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Whisky, cigares et bon goût. Ou pas.
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[Ecriture] Construire un récit, étape 1 : il faut un vieux mentor barbu dedans. Non négociable.
Et vous obtenez des points de bonus si pendant l’histoire, il-meurt-mais-en-fait-pas-vraiment.

Bonjour à tous ! Deux mois après le précédent article, me voilà de retour comme promis. Cette fois-ci, on va parler construction d’histoire. Attention : cet article ne sera pas là pour vous apprendre à monter une intrigue, non. A vrai dire, on ne va pas parler de scénario à proprement parler, mais plutôt de ceux sans qui votre histoire ne tiendra pas la route : les personnages, et surtout leurs archétypes. Mais si, vous savez, ces termes que tout le monde utilise à tort et à travers : héros, antihéros, protagoniste, antagoniste, deutéragoniste… Bref, ces clés de lecture essentielles à la construction de toute histoire qui se respecte.

Avant toute chose, si ce n’est déjà fait, je vous recommande de lire les deux articles précédents, dont je vous remets les liens ci-après :
- Pourquoi « évitez les clichés » est le pire conseil qu’on puisse vous donner.
- Pourquoi Mulan, Star Wars et l'Odyssée racontent la même chose (et pourquoi ça marche)


Maintenant qu’on en a fini du préambule, passons aux choses sérieuses. On va enfoncer pas mal de portes ouvertes, surtout au début, mais ça ne fait pas de mal de coucher les choses noir sur blanc, n’est-ce pas ?

Archétypes « campbelliens »


Dans mon précédent article, j’expliquais que Campbell (et après lui, Vogler) ont décortiqué la structure et le fonctionnement des récits mythiques tout au long de l’Histoire, afin d’en dégager des principes permettant de comprendre ce qui rend une histoire populaire. Nous avons évoqué la structure de scénario qu’ils ont mise au point ; mais les deux loustics ont également théorisé un certain nombre d’archétypes de personnages, que l’on retrouve sous différentes formes dans la plupart des récits.

Le héros (ou protagoniste)


(Parce qu’il faut bien commencer quelque part.)

Le héros est celui qui entreprend le Voyage du Héros dont on a parlé dans l’article précédent. Il quitte son monde quotidien pour entrer dans un nouveau monde et entreprendre sa quête. Ses origines peuvent être variées, mais il véhicule toujours des valeurs importantes à l’époque de son récit :

- Le héros antique, souvent d’ascendance divine ou semi-divine, s’illustre par sa force ou sa ruse et entre lui-même au Panthéon grâce à la gloire qu’il amasse (la boucle est ainsi bouclée : né des dieux, il devient lui-même immortel en entrant dans la légende grâce à ses exploits). Il est là pour inciter les hommes à se dépasser.

- Puis, au Moyen-Âge, la fonction du héros évolue et il devient l’incarnation d’autres valeurs, telles que la vertu, la loyauté, la bravoure et l’obéissance au suzerain. Qu’il soit homme-lige ou paysan fidèle, il s’illustre par son abnégation et les exploits qu’il réalise, renforçant la légitimité de son seigneur. Il ne cherche plus à entrer dans les mémoires de ses héritiers, mais à servir fidèlement son suzerain et à faire honneur à sa maison. Ledit suzerain peut d’ailleurs être une belle demoiselle, le principe reste le même : le héros médiéval accomplit ses hauts faits pour autrui, et non pas pour lui.


- Avec l’avènement de la littérature, les récits héroïques se transmettent de moins en moins par tradition orale, et les icônes perdent de leur légende. Les chevaliers légendaires laissent la place aux figures historiques, aux mousquetaires, aux pirates… Dans un âge de découverte du monde, le héros-aventurier émerge, même s’il existe toujours des héros patriotes.

- Enfin, l’époque contemporaine voit la banalisation des héros (pompiers, flics, infirmières...), qui perdent parfois leurs vertus au point de devenir des anti-héros (mais on y reviendra plus tard). Un autre genre émerge également : les super-héros, individus surhumains qui nous inspirent par leur abnégation et le courage dont ils font preuve en défendant la société.

Vous l’aurez compris, la question à vous poser quand vous créez votre héros est de savoir quel message et quelles valeurs vous voulez qu’il véhicule.

Attention cependant ! Si le héros est un protagoniste, il n’est pas forcément le personnage principal. Les héros n’ont pas toujours le recul nécessaire pour évaluer leurs propres actions, et il est fréquent de trouver des œuvres dont le personnage principal ne fait que narrer les actions d’un protagoniste qui impose sa rhythmique à l’histoire (Lestat dans Entretien avec un vampire ou Sherlock Holmes sont des protagonistes, mais pas des personnages principaux).

L’antagoniste


L’antagoniste est le reflet du héros. Tous deux travaillent en opposition : si le héros poursuit une quête, alors l’antagoniste essayera de l’en empêcher. Si c’est au contraire l’antagoniste qui cherche à remplir un objectif (au pif : la domination mondiale), alors c’est le héros qui se lancera à l’aventure pour contrecarrer ses plans.

L’antagoniste, au même titre que le protagoniste, est source de rythme dans votre scénario, et ni lui ni le héros ne doivent être passifs. Un protagoniste qui subit tout le temps son destin finit par ennuyer, et un antagoniste qui passe son temps à essayer de contrecarrer le héros sans but propre n’est pas crédible.

Je pourrais faire un article entier dédié à l’antagoniste, mais ce n’est pas le but ici. Retenez bien la première phrase : l’antagoniste est le reflet du héros. Tout comme lui, il doit avoir une motivation, et tout comme lui, il doit être porteur de certaines valeurs (aussi dévoyées soient-elles) et d’un message. Parce qu’après tout, le méchant d’une histoire fait en général autant pour elle que son héros.

Le héraut


(A ne pas confondre avec le héros, hein, merci.)

Le héraut est celui qui véhicule l’appel à l’aventure et l’apporte au protagoniste. Il peut revêtir bien des formes : il peut s’agir d’un émissaire d’un pays lointain qui apporte la nouvelle d’une terrible menace. Le héraut peut être du côté du héros, ou en face – il peut l’inviter à l’aventure, ou la lui imposer en le kidnappant, en le bannissant… Ce n’est d’ailleurs pas forcément un personnage ; il peut s’agir d’une simple tentation qui poussera un héros insatisfait à quitter sa morne vie.

Dans tous les cas, le héraut est le catalyseur qui pousse le protagoniste à quitter le monde ordinaire, et sans lui, pas d’histoire.

Exemples de hérauts : R2D2 dans Star Wars, le dieu-sanglier corrompu dans Princesse Mononoké, l’invité ivre qui accuse Œdipe d’être adopté dans le mythe éponyme…

L’acolyte


Je pense que tout le monde voit de quoi je parle, donc on va vite passer dessus. L’ami du héros, qui l’accompagne dans sa quête. Parfois c’est un personnage fidèle qui accompagne le protagoniste dès le départ, parfois c’est un personnage au départ antipathique qui se met à aider le héros quand celui-ci a gagné son respect. Parfois même, c’est un antagoniste qui retourne sa veste. Le degré de niaiserie varie, mais pas le but. Votre héros (à moins d’être une Mary-Sue) a besoin de personnages pour l’accompagner dans sa quête, d’individus aux talents complémentaires avec lesquels il pourra interagir pendant l’aventure.

Le mentor (ou personnage de sang-froid)


Là encore, je ne pense pas vous apprendre quoi que ce soit. Le héraut a fait son boulot et le héros s’est lancé dans l’aventure ; mais il se retrouve dans un monde inconnu où l’attendent moult périls, et c’est le rôle du mentor que de le guider. Le mentor décrit comment fonctionne le nouveau monde, aide le héros à mettre au jour ses capacités et à comprendre les enjeux. Parfois, le mentor est fusionné avec le héraut, et c’est lui qui met l’histoire en route. Mais souvent, après avoir légué son savoir au héros, le mentor doit disparaître.

Je vais maintenant reboucler avec le titre de l’article : pourquoi faut-il un mentor à votre histoire ?

Parce que votre héros ne doit pas démarrer sa quête en sachant déjà tout. Il doit suivre une trajectoire et apprendre quelque chose pendant l’histoire, et pour cela, il faut le plonger dans l’inconnu. Le mentor est un outil de narration puissant, qui est capable d’expliquer les tenants et aboutissants du nouveau monde au héros, mais aussi aux lecteurs. Il dispense de l’exposition à tours de bras, chose essentielle pour l’immersion. Mais on reparlera d’exposition et de construction d’univers dans le prochain article.

Le métamorphe


Le métamorphe est là pour brouiller la frontière entre ami et ennemi. Personnage trouble, il force le lecteur à s’interroger régulièrement sur sa loyauté. Il peut être un allié qui trahit le héros, ou un ennemi qui trahit l’antagoniste. Il peut aussi avoir son propre objectif – dans tous les cas, il est là pour casser le manichéisme de l’histoire et sortir le lecteur de sa zone de confort en le poussant à s’interroger.

C’est aussi un bon moyen de dynamiser les relations au sein du groupe de personnages. Source de dynamisme très intéressante, c’est aussi l’un des archétypes les plus difficiles à subvertir, parce qu’on s’attendra toujours à ce qu’il retourne sa veste à un moment. A vous donc de trouver un moyen de l’écrire sans que vos lecteurs ne le trouvent cliché !

  • Le deutéragoniste n’a rien à voir avec le métamorphe ! Souvent, le terme « deutéragoniste » est employé comme s’il s’agissait d’une sorte de milieu entre le protagoniste et l’antagoniste. Tvdiev, n’estois point dv tovt cela ! Le deutéragoniste est simplement le deuxième personnage le plus important, derrière le personnage principal. Il existe aussi des tritagonistes, et cætera.


Le trickster (ou personnage de sang-chaud)


Le trickster (escroc, arnaqueur, finaud en français, même si aucune des traductions ne correspond vraiment) est souvent le comic relief de l’histoire, le personnage drôle (volontairement ou non) qui est là pour désamorcer la tension de temps à autres. Maladroit, gros, émotif… tout est bon à prendre tant qu’il fait rire.

Il a également un second rôle : celui de gérer la suspension volontaire de l’incrédulité (mais si, vous savez, on en a parlé au premier article). Quand un événement peu crédible survient dans l’histoire, n’essayez pas de le faire gober à vos lecteurs tel quel en essayant de glisser ledit événement sous le tapis. A la place, servez-vous du trickster pour évoquer vous-même le caractère improbable de l’événement.

Un exemple ? Ce passage extrait de Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé (le flim, pas le livre. Mais pas le flim sur le cyclimse, hein) :

McGonagall : Comment se fait-il que chaque fois qu’un désastre se produit, vous soyez tous les trois impliqués ?
Ron : Croyez-moi, professeur, ça fait six ans que je me pose la même question.

Ron, qui joue le rôle du trickster ici, désamorce un événement peu crédible (le fait que les emmerdes tombent toujours sur le trio de héros) simplement en y faisant référence. Les lecteurs auront alors instinctivement moins de mal à accepter cet état de fait. Cette technique, appelée lampshading, permet de limiter les dégâts sur votre lectorat en cas de rupture de la suspension volontaire d’incrédulité.

C’est un peu comme quand vous arriviez en cours sans avoir fait vos devoirs au collège – l’avouer directement au professeur diminuait les risques que vous vous fassiez salement engueuler. Cet aveu, c’est le rôle du trickster. Même dans une œuvre sérieuse, il peut le remplir. Par exemple, lorsque les héros chargent à un contre cent, il sera celui qui s’écriera « C’est de la folie ! ». Et lorsque les héros auront survécu à la bataille, il sera le premier à s’en étonner.

Déconstruction des archétypes & identification


Les œuvres contemporaines contiennent bien peu de preux chevaliers ou de héros au grand cœur. La faute à qui ? A une audience qui en a probablement marre des parangons de vertu. Ce qui fait le succès d’un protagoniste, c’est sa capacité à fixer la confiance du lectorat, à servir de point d’ancrage pour que le lecteur s’immerge dans le récit. Bref, plus le lecteur peut s’identifier au héros, plus celui-ci sera réussi.

Et si, à l’époque, on rêvait peut-être en entendant les récits héroïques de guerriers légendaires, ce n’est aujourd’hui plus le cas. Les croyances religieuses en recul et le désenchantement général de notre monde, comme l’appelle Max Weber ont permis à un nouveau type de protagoniste d’émerger : l’anti-héros.

L’anti-héros, à la base, est simplement un protagoniste à qui il manque une ou plusieurs des qualités du héros. Il peut être menteur, couard ou égoïste, mais il peut aussi être un héros incapable d’entreprendre sa quête (sa condition physique ne le lui permet pas, un traumatisme psychologique le tourmente, etc). Ces protagonistes pleins de failles permettent au lecteur de s’identifier, car leurs défauts les rendent plus crédibles. De Don Quichotte à Jessica Jones, les anti-héros sont aujourd’hui monnaie courante, tant et si bien que ce qui était à la base censé contrer un cliché est en train d’un devenir un.

Pour pallier au fait que l’anti-héros soit en train de devenir la nouvelle norme, certains auteurs essayent de noircir encore un peu plus leur protagoniste. D’individu à qui il manque certaines vertus, il devient alors plein de vices, ou bascule parfois carrément du côté des héros négatifs, ces personnages exécrables, immoraux et révoltants, qui illustrent tout ce qu’il y a de pire dans notre société (exemple : Bel-Ami, de Maupassant). Les vieilles histoires de ce genre finissent en général par la chute du héros négatif, puni par les dieux avec justesse. Dans les récits modernes, on a souvent le droit à une version plus pessimiste, où de tels individus triomphent grâce à leur immoralité, illustrant à quel point notre monde ne tourne pas rond.


Que votre protagoniste soit héros, anti-héros ou héros négatif, fondamentalement, peu importe ; l’important, c’est l’identification. Le lecteur doit pouvoir se servir du héros comme point d’entrée dans votre histoire ; il doit être l’ancre de sa confiance, et d’une manière ou d’une autre, on doit avoir envie qu’il réussisse (pour les héros positifs et les anti-héros) ou qu’il soit châtié (pour les héros négatifs). Et pour cela, il y a quelques techniques très simples :

- Utiliser les adjuvants : Vous avez besoin de connecter le lecteur à votre protagoniste en peu de temps ? Montrez qu’il est aimé, admiré ou que l’on s’inquiète pour lui. On aura toujours plus envie de voir le soldat rentrer chez lui si, avant qu’il parte en guerre, on nous a montré que sa femme enceinte l’attend à la maison. C’est elle qui sert de relais au lecteur pour entrer dans l’histoire – si le soldat est un célibataire sans attache, s’ancrer à lui sera tout de suite beaucoup plus difficile.

- Plus-méchant-que-méchant : Vous avez besoin de connecter le lecteur à un personnage peu attachant, antipathique, voire à un méchant ? Utilisez ou créez-en un encore pire ! C’est grâce à ce stratagème que l’on se surprend à se ranger du côté de Dark Vador lorsque l’Empereur essaye de tuer Luke, par exemple.

L’étau de la vulnérabilité VS la glue empathique



Je terminerai cet article sur cette métaphore que j’apprécie pas mal.

Voyez votre lecteur et votre protagoniste comme deux morceaux de bois que vous vous efforcez d’assembler. D’une manière ou d’une autre, il va falloir que le tout tienne jusqu’à la fin de votre histoire (voire même au-delà, dans l’idéal. Les meilleures histoires ne sont-elles pas celles qui nous font encore chialer deux semaines après que l’on ait fini le bouquin ?).

Pour que les deux pièces de bois tiennent sur le long terme, pas trente mille solutions : faut que ça colle. Et pour coller, il faut de l’engagement émotionnel : bref, il faut que votre lecteur ait de l’empathie pour votre héros. Jusqu’ici, rien de neuf, on en a déjà parlé.


Sauf que l’empathie, ça prend du temps à se développer. Et en attendant que la colle sèche, il va bien falloir garder vos deux pièces serrées l’une contre l’autre. Pour ça, rien de mieux qu’un étau.

Dans le cas d’une histoire, c’est la vulnérabilité qui va jouer le rôle d’étau. En attendant que l’engagement émotionnel se produise, il vous falloir recourir à divers artifices pour créez de l’empathie pour votre héros. Montrez-le vulnérable de temps à autres ; un héros qui agit bien, mais souffre quand même ; un héros qui prend deux minutes pour réconforter un enfant apeuré ; un héros qui s’en prend tout simplement plein la gueule de manière injuste – toutes ces choses créent de l’empathie.

Attention cependant : ce n’est pas l’étau qui maintiendra vos deux pièces en place sur le long terme ; c’est la colle. Si vous abusez de ces artifices ou si vous n’en disséminez pas assez dans votre histoire, l’empathie ne prendra pas. Et pour savoir quel dosage appliquer, il n’y a pas de secret : connaissez votre public.

On a tous une empathie à géométrie variable, et on ne peut pas connecter sentimentalement avec tout le monde. Certains individus seront plus sensibles que d’autres à votre récit ; à vous de comprendre lesquels, quelles valeurs et quels ancrages leur permettent de s’identifier à votre protagoniste, et creusez ensuite dans cette direction.

Un indice ? Les lecteurs potentiellement intéressés par votre histoire sont comme vous. Ecrivez un récit qui résonne en vous, et il intéressera ceux qui vous ressemblent, car il résonnera aussi en eux.

Voilà, c’est tout pour cet article ! Bravo si vous êtes arrivé au bout. J’espère qu’il vous aura plus, et comme d’habitude, je reste disponible pour répondre dans les commentaires à toute question, critique ou désaccord avec ce que j’ai avancé dans ce billet. Merci d’avoir lu !

Article ajouté le Jeudi 08 Mars 2018 à 23h16 | |

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