s’était réfugiée dans un immeuble, mais le confort et l’hygiène en étaient bien trop sommaires et l’ensemble était trop désorganisé, pas protecteur du tout, d’autant que son pouvoir lui causait des problèmes quand il le dévoilait ou l’utilisait. Il fut expulsé de sa seconde communauté au motif qu’il avait utilisé son pouvoir sur quelqu’un par pur vice de sa part ce qui le rendait indésirable. Il était parti de la troisième pour avoir refusé de révéler exactement ce que faisait son pouvoir. La quatrième était très agréable, ouverte et tolérante même envers un rat de son espèce. Elle avait été réduite en cendres et pillée par une bande de motards, et au lieu de sauver ses compagnons et de les aider à lutter, il avait choisi la fuite – et, rétrospectivement, il avait bien fait. Son pouvoir avait des usages intéressants, mais depuis son enfance, lorsque le Profileur – un employé de vie scolaire qui déterminait les pouvoirs des enfants pour les ficher de façon secrète et indépendante par la société Prosper &Cie afin d’évaluer leur degré de dangerosité pour eux-mêmes et autrui – lui avait donné les indications d’usage de son pouvoir, il avait choisi d’en faire un usage personnel et pervers. Sa nature dictait également son modus operandi : Solitaire et en manque d’affection, il cherchait en permanence l’approbation des autres, et, ne la trouvant pas toujours, il lui arrivait de se l’accaparer de force.
Le regard presque livide de Dimitri voyait la ville s’approcher. C’était un hameau à la con. Le panneau indiquait « Vulaines-Lès-Provins » mais les panneaux n’avaient plus aucune importance, ils ne voulaient plus rien dire, il n’y avait plus de ville ni de pays. La population mondiale était estimée à environ un million d’individus, du moins c’est ce qui avait été déduit avec les derniers chiffres de la purge. On parlait de « purge » parce que toute mention de « Génocide » provoquait une réaction ulcérée du Juge dont les grands-parents avaient été gazés pendant la Shoah – qui avait décidément bon dos – et ça l’insupportait d’être comparé à Hitler. Toute mention de Hitler était par ailleurs socialement proscrite puisqu’elle entrainait automatiquement une enquête sur vous « Pourquoi avoir mentionné Hitler », « Dans quel contexte », « Ce contexte était-il séditieux » « Si oui : torture, si non : torture quand même », donc on utilisait le nom de code : « L’autre Charlie Chaplin ».
Vulaines-Lès-Provins était, de son vivant, un banal hameau comme il en existait tant dans ces obscures campagnes, pour ainsi dire une ville morte, et c’était toujours le cas après la fin du monde : la plupart des maisons étaient effondrées, cramées ou très visiblement pillées. « Les motards qui ont dévasté l’ancienne Nangis sont passés par là », se dit Dimitri, et il se bénit d’être aussi lent. Il resta sur la route principale, s’attendant à juste devoir traverser ce village pour passer au suivant, lorsque soudain, une voix résonna dans le quartier vide.

- PAS UN GESTE !

Dimitri se crispa et lâcha ses fourchettes qui retombèrent à ses pieds. Il n’avait plus l’habitude. De la voix humaine. Il avait l’habitude qu’on lui crie dessus, il était un aimant à cris et ce depuis l’enfance.
L’individu qui lui avait crié dessus était derrière lui. Dimitri ne fit pas un mouvement. Il sentit qu’on l’évaluait. Il décida de faire comme il faisait d’habitude.

- … je peux vous aider ? demanda-t-il.
- Pas un geste, sinon je vous décapite.

La voix de l’homme était ferme mais rassurante, même dans son accès d’autorité. Cela fit frissonner Dimitri, de deux façons : Peur et excitation.
L’homme lui tourna autour, évacua les fourchettes qu’il prit probablement pour de potentielles armes et passa devant lui. Dimitri voulut juste l’observer au départ, mais il s’agissait en fait de l’être humain le plus beau qui puisse être, et simplement l’observer ne suffisait pas, il fallait le déshabiller du regard. Il avait l’œil rond et doux, même en fronçant les sourcils, sa profonde sérénité se percevait toujours. Le visage était dur, le front haut et sans aspérité, le nez aquilin, du caractère, un visage sans âge. Même sa bouche était d’une harmonie sans faille, et il tardait à Dimitri de le voir sourire. Sa silhouette était magnifique, ses courbes inexistantes le rapprochaient plus du mirage que du guerrier au sabre, et de manière assez hallucinante dans les conditions actuelles, il était très propre. Ses cheveux couleur de blé étaient parfaitement coupés et même un peu coiffés. Sa peau semblait très douce, et un subtil arôme de métissage donnait à son teint des reflets dorés. Il portait un veston rouge bordeaux confortable mais élégant également, et un pantalon gris soutenu par une ceinture serrée. Comment pouvait-il rester si propre et si beau alors que l’eau courante était une rareté, mystère. Dimitri arrivait à peine à garder des dents en état sur les routes. L’homme à l’ombre sacrée tenait un sabre, un long katana, ce qui allait à la perfection avec son allure d’escrimeur. La grâce infinie de ses doigts, de ses bras, de ses épaules, de son port de tête, de son jeu de jambes alors qu’il dévisageait Dimitri pour déceler toute trace de danger en lui, tout cela relevait d’une perfection presque divine, d’un assemblage parfait, d’une combinaison de tous les talents de l’univers en une harmonie humaine. Dimitri tomba instantanément sous le charme.
Il fallait absolument qu’il utilise son pouvoir sur lui.

- V… Vous voulez quelque chose ? Je peux vous donner n’importe quoi… de l’eau, vous voulez de l’eau ?

Sa voix chevrotait, il avait du mal avec les armes pointées sur lui. L’homme apparaissait assez jeune, du moins avoir le même âge que lui, mais la différence entre eux était trop évidente. Dimitri était un pou, un jeune homme vouté au visage quelconque et à l’ersatz de barbe bien trop clairsemé pour être crédible. En face de lui, cet être parfait, ce gentleman post-apocalyptique qui avait choisi une autre voie que la clochardisation à laquelle Dimitri et tant d’autres avait adhéré. De toute évidence, pour l’homme au sabre, c’était une solution de facilité, et le reste de l’humanité, c’étaient rien que des crasseux fainéants qui ne faisaient pas d’effort. Quand on voulait rester propre, on le pouvait, visiblement.

- J’ai de l’eau, répondit-il.
- Ah.
- Mais c’est gentil de proposer.
- « Merde. C’est pas ça que tu dois répondre », se dit Dimitri.
- Ton prénom ?
- Dimitri.
- Ton âge ?
- … trente…

L’homme baissa le sabre, sincèrement étonné.

- Trente ?! Tu fais vingt ! dit-il d’une voix amusée, presque.
- … oh. Euh, merci… « C’est pas à toi de le remercier c’est à lui. Tu as oublié comment marche ton pouvoir ou quoi ?! »
- Ton pouvoir, c’est quoi ?

Aïe. Quoi répondre. C’était crucial. La révélation du pouvoir de Dimitri entrainait forcément un challenge dans le rapport de confiance.

- … c’est un pouvoir de type social.

Il existait différents types de pouvoir : Les pouvoirs mentaux se déclenchaient avec le cerveau ou les émotions, comme le Déclic du Juge. Les pouvoirs visuels se déclenchaient par les yeux. Les pouvoirs tactiles par le contact physique. Les pouvoirs manuels par les mains – sans contact, le pouvoir émane simplement de la main de l’utilisateur – et les pouvoirs sociaux par la conversation. Il existait des subtilités et des cas particuliers mais c’était la charte reconnue officiellement.

- D’accord. Moi c’est un pouvoir manuel.
- Je… euh, je préfère pas le dire…
- Parce que ça entrainerait ma méfiance, c’est ça ? Je connais les pouvoirs sociaux, en effet, vous êtes des vipères, c’est difficile de parler avec vous. Quelles sont les conditions d’activation ?

Dimitri serra les dents. Il ne connaissait pas l’homme, mais il avait cette réaction intimidée que les gens comme lui ont avec les gens trop beaux, et il ne voulait pas que la première impression déjà minable qu’il donnait soit entachée par des révélations gênantes sur lui. L’homme releva le katana.

- J’ai croisé, à l’ancienne Jouy-le-Châtel, un sale type qui a fait de moi son esclave pendant deux mois rien qu’avec un échange de mots, donc je ne me contenterai pas d’un silence de ta part, sinon tu finiras comme lui.

« Et merde », se dit Dimitri. Il aurait tellement voulu se servir de son pouvoir sur cet homme. Il pourrait lui préciser que son don de manipulation à lui était bref et non-invasif, mais ce serait déjà trop en dire. Il choisit de tronquer son explication comme il savait si bien le faire.

- Tu dois me remercier. Et je ne manipule pas les gens…

L’homme pencha la tête. Il regardait Dimitri avec sérieux, ce qui le rassurait, il se disait qu’il pourrait lui mentir sans risque, ce qu’il venait un peu de faire.

- Te remercier ?
- Oui… et ma réponse à ton remerciement active mon pouvoir.
- D’accord. Ca consiste en quoi, ce pouvoir, précisément ?

« Assistant Egoïste » est un pouvoir de pervers. Il y avait eu un questionnement philosophique, pendant la période post-pouvoirs et pré-Juge, pour savoir si l’attribution des pouvoirs était lié à la psyché, et ça n’avait jamais pu être prouvé scientifiquement, d’autant que nombre de concitoyens avaient des pouvoirs insignifiants ou inutiles et qu’on avait du mal à croire qu’une petite fille avec le pouvoir de cultiver des spores avait une psyché de champignon, ou qu’un type pouvait se retrouver avec un pouvoir comme « Manipuler les bébés » sans être un dangereux détraqué. Mais il était vrai qu’un certain nombre d’entre eux avait des pouvoirs liés à leur caractère.
C’était très probablement le cas de Dimitri. « Assistant Egoïste » s’active lorsque son possesseur rend service à une autre personne. L’autre personne doit remercier le possesseur. C’est le retour de Dimitri qui détermine comment le pouvoir se manifeste.
S’il répond « De rien, voyons », un procédé de double-vue se met en place, et Dimitri peut ainsi épier les moindres faits et gestes de la personne concernée avec une vision distanciée, en vue de trois-quarts, simplement en fermant les yeux plus d’une demi-seconde.
S’il répond « Je t’en prie/Je vous en prie », il peut deviner avec exactitude le pouvoir de la personne – ce qui lui a permis d’officier pendant un temps comme Profileur.
« C’est moi qui te remercie/C’est moi qui vous remercie » permet à Dimitri de contrôler très brièvement (son record est d’une dizaine de secondes) les mouvements de sa cible mais pas son esprit.
Jusque-là, on pouvait se dire que Dimitri avait raté sa vocation et qu’il aurait été un parfait espion. C’était sans compter sur la quatrième facette de son pouvoir.
Si Dimitri répond « Tout le plaisir est pour moi », il établit un lien empathique poussé avec la personne et peut ressentir exactement ce qu’elle ressent, la douleur comme le plaisir.
Le premier et le quatrième effet durent jusqu’à ce que quelqu’un d’autre le remercie. Le pouvoir ne s’active pas s’il répond autre chose. La formulation exacte importe peu, qu’il tutoie ou vouvoie ses proies.
Dimitri n’a jamais pensé à devenir espion parce qu’il ne voyait que des implications malsaines dans ses pouvoirs. Il épiait les jolis garçons à qui il rendait service pour son propre plaisir pervers. Son contrôle des gens lui permettait de leur faire prendre à leur insu des positions obscènes ou de dévoiler brièvement des parties de leur anatomie, et inutile de dire qu’il s’était servi plus d’une fois du dernier pouvoir pour coucher avec les hommes qui lui plaisaient par procuration. Son don de Profileur lui servait de prime abord pour se faire passer pour un banal devineur de pouvoir, ce qui le rendait utile au sein d’une communauté, mais les conditions d’activation étaient tellement bizarres que cela éveillait des soupçons. Si Dimitri avait été un être discret et maître de lui-même, capable de contrôler ses pulsions, il pourrait avoir une vie normale et on ne l’aurait pas expulsé des autres communautés. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Dès qu’il voyait un beau garçon, il perdait tout contrôle, changeait de comportement, devenait un animal et ruinait automatiquement toutes ses interactions sociales humaines.

- Tu me remercies, je te réponds et selon ma réponse, il y a un effet différent.
- Quels effets ? demanda Yann avec fermeté mais sans dureté.
- Deviner ton pouvoir…
- Ok, ensuite ?
- Euh, eh bien… je peux aussi… euh…
- Hésiter, c’est garantir que je ne te ferais pas confiance. Sois clair et dis la vérité. Je ne tue pas sur commande, il faut me donner une bonne raison pour que je tue quelqu’un.
- Je peux aussi observer les gens… à qui je réponds, en fermant les yeux, je les vois.
- D’accord, quoi d’autre ?

Aïe. Les deux autres possibilités, il ne peut pas les révéler. Le risque est trop grand. L’homme est bien trop désirable, ce sera impossible de se retenir. Dimitri se mordilla les lèvres…

- … c’est tout ce que je dirais pour le moment…

… et décida d’instaurer de lui-même un climat de méfiance. C’est quelque chose qu’il faisait parfois de lui-même, afin qu’il garde le contrôle et que la confiance puisse se tisser d’elle-même, sans qu’il ait à se dévoiler totalement. L’homme s’éloigna d’un pas.

- Tu choisis sciemment de tronquer ton explication ?
- Oui.
- … alors que je t’ai menacé de te tuer ? Pourquoi ?!
- Bah déjà, je connais pas ton nom, à toi, tu m’interroges depuis tout à l’heure, mais…
- Je m’appelle Yann, j’ai vingt-huit ans, et j’ai un pouvoir manuel, avec un concept similaire à celui d’un inventaire de jeux vidéo, qui me permet de stocker trois objets différents.

Dimitri haussa un sourcil. Yann le regarda plus précisément.

- Quoi ? Tu penses que je mens ?
- … non, je me dis juste que ce pouvoir est… un peu nul…

Petit sourire de l’homme. Dimitri voulut instantanément voir ce sourire plus souvent. Il était une récompense encore plus précieuse que l’argent ou la reconnaissance.

- … en effet, il n’est pas terrible, mais pour la survie, c’est plutôt pratique. Le type dont je t’ai parlé trouvait qu’il était utile. Il s’est servi de moi comme d’une mule. Son truc à lui, ça agissait comme un ni oui ni non inversé, si je lui répondais autre chose que oui ou non, il pouvait choisir ou pas de me contrôler. J’ai mis du temps à comprendre la combine.

Dimitri hocha la tête. Il ne ferait pas la même erreur. Il serait plus prudent dans son approche.

- Et tu te défends avec ça ?
- Oui. Regarde.

Yann tendit une main comme s’il tenait un plateau, et y planta le katana. Dimitri eut un mouvement de recul.

- La paume de ma main est le portail d’entrée et de sortie. Je peux faire jaillir l’objet, c’est assez impressionnant. Pour les stocker, j’ai cependant quelques règles : Je dois être capable de tout porter par moi-même au moins une fois, il faut que ce soient des objets tangibles, pas de liquide par exemple, et il y a plusieurs autres subtilités, comme les objets attachés ensemble, que je ne peux pas prendre, et…

Yann fit sortir un sac de sa main.

- Les sacs à dos, que je peux prendre sans problème. Et comme tu vois, il est bien rempli.

Dimitri hocha la tête. Acquiescer à tout était un bon moyen de se faire des amis, selon lui.

- Effectivement, vu comme ça, c’est un pouvoir beaucoup plus cool !
- Merci, oui, tu peux le…

Yann eut un mouvement de recul. Dimitri eut un moment de flottement, et choisit de rester silencieux. L’explication de son pouvoir l’avait perturbé. « Il me fait confiance », avait-il compris, et c’était nouveau pour lui. Cette absence de méfiance de la part de Yann sur ce sujet l’avait ébranlé. Il s’était dévoilé sans fard, et c’était devenu très inhabituel par les temps qui courent. Ca l’était doublement pour Dimitri, il avait l’habitude qu’on l’évite, pas qu’on se confie ainsi à lui.
Vu que Dimitri, lui, ne s’était pas dévoilé, Yann eut un geste caractéristique : Il approcha ses mains l’une de l’autre, comme pour les frotter, mais Dimitri se doutait qu’il allait sortir son sabre et lui trancher le cou sans peine.

- Tais-toi. Silence. Ne dis pas un mot.

Dimitri agita les mains et leva la main pour parler. Yann commença à sortir son sabre. Le manche glissa doucement dans sa main entrouverte pour l’accueillir.

- Je te préviens. Un mot de travers et je n’aurais aucune hésitation.
- … explication ?
- Vas-y.
- D’accord. Je dois te répondre immédiatement après, donc là, le pouvoir ne s’est pas activé.
- Quel genre de réponse ?
- … un truc du genre « Pas de quoi », mais « Pas de quoi » n’active rien. Les…

Dimitri déglutit et lâcha le morceau.

- … trois moyens d’activation sont…
- Tu as donc au moins trois pouvoirs.

Dimitri hocha la tête. Yann poussa un soupir de déception, ce qui confirma à Dimitri qu’il lui avait fait confiance dès le départ et qu’il aurait dû se dévoiler totalement, sans ambages.

- Quand je réponds « De rien, voyons », j’observe les gens en fermant les yeux. Quand je réponds « Je t’en prie », je devine les pouvoirs des gens. Quand…

Il devait le dire, il devait le dire, sinon Yann ne lui ferait jamais confiance, et c’est tout ce qu’il désirait sur le moment : avoir sa confiance. S’il acceptait au moins de traîner avec lui, Dimitri aurait d’autres chances d’utiliser son pouvoir… et de revoir ce si beau sourire qu’il devinait rare et précieux. Il les voulait rien que pour lui. Yann et son sourire.

- … je réponds « Tout le plaisir est pour moi », je ressens ce que la personne visée ressent, le mal comme… le bien.

Yann pencha la tête, intrigué.

- Euh… ok pour les deux premiers, c’est pratique mais… à quoi ça sert le troisième ?
- Ce n’est pas intrusif, je crée juste un lien d’empathie avec la personne. Si elle a de la peine, j’éprouve cette peine, si elle se blesse, je suis blessé aussi.

Yann sembla dubitatif. Chacune de ses mimiques était exquise. Son regard était pur, sans jugement, doux comme celui d’un agneau, aussi rassurant que le miel dans sa voix.

- … mouais, ça n’a aucune utilité pratique en fait. Ok, je te crois. Tu te dirigeais vers Provins, c’est ça ?
- Euh, oui… je supposais qu’une communauté y avait élu domicile…
- C’est ce qui semble, oui. Y’a une rumeur comme quoi ils seraient bien barricadés. Ce serait juste difficile d’entrer, ils sont stricts apparemment.
- D’accord… euh, je t’ai expliqué mon pouvoir dans le détail, et toi tu transportes un sabre, un sac et…
- L’autre truc ? s’étonna Yann. Oh, c’est juste un registre des pouvoirs d’avant la fin du monde. Je bossais dans le public, sur Paris, et je l’ai volé avant que tout vole en éclats. J’ai toujours pensé que ce serait utile un jour, je le feuillette de temps en temps. Y’a des pouvoirs sacrément barrés là-dedans.

Dimitri était assez intrigué par la facilité avec laquelle le jeune homme parlait à présent. Ils étaient passés d’un climat de méfiance tendu à une sorte d’entente. Il fut pris d’une immense bouffée d’audace, et il osa formuler une demande interdite :

- Est-ce que… ça te dit qu’on aille à Provins ensemble ?
- Ouais. Ouais, pourquoi pas. On sera toujours mieux à deux que seuls. On sait jamais ce qui peut nous tomber dessus.

Dimitri sembla honoré. Très honoré. Il sentait qu’on lui faisait là un immense privilège. Qu’une créature aussi indigente que lui soit autorisée à se tenir aux côtés d’une semi-divinité comme lui, c’était inespéré. Il n’y avait bien qu’en plein chaos de fin du monde que ça pouvait arriver, même.

- Cela dit, tu devrais te laver et te changer, tu pues la mort, et cette vieille parka… verte, je suppose, que tu portes, beh. Si t’arrives là-bas comme ça, ils vont te balancer à la décharge ou te mettre en quarantaine...

Dimitri se regarda, un peu confus. En effet, il était bien crade. Et la propreté étincelante de Yann à ses côtés jurait vraiment. Il avait l’habitude de servir de faire-valoir, mais là, on aurait dit une mouche à merde aux côtés d’un papillon.
Avec le recul, cela lui avait permis de survivre à la fin du monde. Son caractère extrêmement soumis lui avait permis de se fondre dans la masse, d’être invisible. Le nom de son pouvoir ne venait pas de n’importe où : Il avait été assistant toute sa vie, il adorait être le second couteau, le suiveur, celui qui ne donnait pas les ordres mais qui les exécutait. Il se sentait plus en sécurité dans l’ombre de quelqu’un, et ne supportait pas d’avoir la moindre responsabilité, c’était pathologique.
Sur injonction de Yann, Dimitri se déshabilla et entra dans un étang à la sortie du village. Yann ne l’avait pas vraiment regardé, trop occupé à préparer des affaires pour lui. Dimitri s’en accommoda. Il était habitué, là encore, à n’être un objet de désir que pour une poignée de fétichistes, de dyslexiques sexuels qui, pour une raison étrange, le trouvaient acceptable, mais pas au point de le fréquenter après l’avoir sauté, ou encore pour des gens aussi ou plus désespérés que lui qui savaient que lui ne dirait pas non. Il entra dans le lac et s’y immergea. Fin du monde ou pas, il restait pudique.

- Pas la peine de te cacher, j’en ai vu d’autres… cria Yann.
- Je… j’aime pas qu’on me voie.
- Faut pas être pudique, enfin. On est tous pareils !

Disons que certains étaient plus regardables que d’autres. Dimitri se savait perclus de défauts, d’imperfections qui, si on les regardait avec son œil, étaient évidentes. Il se lava avec l’éponge fournie, se déplaça de telle sorte à ce que Yann ne perçoive pas les effets physiologiques qu’il provoquait chez lui, mais Yann s’était adossé à un saule, dos à lui, et lisait son précieux registre. Les affaires avaient été préparées soigneusement. « C’est trop d’égards pour quelqu’un comme moi », se martelait Dimitri.
Il entreprit de se laver rapidement et de revenir sur la berge pour s’habiller. Yann avait sélectionné des habits propres mais simples, ce qui plut à Dimitri, de trop beaux habits auraient été un gâchis pour quelqu’un comme lui. Yann ferma son registre quand il s’aperçut que Dimitri était sorti de l’eau et qu’il avait commencé à remettre ses affaires.

- Voilà. On se sent pas mieux ?
- Si… Quand on est sur les routes, c’est pas simple…
- Je sais, c’est pour ça que je voyage mais que je m’arrête assez régulièrement et que je prends le temps de m’arranger un peu. C’est pas parce que c’est la fin du monde qu’il faut se laisser aller.

C’est donc bien ce que pensait Dimitri.

- Tu as à manger ?
- J’ai… du pain, du sel, quelques pièces de viande…
- Viande ? Me dis pas que tu manges des chats errants comme les autres crevards ?
- N… Non, c’est de la volaille, que j’ai récupéré de mon ancienne communauté.
- Ah, cool, on va la faire cuire et se la manger tous les deux !

Dimitri appréciait qu’il l’inclue ainsi auprès de lui, il s’en sentait honoré. Il observa Yann préparer la viande et essayer de l’arranger avec du sel, des restes de sauces et un peu de citron. C’était un modeste poulet mais ça les nourrirait sans problème. De son côté, Dimitri immergeait un vieux sachet de riz pour agrémenter. A eux deux, ils avaient assez de matériel de cuisine pour faire un bon repas.

- Pareil, c’est pas parce que c’est la fin du monde qu’on doit pas cuisiner correctement !
- Je vois ce que tu veux dire. Habituellement, je me fais juste des pâtes…
- Han mais non… soupira Yann en secouant la tête, atterré.

Yann avait une grande estime de lui-même, et de fait, il en attendait beaucoup des autres. Quelque part, le laisser-aller relatif de Dimitri devait le fasciner et c’est pour ça qu’il acceptait de le fréquenter, pour avoir un exemple de ce qui se passerait s’il arrêtait de prendre soin de lui. Lorsqu’ils mangèrent ensemble, Dimitri ne disait plus rien. C’était un banal repas mais il savourait juste le plaisir de la bonne nourriture et de la présence de Yann. Même s’il savait qu’il pouvait le décapiter n’importe quand. Visiblement, Yann ne partageait pas cette culture du silence.

- Alors, tu faisais quoi avant la fin du monde ?
- J’étais… assistant, je numérisais des dossiers, je traitais du courrier, j’archivais…
- T’étais le larbin, quoi.
- C’est… un peu ça.
- Elle faisait quoi, ta boîte ?
- J’ai jamais très bien su…
- T’as pas l’air bête pourtant, t’as jamais essayé de devenir autre chose ?
- Pas vraiment…
- C’est dommage. T’avais quel niveau d’études ?
- Bac + 2…
- Moi aussi, pourtant j’ai bossé dans des collectivités locales, j’ai eu des boulots importants, j’ai fait du management, j’ai…

Dimitri écoutait avec patience. Il aimait écouter. Les gens l’intéressaient beaucoup, et il appréciait que la conversation ne porte pas sur lui : Il se savait profondément inintéressant, et cela expliquait qu’en amis comme en amours, il préférait les gens bavards. Yann avait eu une vie passionnante, une famille compliquée aux relations difficiles, et une vie sentimentale tumultueuse. Il avait visiblement du mal à faire des compromis, mais Dimitri se garda bien de lui faire la remarque. Yann tentait de lui arracher quelques détails sur sa vie, mais Dimitri restait vague, évasif, incapable de se dévoiler. Non pas qu’il ne se sentait pas en confiance, il sentait juste que ça ne l’intéresserait pas. Une fois le repas fini, Yann proposa à Dimitri de feuilleter le registre. Dimitri accepta et observa les noms, les dates de naissances et les informations sur les pouvoirs des habitants de la ville de Paris. Les dernières rumeurs sur Paris faisaient état d’une ville tenue par les derniers militaires restants. Toute l’ambiguïté résidait dans cette question : Sont-ils ou non partisans du Juge et garants de sa volonté par-delà sa mort ? Cette seule question empêchait la population française d’approcher de la capitale. Dix ans étaient passés mais la réalité de cette époque était toujours en chacun des survivants.
Quelque chose intrigua Dimitri dans le registre.

- Euh… Yann, c’est normal qu’il y ait une page arrachée ?

Il hocha la tête alors qu’il fumait une cigarette qu’il avait probablement roulé lui-même.

- Ouais, je sais pas trop comment ça se fait… Vu que c’est dans la partie qui concerne la police, je suppose que des gars ont voulu se couvrir.

Dimitri haussa un sourcil. Il avait entendu, au fur et à mesure de ses pérégrinations, parler des évènements ayant mené à la fin du règne du Juge, de cette brigade de police qui avait cherché à l’arrêter et qui avait visiblement réussi. Cette page pourrait bien être celle concernant les protagonistes de la chute du Juge.

- Il y a peut-être des personnalités politiques, des gens importants dans ce registre…
- J’sais pas. Moi je le regarde juste pour me distraire. Quelque chose me dit que ça pourrait intéresser quelqu’un, un jour, d’avoir des renseignements sur les pouvoirs qui ont existé. A titre de sujet d’étude par exemple… C’est juste une distraction pour moi.
- Hm, possible…

Dimitri se dit que c’était surtout cette page qui serait intéressante. Ce qu’on veut dissimuler est forcément plus intéressant que ce qu’on laisse à vue de tous. Yann vivait dans le présent, il ne voulait pas revenir sur ce passé. Son expérience dans le public, Dimitri y pensait maintenant, l’avait certainement amené à être proche de certaines exactions du Gouvernement. Dimitri aurait voulu lui poser la question, mais hors de question de froisser sa nouvelle idole en lui posant une question qui fâche. Dimitri refoula sa nature curieuse afin de garder avec Yann cette étrange amitié qui s’était créée entre eux.
Une fois le repas bien digéré, ils se mirent en route afin d’arriver sur Provins avant la tombée de la nuit. Sur le chemin, Dimitri s’ouvrit un peu plus, se révéla un peu plus bavard. Il raconta des histoires de ses précédentes communautés. Il lui expliqua le coup des fourchettes, que c’était comme un tic, et Yann lui révéla que quand il était sur les routes, il lui arrivait de sabrer des arbustes sur le chemin, histoire de ne pas se rouiller, et que quand il le faisait, il se trouvait un peu ridicule. Dimitri chercha à le réconforter, à lui dire que c’était normal d’être un peu zinzin par les temps qui courent.

- Justement, non. Je refuse de perdre la tête. C’est tout ce qui me reste, avait-il répondu.

Un silence mélancolique s’en était suivi. Dimitri s’en était voulu d’avoir essayé d’apaiser la crainte de Yann. Celui-ci comprit qu’il avait cassé l’ambiance, et il reprit avec des anecdotes de son cru, qui amusèrent Dimitri. Yann ne parlait que d’histoires avec des filles, Dimitri en conclut immédiatement qu’il n’aurait aucune chance, et il en prit le pli. C’était plus facile d’avoir un coup de cœur pour quelqu’un en sachant pertinemment que la personne en question était de toute façon inaccessible. Dimitri avait trouvé le courage de lui avouer qu’il aimait les garçons, ce qui avait forcé l’admiration de Yann.

- Tu te rends compte de ce à quoi tu as survécu ! Ils avaient ce type, cet ancien SDF bizarre qui avait le pouvoir de déterminer l’orientation sexuelle des gens. Ce gars-là a envoyé tellement de gens à la mort… Comment t’as pu passer au travers ?!
- Je… euh… une amie à moi me servait d’alibi, et je priais pour ne pas être contrôlé plus sévèrement…
- Wow. Moi je sais pas comment j’ai fait non plus, le gars n’a jamais rien vu sur moi…

Dimitri regarda Yann d’un œil circonspect, ce qui poussa l’autre à s’expliquer.

- Le pouvoir du gars était d’une précision totale, il pouvait deviner ton orientation sexuelle même sans que tu ne le saches toi-même. Des gars au bureau disaient qu’il avait dit à un mec gay qu’en réalité il était hétéro et qu’il se fourvoyait depuis son adolescence. Le gars était persuadé d’y passer, mais le type lui a bien dit : « Vous, vous êtes hétéro ».
- C’est dingue !
- Grave. Moi, tous mes amis gays y sont passés…

Nouveau silence mélancolique. Pas facile de parler du passé quand la fin du monde a été aussi violente. Dimitri laissa le silence s’installer un peu. Puis il reprit :

- Tu crois qu’on arrivera à reconstruire la civilisation un jour ?

Yann, encore un peu secoué par le rappel brutal des années blessées, inspira, le regard dans le lointain.

- Tu crois vraiment que ça vaut la peine de la reconstruire ?

Dimitri se mordilla les lèvres mais n’hésita pas à livrer le fond de sa pensée.

- Non, pas du tout.
- On est bien d’accord.

A partir de ce moment, un sourire entendu ne les quitta plus. Ils échangèrent des banalités, s’accommodant de plus en plus de la présence de l’autre, et la fin du voyage fut très agréable. Ils approchaient de Provins, comme l’indiquaient des panneaux taggués. Un rond-point à la lisière de la ville leur sembla être le parfait endroit pour monter un campement. Par chance, le temps était sec. Un deuxième repas, plus frugal que le premier, acheva cette journée.

- Demain, on essaie de trouver la communauté qui habite dans Provins, on sera beaucoup plus frais après une nuit de sommeil, ce sera plus facile pour se faire accepter, indiqua Yann.
- Tu tiens vraiment à les intégrer ?
- La rumeur fait état d’une communauté structurée, avec des règles d’entrée, des règles de vie, etc. J’ai croisé beaucoup d’exclus qui, de toute évidence, ont été virés parce qu’ils manquaient de savoir-vivre et de savoir-être donc je pense que si on se comporte normalement, ça devrait le faire.
- D’accord… j’espère que je vais être pris…
- Y’a pas de raison. Ce serait bien qu’on entre tous les deux, on aurait chacun quelqu’un qu’on connait !

Dimitri eut un faible sourire. Savoir que Yann s’était un peu entiché de lui était une victoire en soi. Même si évidemment, il évitait de le remercier, Yann semblait le voir comme un ami.

- Tu… voyages souvent avec des gens ? osa-t-il.
- Parfois. Le plus souvent avec des meufs qui m’ont à la bonne.

S’il savait. Dimitri se savait peu subtil mais visiblement Yann n’avait pas remarqué la manière qu’il avait de le regarder. Même si le temps faisant, il sentait qu’il y perdrait en agissant ainsi avec lui. Il essayait parfois de rectifier le tir dans son cerveau, afin de garder des amis et d’éviter de les perdre bêtement en les désirant trop ardemment. Sa capacité à s’attacher vite et fort aux gens lui jouait souvent des tours. Il n’avait jusqu’alors jamais rencontré personne qui profite du pouvoir qu’il était possible d’exercer sur lui par simple charisme. Là, par exemple, si Yann lui demandait de lui servir de repose-pieds, il le ferait sans hésitation. Son manque de considération pour lui-même jouait un grand rôle dans ses rapports avec les autres. Son faible amour-propre peinait à le sauver de lui-même.
Ils utilisaient tous les deux des sacs de couchage, ce qui les fit beaucoup rire. Dimitri se contenta d’enlever son pantalon et se glissa dans le duvet. Yann semblait mécontent de dormir en sous-vêtements, ce qui fit sourire Dimitri.

- Bon allez, bonne nuit.
- Bonne nuit à toi aussi.
- Merci.

Dimitri ne répondit rien, et dans un souffle perceptible, Dimitri crut discerner que Yann avait souri. Il s’endormit, tout content de cette journée. Il pensa moins à la mort de ses proches et aux gens qu’il avait connu dans sa précédente communauté et qui étaient probablement tous morts, agonisants ou réduits en esclavage. Il observait Yann, non loin de lui, et perçut un détail qui le fit frémir. Il avait la pleine vue sur sa nuque. Il n’avait pas eu le temps de bien l’observer, alors que c’est ce qu’il préfère chez un homme. Avec l’expérience il savait qu’un homme était beau rien qu’en regardant sa nuque. C’est un endroit négligeable à hauteur d’homme, une terre en friche au pays de leur corps, et de fait, sa beauté était naturelle et pure. Yann avait une nuque magnifique qui laissait deviner la naissance d’un dos musclé. Il se coiffait également bien, de toute évidence, puisqu’elle était parfaitement rasée, avec une précision presque militaire. Perdu dans l’admiration de cette nouvelle preuve de la perfection de son compagnon de voyage, Dimitri perçut la respiration sifflante et régulière, preuve du sommeil de Yann, qui jurait avec les bruits blancs de la nuit. Il s’endormit, bercé par cette musique que lui seul pouvait entendre.

Le lendemain, quelques biscuits et un thé improvisé avec des sachets probablement déjà utilisés leur fit office de petit déjeuner. Yann avait un petit miroir dans lequel il regardait avec angoisse. Dimitri ne comprenait pas comment un être aussi beau pouvait être aussi stressé par son apparence. Même à l’abandon, Yann serait toujours le plus beau des hommes pour lui. Mais probablement que c’était l’obsession qui parlait.

- Allez, en route. On va passer par là, je suppose que les fameux remparts sont le point d’entrée de la communauté, sinon de la ville… On va prendre ce chemin de Villecran pour accéder à la ville fortifiée.

Ils quittèrent donc l’ancien panneau touristique, couvert de graffitis divers : « Bande de tarés », « Communauté de blaireaux », « Rabat-joie » que Dimitri et Yann avaient préféré ignorer. Le chemin de Villecran était une banale route couverte de parkings séparés par des haies. Dimitri frissonna, pas rassuré.

- Tu veux pas sortir ton sabre ?
- Je préfère éviter, si jamais ils ont des points de contrôle, j’aimerais éviter de passer pour un excité de la machette.
- Je comprends.
- T’as peur ?
- Un peu… Je sais pas, j’ai un mauvais pressentiment.
- Je peux sortir mon sabre en moins de deux, t’inquiète.

Dimitri lui faisait confiance, mais lui était vulnérable. Si on l’attaquait, il n’avait aucun moyen de se défendre. C’était une habitude pour lui de compter sur les autres.
En traversant le parking en transversale, ils arrivèrent à une gare routière où les arrêts de car étaient des espèces de chalets pas finis.

- C’est moche… geignit Yann.
- Mes parents habitaient dans une ville comme ça…
- J’sais pas comment ils faisaient, moi je pourrais pas…
- Oh, y’a des gens qui aiment les villes calmes comme ça.
- Ouais, nan, moi j’ai toujours vécu dans des villes normales, modernes, anim…

Yann se figea, s’arrêtant en pleine phrase. Dimitri eut à peine le temps de regarder l’homme qui venait de lui toucher l’épaule qu’on le saisit lui-même.

- Héééééééé ! Non !!
- Doucement, gamin, c’est pas toi qu’on veut… chuchota le type qui l’avait saisi et tiré vers l’arrière.

L’homme qui avait de toute évidence paralysé Yann ricana et lui tapota l’épaule.

- Très sympa, ce pouvoir de paralysie. Tu ne peux pas bouger par toi-même. Quant à ton pouvoir…

L’homme sortit un couteau et le plaça sur la gorge de Yann.

- T’as pas intérêt à essayer de t’en servir.
- Tu peux y aller, Joe, je tiens l’autre.
- T’en fais pas, je tiens à m’amuser.

C’étaient deux hommes assez âgés. Celui qui tenait Dimitri était un maigrichon aux dents sales et à l’œil vicieux. Le gras du bide qui avait Yann sous son joug était encore plus laid, chauve, au moins trois mentons, répugnant. Ils puaient atrocement. Il prit Yann par la nuque et le plaça à genoux, face contre terre.

- Non ! Non, arrêtez, qu’est-ce que vous lui faites, non !

Dimitri regarda Yann qui semblait faire des efforts démesurés pour bouger. « Il est conscient !! Il est paralysé mais conscient, c’est horrible ! » se dit Dimitri. Le type qui le tenait le plaqua également au sol.

- Moi j’ai juste un pouvoir de repérage. On vous a cramés quand vous étiez au panneau touristique. Vous auriez pris un autre chemin, on aurait été obligés de…

Dimitri s’en contrefoutait de ce que ce péquenaud avait à dire. L’autre gros dégueulasse était en train de déshabiller Yann. C’était hors de question, putain. Il ne pouvait pas le toucher, pas lui. Yann tentait de bouger ses mains, mais l’homme le maintenait dans l’état de paralysie et le menaçait avec le couteau. C’était sans espoir. Dimitri était contre le pavé froid, et il allait devoir regarder. Le regard de Yann se remplissait de larmes de rage. Son visage était inexpressif mais Dimitri le sentait, il sentait toute la frustration de celui avec qui il avait tant sympathisé.

- Prenez-moi à sa place ! Je ne me défendrais pas ! Pitié ! Ne lui faites pas ça !

« Ne le souillez pas », c’est ce que Dimitri se martelait dans sa tête. Et avec ses minables pouvoirs, il était incapable de l’aider. L’homme commença à attraper le caleçon de Yann qui eut un horrible frisson, comme si d’avance son corps savait ce qui allait lui arriver. Dimitri s’était déjà retrouvé dans ce genre de situation, et il avait accepté son sort, se résignant, et de fait, on ne pouvait pas parler de viol. Mais Yann avait trop d’estime de lui, il ne pouvait pas se mettre dans cet état d’esprit. Une idée vint à Dimitri. « Tu peux l’aider avec ça. Mais Yann va te détester. » Il pesa le pour et le contre, et se dit que le bien-être de Yann allait au-dessus de ce qu’il pouvait penser de lui.

- Hey ! Monsieur ! Stop, attendez, écoutez-moi !
- Hm ?
- Euh… Le pouvoir de mon pote se déclenche par ses mains, vous devriez le mettre sur le dos pour faire votre affaire !

L’œil de Yann s’écarquilla. Dimitri sentit à quel point il le détestait sur le moment. Il joua la comédie et regarda le gros porc avec sincérité. Il disait vrai. Le type hocha la tête et retourna Yann sans ménagement tout en maintenant le couteau dans sa direction.

- Merci du tuyau, petit !
- C’est moi qui vous remercie…

La colère dans l’œil de Dimitri se déclara dans toute son ampleur et se transforma en violence sans limites. Le gros lard retourna le couteau contre lui et se l’enfonça dans le bide.

- URGH ! PUTAIN ! MERDE ! AH !
- Joe, bordel de merde, qu’est-ce que tu fous ?!!

Le dénommé Joe se poignarda le ventre quatre fois. « Crève, crève, crève ! », tels étaient les ordres qu’avait envoyé Dimitri, et avec une telle virulence que l’homme s’en était presque éventré. Il saignait et s’était relevé, surpris de « son » geste et fou de douleur. Yann se releva à son tour, sorti de la paralysie par l’effet des blessures ennemies. Dimitri savait qu’un des moyens d’arrêter un possesseur de pouvoir, c’était de le blesser grièvement. Avec la douleur, la conscience humaine a du mal à maintenir l’effet du pouvoir, sauf si le pouvoir y est directement lié.

- Joe, il se relève ! Joe ! Touche-le !!

Ce furent ses dernières paroles. Yann tendit une main vengeresse vers lui et projeta son sabre à une vitesse incroyable hors du portail d’inventaire de sa main. L’objet passa à travers la tête de l’homme sans ménagement, entre les deux yeux. Yann avait « l’inventaire de jeux vidéo » le plus dangereux du monde.

- STEVE ! MERDE !

Dimitri s’éloigna du cadavre qui lui retombait dessus, affolé. Yann se leva, remit son pantalon et récupéra son sabre de ce minable rocher d’Excalibur qu’était cette tête de nœud. Joe se tordait de douleur, un peu plus loin. Yann s’en approcha. Le gros dégueulasse tendit une main et quémanda la miséricorde.

- N… Non, pitié, j’veux pas mourir, s’il vous plait ! J’allais pas le faire, je plaisantais voyons…

D’un rapide mouvement et sans plus de procès, Yann lui trancha une partie de la main, la transformant en charpie de sang, de nerfs et de vestiges de doigts.

- Aaaaaaaah ! Aaaaaaaaaah !
- Ça, c’est pour avoir posé tes sales pattes sur moi, et ça…

Yann enfonça son sabre dans les flancs de l’homme, le transperçant presque de part en part. Dimitri était stupéfait par la cruauté de son partenaire. Posant une chaussure sur l’épaule du type, il retira son sabre aussi sec, pendant qu’il gémissait comme un pourceau.

- … c’est pour que tu te vides de ton sang et que tu crèves lentement. Comme le chien que tu es.

Il s’éloigna de lui et se dirigea vers Dimitri.

- C… ça va ?! demanda-t-il à tout hasard.
- Lève-toi.

Dimitri se leva doucement, apeuré par son camarade dont le sabre était à présent couvert de sang. Il regarda Yann avec peur. C’est effrayant, la violence des belles personnes. Ça pique, c’est inhabituel. Ce sont les gens laids qui sont cruels et sans pitié. Yann rangea son sabre.

- D’abord, je… te suis reconnaissant de m’avoir aidé…
- C… c’est normal, voyons…

Un coup de poing au visage suivit cette déclaration. Yann l’avait frappé. Durement, avec colère. « Il doit passer sa frustration », se dit Dimitri. La douleur était vive, mais quelque part, délicieuse. La douleur accordée par Yann. Il était le seul à avoir le droit de le faire souffrir, à présent.

- … mais comment as-tu osé me mentir ?

Dimitri se releva, se tenant le nez, pris sur le fait. Il n’était pas surpris, il s’attendait à pire, certes. Mais il devait répondre, sinon Yann ne voudrait plus traîner avec lui.

- J’avais… peur que… tu me détestes…
- Tu as combien d’autres pouvoirs comme ça ?!
- Quatre, j’en ai que quatre. La double vue, le profilage, l’empathie et la manipulation. C’est très court, à peine dix secondes, je ne manipule pas l’esprit, juste les mouvements. Je m’en servirais jamais contre toi, promis !

Yann regarda Dimitri, tout piteux. Il soupira.

- On oublie tout ça. Faut continuer. J’espère que j’ai pas de tâches…
- Non, ça va, t’inquiète pas.
- Si tu pouvais… rester silencieux jusqu’à ce qu’on arrive. S’il te plait.

Dimitri baissa la tête. Et voilà, il avait tout gâché. Pourtant, il n’avait pas cédé à la facilité : Il aurait tout aussi bien pu se servir de son pouvoir d’empathie pour créer un lien avec le gros lard pour violenter Yann à travers lui. C’est peut-être ce qu’il aurait fait auparavant, mais il avait eu la maturité et la présence d’esprit de ne pas le faire et de le sauver, plutôt. Il était fier de lui, d’un côté, mais de l’autre, avoir perdu la confiance de Yann était un prix bien trop lourd à payer. Ils s’éloignèrent, laissant un type sans intérêt se vider de son sang.
Ils marchèrent. La porte d’entrée des remparts n’était pas gardée, à première vue. Ils traversèrent les rues de la ville médiévale, déserte, des restaurants et des boutiques de souvenirs en décomposition. Ils en visitèrent quelques-unes, en quête de quelque chose à piller mais la zone avait visiblement été nettoyée. Yann restait silencieux, et Dimitri n’osait rien dire. L’exploration des rues était pesante. En observant une autre carte touristique, ils découvrirent qu’il y avait une ville haute et une ville basse, et que cette ville basse comprenait notamment l’hôtel de ville au bout d’une rue piétonne. Yann décréta que c’est là que devait être logée la communauté. Ils se mirent en route et traversèrent une place blanche avant de se retrouver sur une pente descendante bordée de maisons abandonnées.

- Yann…

Il soupira, tenant à ce que le silence perdure, mais Dimitri ne l’entendait pas de cette oreille.

- … Désolé de t’avoir rien dit pour mon pouvoir.
- Je ne t’en veux pas.
- Ok… et aussi… Laisse pas cette agression te bouffer.

Yann baissa la tête.

- Je veux pas en parler.
- Je sais bien, mais… tu devrais… je te juge pas, tu sais…
- Je me suis senti tellement impuissant… J’étais… immobile, mais je sentais tout, je voyais tout, je savais ce qu’il allait me faire et j’étais incapable de bouger, et tu criais, et je voyais que tu voulais m’aider, et je voulais m’en sortir seul parce que…

Yann souffla, gavé.

- Laisse, je veux plus y repenser.
- Je suis là si tu veux en parler…

Dimitri se détourna de Yann pour le laisser tranquille. Celui-ci tint cependant à rajouter.

- Je sais. Merci.

Dimitri regarda Yann qui souriait. Dimitri sourit également. Il l’avait remercié en lui faisant confiance pour qu’il ne se serve pas de son pouvoir. Il ne s’en servirait pas. Il se contenta d’accepter le remerciement, sans répondre. C’était la sensation la plus délicieuse qui soit. Qu’importe si cette communauté était constituée de cannibales qui les feraient rôtir, Dimitri était le plus heureux des hommes. Il avait bien fait de se tenir et d’être patient, il avait obtenu exactement ce qu’il voulait : Sa considération inconditionnelle. Dorénavant, il était lié à lui pour la vie entière, et même quand il serait seul, Yann serait avec lui.
Cette pensée ne le quitta plus de toute la descente, et ils n’eurent même pas besoin de parler, semblant se préparer à ce qui les attendait. Provins était une vieille ville, et la voir abandonnée et silencieuse comme une cathédrale ne lui donnait pas une belle image. L’espace d’un instant, une jolie vue derrière un muret sur l’étendue vallonnée de la ville baignée par le grand soleil suivant l’aurore matinale les émut quelque peu, ils étaient surpris qu’une ville si reculée et si peu connue ait de tels trésors cachés à offrir. Le soleil du matin était magnifique, et si on excluait qu’une tentative de viol avait eu lieu quelques heures plus tôt, la journée s’annonçait magnifique.
La rue piétonne montra le bout de son nez au détour d’un virage. Un baraquement la séparait du reste de la ville. De grands panneaux indiquaient qu’il s’agissait de l’accueil de la ville, et ordonnait aux non sérieux de s’abstenir. Yann s’arrêta, plus très certain de vouloir y aller. La seule idée de rencontrer d’autres gens le faisait à présent frissonner, mais Dimitri, tout embué du bonheur précédemment acquis, l’enjoignit à au moins essayer. Yann hocha la tête. Il descendit avec Dimitri vers le baraquement. Le reste de la rue semblait vaguement animé. Une pancarte écrite à la main indiquait aux voyageurs errants de frapper spécifiquement quatre fois.

- C’est pour activer un pouvoir, je suppose… marmonna Yann, méfiant.
- Ou juste pour prouver qu’on a eu la patience d’approcher et de lire… marmonna Dimitri.
- Tu es trop naïf !
- Et toi, trop méfiant.
- Je sabre le premier qui m’approche…

Yann frappa quatre fois à la porte. Un homme noir, le cheveu grisonnant, un peu replet, leur ouvrit.

- Messieurs ?
- Nous voudrions rejoindre votre communauté…
- Vos noms ?
- Je suis Yann et voici Dimitri.
- On vient en paix… marmonna Dimitri.
- Installez-vous, j’arrive.

Yann et Dimitri entrèrent dans ce qui s’apparentait à une salle d’attente. Ils étaient de toute évidence dans une sorte de mobile-home. Ils attendirent une bonne dizaine de minutes.

- Yann ?
- Hm ?
- Tu veux que je t’observe avec mon pouvoir ? Au cas où il se passerait quelque chose ?

Il avait fait la proposition sans arrière-pensée, c’était vraiment pour pouvoir venir en aide à Yann au cas où. Maintenant qu’il lui avait accordé sa confiance, Dimitri était au service de Yann. Si Yann demandait, même les choses les plus folles, Dimitri s’exécuterait. Yann avait gagné un précieux atout, qui ne lui dirait jamais explicitement qu’il est à son service mais qui se mettait quand même à son service. Ses désirs seraient à présent des ordres, Dimitri y veillerait personnellement.

- Non, ça va aller. Tu as raison, je dois être moins méfiant. Mais c’est gentil.
- S’il se passe quoi que ce soit, hurle.
- Je hurle et je les sabre en même temps, compris.

Dimitri leva les yeux au ciel. Le gros bonhomme noir ouvrit la porte les séparant de ce qui s’apparentait à un bureau, et demanda à l’un des deux d’entrer. Yann se leva le premier. Dimitri resta seul avec ses pensées. Sans Yann, il se sentait un peu moins lui-même. Il ressortit ses fourchettes et les fit tinter l’une contre l’autre, en espérant que Yann n’aurait pas besoin de lui, et en espérant également qu’il ait besoin de lui, qu’il demande après lui, qu’il veuille le voir. Dimitri eut un faible sourire. Il n’était peut-être pas si sain d’esprit que ça, après tout. Son affection démesurée pour Yann, ses arrière-pensées dans chacun de ses gestes, son tic des fourchettes, son obsession pour Yann, sa perversité, le souvenir des fesses de Yann presque découvertes qui le hantait, est-il une bonne ou une mauvaise personne, Yann, encore Yann et toujours Yann, impossible de savoir s’il était sain d’esprit ou non. Il dut s’arrêter de ricaner nerveusement quand, après une bonne demi-heure, la porte s’ouvrit de nouveau.

- C’est à vous, jeune homme.

Dimitri revêtit à nouveau sa carapace de timidité. Il se leva, la tête entre les épaules. Il portait pourtant des habits convenables, cette fois. La pièce était vide, il y avait une table et deux chaises. Un autre homme se tenait dans la pièce et salua Dimitri. Il était bizarre, chauve, les sourcils rasés, probablement philippin, musclé, assez bel homme. Rien à voir avec le gros bonhomme noir aux cheveux gris, ça, c’était sûr.

- Votre nom.
- Dimitri.
- Votre âge.
- Trente ans.
- Votre pouvoir.

Dimitri marqua un temps d’hésitation et regarda les deux hommes.

- Votre pouvoir, jeune homme.
- … C’est un pouvoir social. Il agit quand on me remercie pour un service rendu par exemple. Ma réponse conditionne l’effet.

L’homme noir regarda son comparse qui hocha la tête.

- Mais encore.
- Si… si je réponds « De rien, voyons », je peux observer la personne, voir ses faits et gestes. Si je réponds « Je vous en prie », je devine le pouvoir de la personne qui m’a remercié.
- D’accord, quoi d’autre ?
- C’est tout.
- C’est faux.

Dimitri regarda l’homme chauve. Qui le regarda et lui fit un grand sourire.

- J’ai un pouvoir social, moi aussi !
- Elton peut détecter les mensonges, à votre place je ferais attention. Nous ne posons pas cette question par hasard, nous tenons un registre, nous veillons à la sécurité de nos concitoyens.

« Et MERDE. Je suis foutu. » pensa Dimitri.

- Oui pardon… euh, c’est que je préfère garder le dernier pour moi…
- Dites toujours.
- Si je réponds « C’est moi qui te remercie », je peux manipuler les mouvements de ma cible pendant quelques secondes.
- Bien. Vos pouvoirs sont intéressants, on pourrait en faire usage. Est-ce que vous aimez les femmes ?

Qu’est-ce que c’était que cette question ? Dimitri grimaça, ce qui ne fit pas sourciller l’homme noir.

- Faut-il que je répète la question ?
- Euh… Non, non, je… je les aime bien… ?
- Mensonge.

Dimitri serra les dents et rentra sa tête entre ses épaules.

- Euh…
- Votre ami n’a pas menti une seule fois. Il a été très clair, net et précis. Aimez-vous les femmes ?
- … non.

Echange de regards entendus entre le vieil homme et son sycophante. Dimitri frissonna.

- Bien. Vous êtes le bienvenu dans notre communauté, Dimitri, je suis Maurice, un des doyens de la rue piétonne. Sortez par la porte attenante, nous allons vous expliquer les règles.

Dimitri plissa les yeux. L’entretien de Yann avait été plus long. Il ne comprenait pas trop quelles seraient les conséquences de sa réponse à long terme. Dehors, il vit la grande rue où les gens discutaient et où les enfants jouaient. Yann l’avait attendu sur une borne.

- C’était moins long que pour moi…
- J’ai mal répondu, je crois…
- C’est l’impression que ça donne… mais ils t’ont laissé entrer quand même, donc…

Maurice s’approcha d’eux.

- Bon. Laissez-moi vous expliquer comment les choses fonctionnent ici. Nous allons, d’ici quelques semaines, vous attribuer un travail particulier en vertu de vos compétences. En attendant, nous allons vous donner un logement parmi les nombreux que compte cette petite rue. Etant donné que nous avons pour objectif de rebâtir la civilisation, votre mission première est de participer à l’effort de reproduction et donc d’engrosser des femmes.

Dimitri grimaça et regarda Yann qui haussa les épaules.

- Si le prix à payer pour un bon lit, c’est de niquer, je dis pas non !
- Justement. Quand nous nous sommes mis d’accord, nous, les hommes, pour atteindre cet objectif, les femmes se sont rebellées, et nous avons dû mettre en place des règles strictes pour les protéger et maintenir cet objectif dans les meilleures conditions possibles. Monsieur Yann, les femmes célibataires du village vont vous essayer à tour de rôle, et si vous convenez à l’une d’elle, elle vous choisira et vous serez son régulier. Si, comme je le pressens, vous convenez à plusieurs d’entre elles, vous aurez le choix.

Yann agita la tête tandis que Dimitri tombait des nues.

- Eh bien, je ne suis pas du genre à me soumettre à des règles, mais si vous y tenez…
- Bon. Quant à vous, Dimitri, malgré la fin de la civilisation, vous tenez toujours à être homosexuel.

Dimitri balbutiait, hésitant à répondre à… quoi que fut cette remarque de merde. Yann le regarda, un peu peiné.

- Vous allez pas le virer quand même ? C’est mon pote, le virez pas !

Dimitri sembla presque regretter de ne pas être resté sur les routes avec Yann. Non, franchement, il était mieux, et le ton de Maurice ne le rassurait mais absolument pas.

- Nous avons une maison spécialement réservée aux… gens comme vous, vous aurez un travail mais n’espérez pas de privilèges spéciaux, personne n’a oublié la politique du Juge à l’égard des gens comme vous, donc nous sommes tolérants à votre égard, mais personne n’a oublié non plus qu’en essayant de défendre les gens comme vous, l’humanité a payé le prix fort. Je vais vous amener à vos quartiers, c’est Elton qui va s’occuper de monsieur Yann.
- Allons-y ! sourit Yann en suivant le chauve sans sourcils.

Dimitri suivit Maurice. Il regarda autour de lui. On le regardait presque de travers. On les avait observés, lui et Yann. Certaines femmes semblaient ravies à l’idée qu’il arrive ici, mais Dimitri faisait figure de paria. On avait compris pourquoi on les avait séparés, et Dimitri passait pour un fardeau.

- Si vous changez d’avis et que vous tenez à prendre une femme, vous serez évidemment pleinement intégré à la vie en société.
- … non merci… soupira Dimitri, résigné.

On l’amena à un pavillon écarté, près des barricades de l’Avenue Alain Peyrefitte, devant un arrêt de bus qui servait visiblement de décharge.

- On dirait que Karim n’a pas sorti les déchets… Hmph… Bien, voilà la maison où vous serez logés. Notre responsable administrative s’y trouve. Vous pourrez l’assister si le cœur vous en dit.

Maurice ouvrit la porte blanche à Dimitri. On arriva dans une pièce fermée avec un grand escalier qui montait jusqu’au pavillon en lui-même. Une porte ouverte menait à un garage inusité. Maurice monta les escaliers suivi par Dimitri, et ouvrit une porte coulissante.

Il entra à la suite de Maurice et la vit. C’était une grande femme aux cheveux roux foncés coupés au carré. Elle portait un pull orange, et faisait léviter des papiers, des tampons, des enveloppes, des coupe-papiers, en bougeant simplement les doigts. Elle était âgée, mais portait des lunettes à verres colorés jaunes. Son menton carré, son nez peu mutin et sa carrure d’épaules ne laissait pas de place au doute : Elle n’avait pas toujours été une femme. Dimitri sembla cependant rassuré. Elle semblait sympathique. Sans cesser son action, elle regarda Dimitri avec un grand sourire et le salua avec malice.

- Dimitri, je vous présente Sherry. Elle a le pouvoir de manipuler le matériel de bureau, et elle a organisé notre système administratif. Afin de… hem… Protester contre ce qu’elle estime être, je cite « Une manifestation répugnante de ce que le patriarcat peut faire de pire », sous-entendu, notre système de reconstruction de la société, Sherry a fait… vœu de silence.

Sherry montra, d’un geste de fermeture éclair invisible, qu’elle ne dirait clairement rien.

- Sherry gère cet endroit, vous en répondez devant elle. Il y a deux autres personnes qui vivent ici, Gaëlle et Armand, qui sont… comme vous. Je vous laisse faire connaissance, je vais voir où en est monsieur Yann.

Maurice redescendit l’escalier. Dimitri trouvait le salon bien joli. Il y avait un balcon et un jardin. Le parquet de la salle à manger était bien entretenu. Il n’avait pas remarqué les chats tout de suite mais il y en avait des dizaines qui habitaient là, notamment un sacré de Birmanie, un grand chat roux à la queue tordue, une chatte blanche et sa petite famille de trois chatons, une autre chatte à l’air sévère et à la robe rayée, ainsi qu’un bébé chat qui adorait dormir n’importe où, visiblement, puisqu’il était par terre, sur une vieille écharpe, devant une étagère. Quand la porte de la maison claqua, Sherry inspira lourdement.

- Vieux cul... Bienvenue, Dimitri ! Je suis contente d’avoir un nouvel arrivant. Il y a peu de chambres, tu prendras la mienne en attendant qu’on t’aménage un coin. Tu peux poser tes affaires, tu es ici chez toi.
- Merci… euh…
- Tu as des tas de questions, je sais. Assieds-toi donc. Déjà, sache que cet endroit n’est pas une prison, comme tu peux le croire. C’est un refuge, si on veut. J’ai été une des fondatrices, avec les autres doyens. J’ai quarante-sept ans, pour info, et je viens de Paris, à la base. Je travaillais pour la police avant tout ce bordel.

Dimitri plissa les yeux, intrigué, mais il laissa Sherry continuer.

- Bon, j’étais seulement la secrétaire, mais j’en ai vécu, des belles choses. Bref, assez parlé de moi. Donc nous sommes quatre ici, ça implique un tour d’usage pour la salle de bains et un partage équitable des rations. Gaëlle et Armand dorment au grenier, à l’étage, et toi et moi on va prendre la chambre du fond. Tu auras un lit par terre, rassure-toi, je ne t’obligerai pas à dormir avec moi. Même si ce ne serait pas de refus, tu es adorable !
- Mer…Ci ?!
- Et toi, d’où viens-tu, qui es-tu, que fais-tu ?
- Je… euh… je viens de la banlieue parisienne, je… vais de communauté en communauté depuis… la fin… et jusqu’à il y a peu, j’étais seul, et…

Dimitri se mordilla les lèvres et fondit en sanglots. Sherry inspira.

- Les beaux garçons qui pleurent, je ne m’en lasserai jamais !


Dimitri trouva sa place au sein du foyer de Sherry. Armand était un crétin de rouquin bien foutu qui avait eu le malheur de répondre qu’il donnait pas dans les gonzesses et qu’il était pédé comme un foc, pensant peut-être que la communauté post-apocalyptique avait un bar qui servait des Cosmo et des minets le cul à l’air, alignés et prêts à prendre cher. Désillusion. Dimitri comprit très vite que ça ne collerait pas entre eux. Déjà, il était méchant avec Sherry, qui le lui rendait bien, vu qu’elle mettait les agrafes usagées dans sa lessive propre. Armand lui gueulait alors dessus, mais Sherry respectait également son vœu de silence avec lui, même quand il lui disait qu’elle n’était qu’un vieux sac d’aspirateur avec des restes de pénis autour. Ensuite, il regardait Dimitri comme les beaux garçons homosexuels regardaient les garçons homosexuels moins bien foutus même avant la fin du monde : Avec dégoût. Dimitri n’existait pas dans le radar d’Armand, il n’avait pas entre vingt-deux ans et vingt-six ans et demi, il n’était pas « TTBM » et ne voulait pas se faire « loper », il n’était ni un minet ni un ours, ne faisait pas un mètre quatre-vingt et n’était pas un mec spécialement « masculin ». Next. Gaëlle était plus calme, elle faisait pleinement partie de la communauté auparavant mais les hommes du village la trouvaient un peu frigide, et un nouvel entretien avec Maurice et Elton avait mis au jour son « problème » de lesbianisme. Elle ne s’entendait cependant pas mieux avec Sherry qu’elle semblait voir comme une monstruosité. En fait, tout le monde au village se demandait comment elle avait pu traverser toutes les purges alors qu’elle était dans l’administration policière, donc au plus près des vérifications d’usage de l’époque. Une trans comme elle aurait dû être exterminée sans procès, et la rumeur prétendait qu’elle était passée au travers des mailles du filet par des moyens peu avouables. Dimitri s’était posé la question, mais il pensait avoir la réponse, alors il ne disait rien. Sherry s’était entichée de lui, elle lui parlait normalement, même à l’extérieur. La communauté prenait les repas dans l’ancien Monoprix de la ville, qui était apparemment gigantesque, et qui leur servait de salle commune. Sherry mangeait seule auparavant, mais Dimitri tenait à manger avec elle. Yann était beaucoup trop occupé avec « ses » quatre femmes. Ils ne parlaient plus beaucoup, lui et Dimitri, et ce dernier en souffrait beaucoup, mais hors de question de gâcher son bonheur. Dimitri préférait rester loin de lui plutôt que l’embêter.

- Qu’est-ce que tu regardes ? avait demandé un jour Sherry en mangeant sa salade.
- Rien, rien…

Sherry avaient deux défauts que Dimitri adorait : Elle aimait les potins et était perspicace.

- Il est adorable ! L’air un peu snob, peut-être. La rumeur dit qu’il passe la majeure partie de son temps libre à la réserve de vêtements…

Dimitri inspira.

- On est arrivés ensemble… j’ai passé presque deux jours avec lui… on était bien, seulement tous les deux…
- Tu étais fou amoureux et il ne te regardait pas. Veni, Vidi, Vici ! Laisse tomber, passe à autre chose, ce n’est pas le bon.
- Comment vous pouvez le savoir…
- Parce que tu perds ton temps à faire une fixette sur un garçon pour qui, visiblement, tu ne comptes pas autant qu’il compte pour toi. Alors arrête. Ce n’est pas le bon, passe à autre chose, tu te fais du mal.
- D’accord, mais si je l’apprécie aussi en tant qu’ami ?
- Alors reste ami avec lui. Sans rien attendre de plus. C’est à cause de lui que tu as pleuré en arrivant, je me trompe ?

Dimitri inspira lourdement. Sherry hocha la tête.

- J’aurais dû être enquêteuse ! J’avais ça dans le sang, je l’avais dit à Monsieur Léo…

Dimitri la regarda, étonné. Sherry remarqua qu’elle en avait trop dit et se tut, mâchant sa salade. Dans la salle commune, les gens parlaient entre eux, ça rigolait bien, sauf à leur table. Armand et Gaëlle ne se parlaient pas. Gaëlle avait gardé des amies dans la communauté. Les femmes semblaient très solidaires entre elles. Armand ne parlait à personne et Dimitri se demandait comment il pouvait survivre ainsi. Ne parler à personne, ce n’est pas une vie. Cependant, hors de question qu’il fasse un effort avec lui. Il est bien trop imbu de sa personne. Yann réussissait le prodige d’être à la fois beau et abordable, alors qu’Armand était juste beau, c’était juste un très joli bibelot sans intérêt.
En finissant son repas, Dimitri croisa Yann qui était venu expressément lui parler.

- Dim, on se rejoint à la buvette pour s’en jeter un petit ?
- « Dim ?! » Euuuh… euh, pourquoi pas ? Je ne sais pas si je peux…
- Mais si tu peux, y’a pas marqué interdit aux homos, t’inquiète pas !
- Euh, bah ok.

Dimitri annonça la nouvelle à Sherry qui ne sembla pas heureuse pour lui.

- S’il ne te brise pas le cœur lui-même, tu te briseras le cœur tout seul. Pense à toi !

Dimitri choisit de ne pas écouter Sherry, même s’il la savait judicieuse. C’était aussi une intrigante de première qui connaissait tous les potins. C’était arrangeant d’être assignée à la correspondance interne. Il savait donc qu’elle avait pour but sous-jacent de créer du potin, et comme il était le premier à lui parler depuis des lustres, elle en profitait un peu, du moins c’est ce qu’il supposait très fortement.
La buvette du coin, c’était le Marronnier. Un ancien bar de la rue piétonne reconverti en buvette. Les habitants avaient leur propre bière et quelques alcools forts d’avant ou d’après l’apocalypse. Apparemment, un des habitants pouvait alcooliser l’eau, et il était très estimé, au point d’avoir une chambre à l’Hôtel de Ville, ce qui était un grand privilège. Dimitri et Yann se retrouvèrent en terrasse. On accueillait tous les visiteurs de la buvette avec une pinte de bière.

- Comment ça va ? On n’a pas trop eu le temps de discuter…
- Ça va, ça va… je m’occupe des chats et j’assiste mademoiselle Sherry…
- Elle a l’air bizarre. Elle parle ?
- Oui. Elle ne veut juste pas parler aux grands pontes d’ici, elle est très féministe.
- … mais pourtant c’est une trans. Les trans peuvent être féministes ?!
- Apparemment oui. Et… comment ça se passe pour toi ?
- C’est l’enfer. Tu peux pas savoir à quel point c’est dur de gérer quatre gonzesses en même temps. Elles m’emmerdent, mais elles m’emmerdent !
- Ça, non, je peux pas savoir… marmonna Dimitri en sirotant sa bière.
- Hannah est la plus bonne de toutes, mais c’est la plus chiante, elle veut toujours qu’on dîne ensemble avant, qu’on fasse des trucs, elles ont instauré tout un système, en gros on n’a pas notre mot à dire, c’est où elles veulent et quand elles veulent, elles veulent juste faire naître des mômes. L’avantage c’est que je suis pas obligé de jouer mon rôle de père. Hannah veut juste un cinquième enfant. Après y’a Cassandre, la grande black. Alors elle, c’est une folle du cul, mais qu’est-ce qu’elle gueule quand on baise !

Dimitri écoutait avec amusement. Même l’entendre parler de ses relations avec d’autres, c’était distrayant. Le son de sa voix lui avait manqué. Dimitri l’écoutait et l’admirait en même temps. Sa gestuelle, ses sourires. Sherry pouvait parler autant qu’elle voulait, elle ne savait rien du tout. Dimitri n’était pas seulement fou de Yann, il le vénérait et lui vouait un culte. Qu’importe s’il était autodestructeur, il était juste tellement bon…

- Mais dis voir, y’a un mec plutôt mignon qui crèche chez toi, nan ?
- Hein ? Euh… Ah, Armand ! Ouais, bof.
- Oh arrête, il est pas mal, je cracherai pas dessus à ta place.
- Il se regarde trop dans le miroir, je l’intéresse pas, et… il m’intéresse pas non plus.
- Alors tu vas rester célibataire à vie ? Tu devrais profiter de la vie. Il doit en profiter aussi…
- Bah je sais pas, je suis le seul mec homo de la baraque…
- Alors il doit trouver son bonheur ailleurs. Peut-être qu’il tronche la transsexuelle.
- Ça m’étonnerait, ils se détestent…
- Yann !

Une très belle femme arriva. Brune, la peau mate, de très beaux seins et des hanches à se damner. Elle regarda Dimitri avec ses grands yeux noirs bien maquillés. Même Dimitri devait admettre qu’elle avait un charme fou. En plus de cela, elle s’habillait magnifiquement bien.

- Oh, Hannah, je te présente Dimitri, on est arrivés ensemble !
- Ouais. Yann, tu m’avais promis cette nuit, mais Ophélie m’a dit que c’était son tour ce soir !
- Ophélie a eu son tour hier, elle est pas chiée celle-là ! soupira Yann en sortant un carnet. Oui, je confirme, elle a eu son tour hier, c’est bien à toi, ce soir.
- Bon. Va te préparer, j’arrive !
- Quand j’aurais fini ma bière. Je peux discuter avec un ami, non ?
- Tu veux que j’aille dire aux doyens que tu fricotes avec un homosexuel ?
- Vas-y, qu’est-ce que tu veux que ça me foute ! ricana Yann.
- Va te préparer, j’arrive, c’est mon tour ce soir ! Demain, je dis aux doyens que tu manques à tes obligations, ça va barder pour ton matricule.
- T’es vraiment qu’une chieuse.
- Tu me dois le respect, ça aussi je peux le signaler aux doyens !
- Ouais, merci la fin du monde, hein… Désolé, Dimitri…
- C’est rien, je comprends…
- Allez, à plus.

Dimitri hocha la tête. Hannah le regarda partir et soupira.

- Heureusement que c’est un bon coup parce qu’il a vraiment un caractère de merde ! Salut Patricia, comment ça va ma chériiie ?!

Hannah se dirigea vers une femme à la table à côté qui buvait avec son mec, apparemment. Hannah laissa tomber un peigne sur les pavés. Dimitri se dit que l’occasion était trop belle, il ne pouvait pas la manquer. Il ramassa le peigne et tapota le dos de Hannah.

- … Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
- V… Votre peigne, vous l’avez fait tomber…
- Oh ! Merci !
- Tout le plaisir est pour moi…

Bingo. C’était gagné. Il ressentait ce qu’elle ressentait à présent. Il laissa sa bière et partit sans demander son reste. Il continuait à ressentir les ressentis d’Hannah. Elle allait passer la nuit avec Yann et il sentirait tout, absolument tout du plaisir qu’elle allait avoir avec lui. Il passa par un raccourci derrière sa maison, qui longeait notamment le parking d’une église et les barricades placées pour protéger les citoyens. Dimitri dut cependant se cacher, Armand était là. Les fesses tendues, il était entouré d’hommes de la communauté qui semblaient en faire usage à tour de rôle. Armand ne boudait pas son plaisir, et Dimitri se demandait comment il pouvait faire ça à vue de tous. Les cinq hommes autour de lui se masturbaient en attendant leur tour, et Armand se faisait sauter comme une chienne par des gars que Dimitri avait déjà vus avec des femmes. Il se demandait si ce qui se passait était toléré, et si les femmes étaient au courant que leurs hommes avaient des moyens de prendre leur pied. Un des gars insulta copieusement Armand tout en le pénétrant, et Armand semblait ravi de tout ça. Dimitri choisit de partir, il voulait être dans son lit pour savourer le plaisir qu’Hannah allait prendre.
En rentrant, il vit Gaëlle pleurer au milieu des chats, mais il se refusait à aller la consoler, elle n’était ni avenante ni intéressante pour Dimitri. Il entra dans la chambre, et mademoiselle Sherry lisait un livre à la lueur d’une bougie. Dimitri se coucha sur le matelas en bas du lit de la reine des lieux. Et au bout d’un moment, il le sentit. Le frisson qu’elle éprouvait en se déshabillant. Son excitation. Probablement que Yann se déshabillait lui aussi et que ça la faisait mouiller. Dimitri ne put s’empêcher de plonger ses mains jusqu’à son bas-ventre afin d’y frictionner sa propre érection. C’était mal. C’était odieux de faire ça à Yann, mais puisque Hannah le prenait pour un bout de viande, il pouvait tout aussi bien faire de même et se servir d’elle pour l’atteindre lui. Il l’embrassa avec passion. C’était merveilleux, elle adorait ça et Dimitri comprenait pourquoi. Ses mains se posaient sur elle, Dimitri sentait tout, absolument tout. Les femmes sont extraordinairement sensibles au niveau des seins, et Dimitri dût se pincer un téton tant les caresses de Yann étaient voluptueuses et parfaites. Il émit probablement un gémissement car Sherry baissa son livre et regarda vers lui, avant de se remettre dans son bouquin. Dimitri allait savourer chaque seconde de cette nuit que Yann allait passer avec Hannah, et ce serait comme s’il avait couché avec Yann. Il sentait exactement tout, et il n’avait qu’à fermer les yeux et voir son visage pour…
Oh mon Dieu, mais qu’est-ce qu’il était en train de faire ?! Comment pouvait-il faire ça ? Utiliser une jeune femme qui ne lui avait rien fait pour profiter de Yann à son insu ! Mais quel genre d’ami il était ? Vite, il fallait qu’il annule son pouvoir. Il en allait de sa bonne conscience. Il ne pourrait plus voir Yann de la même façon après ça.

- M… Mademoiselle Sherry, vous… vous voulez un verre d’eau ?
- Ma foi, je ne dis pas non.

Il se précipita au robinet et servit un verre. Yann commençait à lui tâter le sexe, il le sentait. Vite, vite, annuler son pouvoir avant que ça n’aille trop loin. C’était difficile de marcher, elle était vraiment trop excitée, il comprenait mieux que Yann la préfère aux autres, visiblement elle était un volcan au lit. Les doigts, mon dieu, les doigts de Yann en lui, c’était trop bon… Dimitri ramena le verre à Sherry en essayant de marcher droit, terrassé par la toute-puissance du désir féminin sur le corps masculin. Dimitri adorait ressentir le plaisir des femmes, c’était bien meilleur que celui des hommes, délicieux également mais plus âpre, moins appréciable sur la durée.

- Merci, chaton.
- Je vous en prie !

Le pouvoir de Sherry consistait à manipuler, par télékinésie, le matériel de bureau, et cela incluait tout ce qui était utilisable dans le cadre du travail de bureau, sauf le mobilier. Dimitri expira. Le plaisir qui coupait le souffle avait disparu. Ne restait qu’un horrible sentiment de culpabilité. Il se sentait sale d'avoir fait ça. Cela ne le gênait pas auparavant, mais pas avec Yann. Pas comme ça. C’était monstrueux de sa part. Même si Yann ne le regarderait ni ne le toucherait jamais de cette façon, c’était minable de la part de Dimitri de faire preuve d’une telle bassesse pour arriver à ses fins. Sherry avait raison : Il se faisait du mal.

- Euh, Dimitri, ton caleçon…

Dimitri regarda son caleçon, effectivement bien déformé. Et il était juste face à Sherry qui du coup avait bien du mal à se concentrer sur son livre.

- M… Mademoiselle Sherry, je peux dormir avec vous ?
- Ah bah là encore, je ne dis pas non !

Dimitri se glissa dans les draps. Un peu secoué par ce qu’il avait vu et ressenti, il regarda le plafond. Lorsque Sherry éteignit la lumière, il se pressa contre elle. La secrétaire de quarante-sept ans ne lui refusa pas ce contact.

- On a passé une mauvaise soirée ?
- J’ai été nul. J’ai utilisé mon pouvoir pour… essayer de coucher avec Yann par procuration, mais… j’ai pas pu supporter de lui faire ça.
- C’est bien. Tu es un bon garçon. Utiliser ses pouvoirs pour des motifs personnels, ça n’apporte jamais rien de bon. On en a eu une jolie preuve au sommet de l’Etat, tu ne crois pas ?
- Oui… je sais… je me dégoûte.
- Tu dis ça à la femme qui a passé les seize premières années de sa vie dans un corps d’homme. J’ai du mal à sympathiser, je t’avoue.
- Je sais, désolé…
- Arrête de t’excuser, grands dieux, va de l’avant, laisse tomber ce type, il n’est pas assez bien pour toi si il n’est pas capable de remarquer quel garçon bien tu es et à quel point tu l’aimes.
- C’est pas aussi simple…
- Je sais, mais je suis nulle pour rassurer les gens. C’est pas mon boulot. J’étais la garce de service au taf. Pas la psychanalyste de service.
- Vous êtes la personne la plus gentille que j’ai connue depuis la fin du monde.
- C’est gentil, mon poussin. Ça me fait plaisir que tu sois là. C’est bien d’avoir quelqu’un de normal, pas une gouine dépressive ou un gigolo sans âme…
- Merci de m’écouter surtout, j’aime pas raconter mes problèmes…
- Merci d’être dans mes draps, ça faisait longtemps que j’avais pas dormi avec quelqu’un.

Dimitri soupira et se serra plus encore contre Sherry. Elle soupira. De contentement. Il osa la toucher un peu plus. Elle le laissa faire. Sans qu’il ne comprenne grand-chose à l’affaire, ils se retrouvèrent l’un sur l’autre à s’embrasser. La chose ne fut pas désagréable pour Dimitri. Il sembla qu’il ne se débrouillait pas trop mal. Elle était âgée mais bien conservée, et Dimitri n’était pas non plus de première jeunesse, alors bon. Elle sembla apprécier, en tout cas, au moins autant que lui. Il ne pouvait pas nier qu’il en avait eu envie, Sherry ayant un charme particulier, une manière de parler et une vision du monde qui la rendaient attachante. Elle était plutôt belle également, elle avait des jambes à tomber et sa peau était lisse comme du satin. Elle semblait également bien craquer pour Dimitri qu’elle caressait avec désir, et dans la pénombre, Dimitri se surprit à éprouver beaucoup de plaisir dans ses bras. Elle avait une délicatesse particulière dans son toucher, des doigts très doux, ce qui plaisait assez à Dimitri au fond. C’était une belle nuit.
Le lendemain, il y eut comme une petite gêne entre eux, et Dimitri tenta maladroitement de s’excuser d’avoir utilisé Sherry pour passer son chagrin d’amour.

- Tu étais mon premier en dix ans, alors quant à savoir qui a utilisé qui…

Il appréciait le pragmatisme de Sherry, ce qui la rapprochait de Yann, en quelque sorte. Cette même manière d’évacuer les pensées inutiles et de s’en tenir aux faits. Une qualité bien utile qui aiderait Dimitri si lui en était capable. Le petit déjeuner fut un moment agréable, même si Armand était toujours aussi bougon, même après toutes les bites qu’il s’était prises la veille, et même si de toute évidence, Gaëlle n’allait pas faire long feu vu la tronche qu’elle tirait tous les matins. Ils partirent à leurs occupations respectives, et Dimitri resta avec Sherry pour le travail matinal, à savoir la distribution du courrier. C’était un rituel un peu stupide. Les correspondances servaient à déterminer les rendez-vous entre couples, mais surtout à informer la communauté sur les évènements à venir. Sherry envoyait également les blâmes aux maris inconvenants qui ne prenaient pas soin de leurs femmes et tenait un compte très strict. Au bout de trois blâmes, le malotru était exclu sans ménagement. D’après Sherry, ça n’est arrivé que deux fois. Dimitri s’occupait des petites tâches annexes, ce qui permettait à Sherry de se concentrer sur la tenue des registres et de l’Etat Civil.

- Il est vraiment pourri, le pouvoir de ton pote. Il l’appelle « Trois Objets ». C’est naze !
- Ça dépend. Je l’ai vu projeter un sabre hors de sa main jusque dans la tête d’un gars. C’était plutôt badass.
- Pourquoi tu t’es servi de ton pouvoir sur moi hier ?

Dimitri regarda Sherry qui sourit en faisant tourner un stylo entre eux deux.

- Sait tout, voit tout, fait revenir l’amour perdu et dézone les lecteurs DVD !
- C’était pour l’annuler. Je l’avais utilisé sur une autre personne avant. La seule manière que j’ai de l’annuler c’est de l’utiliser sur quelqu’un d’autre.
- Mais attends, ton pouvoir consiste à espionner les gens, deviner les pouvoirs ou manipuler les mouvements… tu avais espionné Yann pour le regarder coucher ?
- N… non, je… euh… il y a un pouvoir que je n’ai pas avoué à monsieur Maurice.
- Sérieux ? Haaanlala c’est pas bieeen ! ricana Sherry, amusée.
- Je peux… créer un lien empathique avec quelqu’un qui me remercie, si je réponds la bonne formule. Et je l’ai fait sur une des femmes de Yann.

Sherry inspira, choquée. Dimitri baissa la tête, honteux.

- Et du coup, tu as voulu annuler ?!
- Oui, parce que…je me sentais mal de faire ça.
- Si j’avais ton pouvoir, moi, je ne me gênerais pas ! Héhé !
- Je sais que ça a l’air génial comme ça, mais là pour le coup, c’était trop dur…
- Tu as trop de scrupules.
- Avec lui, oui, c’est sûr. Avant, je le faisais sans vergogne, mais là…
- Ahlala, même une nuit avec moi ne t’aura pas fait oublier ton beau prince… Tu es plus que mordu, tu es atteint. Ne te remets pas à pleurer sinon je hurle !
- Je vais pas pleurer…

Dimitri inspira. Il voulait changer de sujet parce qu’il sentait les larmes lui monter aux yeux. Pourrait-il regarder Yann dans les yeux après ça ? Pas sûr. Sa volonté de ne plus en parler le poussa à poser la question qui lui brûlait les lèvres.

- Sherry, vous étiez dans la police…
- Oui, chaton, pourquoi tu demandes si tu sais ?
- … Vous étiez dans cette fameuse brigade qui a arrêté le Juge ?

Sherry se crispa. Elle sembla soudainement amère, elle se tenait droite, sortant de sa posture badine habituelle. Elle en cessa même le travail, reposant les enveloppes et les feuilles qu’elle y mettait, posant sur la table le tampon encreur qui validait ou pas les demandes de contestations de blâme, posant les stylos qui remplissaient les registres.

- Vous avez parlé d’un certain Léo. C’était Léopold Marx, le chef de la brigade spéciale d’intervention qui...
- Pouvait prédire l’avenir. Son pouvoir consistait en une manifestation spectrale qui lui racontait l’avenir, en des termes cryptiques. Il était dépressif, les apparitions étaient apparemment violentes, il voyait sa grand-mère en décomposition, surgir de n’importe où, lui parler avec une voix d’outre-tombe, il faisait des crises d’angoisse et prenait des anxiolytiques comme d’autres prennent du sucre avec leur café… Et de fait, son enquêteur principal, Billy, était également son âme sœur.

Ses yeux s’embuèrent de larmes. Elle semblait se souvenir de cette époque avec une nostalgie qui dispersait tout. Dimitri en oublia littéralement ses problèmes. Il prit les mains de Sherry et la regarda avec intensité. Etrange sensation que celle de devenir le confident, le pilier, celui qui, tout à coup, devient utile à quelqu’un.

- Il avait un pouvoir de contact, quand il touchait les gens, il pouvait sonder leurs pensées et leurs émotions. Il était, de fait, le seul à pouvoir comprendre les tourments de monsieur Léo et à le rassurer. Sa coéquipière c’était Deandra. La femme la plus forte du monde. Son pouvoir à elle, c’était la force. Elle soulevait son bureau pour ne pas rouiller quand elle n’était pas en patrouille… Ce bon gros Jasper, qui pouvait se transformer en voiture…Arianne, qui contrôlait la libido des gens, c’était une sacrée espionne, celle-là… un sacré petit bout de femme, aussi, la meilleure amie que j’aurais jamais eue… La petite Monday, une sale connasse de hippie fan de justice sociale, qui pouvait combiner les pouvoirs en touchant deux personnes aux pouvoirs différents… Farouk, l’homme de ménage, qui en réalité était une arme secrète pour Léo, avec son pouvoir de téléportation… Hobbes…

Sherry peina à réfréner ses sanglots.

- Parlez, parlez, ça fait du bien. Sortez ça de vous…
- Hobbes avait un pouvoir débile, on l’appelait la minorité mâle blanche hétéro de la brigade… J’étais amoureuse de lui, parce que… je suis une idiote, comme toi, je m’attache à des gens qui ne voudraient pas de moi. Je n’arrêtais pas de lui faire du rentre-dedans et il me regardait comme si j’étais un monstre, bien sûr… Sauf une fois, avant l’assaut final. On était tellement stressés qu’on s’est envoyés en l’air. Ça reste la plus belle nuit de ma vie…
- C’était quoi, son pouvoir, sans indiscrétion…
- Il pouvait manipuler les bébés. Il suffisait qu’il l’ait vu une fois, qu’il connaisse son prénom et qu’il soit âgé d’entre zéro et deux ans, et il pouvait voir à travers les yeux du nourrisson, et même le contrôler par moments. Billy se foutait tout le temps de sa gueule, il était persuadé que Hobbes en profitait pour téter les seins des MILF du parc en bas du commissariat…

Elle regarda Dimitri qui était éberlué, sous le choc.

- Tout est vrai…
- Hm, pardon ? dit Sherry en rajustant ses lunettes qu’elle avait enlevé pour pleurer.
- Si tout ce que vous dites est vrai, vous savez comment le Juge est mort !
- Bien sûr. C’est la gamine, Monday. Il avait tué ses parents, elle voulait se venger, alors elle l’a mis face à ses actes, façon Orange Mécanique. En utilisant mes pouvoirs pour fouiller les grandes archives interdites de la Police Centrale, j’avais découvert que le Juge avait tué sa propre famille sur un coup de colère. Elle s’est servi de ça pour le mettre en colère contre lui-même. Sa tête a explosé sous le choc de son propre « Déclic ». Ce fils de pute est mort. Et c’est bien fait. Il a tué mon Hobbes. Ce n’est que justice.
- V… Si seulement vous aviez une preuve ! Bon sang ! Avec cette révélation, on pourrait faire plus que contrôler une rue piétonne, on pourrait rebâtir la France entière ! Vous pourriez devenir présidente ou première ministre, pas juste… secrétaire minable dans une communauté minable !

Sherry regarda Dimitri, stupéfaite.

- D’accord. Et on fait ça comment ?
- On va à Paris, il doit y avoir des politiques qui ont échappé à la purge, et on reforme un gouvernement, autour de vous ! Mais il nous faut une preuve que ce que vous dites est vrai !

Sherry hocha la tête.

- C’est très ambitieux tout ça…
- Je sais, et c’est peut-être même fou ! Et…
- Et c’est bizarre qu’une carpette comme toi ait de l’ambition !
- J… je sais, je me reconnais pas vraiment moi-même…

Sherry souffla et regarda son étagère. Elle extirpa des tas de papiers entreposés là une feuille précise. Dimitri s’étonna. La feuille arriva dans la main de Sherry qui la déplia sur le bureau.

- Vous êtes douée avec votre pouvoir !
- J’étais dans une brigade de police, chaton, j’avais des formations spéciales d’utilisation de mes pouvoirs. Regarde la feuille.

Dimitri fixa la feuille qui lui rappela immédiatement quelque chose.

- Le registre. La page manquante du… registre de Yann !! Yann a un registre des pouvoirs et il y manque une page, et…
- C’est moi qui l’ai arrachée. On ne voulait pas qu’il y ait de trace de notre action, au cas où ça foirerait et qu’on doive être jugés. Comme tu peux voir il y a nos noms, nos dates de naissance et nos pouvoirs.
- Que sont devenus les autres ?
- Je dois vraiment te faire un dessin ? J’ai survécu parce qu’ils m’ont envoyé ici pour que je cache les dernières preuves de nos agissements contre le Juge et que je puisse soulever une rébellion en cas d’échec… Faut croire que j’aurais pas servi à grand-chose…

Dimitri secoua la tête.

- Raison de plus. Vous devez honorer la mémoire de vos amis, vous devez devenir ce qu’ils auraient voulu que vous deveniez. Ils vous ont sauvé parce que vous étiez importante pour eux ! Vous devez leur faire honneur !

Sherry inspira, l’humeur triste.

- Je dois rester ici, ces gens ont besoin de moi.
- Mais vous, vous n’avez pas besoin d’eux !

Sherry sembla lasse.

- Bon, petit, tu n’as rien à faire ? Tu ne veux pas aller te balader ? Va retrouver ton Yann, ou je ne sais pas quoi, va fantasmer plus loin, laisse-moi.
- Mademoiselle Sherry, je…
- Ne me DONNE PAS du Mademoiselle Sherry ! Dehors !

Dimitri baissa la tête, piteux. Il allait sortir. Sherry prit une gorgée de thé.

- Je crois qu’il y a le tournoi de pouvoirs hebdomadaire à la salle commune. T’as qu’à aller là-bas.
- Ok… euh… ne faites pas de bêtises, mademoiselle Sherry…

Sherry se redressa, abasourdie.

- Quoi ? Mais non, voyons, chaton, je ne voulais juste pas me rappeler de cette époque, tu m’as fait remuer des souvenirs, je suis pas d’humeur, il est trop tôt. Va t’amuser, on en reparle !

Dimitri hocha la tête.

- Je confirme, en tout cas, tu vaux beaucoup mieux que ce garçon. Tu trouveras quelqu’un de bien pour toi un jour, n’en doute jamais.

Dimitri acquiesça, incertain. Il sortit de la maison. L’air du matin était frais. Cette conversation l’avait perturbé. Tout le monde avait mis en doute cette histoire, principalement à cause du pouvoir de monsieur Hobbes, et en réalité tout était vrai. Et une des instigatrices de sa chute était là, dans une communauté aux règles idiotes au fin fond de la Seine-et-Marne. Elle avait la page manquante du registre, elle avait connu cette époque, elle pouvait rebâtir ce pays et redonner une chance au monde. Ce monde que Dimitri détestait tant auparavant… Il pouvait le refonder à sa manière. S’il restait aux côtés de Mademoiselle Sherry, il pourrait accéder à une position sociale bien supérieure à celle qu’il avait avant… Non, ne pas faire de plans sur la comète. Il fallait garder la tête froide. Aller à la salle commune, se détendre.
Le tournoi de pouvoirs battait son plein. Des habitants avec des pouvoirs plus ou moins offensifs se défoulaient un peu les uns sur les autres ou dans des épreuves particulières. Dimitri observa le tableau. Yann avait gagné son premier combat, et apparemment sa colocataire Gaëlle participait aussi. Il se glissa dans la foule et vit que c’était le tour de Yann, son second combat, donc. Il faisait face à un grand type blanc et maigre aux cheveux gris, probablement un doyen.

- Vous m’avez vu à l’œuvre, vous savez que vous devez vous méfier, Lucien ! sourit Yann.
- Je n’ai pas peur de vos mains d’où il émerge toute sorte d’objets ridicules ! J’ai mon propre talent…

L’homme retira sa veste et son pantalon, au grand dam des gens autour. Le doyen Maurice se pencha vers son assistant Elton.

- Je déteste son pouvoir, il est tellement ridicule…

Elton hocha la tête, amusé. Dimitri vit alors les habits du doyen prendre vie, et le doyen, en slip et tricot de corps, manipulait sa veste et son pantalon comme des pantins.

- C’est parti, « Mannequin Invisible » !

La règle était simple : Pousser l’autre à l’abandon. Yann se prit au jeu, et laissa la veste et le pantalon s’avancer vers lui. Les vêtements vivants semblaient avoir envie de le frapper. Yann esquiva et sortit un manche à balai de sa main pour repousser l’assaillant. Dimitri se demandait pourquoi il le tenait à l’écart. « Ce ne sont que des vêtements », après tout.
Il comprit quand les vêtements en question heurtèrent une table. Ils étaient très solides.

- C’est dingue… marmonna Dimitri.
- Ils ont sa consistance, à lui. Ils sont aussi solides qu’un autre être humain.

Dimitri se tourna vers Gaëlle qui mangeait des chips. Ses cheveux courts légèrement frisés lui donnaient dix ans de plus que ce qu’elle avait probablement.

- Hey… salut…
- ‘lut. Tu t’intéresses au tournoi des pouvoirs ?
- Sherry m’a viré, je lui ai posé des questions indiscrètes.

Gaëlle eut un petit rire.

- Ca y est, elle en a marre de toi !
- Disons qu’on a passé la nuit ensemble, ça a tendu un peu les choses.
- Ah, ouais, en effet. J’ai jamais tenté avec Sherry, j’aurais pu, mais elle est trop fofolle, j’aurais pété un câble au bout d’un moment.

Dimitri s’étonna qu’elle lui parle aussi facilement, elle qui semblait si peu loquace. Peut-être qu’il pouvait réussir à s’intégrer ici, après tout.

- Et sinon, euh… tu vas bien ?
- Moi ? Oui. C’est toi qui a toujours l’air traumatisé, là.
- Hein ? T’as tout le temps l’air en dépression…
- En ce moment, oui. Hannah a trouvé un mec à son goût, du coup elle ne vient plus me voir en cachette dans le vieux garage. Mais sinon, ça va. Je vais attendre qu’elle s’en lasse, comme des autres !
- Oh.

Las de jouer la distance, Yann avait rangé le manche à balai. Les habits mouvants continuaient à lui sauter dessus. Le doyen Lucien observait, amusé, en slip. Cela n’avait pas l’air de le gêner le moins du monde.

- On passe à la phase deux du plan…

Yann se laissa poursuivre puis lâcha sur les vêtements adverses un préservatif rempli d’eau, au grand dégoût de l’assemblée.

- On s’en sert pas pour niquer, autant qu’ils servent à quelque chose !

La veste se retrouva mouillée. Yann ne remarqua pas tout de suite ce qui s’était tramé. Gaëlle regarda Dimitri en lui faisant signe de se taire.

- Faut pas encourager un des concurrents, sinon tu te fais virer. On regarde dans le calme, et on applaudit à la fin.
- Mademoiselle Sherry a déjà participé ?
- On lui a interdit la participation, elle était gagnante quasiment depuis son arrivée. La première année, elle a raflé 50 victoires sur 52. On lui a intimé de se retirer.
- Elle est très douée, j’ai vu ça…
- Grave, et elle adore humilier ses adversaires. Elle a remporté un tournoi avec un sachet de trombones. C’est un peu humiliant.
- Je peux comprendre ! sourit Dimitri.

L’eau avait bien mouillé la veste, mais le pantalon avait disparu. Les jambes étreignirent Yann au cou et à la taille. Lucien sourit.

- Vilain pantalon, vilain !
- Yann… murmura Dimitri.

Face à un adversaire pareil, c’est clair que Dimitri aurait eu bien du mal à assister Yann, avant leur arrivée, à la gare routière. Bon, cela dit, un pantalon c’est moins dangereux que ce qu’il peut y avoir dedans.

- Bon… va employer… manière forte ! marmonna difficilement Yann.

Le gracieux jeune homme se retourna vers Lucien qui s’étonna.

- Votre dernier objet, c’est probablement votre balle de bois… mais ça ne vous aidera pas…

Yann tendit la main vers Lucien.

- Ma balle de bois ou bien mon sabre !
- Vous n’avez pas le droit aux armes blanches ! rappela Lucien.
- Et pis ?

Lucien grimaça. Yann crispa ses doigts comme s’il allait projeter un sabre.

- Je n’abandonnerais pas, je sais que vous bluffez !
- Ah mais je ne bluffe jamais, moi !

La balle de bois partit droit sur le visage du doyen, mais s’arrêta à quelques centimètres et revint dans la main de Yann. C’était un bilboquet, elle était accrochée à un fil. Très surpris, le doyen eut un regard légèrement halluciné et tomba à la renverse. Le pantalon cessa d’étreindre Yann.

- Doyen !
- J’abandonne, vous êtes bien plus talentueux que moi !

Yann aida le vieil homme à se relever et se fit applaudir par les spectateurs, notamment par les femmes qui semblaient lui vouer le même culte que Dimitri auparavant. Le jeune homme ne se gênait pas pour applaudir à tout rompre son éternel champion. Gaëlle hocha la tête.

- Il est doué ton pote !

Yann repéra Dimitri et vint le saluer.

- Ça va, vieux, tout baigne ?
- Oui, oui oui…
- Tu participes pas ? Ah c’est vrai que ton pouvoir est pas très adapté à ce genre de compétition ! Dommage qu’ils font pas les duos, avec toi je serais invincible !

Dimitri regarda Yann. Intégré, populaire, plus étincelant que jamais. Il souriait beaucoup plus qu’avant, il n’avait plus aucune trace de méfiance en lui. Loin de Dimitri, il semblait vivre sa vie tout à fait normalement. Et Dimitri qui continuait à penser à lui, tout seul dans son coin…

- Yann, euh…
- Hm ?
- Je… je dois t’avouer quelque chose.
- Vas-y.

Dimitri inspira profondément. Gaëlle l’observait du coin de l’œil.

- Je… euh, je suis amoureux de toi.

Yann regarda Dimitri, se coupant dans son rafraichissement.

- Je le suis depuis le premier jour. Je t’aime de tout mon cœur. Je sais bien que… de ton côté, forcément, c’est pas pareil, mais…

Gaëlle était estomaquée. Elle regardait les deux, sachant pertinemment qu’elle assistait à un truc unique.

- Euh… c’est… gentil, je suis flatté… euh… mais tu es un ami, on flirte pas avec les amis, ça gâche tout…
- Je sais bien…
- Je m’en doutais un peu, hein, t’es pas très discret…
- Hm…
- Mais euh… ça m’embête pas, hein, t’as jamais eu de geste déplacé…
- Oui, bah oui… j’aurais jamais osé…
- Yann, tu devrais te préparer ! somma Hannah.
- J’arrive, j’arrive ! Ce qu’elle est chiante ! gronda Yann.

Dimitri baissa la tête, contrit. Gaëlle lui tapota l’épaule.

- Ça va aller ?
- Non.
- Ah…
- Non, ça va pas aller…

Dimitri se dirigea vers la sortie. Il retint ses larmes jusqu’à ce qu’il soit dehors. Là, posé sur un banc au milieu de la place, il lâcha tout. Il espérait qu’on ne le voie pas à travers les portes vitrées. Il lui avait ouvert son cœur, et rien. L’anti-climax par excellence. D’un côté, il aurait pu se réjouir qu’il veuille rester son ami, d’un autre, le sentiment de rejet, bien que familier, avait fait son effet. Il savait qu’il allait devoir faire l’impasse, mais c’était tellement plus facile à dire qu’à faire…
Il entendit des bruits de talons. Sherry s’assit à côté de lui. Il continua à pleurer. Elle comprit ce qui s’était passé, elle se contenta d’une main amicale sur l’épaule de son assistant.

- Il faut qu’on parle, petit… marmonna Sherry avec gravité.

Dimitri releva la tête, le visage détrempé par le chagrin.


La décision avait été prise. Dimitri avait révélé au Doyen Maurice qu’il avait menti sur ses pouvoirs. Sherry avait posé sa lettre de démission également, sans dire un mot. Tous deux se trouvaient face au reste de la communauté, sauf Yann, qui était absent.

- J’ai accepté de passer l’éponge sur la faute de Dimitri, et Sherry… que va-t-on devenir sans vous ?

Sherry prit une grande inspiration et regarda Dimitri.

- Vous avez besoin de moi, mais moi, je n’ai pas besoin de vous. J’ai une mission à accomplir.

La communauté était surprise d’entendre la voix de Sherry qui ne s’était adressée à personne depuis des lustres. Dimitri hocha la tête. Il avait beau scruter la foule, il ne repérait pas Yann. Il vit Hannah, cependant.

- Hannah, où se trouve Yann, je pensais qu’il serait là…
- Il a dit qu’il avait quelque chose à faire…
- Oh. Monsieur Elton, si vous voulez bien…

Le grand philippin athlétique s’étonna et s’avança.

- Mademoiselle Sherry va vous raconter une histoire et monsieur Elton va confirmer qu’elle dit vrai. Allez-y.

Sherry inspira profondément, et elle raconta. Elle expliqua ce qui avait provoqué la chute du Juge, son intervention, son rôle, le pourquoi du comment de sa survie. Elle fit pleurer beaucoup de gens à qui elle rappela cette époque pénible, mais à qui elle prouva aussi que dans l’ombre, des gens ont réellement œuvré à la chute du Juge, que les gens de bien, les hommes de loi, les fonctionnaires au service du peuple ne sont pas restés passifs. Quand elle eut fini, et qu’Elton confirma qu’elle disait vrai, la voix secouée de trémolos, complètement bouleversé, la foule applaudit Sherry, la remercia, la loua pour son action. La grande femme d’un mètre quatre-vingt-dix sembla très émue par ce déchaînement de reconnaissance. Dimitri sourit. Il savait ce que ça faisait.

- Je peux dire autre chose ? demanda Sherry.

On n’osa lui refuser la parole.

- Ok. Vos règles sont à chier, les femmes frustrent les hommes plutôt qu’autre chose. Les mecs vont tous se satisfaire avec Armand qui leur donne son cul sans discuter, lui, au moins.

Le rouquin serra les dents en regardant les hommes, embarrassés, et les femmes, offensées.

- J’vais vous donner un scoop : Les femmes veulent du sexe autant que les hommes. Vous feriez beaucoup plus de bébés en prônant l’amour libre. Bon, vous vous refileriez pas mal la chaude-pisse aussi, mais on n’a rien sans rien !

Dimitri serra les dents. Le public grimaça de dégoût.

- Vous auriez pu vous passer de ce dernier passage…
- Ou pas ! sourit Sherry avec malice.
- Nous partons, donc. Merci pour votre accueil.
- Nous vous donnons des chevaux, ça vous aidera à être plus vite sur Paris. Soyez prudents... marmonna le doyen Maurice.
- On sera prudents, oui… eh bien, au revoir…

Les gens saluèrent. D’après Sherry, ils étaient les premiers à partir d’eux-mêmes, la plupart des autres s’accommodaient de la situation ou étaient virés. Gaëlle vint serrer la main de Sherry, et serra Dimitri dans ses bras.

- Bon courage pour gérer l’administration de la communauté… sourit Dimitri.
- Je ferais pas aussi bien que vous deux, c’est sûr ! sourit Gaëlle.
- Attendeeez !

Yann arriva en catastrophe. Tout le monde le regardait. Dimitri s’étonna de le voir, il pensait qu’il l’aurait plus évité qu’autre chose, ils ne parlaient plus beaucoup depuis que Dimitri lui avait ouvert son cœur.

- Euh… Dimitri… euh…

Yann semblait gêné, probablement par la foule. Dimitri le regarda, un peu surpris par son hésitation. On n’aurait pas dit Yann, on aurait dit Dimitri en plus présentable.

- Sans toi, je serais pas arrivé jusqu’ici sain et sauf… Je t’en dois une, et… comme je suis bien ici et que je pense ne pas avoir besoin de me défendre…

Yann sortit son sabre de sa main, dans son fourreau, avec son cordage d’attache. Dimitri écarquilla les yeux, ému.

- Yann, non, c’est à toi !
- Je l’avais volé à mon voisin, il te revient, tu vas devoir te défendre sur les routes… et puis je tiens à ce que tu l’aies. Prends.

Dimitri hocha la tête et prit le sabre. Il regarda Yann qui semblait triste. Dimitri sourit.

- Merci. Je sais ce que ça te coûte de me donner ça…
- … espèce de petit crétin !

Yann étreignit Dimitri qui n’en attendait pas tant. Sherry toussota en rougissant, amusée par ce dernier potin.

- Tu vas me manquer.
- … Tu vas me manquer aussi… marmonna Dimitri, les larmes aux yeux.

Yann s’éloigna de lui et lui tapota l’épaule. Dimitri, déjà bien déterminé à partir, avait du courage pour dix à présent.

- Allez, Mademoiselle Sherry, on peut y aller.
- J’espère que je sais encore monter en amazone, sinon je devrais enlever ma jupe !

Le duo prit les chevaux qu’on leur avait affrétés. Ils se mirent en selle, et la foule les salua, les encourageant dans leur périple à venir. Dimitri salua de la main, et il lui sembla qu’Hannah soutenait Yann qui semblait ému du départ de son ancien compagnon de route.
« Yann est derrière moi, maintenant, je dois aller de l’avant et accompagner Mademoiselle Sherry dans son voyage… »
Ils firent quelques pas dans la zone non habitée de la ville, hors du portail qu’on leur avait ouvert. Les chevaux portaient des réserves de nourriture. Sherry expira lourdement.

- Bon. J’espère que tu sais ce que tu fais.
- Ecoutez, mademoiselle Sherry, pour la première fois, oui ! Je sais ce que je fais…

Nul ne savait jusqu’où les mèneraient leur voyage, mais ils étaient enfin maîtres de leurs destinées, et cela avait plus de valeur à leurs yeux que n’importe quelle promesse de confort ou d’avenir.
Article ajouté le Jeudi 21 Décembre 2017 à 08h06 |
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