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Domino, Lovely Bitch Writer
de Domino

                   



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Remplis-moi
Ou comment ne pas se faire chier dans le bus... écrire un truc comme ça :

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Il passa la main sous la peau de son ventre. Elle était parfaitement fourrée. La douceur des chairs, de la peau en décomposition rendaient ce travail-là plus particulier que les autres. Cette sensation de redonner vie aux morts était parfaitement indescriptible. Il était le dernier souffle de ces créatures pourtant mortes cliniquement.

Hanson Gulliverdier était taxidermiste. Tout petit déjà il s'était découvert une véritable vocation, quand il avait découvert un hérisson écrasé sur la route et que, maladroitement, il avait subtilisé le contenu d'un ours en peluche pour remplir la créature. Grosse frayeur de ses parents qui l'imaginaient avocat ou médecin. Il serait l'avocat de la vie éternelle et le médecin des cœurs des amoureux des animaux.

Hanson avait pour son travail une passion démesurée. Le simple fait d'enfiler des gants de cuisine lui arrachait un rictus. Le contact de ses doigts dans l'intérieur des choses le fascinait. L'intérieur des choses mortes du moins. N'allez rien imaginer là. Notre homme n'émettait aucune pensée malsaine à propos de son travail. Il connaissait des confrères qui en avaient mais lui jamais. Ses confrères, il les rencontraient lors de multiples conférences sur la taxidermie : «Les amis des animaux en paille», Fidèles jusqu'au socle», «Mon toutou rigide et fourré est mon meilleur ami», «De l'art d'empailler les canards»... Il avait été à toutes ces réunions, toutes plus passionnantes les unes que les autres. Surtout celle sur les canards. Même si lui n'aimait pas empailler les oiseaux – Les ailes lui posaient toujours l'insondable problème de conscience de n'être tenues au minimum que par une armature de fer – il avait eu un fou-rire quand le conférencier avait imité Donald Duck tout en tenant une pièce magnifique d'un canard à l'affut au bout d'un bâton (Subtilement enfoncé dans l'orifice anal de l'animal). Ce jour là, il avait bien failli renverser son café tant c'était amusant. Sur les forums de discussion, le grand débat du moment était de savoir si on pourrait un jour empailler un cadavre humain. Beaucoup, Hanson compris, étaient divisés sur la question. Selon Hanson, ça ferait trop d'ouvrage pour un résultat peut-être pas si bon que ça. Les entrepreneurs de pompes funèbres embaument les cadavres, c'est déjà bien assez.

Un jour, Hanson eut la visite d'une cliente régulière. Hana Moore.

Hana avait des cheveux noirs qui ruisselaient sur elle comme une cascade d'encre. Et comme elle ne portait strictement que du blanc, elle en devenait magnifique. Son visage reflétait les signes sacrés de la terre de ses parents, l'Asie. Yeux légèrement bridés et pommettes saillantes, elle était de sang japonais, et, sang de taxidermiste ne saurait mentir, elle était d'une beauté stupéfiante, captivante, fascinante. Quand il la regardait, Hanson devait veiller à ce que son sang ne s'ébouillante de fascination. Sa silhouette longiligne et ses jambes de porcelaine hypnotisait les malheureux qui osaient observer sa démarche troublante. Tout chez elle relevait du trompe-l'oeil, si bien que malgré sa condition de cliente régulière, Hanson de refusait à prétendre qu'il la connaissait bien. De son côté, Hanson était un homme : Bedaine, barbe de trois jours mal rasée, lunettes vissées sur un nez tordu, grosses fesses... La perfection faite beauf.

Hana Moore entra chez Hanson comme on entre dans un palace. Elle avait cette même fascination pour les créatures faussement ranimées. Ils parlaient parfois, elle et Hanson, et elle lui avait souvent dit qu'il faisait le début du travail de Dieu en redonnant à ces bêtes l'esquisse d'une vie. Il avait pris ça comme les compliments d'une étrangère à un étranger. En outre ils partageaient cette détestation pour le fait d'empailler des oiseaux. Bien sur, ces querelles d'esthètes pouvaient sembler futiles voire répugnantes. Mais comme toutes les passions, une fois exprimée et exposée à l'extérieur, elle semblait comique sinon ridicule et sujette à moqueries. Ce n'est qu'en étant dedans qu'on appréciait vraiment la beauté de la chose. Comme les animaux à empailler, tiens.

Aujourd'hui, Hana avait l'air triste. Les boutons de rose en émoi qu'étaient habituellement ses yeux étaient aujourd'hui de sombres magnolias noirs dégoulinant sur ses joues blanchâtres.

Consoler une femme est d'ailleurs un art aussi délicat que la culture des fleurs fragiles : Si vous n'arrivez pas à en saisir la volupté, elles fanent et tombent. Bien que certaines fleurs fanées restent jolies, aucune n'échappe à cette décrépitude extérieure et intérieure. Une femme qui n'a pas été consolée gardera à jamais les traces des larmes passées.

Elle arriva au comptoir de son officine, et semblait au comble du chagrin. Sa chienne Akane avait péri de sa vieillesse. Elle comptait sur Hanson pour lui redonner vie. Elle usa de tous les égards de la politesse nipponne pour ce faire, en emprunta même à l'Inde, à la Chine et à la Russie, mais Hanson semblait réticent. Pour n'importe quelle autre cliente, il l'aurait fait sans hésitation, mais pas pour Hana, pas avec ces yeux, pas avec cette voix suppliante, pas avec cet espoir.

-Hana, vous savez que je ne peux pas... «La ramener».
-Mais si... Vous en avez ramené tellement d'autres.
-J'ai déjà fait empailler des animaux sans importance, mais là, vous l'aviez depuis quatorze ans...
-Quinze.
-Quinze ans... C'est trop d'espoirs placés en moi, et si le résultat vous déçoit, vous...
-S'il vous plait...

Hanson soupira puis murmura, avec l'embarras des hommes, celui qui est maladroit et difficile parce que peu utilisé.

-Gratuitement, alors. Je vous l'offre.
-Arigato ! Arigato, Hanson-san !

Il ferma la boutique après qu'elle eut déposé le corps chez lui. La petite créature était chastement emmitouflée dans un linceul blanc.
Pris d'une sorte de passion excessive, il s'entêta à la commencer immédiatement. L'animal était fort joli : Fourrure blanche et noire, tête régulière et anguleuse, yeux fermés, mignons et dénués de tout effort, non dépourvus de fatigue cependant. Hanson était très mauvais pour déterminer la race des chiens, il aurait été incapable de vous dire ce que c'était. Lui il aimait les empailler, pas mieux les connaître. Le taxidermiste mit un soin besogneux et un amour profond à restaurer cette créature. Il lui choisit une pose très particulière assise très sobrement. Il traita les peaux mieux qu'il ne l'aurait fait pour n'importe quel animal. Il utilisa la meilleure sciure de bois, les armatures de fer les plus robustes, il se donna même la peine de la brosser deux fois. Les yeux de verre, plus vrais que nature, étaient parmi les plus luisants de sa collection. Un véritable travail d'orfèvre avec un vieux chien mort.

Il eut même l'outrecuidance de la photographier, afin de la garder pour sa collection personnelle. Il ne photographiait que les plus belles pièces, avec un décor de forêt en automne, pour rendre le cliché encore plus vivant. Il observa le fruit de deux jours de travail non-stop, ou il avait même failli croquer dans un paquet de sciure au lieu de manger son sandwich.

Hana pouvait revenir d'un jour à l'autre. Il garda son magasin ouvert une à deux heures au delà des heures d'ouverture. Il aurait pu passer pour un psychotique, mais en fait il passa juste pour un type qui aimait ouvrir au delà des heures d'ouverture.

Elle revint finalement, l'attendue aux yeux de biche qui avaient repris leur douce apparence de fleurs naissantes.

Il lui présenta fièrement la pièce. Hana fut tout simplement éblouie par son travail. Elle le félicita avec toutes les politesses (et la pudibonderie) qu'imposaient les coutumes nipponnes, elle en emprunta même à certains restaurants chinois. Hanson se sentait grandi par l'importance infinie que lui donnait la jeune femme. Elle avait l'air aux anges. Il avait bien fait de ne pas refuser. Et effectivement, une femme consolée était aussi belle qu'une fleur rare bien entretenue.

Il attendait une récompense, en fait, quelque chose de gratifiant – c'est un homme, rappelons-le. Il ignorait exactement quoi, une invitation à diner, un baiser, une somme d'argent importante, un objet, un titre de propriété – soyons fous – ou même une voiture.

-Je ne sais pas comment vous remercier !
-Ce n'était pas grand chose...

L'homme et sa modestie des grands jours.

-Oh, je sais !

Hanson attendit, suspendu aux lèvres d'Hana, attendant ce qu'elle allait dire, impatiemment...

-Et si je vous invitais à mon mariage ?


Le rictus du gant de cuisine lui revint, nerveux et sarcastique.
Hanson était taxidermiste.
Hanson aimait son travail.
Ce jour là, Hanson décida de ne plus jamais travailler gratos.
Article ajouté le Mercredi 11 Février 2009 à 15h11 | |

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