Un truc qui date de 2008
J'ai retrouvé un vieux truc que je ne me rappelle absolument plus avoir écrit, qui date d'octobre/novembre 2008, un peu aux alentours de la période où j'ai publié la toute première saison de Smirnoff, je vous le partage, je ne crois pas vous l'avoir jamais montré.
De ma relecture en diagonale, je crois que je sortais de ma lecture du Chien des Baskerville de Sir Arthur Conan Doyle, vu le "style".
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KIMONO GIRL AI
Début des années 1900, Copenhague, Danemark
J’avais envie de passer un bon moment. J’étais las, mes dernières aventures avaient été éprouvantes. Je portais mon traditionnel complet cuir et coton, mon veston beige étincelant tout neuf sortait de chez le pressing, couvrant avantageusement ma chemise blanche. Et mon pantalon de valeur n’avait en rien souffert d’un lavage intensif. J’étais donc parti pour un long congé entre deux escapades autour du monde. Mon cigare fumait tout son saoul et j’avais mes plus belles lunettes, prêt à assister au plus beau spectacle qui soit en compagnie de… Personne, évidemment. Un solitaire reste toujours solitaire, sinon à quoi bon exister ?
Derrière moi, il semblait que deux personnes m’avaient reconnu. Deux femmes. J’écoutais d’une oreille dissipée leurs digressions.
- N’est-ce pas Irvine Keynes ?
- Tu plaisantes, le grand Irvine Keynes n’a aucun intérêt à se montrer en public ici…
- On dit que c’est le meilleur enquêteur du monde.
- On dit aussi que c’est un goujat et un personnage parfaitement inconvenant.
Ma réputation, en plus de me précéder, me gratifiait de ne point rencontrer ce genre de linottes.
- Pourtant il est beau garçon !
- Mais c’est un alcoolique, un fumeur invétéré et surtout il ment et il ruse avec tout et tout le monde ! La rumeur dit qu’il a résolu l’affaire du Masque de Munja en dupant le premier ministre indien !
- Duper le Maharadjah Siwalik-Naman ? Tu plaisantes sans doute !
- Oh que non ! Toute la presse n’a fait qu’en parler des semaines durant ! A vrai dire je n’aimerais pas que cet homme se retourne pour nous parler…
Sitôt demandé avec tant de gentillesse, sitôt exécuté.
- Mesdames !
Les deux femmes s’étonnèrent. Je souris, aguicheur.
- Ca alors… Comment les deux plus beaux visages de tout le Danemark…
Les jeunes femmes semblèrent flattées.
- …peuvent-ils être munis de bouches à la gerbe si acide… C’est un comble !
Stupéfaction des femmes. Doux sourire apaisé sur mon visage. Je sortis Marcacrin qui se posa sur mes genoux.
- Marcacrin, cela vous plairait d’assister à un tel spectacle ?
Je montrais à mon Pokémon la scène en préparation. Il s’agita, enthousiaste. Je souris.
- Alors restez calme et appréciez comme se faut.
Le noir se fit dans le grand Théâtre de Copenhague.
Une musique au piano retentit, comme inachevée. Quatre notes se répétant sans cesse. Et puis, Bizet entra dans son manteau de voix pour laisser exploser la chaleur de son timbre.
L'amour est un oiseau rebelle
Que nul ne peut apprivoiser
Et c'est bien en vain qu'on l'appelle
S'il lui convient de refuser
Rien n'y fait, menace ou prière
L'un parle bien l'autre se tait
Et c'est l'autre que je préfère
Il n'a rien dit mais il me plaît
Je me laissais transporter par le magnifique aria. Sans me douter qu’on m’attendait dehors. Ma vie est décidément trop prévisible. J’avais repéré Tomas depuis ma sortie de mon appartement sur l’avenue Laken. A coup sur, il venait, mandaté par la police montée pour me proposer une affaire bien carabinée que je n’oserais refuser. Quel sale petit rapporteur, combien de fois lui ai-je dit de grimper les échelons plutôt que de jouer les porteurs de pli ?! Il n’arrivera jamais à rien ! Je me demande s’il a une petite amie en ce moment. Auquel cas il faudra que ce souillon me la présente. Afin que je la lui soutire.
L’amour…
L’amour…
L’amour…
L’amour…
L'amour est enfant de bohème
Il n'a jamais, jamais connu de loi
Si tu ne m'aimes pas je t'aime
Et si je t'aime prends garde à toi
Prends garde à toi
Si tu ne m'aimes pas, si tu ne m'aimes pas je t'aime
Prends garde à toi
Mais si je t'aime, si je t'aime prends garde à toi…
Une première salve d’applaudissements dont je fus, salua la chanteuse.
Toutefois, regardant ma montre, je me dis que cet abruti de Tomas n’allait pas m’attendre cent-sept ans. Je devais honorer ce rendez-vous sinon j’allais m’attirer des ennuis, et même en provoquer au pauvre pupille. Je me levais, Marcacrin grimpa sur mon épaule et je rejoignis l’accueil. Regardant de toutes parts, je n’aperçus aucun jeune freluquet impatient.
- Marcacrin, mon flair légendaire a une fois de plus prouvé son inefficacité en milieu moderne.
- Keynes !
L’aventurier que j’étais se retourna vers un groom bien coiffé.
- Tomas vous êtes en beauté ce soir ! Que vous arrive t-il, sortie ?
- Je… travaille, monsieur, je cumule trois emplois !
- Pourquoi pas cinq pendant que vous y êtes ! C’est pathétique…
- Ahem… Je vous donne votre affaire ? Parfois vous n’en voulez pas alors…
- Avez-vous une petite amie ?
- Votre affaire ?
- Votre petite amie ? Vous en avez forcément une, sinon vous ne cumuleriez pas trois emplois pour le seul luxe d’avoir une belle chemise.
Soupir lassé du jeune policier. J’avais le chic.
- Je dois verser une pension à un enfant illégitime !
Je frappai dans mes mains, content.
- Parfait. L’affaire !
Tomas sourit et sortit un pli qu’il me tendit.
- Ne prenez pas cet ignoble air jaloux, je vous ai démasqué, votre mensonge était d’autant plus laid que vous ne feriez pas d’enfant à une femme dont le coût excède les 80 couronnes !
Tomas rougit et sembla embarrassé par ma pique. Je pris le pli et le lut tandis que le messager esquissait un départ. Je le rappelais laconiquement à l’ordre
- La prochaine fois, faites au moins attention à qui conduit votre diligence quand vous faites votre marché !
- Oh, la paix ! grommela le coursier, humilié, en sortant du théâtre.
Je lus le pli attentivement.
- Oh-ho… Mais qu’avons-nous là…
De retour à mon cabinet de détective, dont je maintenais la permanence uniquement en guise de couverture à d’autres activités moins légales comme l’émission de documents à l’encontre de la monarchie danoise, je me munis d’un dictionnaire et d’une loupe, et me plaçai sous une lampe à huile. La missive donnée par Tomas était en effet rédigée dans un japonais tout ce qu’il y a de plus incompréhensible. Dans mon grand bureau vide, je me mis à soliloquer.
- Les divers empereurs du Japon ont raté bien des choses dans leurs vies… Personne ne pense ou n’a pensé que les idéogrammes kanji puissent être un frein à la compréhension interculturelle… En l’occurrence… Mais pourquoi ce petit crétin m’a donné le pli ainsi codé ?!
Je commençai à lire le message et remarquai vite que la lecture sémantique des idéogrammes était strictement illisible, aucune compréhension possible.
- Pardieu… C’est insensé… Me l’aurait-il donné pour cette raison ?!
J’observai le papier, l’encre, qui était celle classiquement utilisée dans la calligraphie japonaise. Aucun subterfuge de ce côté-là.
« Famille aristocratique traditionnelle… affaire gênante, codage particulier… choses qu’on ne veut pas savoir et faire savoir, honte du secret… »
- Bien, je n’ai pas vraiment de solution à cette énigme… ce qui me donne d’autant plus envie de la résoudre…
J’observai l’encre à la loupe et m’aperçus soudain d’un détail troublant. Levant la missive face à sa lampe, j’eus ce sourire avisé que j’avais quand ma soupe arrivait à temps au restaurant Chiney’s à l’angle de ma rue. Ils servent d’excellentes soupes par ailleurs.
- Par transparence, on aperçoit que des caractères occidentaux sont cachés derrière les caractères kanji… J’ai besoin de dissoudre la couche d’encre pour y voir clair à travers cette « sympathique » encre… si je puis dire.
Je pris négligemment la Pokéball et la jetai à terre, libérant Coudlangue qui se mit au garde à vous.
- Oui, oui… Coudlangue… Il s’agit là d’une encre sympathique, j’aurais besoin de votre salive la plus détachante pour révéler le message.
Je maintins la feuille tendue entre mes mains, laissant mon Pokémon délicatement lécher la feuille. Je vis la lettre découverte qui ressemblait désormais à un calligramme détrempé.
- Une fois de plus, votre langue avisée nous aura été très utile ! Voyons ce message.
« Aux autorités danoises »
(Raté, ça tombe sur le seul détective du Danemark qui se joue de l’autorité.)
« Je suis Etsuko Hiyama, fille de feu Masato Hiyama. Je souhaiterais l’intervention d’un détective dans le cadre de la disparition de mon amie Hanae Tachikawa. »
(Chouette un kidnapping de jeunes filles !)
« Je suis conscient que je vis au Japon et que vous n’avez probablement que faire d’une telle affaire mais les autorités refusent de s’occuper de notre affaire à cause d’un souci relatif à ce qui nous unit, Hanae et moi… »
Je dépliais la lettre et passa du blanc au rouge de circonstance.
- …Prenons le premier dirigeable demain !! C’est impératif !! Je VEUX aller au Japon !
Le lendemain, je me rendis donc à l’embarcadère du « Trois-Grodrive », la société de ballons dirigeables en vigueur au Danemark. Payant mon billet et le supplément bagages, je fus averti d’un fait tragique.
- Monsieur Keynes, nous n’avons plus de place en troisième classe !
Je fus offusqué.
- Pardonnez-moi, pourriez-vous répéter, je crus pendant un instant que vous me disiez que vous n’aviez plus de place en troisième classe ?! Il est hors de question que je voyage en seconde classe, l’air est infect et les sièges sont durs !
- Il n’y a plus de place également en deuxième classe, cependant la première…
- Ah non, non, non, ce n’est pas bon… Pas bon du tout !
- Je ne comprends pas monsieur, c’est une grande chance pourtant…
- Madame, avez-vous déjà fréquenté la haute bourgeoisie danoise ?
- Non…
- Avez-vous déjà senti l’odeur du tabac à chiquer danois, il empeste, c’est une horreur !
- Euh…
- De plus en première classe, les conversations sont infectes de retenue, de statisme et de classicisme ! Comment voulez-vous que je collecte quelque ragot intéressant qui satisfasse ma curiosité malsaine ?!
- Monsieur…
- Keynes, Irvine Keynes. Je suis détective pour le compte de la couronne du Danemark. Je veux et j’exige une place en troisième classe.
- Souhaitez-vous que j’appelle le directeur pour que vous en discutiez avec lui ?
- Vous en avez déjà assez de moi ?
- J’ai surtout des passagers à faire monter.
Je regardais les passagers impatients.
- Y’a plus de place ! leur criais-je.
Protestations. Je me tournais vers la réceptionniste.
- Emeute ou siège en zone appauvrie ?
Bougonnant, je me contentai de mon siège en première classe après avoir été placé par le directeur et deux de ses gorilles en personne.
« Fort heureusement je n’ai pas été fouillé… »
Le vol s’arrêtait à divers pays. Le premier arrêt était notamment la Hongrie. Le voyage durerait bien cinq jours, mais j’avais télégraphié à ma correspondante, lui assurant ma venue. Mes intérêts dans l’affaire dépassaient certes le seul cadre de l’enquête (Car il me tardait d’en savoir plus sur le lien entre ces deux jeunes femmes) néanmoins j’avais une affection pour les affaires de disparition, elles étaient les plus intéressantes et surtout comprenaient peu d’action, dont je n’étais pas forcément friand. L’action imposait en effet la révélation totale et lâche de ses instincts les plus bas. Cela me déplaisait quelque peu.
- Edmund-Henri, tenez-vous !!
- Mais Mère, vous avez ajusté mon nœud de cravate de telle sorte…
Oh seigneur non…
- A cet instant, la démesure atteignait son terme. Sir Baden ne pouvait plus se retenir, il l’a congédié !
- Parbleu… Une femme si grotesque sortant d’un funérarium par la petite porte ce devait être jouissif !
Toute cette complaisance, tout ce badinage…
- Voulez-vous un encas, Marie-Justine ?
- Volontiers, père !
Je n’y tins plus ! Je sortis Cradopaud, à l’étonnement de certains voyageurs.
- Mon cher ami, lui signifiais-je, j’ai besoin de votre humeur la plus forte ! C’est un cas d’urgence névralgique, si je continue dans ces conditions je suis parti pour n’être plus capable que de servir le thé en arrivant là bas !!
Je me saisis d’une seringue que je séparais de son piston. Cradopaud prit l’objet et le remplit d’une sécrétion coulant d’une glande sous son aisselle.
- Merveilleux… Je devrais en faire des réserves…
Certains voyageurs, dont mon voisin, un imposant chauve à lunettes, m’observaient. Je rappelais Cradopaud après l’avoir remercié d’une tape amicale sur l’occiput. Je sortis une fiole d’eau et versais quelques gouttes dans la préparation. Mes voisins m’observaient, intrigués. Refermant le piston de la seringue, je m’injectais le produit ainsi dilué.
- Seigneur !!
- Oh !
- Par tous les…
Je cachais la seringue dans ma valisette. Une dame outrée appela quelqu’un.
- Oui madame ? s’écria un homme en arrivant.
- Ce personnage vient de se droguer sous nos yeux !!
Un peu dans le gaz, je m’efforçais de rester éveillé.
- Monsieur ?! Ce que cette dame dit est vrai ?
- Madame hallucine, le bourbon la rend folle ! marmonnais-je.
- Je l’ai vu, dénonça mon voisin.
- Monsieur, puis-je voir votre valisette ?
- Sérieusement ?
- Oui !
Je tendis ma valisette. L’homme l’ouvrit et trouva Marcacrin. Mais pas de seringue. L’homme souleva le cochonnet.
- Rien… Vos poches ?
- Fouillez-moi…
Je me levais difficilement. Il me tâta avant que je ne me rasseye.
- Rien… Evitez d’avertir le personnel pour rien ! grommela le servant.
Assis et béat, j’ouvris la valisette ou Marcacrin avait entremêlé la seringue dans ses poils.
- Chapeau bas, très cher !
Article ajouté le Mardi 12 Mars 2019 à 19h37 |
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