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Domino, Lovely Bitch Writer
de Domino

                   



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Dominoroman 4
Encore un

"Les histoires communes"

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I

Ce matin là, encore une fois, il état très tôt. Son lever avait été fastidieux. Il marchait difficilement, encore engourdi par les embruns du sommeil. Sa silhouette large, façonnée par un manteau noir large ombrageait la rue pavée. Sortant de chez lui, fermant avec force et préméditation une vieille porte bancale, il s’apprêtait à prendre son train matinal.
Dans cette petite ville où il fait toujours froid le matin, l’homme avait le pas lourd et rapide. Rien ne l’aurait arrêté. Certes il prenait toujours de l’avance. Le train partait à six heures dix mais il partait de chez lui à six heures moins le quart. Il avait donc vingt cinq minutes pour rejoindre son train.
Sa préparation matinale était bien sommaire : Il s’habillait au saut du lit, soupirant et luttant contre une bouche sèche et pâteuse. Puis il descendait de sa chambre avec manteau et mallette pour les poser sur la table de la cuisine. Le silence assourdissant le la grande pièce l’enrobait de toutes parts. Il se dirigeait toujours vers la salle de bains, se débarbouillait, se peignait sommairement, se brossait d’un air anodin les dents, et enfin il sortait en éteignant la lumière de la salle. Ensuite il prenait le récipient en verre dans la machine au fond de l’étroite et commune cuisine, et se servait un café terriblement amer. Enfin il mettait ses chaussures de ville noires et mal cirées
L’homme traversait sa rue en direction de la bibliothèque municipale, faisant dos au quartier commerçant. Il passait devant les voitures alignées sur le parking face à sa porte. Il remonta la rue maculée de crottes de chien, le visage bas et fatigué mais paisible et insouciant.
Car l’homme faisait peu de cas de l’heure et de l’état du sol. Tout ce qui l’intéressait c’était son travail.
Il savait la rue peu sure. Et cela lui faisait peur. L’homme vivait sur la peur. Au fil des années, il s’était constitué en lui un amas de craintes et de terreurs complètement inextricable. Tous les psychiatres du monde auraient pu s’y essayer. Rien n’y aurait fait.
La grande rue qu’il traversait aussi lui faisait peur. Trop grande, trop de portes et de fenêtres, des maisons vétustes ou anciennes, et surtout l’école. Il passait vite devant l’école.
Cernée par de grands murs et des portes de fer, l’école primaire était un grand bâtiment à étages multiples qui donnait dans les ténèbres une sorte de monstruosité déprimante, imposante et donc effrayante. L’homme ne voulait pas trop regarder mais il s’y risquait. La cour, goudronnée et grandiose, sombre, semblait l’appeler de sa voix macabre, l’entraînant vers cet établissement public aux allures de prison.
Il passa vite son chemin sous les réverbères de la ruelle. Il traversa un passage piéton et longea la grand-rue qu’il appelait intimement « La rue aux petites vieilles ». Il salua celle au bout de la rue juste avant le pont menant à la résidence de la dernière ruelle. Toujours levée, une petite dame maigrichonne toujours vêtue d’un chemisier vert de mauvais goût et d’une espèce de jean. Une vieille dame qui ne vivait pas avec son temps. Une réfugiée des années 1940.
La rivière faisait un bruit de cascades rassurant. Il observa le large lit de la rivière polluée de jerricans blanchâtres et de bouteilles de White Spirite usagées, au milieu de la vase brune et des algues molles. Il regarda sans attention l’endroit. Puis il passa devant le vieux magasin de motos qui était un magasin d’électroménager pendant un temps, et il arriva enfin à la gare de la petite ville.
La gare, lieu urbain, lieu symbolique pour l’homme. Il avait compris que c’était là un lien avec le monde extérieur, une sorte de raccourci réduisant le monde à des quais. Il entra dans le train grisonnant, toujours le troisième wagon en partant de l’arrière ne prêtant pas attention aux gens sur les quais de bus ni sur le quai de gare, ni dans le train. La boîte de fer et de bois l’entourait. Il posa sa mallette, nonchalamment, ne salua pas la femme toujours assise au fond et s’assit face à une façade intérieure, dos à tout le monde. Il regarda le paysage et ne cessa plus jusqu'à destination. L’homme avait consacré sa vie à la contemplation silencieuse des choses. Au fil des visions filantes du monde sous ses pieds, l’homme se surprenait à imaginer les vies des fenêtres, les méandres grouillantes des herbes, les détails de l’immensité des champs, les destinations des voitures d’une seconde, les biographies des panneaux d’affichages ou des quais vite dépassés.
L’homme n’aimait pas les autres. Les autres ne l’aimaient pas non plus. Dans le bruit mécanique du train en fureur, il n’essayait pas d’écouter les ennuyeuses conversations des ménagères lasses d’un mari cachottier, des étudiants aux intrigues minables, des messieurs vulgaires et époumonés, cela n’avait d’intérêt pour personne d’ailleurs car personne n’écoutait, pas même la personne destinée à entendre.
L’homme arriva à destination sans avoir eu conscience ou presque de son voyage. Il posa un pied sur le quai et se dirigea vers les métros. Le décor lui plaisait, alors il l’observa, repérant les diverses évolutions et détails changeants du lieu en ébullition.
Bien que piégé dans une routine inextricable relevant du papier à musique, l’homme aimait la vie, parce qu’il savait en apprécier ce qu’il fallait en apprécier, et oublier ce qu’il fallait en oublier.
Le travail de l’homme consistait à classer des papiers, à les mettre avec d’autres papiers et à en informer un supérieur lorsque cela serait fait. Toute la complexité de ce travail résidait dans les techniques de classement. Certes le papier bleu va avec l’autre papier bleu mais si ce dernier porte l’inscription en forme d’œuf sur l’entête, il doit être classé ailleurs. Outre la couleur et les signes, des perforations indiquaient un autre classement plus subtil. L’homme aimait son travail. Il ignorait pourquoi mais il l’aimait.
Lors d’une pause café qu’il s’accordait régulièrement, il voyait passer les collègues. Les ennuyeux collègues avec leurs ennuyeux problèmes, comme ceux du train. L’homme buvait son café si amer qui l’aidait à tenir cette journée confondante de fatigue. Il retourna bien vite à son bureau.
La personne qui donnait du travail était aussi l’une des rares personnes que l’homme connaissait de nom, ce qui en soi n’était pas grand-chose. Elle posait le papier et partait presque aussitôt. L’homme se fichait d’elle mais moins que des autres, probablement parce que sans elle, il n’aurait rien à faire. Sa vie serait vide. Alors chaque jour il la remerciait d’une sorte de mouvement passif de la main, il la dirigeait vers elle avec maladresse et croyait la remercier. Dans la tête de la femme, ce geste pouvait être un « Va te faire foutre » méprisant.
L’homme ne s’adresse jamais à personne et personne ne s’adresse jamais à lui. Tel un arbre, il se contente de ce qu’extraient ses pauvres racines invisibles du sol pour trouver un sens à sa vie. Il n’ignorait pas les dangers de cette façon de se nourrir, disons qu’il les avait éprouvés.
L’homme déjeunait au café d’en face, un établissement vermoulu et vieillot. Tout le plaisir de la chose était que l’homme mangeait toujours un maigre steak frite de qualité moyenne, engoncé dans le fond du troquet, la mine vague. Il semblait vouloir dormir. Manger seul est une chose terrible car elle n’émane pas d’un besoin. La nature même de l’homme fait qu’on doit se réunir pour manger. Mais l’homme, dans sa logique contre-nature, s’échinait à rester seul pour manger. Il avait peur des autres.
Et de tant d’autres choses encore.
Toujours est-il que l’homme retourna à son travail. Il se rassit à son bureau. Après quelques minutes de classement, un homme arriva devant son bureau.
-Monsieur Urbain…
Urbain, voilà, son prénom était lâché. Urbain soupira doucement puis leva les yeux vers son chef qu’il n’avait vu que trois fois en trois ans de carrière. Cette occurrence marquait la quatrième.
-Monsieur Urbain, puis-je vous voir dans mon bureau ?
-Mais certainement.
Le patron repartit comme il était venu. Urbain soupira bruyamment cette fois, puis il se leva de sa confortable chaise. Il marcha ensuite en direction du bureau du patron.
Sa marche était prudente et rythmée par les bruits sourds du chauffage central. Il se demandait ou pouvait bien être le bureau du patron. Quelle sensation étrange que de devoir se déplacer dans un lieu méconnu ou l’on vient tous les jours, de découvrir le lieu, de s’en imprégner. La disposition des pièces était bien faite, intéressante, sujette à rêverie, il ne put que l’admirer.
Une voix l’appela.
-Urbain bon sang ! Dans mon bureau !
Il l’avait dépassé. La quête des bureaux bien disposés à voir était donc remise à plus tard.
Pour l’heure, le patron demandait à voir Urbain, comme si Urbain était une figure d’art contemporain, cette chose immonde et plaisante à regarder, démolie et reconstruite par la critique. On avait conjuré le patron de voir Urbain comme on aurait conjuré quelqu’un d’aller voir du Marcel Duchamp.
-Urbain…
-Oui Monsieur ?
Le patron, un monsieur gras et dégarni, s’assit dans son bureau.
-Urbain, j’ai un problème avec vous.
-Ah oui ?
Ca c’était fort : Urbain avait un litige avec une personne qu’il n’avait presque jamais vue. Il était fort cet Urbain, toujours le chic pour se mettre dans des situations dangereuses sans le vouloir. On a les « Guerres du feu » qu’on peut.
-Urbain, quand nous vous avons engagés, la firme perdait déjà beaucoup d’argent, et….
Ca y est, ça recommençait, la conversation devenait ennuyeuse. Urbain cessa d’écouter sérieusement pour se concentrer sur une règle en fer qui n’avait rien de joli mais qui était fascinante.
-…voilà pourquoi nous devons procéder à une réduction de salaire.
Urbain sembla se réveiller. Pas parce que la nouvelle était mauvaise mais parce que la voix changeait de ton.
-Ah. Bon.
-Sachez que vous pouvez toujours déposer une réclamation mais c’est inutile. Vous êtes l’un des dix que je dois convoquer aujourd’hui. Vous pouvez disposer.
Urbain se leva, sortit. Eut la simplicité de dire au revoir d’une voix neutre. Reprit son travail comme si de rien n’était, avec un nouveau tas de papier probablement apporté par cette collègue décidément trop prolixe.
Un peu plus tard un petit groupe d’employés vint le voir mais il n’entendit pas trop ce qui se disait. En plus ils ne lui parlaient même pas. Ca devait causer de syndicats et de grève.
On pourrait penser que la vie d’Urbain est morne et ennuyeuse, plate et sans intérêt, mais en réalité Urbain était très heureux comme ça, à ne rien entendre et à tout voir. A ne pas parler et à ne rien entendre se dire. Urbain vivait dans sa bulle, un petit monde simple, dictature d’un esprit trop solitaire.
Lorsque la fin de la journée sonna, Urbain sortit de l’immeuble et reprit le chemin de la gare sans aucun détour jamais. La seule distraction qu’il ne s’était jamais permis sur ce chemin longiligne était l’achat d’un quotidien national. Cette obscénité lui était indispensable pour rester au fait de ce qui se passe dans le monde. Les nouvelles du jour : Le président qui répond aux journalistes sur le scandale des fonds secrets, une star de la pop britannique décédée et un fait divers abominable impliquant un enfant, un couteau et un abandon en pleine forêt. Toutes ces choses ne faisaient qu’accroître le quota de craintes de l’homme. Il se renferma d’autant plus dans sa coquille.
Le retour en train, semblable au précédent se caractérisait par un coucher de soleil rougissant, aussi romantique qu’un épluchage de patates dans une cale de bateau, aussi beau qu’il puisse être, un coucher de soleil sans intérêt, vu à la va-vite. Un sommeil léger ponctuait le trajet. La mécanique du train le transportait sans beauté aucune d’un point à l’autre. Fourbu, il rentra en soupirant, un journal froissé à la main, le pas lourd, comme à chaque fois, la solitude comme seule compagne.
La vie d’Urbain à la maison est rythmée par quelques besoins primordiaux eux même rythmés par ses craintes et sa paranoïa.
La peur d’Urbain est centrée sur son imaginaire excessif. Il imagine toujours que quelqu’un se cache dans son living, à le guetter, à attendre le moment propice.
Il ne laisse jamais rien d’ouvert. Tout est toujours cloîtré chez lui. Un jour, Urbain a même du évacuer un promoteur immobilier qui pensait que son logis était libre.
Les voisins ne connaissent pas ou peu le locataire du 15 rue Edouard Manet. Il y a bien ce couple de voisins qui avait tenté de faire connaissance. Mais Urbain ne voyait pas les choses sous cet angle.
-Je n’achète rien. Désolé.
La maison d’Urbain est un ancien laboratoire d’analyses médicales. Le living est donc très grand. La cuisine longe la façade gauche. La salle de bains est adjacente à la cuisine, dans une pièce fermée. La seule du rez-de-chaussée. Un escalier mène à l’unique chambre, la sienne, aux murs désespérément blancs. Un grand lit trônait au milieu. Le lit était grand par souci de confort, et à cause du sommeil agité d’Urbain. Jamais il n’avait songé à y accueillir qui que ce soit d’autre.
La soirée idéale d’Urbain consistait à regarder un bon programme à la télévision, bien calé dans son lit, à température ambiante, la nuit voilée par les rideaux, entouré d’une cannette de soda et d’un sachet de crackers au fromage dont il raffolait. La chambre, bien haut perchée à l’étage, lui garantissait une grande sérénité, c’était un havre de paix dans lequel il ne pouvait rien lui arriver. Cela avait été son premier critère pour choisir la maison. La paix. Malgré tout dans l’enchevêtrement de pierre et de plâtre ses vieux démons l’avaient poursuivi.
Ce soir là, alors qu’il rentrait de son travail, il vint à Urbain l’idée saugrenue que cela devait changer. Il se frotta les yeux : la fatigue lui donnait le tournis.
Il rouvrit la porte bien fermée du matin, et il redécouvrit comme à l’identique la maison. Pourtant quelle froideur, quel affreux silence.
Il alluma une des deux télévisions du living. Celle proche de la cuisine, la plus petite.
Urbain s’assit à sa table, et il commença à soupirer. Le soupir, chez Urbain c’était le quotidien, et il rêvait parfois de faire autre chose que soupirer, pour une fois. Peut-être commencer à vivre.
Après un repas sommaire et les ablutions qui allaient de soi, il monta se coucher dans un silence de fossoyeur.

II

Ce matin là, elle avait trouvé le temps de se faire belle. Ce matin, elle souriait. Un sourire timide, en rangeant son rouge à lèvres, son passé lui revint en mémoire, et elle ne trouva rien à sourire.
La femme portait toujours les habits de sa simplicité. Tailleur rouge sur habits noirs. Jamais de jupe. Elle n’avait rien à faire valoir de plus qu’une autre. Ses talons résonnaient sur le sol en bruits réguliers et cinglants. Le sol leur donnait un effet sourd d’une beauté profonde et incomprise.
Un dernier coup d’œil à son sac, et elle s’aperçut rapidement qu’elle n’avait pas pris son portefeuille. Elle se maudit d’être aussi bête. Fort heureusement, elle le trouva. Son chat dormait dessus. Après avoir sermonné la bête ronronnante, elle partit prestement.
Le froid la transit un instant. Elle sortit de l’immeuble après avoir traversé le sombre couloir. Elle détestait cet endroit. Cet appartement. Elle ne saurait dire pourquoi maintenant, mais elle rêvait d’habiter ailleurs. Elle salua son vieux voisin de l’étage en dessous qui taillait une haie avant de descendre l’escalier, d’appuyer sur un bouton et d’ouvrir la sécurisante porte de la résidence. Elle soupira en voyant le grand portail noir menant au parking.
Ses pas crissaient sur le gravier. Son nez réagit difficilement au local à poubelles. Puis elle salua le voisin typé arabe qui lui se dirigeait vers son travail, en voiture. Enfin elle put emprunter la ruelle menant à la gare.
On ne pouvait pas dire qu’elle aimait sa situation, mais elle s’y était résignée. Elle regardait sans saveur ce qui se déroulait silencieusement autour d’elle. La noirceur du ciel la priait d’accélérer. Elle s’exécuta. Sur la poussière glacée des rues, ses talons laissaient penser à une course, en réalité elle marchait vite.
Elle atteignit vite la route. Son seul danger était représenté par la route la séparant du parking de la gare. Elle avait peut-être de la chance cette fois car elle traversa sans problème la grande route. Elle franchit le parking clairsemé, à cette heure, et elle vit le train illuminé. Pas vraiment beau mais cette lumière était fascinante. Elle était en avance. Pour autant elle ne voulait pas traîner. Comme à son habitude elle se mettait dans le premier wagon, histoire d’arriver en avance dans sa tête seulement.
Ses voyages en train étaient pour elle des escapades littéraires. Elle avait toujours un bouquin dans son sac qu’elle voulait à tout prix finir. Elle lisait de tout, des grands auteurs, des auteurs inconnus ou méconnus. Des livres qu’elle prenait comme ça, au nom le plus souvent. Elle avait lu Cujo, Des souris et des hommes, Hernani, Da Vinci Code, Zadig, des œuvres aussi diverses de style que d’époque. Elle n’avait pas de goûts classés et définitifs, elle se contentait de lire au gré de ce qu’elle voulait lire, libre et ouverte à tous les styles. Les critiques littéraires qui classaient par genre et par époques, se référant toujours à des bouquins antérieurs sans attacher d’importance au contenu, elle les snobait. Elle les éconduisait lorsque ces dernières lui demandaient de ne pas lire ou d’éviter tel livre. Et surtout ne pas toucher la couverture d’un Goncourt : C’est péché.
Elle avait une grande simplicité d’esprit, ne cherchant jamais à se poser de questions sur ce qui l’entoure. Les choses vont ainsi.
La femme avait pour elle l’amour du soleil et la haine du matérialisme : Elle adore le café et déteste l’argent. Paradoxalement pour se procurer le premier elle a besoin du second et l’absorption du premier est nécessaire au gain du second. Elle aimait le café pour ses propriétés vivifiantes, bien qu’artificielles. Elle détestait l’argent pour ses propriétés artificielles bien qu’obligatoires pour vivre.
Sur elle toujours, un sachet de torréfié. On ne savait jamais.
En tant que femme elle avait évidemment des ambitions. Mais les siennes se résumaient à bien travailler aujourd’hui. Le week-end elle dépoussiérait les meubles.
Le vide de sa vie la dérangeait. Certes elle était encore jeune mais en toute certitude elle croyait que ça allait continuer comme ça, indéfiniment. Alors petit à petit elle se résignait à accepter son sort de personne seule.
Le voyage lui paraissait long lorsqu’elle sortait de sa lecture où qu’elle n’avait plus envie de lire. Les gens autour n’étaient pas plus sociables qu’elle. Ils l’ennuyaient par leur absence de sociabilité. Non pas envers elle mais de manière générale. Les gens sont toujours forcés de se mettre les uns à coté des autres quand ils ne se connaissent pas. Elle se sentait un peu hypocrite de penser cela car elle le faisait elle-même.
Dans la compagnie elle est secrétaire. Elle s’occupe des papiers. Elle les remplit, les tamponne, les valide. Elle ignore à quoi ça sert mais chaque matin elle arrive au travail et elle doit faire ça.
C’est un travail répétitif mais qui paye bien. Enfin qui correspond bien aux besoins de la femme.
Dans la boîte, elle connaissait plusieurs personnes. Mais elle était surtout en contact avec le type bizarre près du distributeur d’eau. Un type qui ne payait pas de mine, qui arrivait chaque matin avant elle ou après selon les jours. Elle lui donnait ses papiers et lui était chargé de les classer. Malgré quelques tentatives pour engager la conversation, elle n’avait jamais échangé plus de trois mots avec lui. Mais bon. Ce matin, elle lui donne la première fournée de paperasse, et lui la rembarre d’un signe de la main. Elle s’en fiche, après tout elle n’est pas là pour discuter.
A la pause café, elle se presse de prendre un café et de retourner à son bureau. Pas question de perdre du temps. Elle savait que ce temps là n’était pas compté en plus mais au moins elle avançait dans ses papiers. Et cela la remplissait d’estime de savoir que son travail serait fini ce soir. Une vieille habitude de sa jeunesse de ne jamais rien laisser vacant.
A la pause déjeuner, elle se contentait de prendre un repas à emporter au fast-food du coin. Puis elle remontait jusqu'à son bureau. Chaque pause était un crève-cœur. Le temps était pour elle une denrée privilégiée. En perdre relèverait du sacrifice personnel. En gagner était un grand plaisir. Compter ses heures, une occupation de plus. Sur les chiffres de son ordinateur elle faisait une fixette. Une seconde de trop à rêvasser la perturbe grandement. Elle avait le chic de se prendre la tête sur des petits riens qui lui paraissaient des montagnes.
En plein travail, elle entendit de son bureau, à l’autre bout du couloir blanchi à la chaux, le patron appeler Urbain, son collègue si peu entreprenant auquel elle délivre le papier.
De retour à la petite pièce de son bureau, elle aperçoit en coup de vent une collègue qu’elle n’aimait pas trop, prompte à la pause café, mal maquillée et l’air hagard, signes de nuits agitées et festives.
La collègue la salua :
-Salut, Lucie.
Lucie haussa une main amicale, relativement timide et prononça un « Salut » concentré ailleurs. Lucie ne se déconcentra pas pour sa collègue car elle attachait plus d’importance à retrouver sa clé USB. Ah la voilà. Cette miniaturisation des objets la tuerait un jour.
Elle se demandait pourquoi le patron avait appelé ce collègue si calme. Elle se rattrapa soudain en se disant que c’était de moindre importance. Un nouveau tas de papiers devait être reclassé. Elle le porta jusqu’au bureau maintenant vide.
Maintenant qu’elle lui faisait face, ce bureau vide la tétanisa. Elle réfléchit à ce qui pouvait arriver à Urbain, à ce type qu’elle voyait tous les jours mais avec qui elle n’entretenait rien de plus sérieux qu’une délivre de papiers qui devaient être terriblement harassants à classer. Elle eut des sentiments contradictoires. Poser le tas de papiers, ou ne pas le poser ? Donner cette charge à un homme qui sera peut-être énervé de la trouver là, peiné, lésé….
Elle coupa court aux substances compromettantes qui bouillonnaient en elle et posa le tas de papiers en se maudissant de se prendre la tête pour un pauvre type.
Le reste de la journée se déroula normalement. On informa juste Lucie qu’une grève allait avoir lieu. Comme c’était une employée sans soucis avec la direction, et comme elle ne jugeait chaque situation qu’avec sa logique cartésienne et froide, Lucie ne ferait pas grève. Elle s’excusa silencieusement pour ses courageux collègues grévistes.
Lorsque le soir même elle rentre chez elle, Lucie se permet parfois d’acheter un gâteau, une pâtisserie ou quelque chose à boire. Ca passe le temps. On ne savait jamais, elle pouvait avoir un train en retard aujourd’hui. Et en rentrant, comme elle était souvent fatiguée par le trajet et parfois elle ne mangeait pas.
Ce soir là, le paysage lui passa inaperçu puisqu’elle piqua du nez à chaque fois dans le train grinçant qui la ramènerait chez elle. Parfois dans son inconfortable sommeil elle se disait qu’elle devait avoir l’air ridicule ainsi. La journée s’achevait dans une froideur plus évidente que le matin ou elle était plus sûre d’elle, plus assurée de rester éveillée. En rentrant chez elle, elle redécouvrit l’appartement qu’elle avait quitté ce matin même, sans illusions et sans espoirs. Elle retrouva le chat qui semblait affamé. Elle prit le temps de la nourrir. La litière attendrait. Trop fatiguée, elle partit se laver et monta directement se coucher. Cette soirée ne resterait pas gravée dans sa mémoire. En plus elle avait décelé dans le fait d’aller dormir une terrible mélancolie, un sentiment de devoir renoncer à soi même le temps d’une nuit. Et tout ça la rendait triste.
Soudain instant de réalisme avant de recommencer le lendemain, la même routine.

III

Ce jour là, quelque chose allait changer.
Le lendemain, Urbain sortit une fois de plus relativement tôt de son domicile. Lucie s’empressa de retraverser sa route dangereuse.
Ils prenaient le même train depuis deux ans mais ne s’y étaient jamais croisés que ce soit à l’aller ou au retour. Grand paradoxe du train. Vous le prenez tous les jours dans des conditions identiques mais c’est très difficile d’y voir précisément quelqu’un. Le train rapproche les villes mais pas les gens. En même temps qu’est-ce qui rapproche les gens dans les sociétés d’aujourd’hui…
Lorsqu’ils arrivèrent à leur travail, et qu’elle vint lui apporter la première liasse de papier, il la remercia.
-Merci bien.
Elle s’arrêta, surprise.
-Quoi ?
Urbain relève la tête et regarde Lucie.
-Je vous ai remerciée… Ca vous dérange ?
-Non non… C’est juste que d’habitude… Vous ne me dites rien.
-Eh bien je ne vous dirais rien la prochaine fois.
-Oh non, non ce n’est pas ce que je voulais dire…
-Eh bien quoi ?
-J’ai été surprise !
-Effrayée ?
-Non simplement surprise. Mais tout de même !
Des collègues s’étonnaient de cette passe d’armes absolument inédite. Un duel jamais vu. Ah ça ils avaient adorés les péplums, et bien non : Urbain et Lucie ça dépassait trop l’entendement pour être vu.
-D’habitude vous m’envoyez balader d’un signe de la main…
-Et alors… ?
-Rien c’est juste… Inhabituel.
Elle repartit aussi sec. Urbain la regarda repartir l’air absolument confus de cet échange. Ca avait été trop long pour lui. C’était insupportable. En plus il avait tout écouté
Il ressentit pour la première fois depuis des années le besoin de se servir au réservoir d’eau alors qu’il s’était juré de ne jamais le faire. Il prit un verre cul sec par médication immédiate à ce contact qu’il avait eu.
Les collègues avaient du mal à se remettre de ce court dialogue entre deux personnes qui ne parlaient pourtant pas beaucoup, surtout lui, une vraie porte de prison, le peu de collègues qui étaient rentrés en contact avec lui en parlaient comme d’une chose sombre et peu avenante, à éviter avec soin et sans ménagement. Et elle, bof, c’était plutôt le genre obsédée du boulot, pas une grosse fêtarde quoi, et puis elle ne faisait jamais grève. Aucune qualité. Pauvre fille se disaient les collègues.

Quant à elle, elle se sentait bizarre. Cette conversation l’avait remuée, elle qui parle peu, qui ne sociabilise pas avec les gens. Pas avec tous les gens du moins, elle avait si peu d’amis ou d’amies, ce genre de contact ça l’effrayait encore un peu.
Aucun papier ne passa la porte du bureau entre 10h15 et 11h12. Lorsque Urbain eut fini ses classements, il s’étonna que rien ne lui soit apporté. Il songea à se lever pour aller réclamer. Mais c’était incohérent. Urbain ne réclamait pas. Alors il attendit, et à 11h13 tapantes, Lucie arriva et déposa une liasse de papier.
-Désolée pour le retard !
Urbain s’étonna. Pourquoi elle lui parlait ! Ca c’était trop fort. Il voulut la réprimander mais elle était partie. Urbain poussa un énorme soupir.
Il n’eut pas fini avant 12h30 ou il se leva pour aller déjeuner. Soudain, il la croisa. Elle lui sourit ce qu’Urbain supporta moyennement.
-Excusez moi Urbain…
Il se retourna, intrigué. Ce harcèlement le tannait. Qu’allait-elle dire ? « Encore désolée pour le retard ? » « Pourquoi vous m’avez remerciée ? » « Vous avez trente centimes pour un café ? »
Il s’emporta :
-Non !
Et il partit d’un pas lourd, manger seul, dans un café.
Elle, un peu embarrassée, décida de prendre seulement des frites et remonta immédiatement à son bureau.
Paris est une ville pluvieuse en saison pré hivernale, le ciel est sombre de nuages blancs, on se sent cloîtré dans cette cloche sous vide ou le froid sec et glaçant vous griffe. Enfoui dans son manteau noir, Urbain longea le trottoir pour retourner au bureau. Il se demandait si ça allait recommencer.
Le caractère d’Urbain lui interdisait toute réaction faciale et mentale. Impossible pour lui de juger cette situation de manière objective. Cette femme, Lucie, lui voulait quelque chose. Mais quoi ? Et comment Urbain devait-il réagir ??
Il retourna à son bureau. Il lança un regard furtif dans celui de Lucie, enfoncée dans son travail. Il y avait six tas de papiers à classer sur le bureau d’Urbain. Ce dernier soupira. Il en avait pour l’après-midi.
Dans son travail il trouva des vertus apaisantes. Ah c’était bon de travailler, de s’oublier un peu. Un instant il était dans une telle furie du classement qu’il ne vit pas l’heure.
-Urbain, excusez-moi….
Il releva la tête. Lucie. Les sourcils d’Urbain eurent l’air désarçonnés.
-Quoi ?
-Il est 18h45. Les bureaux vont fermer.
-Hm…
Il se leva prit son manteau et partit vers la gare, se frottant l’œil d’une main. En marchant vers la sortie, il s'aperçut qu'elle le suivait, Il se dit que de toute manière les ascenseurs étaient en panne et qu'il n'y avait pas cinquante voies pour se rendre à la sortie du bâtiment, Alors soit, il accepta qu'elle le suive. Lucie était excédée par le rejet constant et le braquage permanent d'Urbain. Elle décida de l'ignorer. Lui de même mais juste parce qu'elle le suivait.
Par un hasard incroyable ils prirent le même métro.
Article ajouté le Jeudi 24 Avril 2008 à 17h13 | |

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