Aube du temps....
de Plumi

Chapitre 1
La Bulle
Jin écoute patiemment que le Professeur qui gesticule devant elle, s’arrête pour la laisser sortir. L’homme, âgé d’une cinquantaine d’années, suant, postillonnant et chauve, s’efforce de raconter que les îles flottantes sur lesquelles nous vivons aujourd’hui, ont sauvé l’humanité, et que si en ce moment même nous n’étions pas en train de nager dans du magma bouillonnant, qui constitue aujourd’hui la planète Terre, tout cela était grâce à la Bulle.
La Bulle est le nom de l’îlot flottant où la jeune fille vit actuellement depuis sa naissance. Sur le morceau de terre flottant dans une bulle d’oxygène, renouvelé chaque jour à cause du champ d’attraction qui permet de remplir la bulle d’air extérieur et de rejeter le gaz carbonique, le reste des Européens, environ soixante-mille personnes, peut survivre en se chauffant avec les ébullitions explosives du magma de notre planète Terre, transformée en étoile de feu depuis l’année 2659. Sur l’île flottante, les humains cultivent, élèvent, échangent, apprennent depuis la disparition de la monnaie, de l’or, l’argent et du bronze. Au contraire d’eux, le fer et une nouvelle matière pouvant être recyclé sans aucun souci, se nommant le mollex ; servent à construire des maisons et des objets pouvant servir dans la vie de tous les jours.
Jin peut être heureuse avec cette vie pleine de santé, d’apprentissage, de fierté à la recherche de la perfection, mais elle s’ennuie ; elle s’ennuie de cette vie réglée à la minute près, avec des lois et des règles inutiles ou empêchant de faire des choses qu’elle considère comme utiles.
Comme le fait de ne pas écrire de livres ou de journaux. Elle avait entendu dire qu’au vingt-et-unième siècle, les écrivains et les journalistes pullulaient dans le monde ainsi que les forêts vertes qui fleurissaient, changeaient de couleur et dont les feuilles finissaient par tomber. Les saisons. Une chose qui n’existait pas dans la Bulle. Ainsi que les fruits des arbres comme les cerises, poires, pêches et autres qui avaient besoin des abeilles pour exister. Mais les abeilles et bien d’autres pollinisateurs ont disparus, laissant place aux feuilles vertes et au goût perpétuel des légumes.
Une sonnerie stridente la fait sortir de sa rêverie et elle se lève enfin, après une heure à écouter le cours sur ce qui a sauvé l’humanité qu’elle connait par cœur depuis dix ans.
Une jeune fille aux cheveux gris coupés courts à part une mèche colorée en bleu la rejoint à la sortie et déclare :
- C’était bien ton anniv’ hier. Tes parents ne savent rien ?
-Non. Sauf s’ils regardent les casettes vidéos des caméras. Et encore, ils le font tout les deux mois. Normalement je devrais être tranquille pour environ huit semaines !
-C’est ce qui s’appelle de l’idiotie. Tu as vraiment de la chance Jin, mes parents vérifient tous les jours, et une fois je me suis fait prendre en train de décoder la bibliothèque électronique. Je me suis fait passer un savon comme pas possible ! Soupira l’autre, tandis que les deux jeunes filles sortaient du préau couvert pour débouler sur la cour où une centaine de lycéens, garçons comme filles, discutaient.
Jin lui lança un sourire sarcastique :
- Je ne te le fais pas dire Nora ! Mais tu aurais du voir la tête de mes parents quand ils ont vu l’énorme tache de soda qu’a fait Kooro en renversant son verre sur le tapis ! J’ai du inventer un gros bobard pour m’en tirer. Mais quand ils vont voir les vidéos, je vais me faire incendier !
-C’est sûr. En parlant de Kooro, il est là avec Luke. Tu viens ? J’aimerais voir sa tête quand tu vas lui annoncer tu-sais-quoi ! Dit Nora en lui faisant un clin d’œil.
-Avec plaisir !
Nora était la meilleure amie de Jin et les deux jeunes filles avaient décidé de faire une plaisanterie à Kooro.
Elles rejoignirent Kooro, un jeune homme aux cheveux noir cobalt, aux yeux gris sombre chaleureux et Luke, un rouquin avec une mèche noire, aux yeux bleus hypnotisants et au visage rond constellé de taches de rousseurs sur sa peau claire et fragile aux rayonnements du soleil.
Jin embrassa Luke sur la joue et se tourna vers le jeune homme aux cheveux noirs :
- Kooro, je suis enceinte de toi.
Il la regarda avec un air effaré :
- Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?
Les deux jeunes filles éclatèrent de rire en voyant le jeune homme froncer les sourcils. Elles finirent par se calmer et la jeune fille expliqua :
-La vengeance du tapis.
-C’est pas une raison pour me raconter des idioties pareilles ! Luke, arrête de rigoler, y’a rien de drôle !
-Oh, arrête, t’aurais du voir ta tête ! A mourir de rire ! Répliqua le rouquin avec un sourire amusé.
Les lycéens attendirent que la surveillante ouvre la grille de la cour et sortirent.
- Jin, tu fais quoi cet après-midi ? Demanda Nora en sortant de la poche de son sac un badge magnétique pour le faire glisser ensuite dans une machine de distribution de soda.
-Je vais à la bibliothèque. J’ai repéré un bouquin la semaine dernière mais je n’avais pas de sac. En plus de cela, les Autorités avaient décidé que ce serait jour de pluie. Du coup je n’ai pas pu l’emprunter et j’espère qu’il sera toujours libre. Répondit-elle en remettant une mèche de cheveux bruns qui sortait de sa queue de cheval.
-Franchement, qui voudrait aller dans un endroit pareil ? Surtout avec des bouquins de Polluants ! Grogna Kooro.
- Moi j’y vais ! Et les livres des écrivains Polluants sont très intéressants. Pas comme ceux d’aujourd’hui ! Répliqua-t-elle indignée par la raillerie baveuse de son ami.
Le jeune homme sourit, gêné :
-J’avais oublié que tu te passionnais par ces vieilleries sans intérêt particulier pour les Autorités. Mais, disons que dès que je pense que nos ancêtres ont détruit la Terre où nous aurions du vivre et qu’on garde des traces d’eux, ça me met en rogne.
Jin soupira. Son ami aux cheveux noir ne changerait jamais. Il rêvait de parcourir des champs de fleurs sur une planète bien ronde et pas seulement des champs de blés ou de patates qui se trouvaient sur la Cité de la Bulle. Mais ce rêve ne se réaliserait peut-être jamais.
Luke changea de sujet de discussion en voyant ses deux amis détourner le regard :
- Au fait Jin, tu as fêté tes seize ans avec tes parents ?
La jeune fille sourit :
-Oui. Pour une fois, ils m’ont passé un peu d’argent et m’ont offert des cartes magnétiques : une pour des sodas, une autre pour les transports. Et la meilleure c’est quand j’ai louché sur la dernière ; celle pour l’animalerie !
-Tu as une carte magnétique pour l’animalerie ? Quelle chance tu as ! Moi je l’aurais sûrement dans quelques années, à ma mort tout au plus ! S’exclama Nora d’un ton amer.
- Tu vas pouvoir te procurer une bestiole ! Pour de la chance, c’est une veine de tous les diables ! Dit Luke, une lueur d’envie dans les yeux.
-Je n’y suis pas encore allée. Peut-être demain ou après-demain.
-Tu devrais prendre des poissons. C’est bien les poissons, t’as juste à les nourrir ! Conseilla Nora avec un hochement de tête sarcastique tout en buvant son verre rempli de soda orange et plein de bulles.
Les quatre adolescents arrivèrent devant un bâtiment gris avec une inscription en rouge. Jin embrassa ses trois amis qui continuèrent leur chemin. Elle rentra dans la bibliothèque et grommela en voyant qu’elle avait marché dans une flaque d’eau et que sa tenue de lycéenne, une blouse grise était tachée.
L’intérieur du bâtiment était gris comme l’extérieur. Des rangées de rayons avec des livres s’étalaient sur quelques mètres. A l’entrée une dame avec un châle en laine, avec des cheveux gris rassemblés en un chignon. Elle pianotait sur l’ordinateur gris métal qui était le seul qui se trouvait sur le site. Jin s’avança et dès que la femme la vit, le visage fatigué et chaleureux s’anima d’un sourire :
- Je peux t’aider ?
-Oui. La semaine dernière j’avais vu un livre mais je n’ai pas pu l’emprunter. Je voulais savoir s’il était encore en rayon.
-Aucun livre n’a été emprunté cette semaine. Normalement il devrait y être. Quel est le titre ? Demanda la bibliothécaire.
-Journal de bord sur le monde d’Askia de William Sheller. Répondit la jeune fille en sortant sa carte d’emprunt de sa sacoche de cours.
La vieille femme cliqua plusieurs fois et fini par dire :
-Rayon J, n° 32
-Merci Maria. Répondit Jin en se dirigeant vers une rangée.
Elle trouva directement la rangée J mais le n° 32 fut plus difficile et elle mit dix minutes à trouver l’étagère. Elle sortit un livre relié en cuir bleu, aux feuilles jaunies mais à l’écriture lisible malgré quelques bavures rattrapées par de l’encre effaceuse. La jeune fille s’assit sur un vieux canapé au tissu brun et aux ressorts grinçants pour commencer sa lecture :
« Journal de bord de William Sheller, 10 avril 2050 :
Après des semaines de recherches j’ai fini par trouver la carte d’Askia le monde perdu et le moyen d’aller dans ce monde inconnu. J’écris ce journal en espérant que d’autres personnes le trouveront si durant cette expédition je venais à mourir. Le moyen de parvenir à ce monde excitant et sûrement riche en connaissances est de prononcer une formule et de brûler certains objets assez rares à trouver en fin de printemps. J’ai réussi à parvenir à ses informations grâce à un vieux marin qui serait soi-disant allé à Askia. Le jour même je rassemble une douzaine d’hommes valeureux et vigoureux, prêts à aller découvrir le monde pour les Autorités et trois médecins emmenant médicaments et tranquillisants pour éviter tout risque d’épidémie. J’en reviens à la formule.
Pour commencer il faut rassembler certains objets : Une feuille verte de n’importe quel arbre pour le corps, des poils ou une plume pour l’animosité, une perle pour l’âme, du bois pour le solide et enfin une mèche de cheveux de la personne souhaitant se rendre à Askia. Il faut ensuite brûler le tout dans un récipient et dire une fois chacun son tour, après que le feu se soit éteint :’’ Emmène-moi à Askia, téléporte-moi’’
Ce sont les paroles du vieil homme telles qu’il me les annoncées. Ce soir, nous avons fait le rituel et attendons que l’on nous emmène dans cette contrée légendaire.
William Sheller, explorateur et aventurier au service du Gouvernement Européen »
Jin releva la tête et soupira. Un journal de bord avec les fantasmes d’un fou. Une lecture qui l’amènerait à de biens étranges conclusions. Elle se leva pour aller emprunter le livre sur sa carte, lorsqu’elle entendit la porte de la bibliothèque s’ouvrir puis se fermer et elle fronça les sourcils :
Peu de gens allaient à la bibliothèque avec des vrais livres qui ont de vrais pages en feuilles et qui sentent l’odeur de renfermé. Jin devait être la rare visiteuse du bâtiment.
Elle resta stupéfaite en reconnaissant la personne qui était rentrée et qui s’adressait maintenant à Maria :
-Luke ?
Le rouquin sursauta et pâlit en faisant un sourire gêné en voyant la jeune fille :
-Jin ? Je croyais que tu étais partie ! Mince, alors ! Ne racontes rien à Nora ni à Kooro, je t’en prie ! Je suis ici pour une recherche… Un journal de bord plus précisément.
La jeune fille resta quelques secondes, étonnée, puis reprit ses esprits et annonça :
-Ne t’inquiète pas, je serai muette comme une carpe. Et quel est ce livre que tu cherches ? Tu en connais le titre ?
-Heu… Oui, c’est…. Attends, une seconde j’ai une carte électronique avec le titre et le nom de l’auteur…
Le jeune homme posa son sac, ouvrit une pochette et sortit une carte mémo. Jin blêmit en voyant le titre, puis le nom de l’auteur.
-Non… C’est impossible, impossible ! Où as-tu appris l’existence de ce livre ?
-Dans ma classe, il y a un gars qui n’arrêtait pas de parler de quelque chose d’étrange ayant un rapport avec ce livre. Et il y a trois jours, ce mec a disparu avec sa copine sans laisser de traces. Je peux savoir pourquoi tu es aussi troublée à ce point par le titre du livre et le nom de l’auteur ? Demanda Luke, inquiet par la réaction de la jeune fille.
-Parce que je suis justement en train de lire CE livre. Ecoute, mes parents ne vont pas rentrer ce soir, donc je vais emprunter ce bouquin, on rentre chez moi et on s’explique tout les deux à l’abri des oreilles indiscrètes. D’accord ?
Il acquiesça tandis que la jeune fille demandait à Maria de mettre le journal sur sa carte d’emprunt.
Elle entraîna Luke dehors et ils prirent un autocar électrique pour rentrer. Lorsqu’ils arrivèrent chez Jin, la pluie commença à tomber, programmée par les désirs des Autorités. Elle posa précipitamment sa sacoche en sortant le journal de bord de William Sheller. Luke la suivit et ils entrèrent dans le salon, une pièce orangée, chauffée et luxueuse. La jeune fille s’assit sur un fauteuil blanc et son ami fit de même.
-D’abord, pourquoi ce livre t’intéresse-t-il ?
Le jeune homme fit la moue :
-J’ai entendu dire qu’il existait vraiment. Le monde perdu d’Askia. Et que les peuples vivant là-bas étaient eux-aussi réels. A une information près, ce monde est tout ce qui est de plus réel. A part qu’il se trouve dans une brèche parallèle de l’espace.
Jin désigna la page où elle s’était arrêtée :
-C’est quoi l’information qui te manque ? Le moyen de se rendre là-bas ?
-Exact. Et apparemment, il faudrait être au moins deux pour y aller.
La jeune fille le regarda, soupçonneuse :
-Si tu veux que je fasse ce rituel avec toi, je te préviens que c’est un non direct et retentissant que je répondrais !
-Jin ! Il faut seulement deux personnes ! Deux. Et tu es la seule avec moi à connaître l’existence de ce qui est écrit dans ce bouquin !
Le jeune homme paraissait énervé et désespéré. Jin le fixa de ses yeux verts et demanda :
-Pourquoi veux-tu te rendre à Askia ? Quel est la véritable raison ?
Il resta muet quelques instants et finit par répondre ceci à Jin:
-Je… Je m’ennuie ici… On a déjà tout découvert, on sait déjà tout sur tout alors qu’à Askia… C’est une contrée inexplorée, un nouvel environnement pour l’homme.
La jeune fille ne répondit rien. Les paroles de Luke la faisaient réfléchir. Il n’avait pas tort sur un point ; Askia était un monde inconnu, mais qui savait ce qui les attendait là-bas ? Elle soupira en secouant la tête. La décision qu’elle allait prendre serait peut-être regrettable mais mieux valait essayer que rester là sans rien savoir.
-C’est d’accord. Je t’accompagne. Mais si ça chauffe pour notre peau on ne va pas plus loin et on essaie de rentrer, O.K. ?
Luke hocha la tête. Elle ressortit le livre et lui montra les lignes sur le rituel et les deux amis lirent les lignes suivantes :
« 18 avril 2050
Voilà trois jours que nous sommes à Askia et je n’ai pu trouver le temps d’écrire. Cette forêt est tout simplement magnifique et les ruines de civilisations inconnues sont tout bonnement intéressantes. Mais lors du voyage, deux des douze hommes que j’avais engagés ont disparus. Ce qui s’est passé est incroyable et toujours inexpliqué. Ce sont les deux premiers à avoir prononcé cette formule et lorsque tout fut terminé, une lumière éblouissante engloutit la pièce où nous nous trouvions et, quelques secondes plus tard, nous nous retrouvions dans cette forêt, avec l’absence des ces deux hommes qui pèse lourd dans la balance.
W.S Explorateur et aventurier au service du Gouvernement Européen »
Jin et Luke se regardèrent. Cette phrase ne leurs disaient rien de bon. Ils ne purent lire les pages suivantes, tellement l’encre noire avait bavée ou s’était effacée.
Luke se leva :
-Je vais y aller. Jin, tu me dis quand tu veux essayer et quand t’es prête. Je ne veux pas te pousser directement quelque part si tu n’es pas sûre d’être prête et d’y avoir réfléchi.
-J’y ai mûrement réfléchi Luke, et j’ai décidé que je t’accompagnerais à Askia. Dit-elle avec un regard froid et déterminé.

Chapitre 1 après le petit Prologue que j'ai mis juste avant.Commentez !