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Domino, Lovely Bitch Writer
de Domino

                   



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La fin de la route

C’est une route, une très longue route de bitume noir, plantée en plein milieu du désert. Elle est sûrement longue de plusieurs kilomètres. On ne sait pas quand elle fut construite, ni pourquoi, ni comment, ni par qui, ni où elle mène précisément. C’est une route tout ce qu’il y a de plus simple et de plus bête. En son milieu, il y a un lignage jaune qui n’est plus très clair, le temps et l’usure faisant. D’après la nature de ce tracé, on peut aisément rouler à droite ou à gauche de cette route. La ligne autorise le dépassement.

Mouvement. Il y a cet homme sur un vélo. Il a l’air tranquille. C’est un grand type aux cheveux noirs et courts, comme tant d’autres, habillé assez légèrement, à cause du soleil de plomb qui rugit dans le ciel rouge, avec pour seul bagage une sacoche assez pleine pour être pratique mais pas assez pour être lourde. Son vélo fait un petit bruit régulier, mécanique et mélodieux. Il roule. Il ne sait pas trop vers où. Enfin, il ne sait plus trop. Il pense que fut un temps, cette route menait quelque part. Aujourd’hui, il sait que ça ne mène plus à rien.

En effet, le monde s’est achevé il y a quelques temps. Cela fait bien presque un an. Il en est l’un des derniers survivants. Il le sait. Et il sait aussi que le moment venu, cela va chauffer pour lui. Pour d’autres raisons. En attendant, il repère une fontaine abandonnée, un robinet au milieu de nulle part, un de ceux dont, même du temps d’avant l’apocalypse, on se demande qui les a disposés ici. La source artificielle coule à vide. L’homme s’arrête promptement et sort trois petites bouteilles d’eau qu’il remplit consciencieusement, une à une. Une fois les précieuses bombonnes de plastique rangées, il repart sur son chemin.

Il suppose que cette route mène quelque part. Toutes les routes mènent bien quelque part, non ? On n’a jamais vu de route s’arrêter d’un coup pour ne plus mener nulle part. Ça n’existe pas. Alors il continue, à vitesse régulière, en pédalant sur cette route plane et monotone. Mais lui au fond il s’en fiche du paysage. Ce qui l’intéresse, c’est… pas grand-chose, au final. Ce qu’il y aura au bout, probablement.

Il n’était pas un homme très intéressé, de manière générale. La fin du monde lui était tombée dessus. Son petit emploi de bureau n’avait plus de sens à présent. La fin du monde, causée par les excès des hommes, avait provoqué son licenciement logique et qu’il avait approuvé sans vaine protestation. Cet homme avait un nom, mais la fin du monde faisant, il avait décidé qu’il n’avait plus d’importance et se faisait appeler par les rares gens qu’il rencontrait « Bob ».

Bob, donc, faisait du vélo, chargé comme une mule en direction de nulle part. Ce récit passionnant était celui de sa vie à présent. Il espérait en fait croiser une petite bête ou même un cadavre de petite bête, histoire de manger. Mais même les animaux semblaient s’être éteints. Seule, l’humanité s’accrochait telle une tique à la terre meurtrière qui les avait vus naître et qui les avait détruits presque aussi sec. Mais c’était mérité, diront les vipères.

Tenaillé par la faim, Bob se força à reconnaître qu’il y avait une ville à l’horizon. Du moins un amas de bâtisses qui faisait penser à une ville. De la fumée laissait à penser soit qu’il y avait une trace de vie, soit que ces cons avaient incendié l’ensemble, soit qu’un bon pot-au-feu cuisait. Maudite faim.

Dans ces trois cas, Bob devait peser le pour et le contre. Pour certaines raisons, il ne voulait pas rencontrer d’autres gens. En même temps il avait faim et s’il restait sans manger, il allait boire toutes ses réserves pour combler sa famine. Et puis, sait-on jamais, entre autres éléments de burlesque et de pathos, ce patelin comportait peut-être des lits confortables.

Bob atteignit assez rapidement la ville. On l’y accueillit bien. La profusion de femmes l’effraya, mais il tenta de faire bonne figure. Un vieil homme s’avança au-devant de lui, semblant sérieusement vouloir lui toucher un mot, ce que Bob appréhendait autant qu’une diarrhée. Barbu, portant une espèce de toge – ou du moins un grand sac à blé transformé en toge – il avait l’air d’un vieux sage éclairé ou d’un vieux pervers, au choix.

- Etranger, c’est une joie que de te recevoir ici. Je suis Igor. Considère-moi comme le chef ici.

A voir toutes ces femmes, quelques bébés et ce seul homme, Bob en déduit rapidement qu’il s’agissait là de son harem. Ce qui ne fut pas pour le rassurer.

- Viens avec moi dans mon palais, nous allons discuter.

Bob admira la mégalomanie qui touchait le dernier vieil homme du monde. Son « Palais » était simplement un pavillon encore debout et relativement intact, alors que les femmes vivaient dans leur propre crasse, dans des masures indignes. Mais après tout ce n’était pas comme s’il existait une notion de dignité en ces temps.

Surtout, le vieux s’y croyait. Il se voyait vraiment comme l’homme du palace, le shah de ce pays, le seigneur et ses paysannes, le riche propriétaire au milieu des pauvresses en détresse.

- Quel est votre nom ?
- Bob.
- Bob. Bien. Bob, vous êtes jeune et bien fait de votre personne.

Et allons-y. Bob ferma lourdement les yeux. Il lui fallait quitter cet enfer au plus vite.

- Je pense que vous voyagez depuis longtemps. Votre teint buriné par le soleil me laisse penser que vous n’avez pas d’endroit où aller.

Bob avait la nervosité typique des gens qui avaient envie de partir mais qui n’osaient pas le demander. Il trépignait même.

- Je vous propose donc un marché : Vous restez ici à vivre chez moi et en échange vous m’aidez à satisfaire ces femmes.

N’importe quel homme aurait exulté en disant « Trop top, je commence quand ! »

Pas Bob.

- Je dois refuser.
- Ah mais c’est une offre qui ne se discute pas. Il faut repeupler la terre. Je suis vieux, je ne peux pas toutes les engrosser…

Bob ferma les yeux, dégoûté.

- … sans compter que ces demoiselles n’ont pas beaucoup de… comment dire, de plaisir à être besognées par mes soins.
- Igor, je vous… remercie…

Oui c’était probablement la réponse la plus polie sur le moment.

- … je vous remercie de votre proposition, mais je suis obligé de refuser, je dois repartir.
- Pour quel endroit ? Il n’y a plus rien ! Restez ici et aidez-moi à donner naissance à de nombreux enfants !

Bob soupira et sortit du « palais ». Le vieil Igor sortit à sa suite. Il vit une femme blonde passer et lui donna un ordre comme si elle était son animal de compagnie.

- Aurore ! Sois gentille avec le monsieur !

La blonde, mue par l’autorité du vieux, se jeta littéralement sur Bob. Elle l’enlaça et ronronna doucement. Bob ne bougea pas, debout et figé. Il regarda Igor.

- Où est mon vélo ?
- Mais enfin, vous ne voyez pas que nous sommes les derniers survivants ? Que c’est à nous de repeupler cette planète ? De recommencer la vie ?

Bob éloigna doucement la jeune femme de lui. Igor, décontenancé, sortit de son palais et poursuivit Bob qui ne le fuit pas.

- Qu’est-ce qui ne va pas bien chez vous ?
- Premièrement, je suis gay.

Igor écarquilla les yeux.

- Vous QUOI ??? Vous croyez que c’est le moment ??
- Y’a pas de moment, je suis comme ça depuis que je suis tout petit.
- Mais enfin c’est… Mais… Mais vous vous rendez compte que depuis que toute cette merde nous est tombée dessus, vous êtes seulement le troisième homme à passer ici ! Le premier est mort de faim et de soif en arrivant, et malgré tous nos efforts nous n’avons pas pu le sauver ! L’autre était un vieillard qui n’a pas tenu deux mois !! Vous êtes le premier à être aussi jeune et en bonne santé ! Et en plus depuis que j’ai engrossé ces dames, il n’est né que des filles !!

Bob s’arrêta et soupira, laissant le vieux déblatérer.

- Vous savez ce qui s’est passé il y a un an ! Cette guerre, cette inimaginable bombe surpuissante et toxique ! Ce nuage, cet effluve nucléaire qui a rendu la plupart des hommes stériles et malades ! Nous sommes une poignée à avoir survécu par miracle, et vous… vous êtes homosexuel, mais comment… Vous ne pouvez pas vous forcer ?!
- Quand bien même je me forcerai, deuxièmement, je ne veux pas que l’humanité renaisse.

Igor tombait des nues.

- Comment ? Mais…
- Sérieusement, vieux débris, regarde ce qu’on en a fait, de ce monde ! Le sommet de l’humanité, le pinacle de toute cette civilisation, de cette histoire de merde, de ces guerres, de ces massacres, c’est la destruction totale de l’humanité ! La terre est infertile, les animaux sont rares, morts et leur chair, j’en suis certain, a dû me donner une foule de cancers qui peuvent me faire mourir n’importe quand, vous aussi peut-être, et que dire de ces femmes ! On va tous mourir, laisser ce vieux caillou pourri dériver jusqu’à ce qu’une vie nouvelle ne reprenne le flambeau et essaie de faire mieux.

Igor balbutia alors que Bob reprenait son vélo.

- On a perdu, Igor. On a raté notre chance, on a tout foiré. Abandonnez, vous aussi. Ça ne vaut pas la peine. Nous sommes indécrottables. Oh certes, une grande majorité d’entre nous est paisible et n’aspire qu’à la paix, mais forcément, les puissants, les plus autoritaires, les chefs, les meneurs, eux, seront comme TOUS CEUX que nous avons eu avant : Stupides, violents, bêtes à manger du foin, ils recréeront des systèmes insensés qui nous feront tous courir à notre perte, qui nous obligeront encore à nous détruire petit à petit pour survivre et faire perdurer nos horreurs pour que survivent leurs honneurs. N’importe quoi. Vouloir recommencer toute cette merde à zéro en pensant que les erreurs ne se reproduiront pas, c’est être d’une naïveté et d’une connerie à tomber par terre. Sur ce, je vous dis adieu et bon courage pour « repeupler », je sens que ça va encore être génial.

Bob enfourcha son vélo avec la classe d’un jockey.

- Celui qui fait courir l’humanité à sa perte, c’est vous. En voulant lui redonner vie.

Bob s’éloigna. Igor regarda, sidéré, l’homme qui reprenait la route. Aurore, juste derrière, prit une inspiration.

- Il a raison…

Igor se retourna vers la blonde.

- Je te défends de dire ça !
- Non, il a raison. Vouloir tout refaire… alors que tout vient de se défaire…
- Mais nous ferons MIEUX !

Aurore acquiesça.

- C’est probablement ce qu’ils se disaient aussi. Les premiers hommes. « Nous ferons mieux que les animaux ». « Nous ferons mieux que la nature, nous la surpasserons ». On voit ce que ça a donné, de toute façon.

La jeune femme prit le même chemin que Bob. Igor s’arracha les cheveux.

- Enfer et damnation ! Soit ! Courrez à votre perte tandis que je refonderai la société à moi tout seul !

Igor retourna faire des bébés. Bob continuait à vélo sur cette longue route. Il n’avait pas remarqué la femme qui le suivait.

Après un court chemin, l’homme s’arrêta au bord d’un océan noir sous un ciel rouge. La route venait de s’achever. Bob souffla et s’assit là.

Aurore arriva peu après. Il la regarda. Elle était belle. Elle le regarda. Il était beau.

Ils regardèrent l’océan.

Il était moche. Le ciel ? Horrible. La terre sèche et stérile sur laquelle ils étaient assis ? Immonde et poussiéreuse, rêche. Impropre à tout.

- Je n’ai pas dit tout ça parce que je n’ai plus d’espoir.

Aurore regarda Bob, surprise qu’il veuille parler.

- J’ai dit ça parce que je suis réaliste. Parce que je pense que si l’humanité a décidé d’en finir, il faut respecter ce souhait. Plus de soins palliatifs, plus d’acharnement. On laisse l’humanité mourir. Quelque chose reprendra le flambeau. Quelque chose de mieux, peut-être. Quelque chose qui essaiera de faire mieux. Mais là, refonder l’humanité, ce serait donner de la confiture aux cochons.

Bob regarda l’océan et sourit.

- Je sais même plus c’est quoi le goût de la confiture. Ni même à quoi ça ressemble un cochon.

Aurore sembla fatiguer.

- Si même ma mémoire ne veut plus se donner la peine de se souvenir, à quoi bon continuer à en créer, des souvenirs ?

Elle s’allongea, voulant simplement se reposer au départ.

- Je ne vois juste plus l’intérêt. Je me suis fait une raison, je crois. Je sais que je n’ai pas de pouvoir de décision autre que ma propre volonté, mais ma volonté ne va pas dans le sens d’une humanité qui doive survivre.

Bob la regarda, nue, étendue, à sa merci. Morte. Il poussa un soupir résigné.

- Qu’est-ce que je disais.

Bob se leva. Il se déshabilla. Il regarda l’océan noir et agité face à lui. Il s’avança dans la mer. Il ne s’arrêta pas.

Il ne chercha pas à nager.

Il laissa simplement les flots l’absorber, le dévorer, détruire toute cette complexité humaine qu’il était. Un corps, une âme, une foule de systèmes organiques se tuant à la tâche pour le faire vivre.

Tout cela, toute cette mécanique.

Il la stoppa tout de go dans l’enchevêtrement maudit des vagues immortelles.
Article ajouté le Mardi 02 Juillet 2013 à 22h38 | |

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