Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Whisky, cigares et bon goût. Ou pas.
de Drayker

                   



Si vous trouvez un contenu choquant, vous pouvez contacter la modération via le formulaire de contact en PRECISANT le pseudo de l'auteur du blog et le lien vers le blog !

» Retour au blog

L'aliénée
Spoiler
On a tous quelque chose à faire.

Les courses. Les comptes. Le ménage. Vous savez bien de quoi je parle. Se lever pour aller au boulot le matin. Rentrer de l'école le soir et faire ses devoirs. Ce genre de tâches dont tout un chacun doit s'acquitter, les corvées répétitives mais nécessaires, les plats à laver dans l'évier. Ce qu'il faut faire.

Et bien elle, c'est la meilleure quand il s'agit de faire ce qu'il faut faire.

Elle a toujours été intelligente, et compréhensive. Le combo idéal pour réussir dans la vie, pas vrai ? Promise à un grand avenir.

Petite, elle rendait ses devoirs avec diligence. Elle révisait pour les contrôles, elle travaillait les exposés de groupe, elle apprenait, elle mémorisait et elle retenait. Elle n'aimait pas vraiment travailler, mais elle le faisait quand même.

Parce que c'est ce qu'il faut faire.

En grandissant, elle s'est aussi mise à aider à la maison. Faire la vaisselle. Les courses. Tondre la pelouse. Tenir l'échelle quand Papa taillait la haie. Aider Maman en passant la serpillière le dimanche matin, en cirant les meubles, en nettoyant les vitres.

Au lycée, elle était première de sa classe. Alors elle a choisi la filière scientifique, parce qu'elle le pouvait, parce qu'elle était bonne en maths, parce que c'est comme ça que l'on obtient un métier.

Parce que c'est ce qu'il faut faire.

Elle l'a eu, son bac. Mention très bien. Pas que ça ait été très dur, non. Elle n'a pas travaillé tant que ça. On lui a souvent expliqué que le diplôme ne valait plus rien, mais qu'il fallait le passer quand même, avant de faire des études supérieures. C'est ce qu'il faut faire.

Après le lycée, elle a fait une prépa. Scientifique, aussi. C'est là qu'il y a le plus de débouchés. Elle a eu un peu de mal au début, parce qu'il fallait travailler encore plus, et qu'elle n'a jamais aimé ça. Mais il fallait le faire, alors elle l'a fait. Bon sang, ce qu'elle était forte ! Ses professeurs n'arrêtaient pas de le lui dire. Ils l'encourageaient à se démener encore plus, aussi - elle avait les capacités de rentrer dans les plus grandes écoles, elle avait la chance d'avoir un potentiel dont beaucoup rêvaient. Un atout comme ça, il faut l'exploiter.

Elle ne l'a pas exploité. Pas vraiment. Elle a travaillé, elle a réussi ses concours, et elle a intégré une bonne école. Sa famille était fière.

Mais elle, elle connaissait la vérité. Elle aurait pu faire mieux. Bien mieux. En travaillant plus. Bien plus.

Sauf qu'elle commençait à être fatiguée de devoir travailler. Elle commençait à se demander si c'était vraiment ce qu'il fallait faire.

Alors elle a essayé autre chose. Elle a essayé l'alcool, parce que c'est ce qu'il faut faire pour faire la fête. Elle a essayé la drogue, parce que c'est ce qu'il faut faire si on veut avoir l'air cool. Elle a essayé les mecs, parce que c'est ce qu'il faut faire quand on est une fille.

Rien de tout ça n'a vraiment pris. L'alcool ? C'était simplement emprunter du bonheur au lendemain. La drogue ? Trop cher, surtout la dure, et puis elle n'aimait pas ne plus être aux commandes d'elle-même. Les mecs ? Elle n'en voyait pas vraiment l'intérêt. D'accord, le sexe lui plaisait beaucoup, mais est-ce que ça valait vraiment la peine de les supporter ? Un couple, c'est plein de choses qu'il faut faire. Des messages, de l'attention, des sacrifices. Et elle n'était pas vraiment d'humeur à se rajouter des corvées.

Il faut dire qu'elle en avait déjà assez comme ça. Elle rendait visite à son grand-père qui ne se rappelait même plus d'elle, parce qu'il fallait le faire. Elle rentrait à Noël, parce qu'il faut passer les fêtes en famille. Elle sortait de temps en temps, parce que c'est ce qu'il faut faire, il fallait avoir une vie sociale. Elle s'est inscrite sur Facebook, parce que c'est ce qu'il fallait faire, il fallait garder des contacts.

Tout ça, c'était des corvées. Comme faire la vaisselle. Faire la cuisine. Faire le ménage. Des choses qu'il faut faire. Rien ne lui apportait vraiment de plaisir là-dedans.

Un jour, elle a voulu tout lâcher. C'était une simple idée, une toute petite bulle exaspérée qui enflait à l'arrière de son crâne. Et si ? Et si elle envoyait tout en l'air, famille, études, et si elle partait ? Où ça ? Ça n'avait pas vraiment d'importance. Elle pourrait se raser le crâne et partir au Tibet, elle pourrait partir faire de l'humanitaire en Afrique, ou encore enchaîner les petits boulots pour se payer un road-trip aux States. Elle s'en moquait.

Tout ce qui comptait, c'était de trouver ce qu'il fallait qu'elle fasse. Ce qu'il fallait qu'elle fasse vraiment, et non pas ce qu'on lui disait qu'elle devait faire.

Elle en a parlé autour d'elle. A ses parents. A son copain du moment. Et ils lui ont tous dit la même chose.

Elle ne pouvait pas. Ça, c'était bon pour ceux qui rêvent. Si elle lâchait tout, elle causerait du tort aux autres. A sa famille. A son couple. A sa carrière.

Ils avaient raison, bien sûr. Alors elle est restée. Elle a obtenu son diplôme sans trop travailler. Elle a trouvé un métier qui ne lui plaisait pas plus que ça. L'idée de tout lâcher était devenue impensable.

Alors, elle a vécu, toujours en faisant ce qu'elle avait à faire. En adulte.

Elle est allée à l'enterrement de son grand-père qui l'avait oubliée depuis longtemps. Elle a payé pour les soins de sa mère quand ça a été à son tour de développer Alzheimer. Elle s'est dégotée un mari, aussi. Elle a eu des enfants, même si elle n'a jamais aimé les gosses. Elle a pris les médicaments que lui conseillaient les docteurs, même si ça l’assommait plus qu'autre chose.

Toute sa vie, on a dit d'elle qu'elle était quelqu'un de bien. D'accompli. De responsable. Quelqu'un sur qui on peut compter.

Pourtant aujourd'hui, allongée sur son lit de mort, elle s'interroge.

Est-ce que c'est ça, exister ? S'acquitter de ses dettes, de ses responsabilités ?

Est-ce que vivre, c'est juste laisser les autres vivre à travers nous, lâcher le contrôle de notre corps et basculer en pilote automatique ? Faire ce qu'on a à faire ? Faire ce qu'on nous dit de faire ?

Quelle différence, de toute façon ? Des générations entières nous précèdent, des générations qui ont vécu, qui ont perpétué la société. Et ça, c'est grâce à ceux qui se prenaient en main et rentraient dans le rang, pas grâce aux énergumènes et à leurs rêves de voyage autour du monde ou de révolution.

Pas vrai ?

... Pas vrai ?
Article ajouté le Samedi 02 Décembre 2017 à 14h44 | |

Commentaires

Chargement...