Les thés dans ma culotte (texte court)
Plongé dans l’eau bouillante, c’est l’apothéose.
L’essaim des feuilles de thé prend tout son délice en se mêlant à ce liquide sulfureux. Dans la tasse, c’est le débordement le plus total, ce qui était fade et tout juste hydratant devient un breuvage aux milles vertus, apaisant comme tonifiant, galvanisant et sublimant.
Et c’est bien au sublime qu’est porté ce simple sachet de thé, cet amoncelas de simples herbes aromatisées qui prend tout son sens et prend tous les sens à revers une fois immergé dans l’aqueux prisme qui dévoile toutes ses facettes lumineuses.
Un thé est né.
Le big-bang fut bref mais intense et à présent dans le sachet, c’est une sorte de danse au ralenti, d’embouteillage fluide en quatre dimensions, ni haut ni bas ni gauche ni droite, juste un ballet cosmique, microscopique, cinétique, une simple poche de toile devient une boîte de nuit végétale où la théine est cocaïne, où herbes et granules se mélangent, se côtoient, s’apprécient pendant que l’eau leur extirpe leur âme et la transforme en breuvage respecté. Le procédé chimique résulte de leur synergie puissante et légère. Brassés, ils s’embrassent, se lassent, s’effacent, c’est un entrelacs sans entracte.
Tout se dilate, tout explose, le transparent devient sombre, l’indigent devient diligent, le sinistre devient savoureux. Les herbes folles se sont bien excitées, elles baignent à présent dans le sang résidu de ce que leurs tréfonds regorgeait de saveurs inédites dont elles-mêmes ignoraient l’existence. “Buvez, car ceci est notre sang”. Chaque feuille sait que son sacrifice aura été une offrande divine et qu’à présent son office fait, son destin était de mourir seule et paisible.
Au fond d’un simple verre. Extirpé, le sachet retourne au froid et on le dépose comme un malpropre dans un rebut translucide. Tout peut à présent s’achever, tout végète bien et s’apprête à faire un pas vers la poussière. On somnole et on se prépare au voyage.
Soudain, l’inédit. Rencontre. Posé sur lui, un second sachet de thé. Collusion de deux communautés mourantes ayant vécu la même chose. On se regarde, on s’apprécie.
On se dégouline dessus, on suinte par tous les orifices. Chacune partage son jus avec l’autre. Le sachet du fond reçoit, par la force de la gravité, une quantité intense de semence liquoreuse, fruit des entrailles spirituelles des milliers d’herbes séchées désormais détrempées. C’est un érotique échange. Le sachet du dessus absorbe malgré lui ce que le sachet du dessous sue péniblement dans son agonie. C’est un délice, le nectar, les gouttes de Dieu toutes offertes. Les herbes touchées jurent de mourir en pensant qu’elles auront avalé telle panacée. C’est la fusion des infusions.
Et vas-y, que je te percole dessus. S’embrassant sans complexe, les deux sachets de thé s’effondraient l’un sur l’autre, s’infiltraient l’un en l’autre, se pénétraient sans génitalité, sans genre, sans contrainte autre que celle de fondre sur le voisin, leur poids s’imposant, la gravité les entraînant, c’était l’accouplement.
Qu’importe que tu sois thé noir, thé vert, thé jaune. Certes, tu n’es pas aussi beau et doux qu’un rooibos, mais je t’aime, toi, sachet de thé adverse, toi la faction ennemie qui me suinte dessus, qui ne m’a même pas demandé mon avis mais qui m’a aimée comme tu as pu, merci, merci à toi bel essaim humide d’avoir humecté ainsi ma pauvre mort et de l’avoir sacralisée par ton angélique suppuration d’amour. Ô, thé ami, je t’aime et je te chéris, et nous nous assécherons ensemble, ensemble mais heureux, dans l’évaporation de notre liqueur d’amour toute finissante qu’elle est...
Douce, oh, si douce fut cette petite mort...
***
Maison anonyme, Bordeaux, pluie battante mais foyer chaleureux.
La première fille avait jeté son sachet de thé dans un petit verre, et la deuxième l’avait posé dessus nonchalamment.
“On dirait qu’ils se battent !”
“Non, on dirait plutôt qu’ils baisent !”
L’écrivain, le poète, que dis-je, le troubadour à la table, eut alors un éclair de génie.
“Je vais écrire une histoire érotique avec des sachets de thé !”
Les deux filles secouèrent la tête. “Ah, bah j’aimerais bien voir ça !” dit l’une.
Et la lumière fut.
Article ajouté le Lundi 01 Juillet 2019 à 00h01 |
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