Speedfic - Thème : "Cactus"
« Quand tu vois un Pokémon Vol, danse. Sinon tu seras dévoré. Nous sommes de Type Plante, c’est-à-dire des proies faciles pour eux. Mais notre danse les effraie. C’est la seule arme dont nous disposons contre eux. Ah, et, prends garde aussi aux humains. Ils enferment les Pokémon dans des sphères étranges. Ne t’approche jamais d’eux. Et si jamais il arrivait que ce soit l’un d’entre qui s’approche de toi… Ne bouge surtout pas. Ils nous appellent « les Pokémon Cactus » non sans raison… Immobiles, nous leur ressemblons en tout point. Face aux perfides humains, reste stoïque, mon fils. Pense comme un cactus, reste droit comme un cactus… Deviens un cactus. Tu as compris, Cacti ? »
Comme à chaque fois, j’ai à moitié écouté ce que dit ma mère. Ce n’est pas de ma faute si c’est toujours la même chose ! « Les Pokémon Vol ceci, et les humains cela… »… Du blabla, tout ça. Ma mère me répète – et me fait répéter – ce mantra dès que je sors de notre petite grotte. C’est bien simple, je le connais pas cœur, depuis le temps. Ma mère est terrifiée dès que je m’éloigne d’elle. C’est vrai qu’en tant que Doyenne du village, ça la ficherait mal que son propre fils n’écoute pas les consignes de sécurité dispensés jour et nuit. Mouais, en attendant, je n’ai jamais croisé ni Pokémon Vol, ni humain aux alentours. J’en ai presque envie, en fait. C’est vrai, ça changerait un peu, il ne se passe rien dans ce désert ennuyeux !
Les autres Maracachi de la tribu passent leur temps à se trémousser. Ils organisent même des concours de danse. À croire que c’est la seule activité à faire dans le coin ! Ridicule. Bah oui, moi, je n’aime pas danser, alors que c’est, selon ma mère, « la raison d’être des Maracachi ». Euh ouais, alors, maman ou pas, doyenne ou pas, ce n’est pas ça qui va me convaincre. Je traverse notre petit village sur mon unique pied. De ce côté-là, je dois bien reconnaître que nous ne sommes pas gâtés : devoir se déplacer en sautillant, c’est pas génial, surtout quand, comme moi, on aime bien explorer. Ah, comme je rêve de contrées inconnues, pleines de paysages magnifiques… Mais bien évidemment, ici, il n’y a que du sable. Du sable, du sable, et un peu de sable pour parachever le tout.
Enfin… Il n’y a presque que du sable. Un jour, j’ai fait une grande découverte : une oasis, à quelques lieues du village. Quel endroit merveilleux ! La surface claire de l’eau, les palmiers du même vert réconfortant que moi… Je m’y sens comme chez moi. Même peut-être plus que dans ma vraie maison. C’est d’ailleurs là que je me rends en ce moment. Je vais enfin pouvoir être moi-même, là-bas, et rêver d’aventure en contemplant mon piètre reflet dans l’eau. Parce que oui, on ne va pas se mentir, les Maracachi ne sont pas les Pokémon les plus charismatiques du monde. Enfin, peu importe, comme dirait ma mère – et, je pense, sans trop m’avancer, toutes les mères du monde – « ce qui compte, c’est la beauté intérieure ».
Ouais ouais ouais. Sauf que même ça, ce n’est pas gagné. Parce que je n’ai pas vraiment l’impression d’être quelqu’un de bien. Après tout, je fais que me plaindre de tout : mon village, les recommandations de ma mère, les danses… Alors que je sais qu’au fond on ne veut que mon bien. C’est en partie pour ça que je viens ici. Pour ne pas ennuyer le reste du monde. Je soupire. C’est ça le problème. Ma vie est morne. Aucune excitation. Juste… un cycle incessant de journées qui se répète inlassablement. Tiens, dans ce mot, il y a « sable »… Je pense que ça dit tout.
Plus sérieusement, je rêve qu’il se passe enfin quelque chose. N’importe quoi. Même le pire. Je sais à quel point c’est odieux de ne penser qu’à soi au point de souhaiter le pire, mais… comment dire… J’ai l’impression d’être déjà mort. Alors, mon dieu Arceus, si vous existez… Ayez pitié de moi, je vous en prie, faites qu’il m’arrive quelque chose !
Bon, je suis vraiment désespéré, là… Mais on sait jamais, ça peut marcher. J’attends. Rien ne se passe. Bien sûr. J’aurais dû m’en… Hein ?
Assis au bord de l’eau, je vois une ombre planer au-dessus de la mare. Je relève la tête : un Pokémon Vol. Ha. Quelle ironie. Bon bah, je suis vraiment mort tout compte fait.
Enfin, probablement. Là, je vois l’oiseau se fracasser sur le sol. Aïe, atterrissage manqué. Mais au fond de moi je suis heureux : il s’est passé un truc nouveau, et je suis encore là pour le voir ! Je me précipite vers le blessé. Il est tout gris et rutilant. Son aile est sérieusement amochée, le rouge du sang se mélange à la couleur de l’aile. Il me voit, lève la tête et dit faiblement :
- Je vais… mourir… De… l’aide…
Je réfléchis. Est-ce qu’il ne va pas me manger si je l’aide ? Bah, avec ce que j’ai à perdre. Ma mère me regrettera peut-être un temps, mais elle ira bien vite mieux. Je décide donc de l’aider.
Je considère la blessure. Je peux soigner ça avec de l’onguent. Grâce à nos pétales de fleurs, nous, les Maracachi, nous pouvons créer un baume apaisant. Heureusement, j’ai très bien retenu mes leçons et je m’attèle aussitôt à la tâche en me servant d’une feuille de palmier comme plan de travail. Ce faisant, je murmure des mots rassurants à l’oiseau. Airmure, il m’a dit qu’il s’appelait. Je m’étonne moi-même. Un vrai aide-soignant ! Airmure me remercie de tout son cœur. Peut-être qu’il ne va pas me manger, tout compte fait… En tout cas, je suis content. Non seulement j’ai réussi à tromper mon ennui, mais en plus, je vais sans doute sauver la vie de quelqu’un…
Quelle belle journée pour être vivant.
Je ne suis plus immobile, mimant le cactus passif. Je vais de l’avant. J’ai envie de progresser. De découvrir des choses. D’aller vers l’inconnu, comme Airmure. Et peu importe ce qui m’arrivera en chemin. Toute découverte sera la bienvenue. J’accueillerai l’adversité comme une vieille amie. Je veux juste… vivre. Comme Airmure.
J’ai fini d’appliquer l’onguent. Airmure n’a plus l’air de souffrir. Il réussit même à se redresser. Il balbutie quelques mots :
- Merci du fond du cœur, je ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi… Mais au fait, quel est ton nom ?
Ah, mon nom. Je ne l’aime pas. Il ressemble trop à « cactus ». Quand bien même c’est fait exprès, ça ne me plaît pas. Je dis donc simplement :
- Maracachi. De rien, je suis très content d’avoir pu t’aider. Tu sais, tu m’as sorti d’une longue torpeur… Qui durait depuis bien trop longtemps.
Il me regarde, interloqué. Je me doutais bien qu’il ne comprendrait pas. Je lui souris et déclare :
- Disons juste que… Tu m’as rendu service, toi aussi. Alors je suppose qu’on est quittes.
- Oh non, tu as fait tellement pour moi, j’aimerais tant pouvoir te remer…
Il est coupé dans sa phrase par une autre voix :
- Airmure ! Enfin ! Je t’ai cherché partout ! J’ai eu si peur… Ne refais plus jamais ça.
Je me tourne. Mon sang se glace. Un humain. Cela ne peut qu’être cela. On me les a tant décrits. Soudain, je repense au cactus. « Deviens un cactus », résonne en moi la voix de ma mère.
Non. Je ne veux plus l’écouter. Je veux vivre. Quoi qu’il en coûte.
L’humain accoure vers nous. Il est essoufflé. Il ne me voit même pas et se précipite au chevet d’Airmure :
- Ça va, Airmure ? Oh non tu es blessé ! Mais qu’est-ce qui t’a pris de vouloir te battre tout seul contre eux pour me protéger ?
Il semble cependant plus soulagé qu’en colère.
Il considère l’aile de son compagnon, recouverte du visqueux baume rose. Airmure désigne successivement son aile, puis moi. L’humain me remarque enfin :
- Oh ! C’est ce Pokémon qui t’a soigné ? Comme c’est gentil de sa part…
Puis, sans prévenir, il tend la main vers moi. Bien malgré moi, je recule, effrayé.
- Ha ha, ne t’en fais pas, mon petit, je ne vais rien te faire. Je te suis au contraire très reconnaissant de ce que tu as fait pour mon Airmure. Enfin, je sais même pas si tu comprends ce que je raconte ! rit-il.
Si, je comprends. Et j’entrevois alors une nouvelle possibilité d’avenir. Un futur possible pour moi. Devenir le Pokémon de cet humain, et vivre des aventures avec Airmure et lui. Vivre tout court, même.
Airmure semble avoir deviné mes pensées. Il lance alors un regard lourd de sous-entendus à son ami, qui comprend aussitôt :
- Tu veux nous rejoindre, mon petit Maracachi ? Sans problème ! m’annonce-t-il gaiement.
Il fouille alors son sac, rajustant de temps à autre la visière qui lui tombe sur les yeux. Il a une impressionnante touffe de poils sur la tête, comme certains Pokémon que j’ai pu voir. Il finit par en sortir une balle rouge et blanche. Ah, les fameuses sphères… Mais je n’en ai plus peur à présent. Advienne que pourra. Et je suis sûr que cet humain est gentil. Il a l’air, en tout cas. Il pointe sa sphère devant moi. Je suis curieux de savoir comment c’est, à l’intérieur. Juste avant d’être aspiré à l’intérieur, j’entends mon nouveau maître dire :
- Je vais t’appeler… Cactus !
Je ris intérieurement. Il n’aurait pas pu choisir pire…
Mais après tout, n’ai-je pas souhaité le pire un peu plus tôt ?
Je devrais plutôt être reconnaissant.
Merci Arceus, j’ai eu ce que voulais.
Aujourd’hui…
« Cactus » commence à vivre.
Article ajouté le Vendredi 09 Mars 2018 à 23h15 |
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