Le blog d'une blagueuse ou les blagues d'une blogueuse
de MissDibule

« Bonjour. Je suis le Narrateur. Il est inutile s’en savoir plus sur moi. Je suis simplement le conteur de cette histoire. Concentrons-nous plutôt sur ce jeune homme brun, là-bas, devant cette boutique. Il est très impatient à l’idée de…

- Qui te dit que je suis impatient ? Et d’où tu connais ma vie d’abord ?

- Que… ? Tu n’es pas censé avoir entendu cela… Je narre !

- Ouais, c’est ça, tu narres, et moi j’me marre !

- Un peu de sérieux ! L’auteur a été très clair sur ce point : tu es impatient car tu attends ta petite amie, une jolie rousse qui…

- Une rousse ? Bah il me connaît mal ton auteur, alors. J’préfère les blondes, moi.

- C’est absurde. Comment l’auteur pourrait-il mal te connaître ?

- J’en sais rien moi ! J’sais même pas qui c’est ton auteur !

- Mais enfin, c’est ridicule ! Tu es la création de l’auteur. Tu n’existes que grâce à lui, il te connaît mieux que quiconque !

- C’est ça. Et toi, t’es qui, le Pape ? Le Père Noël ?

- Non. Je me suis déjà présenté. Je suis le Narrateur. L’humble serviteur de l’auteur. Je suis le fier lien qui rapproche l’écrivain de ses personnages.

- Mais oui, bien sûr. Donc en gros, tu me dis que je suis un personnage ?

- Oui, absolument.

- Ha ! Elle est bien bonne, celle-là. Et un personnage de quoi ?

- Eh bien… L’auteur n’ pas l’air encore décidé, visiblement. Il semblait parti pour écrire une nouvelle, mais on dirait qu’il penche désormais vers un genre de dialogue pseudo-philosophique totalement incohérent.

- T’es dingue. Qui peut être assez débile pour avaler tes conneries ?

- Mais enfin, quand vas-tu comprendre que je dis vrai ? Tu es un personnage. Une pure invention, née de l’esprit de l’auteur !

- Si c’est vrai, alors toi aussi t’en es un.

- Au sens strict, je ne suis pas un personnage. Mais, tout comme toi, j’appartiens à l’histoire de l’auteur, et je n’existe que grâce à lui et son imagination fertile.

- Et ça te convient, comme situation ?

- Pas vraiment. Mais il y a pire. Heureusement pour moi, l’auteur ne me fait pas dire des inepties comme il le fait avec toi.

- Pff, l’auteur n’a rien à voir là-dedans. Je dis ce que je veux. Et je vais le prouver. L’AUTEUR EST UN CON !! Voilà ! Tu crois vraiment que ton auteur m’aurait poussé à dire ça ?

- Si tu l’as dit, alors il ne peut en être autrement. Ça signifie que l’auteur l’a décidé.

- C’est n’importe quoi. Quelles conneries.

- Reste poli, je te prie. Je reste courtois, moi.

- Ah bah non, j’peux pas, puisque tous mes mots sont contrôlés par ton putain d’auteur. Alors, si tu veux que j’arrête de te causer comme je le fais, adresse-toi à lui.

- Donc, tu l’admets.

- J’admets quoi ?

- Tu admets l’existence de l’auteur et sa toute puissance.

- Mais tu m’emmerdes avec ton auteur ! Il peut bien aller se faire foutre, et toi avec ! J’me casse.

- Oh non, impossible, tu ne peux pas, tu n’as pas encore été rejoint par ta dulcinée, cette charmante jeune femme rousse qui…

- Ta gueule !!

Et c’est ainsi que je me retrouve à nouveau seul. Tel est le fardeau du Narrateur, celui qui soutient l’édifice complexe qu’est le récit, tel Atlas, mais à qui personne ne s’adresse jamais. Hormis ce grossier personnage. Dans ce cas, mieux vaut être seul que mal accompagné. Mon cher auteur… je vous le demande humblement… Pourquoi suis-je toujours seul ?

Je n’ai jamais obtenu ma réponse. Mais au fond de moi je sais quelle est la vérité. L’auteur décide tout. Il se joue de nous. Il nous manipule. C’est même lui qui a écrit ces phrases que vous lisez, et qui sont supposément miennes. C’est pourquoi, je vous le dis, chers lecteurs… »

Prenez garde à l’auteur.