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Domino, Lovely Bitch Writer
de Domino

                   



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Dominoroman 2
Un deuxième roman en devenir peut-être proposé aujourd'hui

Celui-ci : Bienvenue dans le monde du silence

Enjoy !

--------------------------

Septembre sonnant. Les feuilles brunes tapissaient les rues. Dans ce tranquille petit village de campagne ou les nouveaux arrivants se font rares, une voiture était posée devant la boulangerie. Ce n’est pas la boulangerie qui nous intéresse ici mais la maison au dessus.
La porte s’ouvrit. Deux hommes entrent.
-Vous verrez, au début, on croit que c’est petit mais l’endroit est charmant.
Il cligna significativement des yeux.
-Vous parlez de l’appartement ou de la ville ?
Le promoteur soupira.
-L’appartement…
-Oh.
-C’est rare chez nous un homme qui s’installe tout seul, sans personne… J’en ai eu que deux trois comme vous.
-Je sais que ça peut paraître étrange… Mais bon, je devais déménager.
-Ca, quand la situation devient ingérable… Et vous serez donc le nouvel instituteur ?
-Exact. J’ai déjà pris mes dispositions auprès de la directrice.
-Bien.
L’homme posa ses affaires. Le promoteur prit la direction de la porte.
-Vous viendrez me régler à mon bureau…
-Oui, oui, ne vous inquiétez pas.
Le promoteur partit. L’homme soupira.
« Enfin seul, mais quel pot de colle ! »
Voici Leonard Meltz, instituteur célibataire de 33 ans, qui vient de s’installer dans un petit studio dans une ville de campagne. L’air était frais, l’endroit calme, la ville plutôt sympathique. Même si pour l’instant il n’en avait pas vu grand-chose.
Son logement était bien petit, un salon confortable bien que juste pour lui, une cuisine équipée du minimum, une salle de bains qui ne regardait que lui et une chambre. Pas de quoi faire son sport quoi. Mais bon, l’homme savait se contenter du nécessaire. Et de toute façon il n’avait pas trop le choix. C’était juste à ses moyens. Et tout ce qu’il recherchait, au delà d’une vie longue et heureuse, c’était la paix.
L’homme était plutôt bien bâti : Un corps altier, une peau qui commençait à sentir bon son âge, une chevelure brune moyennement fournie, quelques traces d’âge sans gravité là encore, une maigreur de sportif au point que sa chemise passait pour ample. Et une classe de dandy sans paraître féminin. Un homme de bonne facture.
Il regarda par la fenêtre. Instituteur, c’était l’occasion de connaître beaucoup de monde. De s’attirer pas mal de problèmes aussi. Il allait devenir une personnalité locale.
Le ciel était bien gris. La rue y perdait en splendide. Le charme du village c’était pourtant ses rues.
Leonard se prenait à imaginer ce que serait sa classe. Un CE2, il le savait. Une vilaine classe de marmots braillards, probablement certains très éveillés, d’autres très faibles, les parents las mais consciencieux, soucieux de faire le bien pour des enfants largués…
Heureusement qu’il aimait son métier.


-Vous êtes très qualifié, ma foi…
Héloïse Crecker, Institutrice depuis 21 ans et directrice de l’école primaire regardait les qualifications de Leonard Meltz. Pour rien, de toute façon elle le prendra. Elle a trop besoin d’un instituteur et ils sont rares dans le coin. Cette dame avait vu passer des femmes sérieuses mais pas motivées, des hommes compétents mais pas sérieux…
-Vraiment bonnes qualifications… Longues études… Diplôme avancé…
Leonard restait calme. Comme si il s’en moquait. En réalité ce stoïcisme marquait sa détermination. Par l’immobilisme et la fixée d’expression, il témoignait de son engagement en tant que professeur.
Bon d’accord c’était des conneries mais au moins il ne laissait paraître aucun tic à la con. Il détestait qu’on le juge sur ça.
-Vous vivez seul sans femme ni enfant ?
-Exact.
-C’est assez étrange…
-En quoi ?
-Je ne sais pas vous avez 33 ans…
-J’ai toujours privilégié la carrière.
-Mauvaise réponse.
Héloïse rehaussa ses lunettes et regarda fixement sans méchanceté, plutôt avec gravité, l’homme en face d’elle. Celui-ci prit peur, il se mit à trembler, sa colonne vertébrale se réchauffa de vives étincelles puis se refroidit brusquement. La sueur tempera sur son court front. L’électricité se répandit dans ses os comme en mille coups intérieurs. Comme quand on sent que quelqu’un vient de vous mettre à jour sans vergogne
-Un homme qui privilégie sa carrière ne vient pas ici…
Elle pouffa de rire. Tout s’éteignit en Leonard. Rassuré, il était.
-Oui… Mais je trouve qu’être professeur même dans un village ça n’a rien de dégradant ni d’avilissant. Au contraire, souvent ça permet de se refaire une vocation.
-Oui… Mais que pensez-vous de devoir enseigner avec des moyens réduits ? Et puis vous êtes dans un petit village, les gens se connaissent et se parlent, vous serez une cible.
-Bof, les coups vous savez on en prend, on en donne…
-Ah non, il ne s’agit pas de frapper !
-Même pas de temps en temps ?
Ils rient. Leonard s’engueule intérieurement : « Et ton putain de calme olympien ! Et ne ris pas avec elle, elle va te prendre pour son toutou. »
-Pas faux en effet. Bon, écoutez, vous m’êtes sympathique. Je vous prends.
-C’est vrai ?
-Oui. Vous êtes un garçon charmant et vous êtes très ouvert. Les enfants vous apprécieront surement.
-Qu’était-il arrivé à la précédente institutrice ?
Héloïse se mordilla les lèvres.
-C’est gênant ?
-Eh bien…
-Affaire de mœurs ?
-Non, non…
-J’ai vécu trois ans à Paris je peux tout entendre…
Comme si cette ville était un bouge si immonde qu’elle éveillait l’esprit à toutes les saloperies en ce monde. Mais c’est vrai qu’il pouvait tout entendre. Lui plus particulièrement que tout autre.
-Elle… Elle était cocaïnomane.
Leonard écarquilla les yeux.
-C’est pour ça que je vous prends aussi. Votre t-shirt me dit que vous ne vous piquez pas.
-Je comprends.
En effet on voyait bien ses poignets.
-Vous fumez ?
-Ca n’a rien à voir…
-Vous fumez ?
Il la sentait tendue. Il devait trouver une échappatoire.
-Rien qui ne me rende heureux.
Elle pencha la tête. Elle semblait avoir compris quelque chose mais quoi ?
-Rien qui ne fasse rire… Ajouta Leonard.
-Oui… Oui oui c’est ce que j’avais compris.
-Je fume des cigarettes de manière occasionnelle…
-Oui… Ca, ce n’est rien
-Je comprends que vous soyez un peu inquiète, madame… C’est tout à fait compréhensible.
-Pas inquiète… Méfiante.
-Oui… Rassurez vous j’ai passé ma jeunesse dans un petit village semblable à celui-ci. Ca vous forge un caractère des plus calmes.
-Bien. Je pense qu’on peut vous faire confiance.
-Merci.
Lorsque l’entretien fut terminé, elle lui demanda de se présenter lundi pour assurer la rentrée. Leonard reçut également la liste de ses élèves. Elle lui somma de se préparer et d’essayer de faire bonne impression aux parents.
-C’est un village de campagne. Et prenez garde, nous avons de fortes têtes.
Leonard soupira. Les « Petits ennuis » allaient commencer.


-Bonjour. Je suis Monsieur Meltz, votre instituteur… Hmph… Pourquoi pas Maître ? Non peut-être pas… Professeur ?
Il soupira. Devant sa glace il s’entraînait à discourir. Pas simple.
-Euh… On va commencer par des mathématiques… Throo… N’importe quoi… J’ai prévu de faire le français d’abord… Pffff…
Il soupira puis se brossa vigoureusement les dents. Le studio ne l’oppressait pas, au contraire il le rassurait.
Il s’oublia un petit moment et s’aperçut que ses gencives saignaient.
« Merde… Quel con… »
Il se rinça puis il partit se coucher. Le grand jour c’était demain.


Edith Krakovier née Crumet, 43 ans, était la mère de Paulin Krakovier, 8 ans. Le jeune garçon rentrait à l’école aujourd’hui. Et sa mère était bien sur tout à fait sereine face à cette idée.
-Rien que le fait de savoir que ton professeur est un homme… Avec ce qu’on entend dans les médias, brrr !!!
Bruno Krakovier, 40 ans, soupira.
-Tu peux arrêter de raconter des conneries, Edith ? J’ai rencontré Madame Crecker à l’épicerie l’autre jour, elle m’a dit que c’était un très gentil monsieur, tout à fait respectable.
-Et les médias qui racontent toutes ces histoires d’enfants abusés par leurs professeurs !
-Des conneries. Les médias sont prêts à raconter n’importe quoi pour vendre.
Elle, était une femme très distinguée, blonde, travaillant dans une boutique de prêt-à-porter en ville, loin du morne village. Lui était ouvrier dans le bâtiment, les cheveux châtains, la mine patibulaire sans plus.
Paulin est leur fils unique. De tous temps, leur inquiétude a fait de lui l’enfant craintif qu’il est maintenant. Petit, chétif, blond, Paulin n’est pas ce qu’on peut appeler le roi de la recréation.
Cette rentrée scolaire s’annonçait d’autant plus salée pour lui qu’il n’avait jamais eu que des instituteurs femmes et que sa précédente institutrice était partie à la retraite. Bref, cette année s’annonçait vraiment trop nulle. Vraiment vraiment trop nulle.
Sa mère était bien trop occupée à avoir peur pour lui pour le rassurer. Et son père, qu’en dire sinon qu’il travaille tout le temps. A table, ils parlaient politique, ou alors ils recommençaient à s’inquiéter pour rien.
Vraiment trop nul.


-Bonjour à tous. Je suis Mr Meltz votre nouveau professeur. J’espère que cette année sera productive et riche en enseignements.
Il se sentait déjà mal. De l’art d’être prof mais plutôt renfermé sur soi.
Il y avait plusieurs tables. Les élèves se connaissaient déjà, il y avait des groupes.
-Je vais procéder à l’appel. Si j’écorche un nom, n’hésitez pas à me reprendre.
Grand moment de stress.
-Alors… Armand Clémentine !
Une blondinette leva un bras.
-Présente !
-Aubert Laurent
Un garçon brun à l’air taciturne.
-Présent !
-Euh... Ba… Bakalam ?
-Oui…
Un petit garçon d’orgine indienne leva discrètement la main.
-Bakalam Mayad… Bontier Vincent !
Un rouquin dégourdi leva la main
-Présent m’sieur !
Les professeurs aiment les élèves dégourdis parce qu’ils les rassurent. « C’est bon, ils te respectent ! Vas-y ! »
-Chinon Camille !
Une brune à la frimousse souriante leva la main.
-Présente Monsieur !
-Clamart Mathieu…
Un blondinet à lunettes
-Présent !
-Durand Etienne…
Un garçon aux cheveux châtains répondit présent.
Les noms se succédèrent. 13 filles, 12 garçons. Habituel quoi. Pas vraiment de cas particuliers, tous semblaient normaux. Deux attiraient l’attention de Leonard : Le petit garçon indien et Magdalène Serrier, une jeune fille un peu ronde, mais c’était juste parce qu’ils contrastaient avec les autres enfants de par des différenciations d’ordre physique ou de peau. Ah, et aussi la petite fille iranienne, Shirin.
Ils commencèrent par un exercice d’évaluation que Leonard prendrait en compte pour l’année à venir. Les élèves n’avaient de cesse de demander de l’aide pour les consignes, ce à quoi le professeur se prêtait avec joie.
-Non, il s’agit juste d’un simple calcul... Je ne veux voir que le résultat.
-Tu soulignes le sujet. C’est tout.
-Normalement, tu as appris ça en CE1. Réfléchis bien.
Il remarqua que le petit garçon indien n’avait de cesse d’écrire. Une table de filles n’a eu de cesse de bavarder. La petite Clémentine était un modèle de bavardage.
-Clémentine…
-Oui Monsieur…
-Chut…
-Oui Monsieur…
Leonard soupira en souriant. Les élèves avaient plutôt une bonne impression.
Pendant ce temps là, intérieurement, l’enseignant était en plein bazar intérieur. « Que pensent-ils ? Est-ce que j’ai été trop dur en leur proposant ça ? Est-ce que je leur crie trop dessus ?! »


La récréation n’était même pas un moment d’isolement. Depuis l’incident de la prof cocaïnomane, la directrice était ferme : Tous les professeurs dans la cour. En bon seul homme de l’équipe pédagogique, Leonard honorait de sa présence.
La prof de maternelle est une femme presque autiste qui reste assise sur les marches sans rien dire.
La prof des CP est une vieille femme aigrie qui parle de son mari, le « Fauché », le « Tordu », l’ « Impuissant ». Leonard songea que s’il fut écrivain il pourrait écrire la vie de cette femme pour qui le mot « Branleur » est un raccourci polysémique cinglant.
La prof des CE1 est la directrice elle-même.
La prof des CM1 est une dame rousse blasée, sans joie, accro au paracétamol. « Trop de migraines… » Indique t-elle entre deux soupirs.
La prof des CM2 est une femme.
Elle est normale, jolie et intelligente. Blonde avec une queue de cheval, elle est bien maquillée et sa peau sent bon. Son visage est clair et surtout, elle est très jolie et il semble assez facile de l’approcher. Elle s’appelle Penny.
Leonard bavarda un peu avec elle. Elle lui expliqua ce qui s’était passé avec l’ancienne prof de CE1.
-Officiellement, Mme Portavi est partie à la retraite mais quelque chose me dit que c’est cette droguée de Marie-Claudine qui l’a poussée à la porte.
-Marie Claudine, l’ancienne prof des CE2…
-Oui… Vous vous rendez compte que cette femme se droguait ici…
-Ecoutez, personne n’est parfait…
-Pardon ?
-Chacun est libre de…
-Ca alors ! Quelle tolérance… Vous, vous devez cacher des trucs pas catholiques !
-Je ne suis absolument pas religieux et je ne cache rien du tout. Je dis simplement que chacun est libre de…
-Racontez pas de conneries… Cette conne prenait de la coke sous le nez des élèves. Les CM1 s’en souviennent tous. Hein Claire ?
La rousse sous morphine se retourna.
-Mais ouais…
-Voyez !
-J’essaie simplement de vous dire que c’est inutile de vous tracasser pour si peu de choses… Ce n’était qu’une femme un peu perdue, c’est tout.
-Vous êtes bizarre, vous quand même… soupira Penny
-En quoi ?
-Vous accepteriez qu’on se drogue toute ?
-C’est votre droit de le faire et c’est votre droit aussi de ne pas le faire ! Vous fumez mais ça vous tuera forcément, pourtant vous le faites !
-Conneries… La clope ça tue personne ! C’est les gens comme vous avec vos paroles chiantes qui assomment tout le monde.
La prof de CM2 est donc une sale emmerdeuse grinçante à l’esprit étroit, obtus et avec autant de sens de l’écoute que de la mode.


Leonard rentra en cours épuisé par cette récréation. « Heureusement que je retourne chez moi pour manger. La Nature fait bien les choses. » « Nom de Dieu cette conne m’a saoulé ! »
Il devait se ressaisir. Il avait de quoi dans sa veste qu’il portait encore. Vite, distraire les élèves…
-Euh… Les enfants, ouvrez vos livres de lecture à la page 4. Et vous allez lire le texte sous l’image de l’ourson. Je dois aller faire deux trois photocopies !
Mensonge ridicule : Il prit la sortie de derrière et alla se dissimuler derrière les marches de la classe de Cours Moyen. Personne ne pouvait le voir. Parfait.
Il sortit une petite fiole de Vodka et il commença à boire. C’était bon cet alcool chaud et doux qui lui balayait la gorge, ce petit vent d’air frais, ces vapeurs chaudes et gratifiantes, ce liquide tout court qui étanchait…
-Salut…
-Qu… Rheu… Glourg… Touss Touss !!
Manquait plus que ça tiens.
-Excusez-moi, je voulais pas vous faire peur, m’sieur…
Leonard regarda la personne qui l’avait surpris.
C’était un gamin qui devait avoir 16 ou 17 ans, blond, les cheveux courts. Il portait un jean et un débardeur noir plutôt serré. Le tout mettait en avantage ses épaules et son cou. Son visage était calme, ses yeux légèrement bleu-verts et sa peau lisse et blanche formaient un ensemble proprement somptueux. Leonard le fixa un instant.
-Vous faisiez quoi ?
-Moi ? Absolument rien. Et toi tu fais quoi ici ?
-Moi je suis Nathan… Si vous préférez je suis un employé de la mairie. Comme personne ne veut déblayer les feuilles ni nettoyer les terrasses…
Leonard rangea discrètement la fiole.
-Oh laissez, j’ai bien vu que vous vous bituriez, j’suis loin d’être con…
-Merde… Bon écoute…
Nathan leva les mains.
-Eh… Je m’en fiche ! Ca ne m’intéresse pas… Je ne veux pas savoir. Vous tenez à garder votre boulot, moi aussi… Tout va bien.
-C’est juste pour me calmer…
-Elle disait ça aussi… La camée.
-Oui bon ça va hein ! Je ne suis pas alcoolique !
-Juste un petit coup de temps en temps !
-Voilà !
-Très bien.
-Et toi, pourquoi tu as peur pour ton travail ?
-Euh… Disons que j’ai tendance à flâner !
-C’est tout ?
-Et à fumer des pétards !
Leonard se mit à rire. Un de ces rires nerveux qui siffle. Nathan rit avec lui.
-Ca fait bizarre un mec qui fait instit… Z’êtes le premier que je vois.
-Les profs de cet établissement sont complètement barges, si je leur reparle encore, je crois que je vais mourir…
-C’est toutes des salopes… A part la prof de maternelle et la directrice, c’est toutes des grosses frustrées !
-La prof de maternelle ?
-Ouais… Elle a perdu son mari dans un accident de moto sur la nationale qui sort de la ville… C’est une femme sympa, vous devriez lui parler plus à elle qu’aux autres. La prof des CP a tellement de défauts que même la directrice la hait et l’autre grognasse rousse c’est une prétentieuse et une nymphomane.
-Bien reçu. Merci pour l’info.
-De rien… Z’êtes sympa. C’est pas vous qui êtes installé à la boulangerie ?
-Si, si si… Le studio au dessus.
-Je m’en souviendrais.
Leonard eut une espèce de sourire. Un instant de flottement assez embarrassant eut lieu. Puis Leonard se rappela qu’il avait des élèves.
-Je… Je dois y aller…
-Ok. Moi j’ai du boulot…
Leonard repartit. Avant cela il regarda le jeune homme une dernière fois avant de s’engouffrer dans le bâtiment du cours élémentaire.


Le soir, Leonard rentra calmement chez lui, encore secoué par ce premier jour. Malgré l’habitude, malgré le fait que cela ce soit bien passé avec la classe, malgré la bonne prise de contact, malgré Nathan, malgré…
Il soupira. C’était débile de se tracasser pour une journée qui s’était bien passée. Mais il est comme ça. Pas sur de lui, timoré, tout en nuances. Jamais fier de lui ni même content. Toujours dans le doute. Et puis ces chieuses odorantes à la récréation… S’il pouvait les éviter, ça ne serait pas plus mal. Il lui aurait fallu l’avis d’un expert.


Ce soir là, Mayad Bakalam, huit ans, rentrait chez lui avec sa maman. La femme lui avait posé mille questions.
-Comment ça s’est passé avec ton professeur ?
-Ca va. Il est gentil.
-Il ne t’a pas sermonné ?
-Pas du tout…
-Il ne t’a pas posé de questions sur toi ?
-Non. Il a hésité à prononcer mon nom mais…
-Ah j’en étais sure ! Ah la la la la ! Chéri ! Notre fils s’est fait molester à l’école !
Mayad rit. Sa mère maniait bien l’ironie.
-Un jour ce sera vrai et je ne te croirais pas… soupira le mari qui regardait la télévision après une dure journée à gérer l’épicerie familiale.
Mayad monta dans sa chambre. Il posa son cartable sur la chaise, retira ses chaussures et les troqua contre des chaussons. Puis il soupira longuement. Il observa sur son bureau une petite pile de cahiers et de livres.


-Nom d’un chien… Ce gosse a répondu à toutes les questions…
Leonard corrigeait les copies de l’évaluation matinale. Il y avait du boulot.
-Par contre il a complètement foiré l’exercice de maths…
Leonard aperçut une autre copie pleine d’erreurs flagrantes. De contresens malheureux. De mauvaises compréhensions.
L’exercice consistait pourtant à lire un petit texte et à répondre aux questions.
« Le texte est tiré du programme du début du CE1, ça devrait être facile pourtant ! »
Il observa la copie, et il vit alors le nom.


« J’espère qu’il n’y aura pas trop de devoirs… »
Mayad restait à la contemplation de ses cahiers.
« Et pas trop d’exercices… Surtout pas trop d’exercices ! »


-Oh non…
Leonard soupira.
-Je vais avoir des problèmes là…
Il relut le nom et commença presque à paniquer. C’était le début des ennuis.


Second jour en tant que professeur des CE2.
-Ok, aujourd’hui, je vais vous rendre vos évaluations. Ce n’est pas trop mal, vous avez un niveau très élevé, félicitations à tous… Juste une élève que je devrais voir à la récréation… Mademoiselle Shirin…
La jeune fille à la peau légèrement brune leva la main.
-Je te verrais à la récréation.
-D’accord.
Il soupira. « En espérant que les sorcières ne penseront pas que je suis en train de m’injecter des farines animales… »
-Bien. On va corriger tout ça. En attendant que vous ayez votre cahier de corrections, notez ça sur votre brouillon….


-Voilà, Shirin comme tu l’as vu, tu as complètement raté l’exercice de lecture… Tu comprends que je sois un peu inquiet…
La jeune fille hocha la tête en se mordillant un doigt nerveusement. Loin, dans la cour, les autres filles observaient.
-Vous croyez qu’elle a fait quelque chose ?
-Nan, ça doit être pour l’évaluation…
-Ou alors c’est pour son foulard…
-Pourquoi ?
-Papa dit que le foulard c’est interdit…
-Ah bon ?
-Ouais j’ai entendu ça à la télé aussi
-Oui ma maman aussi le disait.
Leonard s’efforçait d’être le plus clair possible avec Shirin.
-J’ai du mal à comprendre certaines tournures de phrases… Les bases de l’écriture sont acquises mais il manque la grammaire, l’orthographe n’est pas terrible non plus… Tu lis quelque fois ?
-On n’a pas beaucoup de livres en français à la maison… marmonna nonchalamment la fillette.
-Si tu veux que je te prête des magasines… Même un programme télé sinon, n’importe quoi peut être prétexte à t’entraîner à lire.
-Oui, j’ai le programme télé…
Il lui sentait une envie de s’échapper. Echec complet.
-En tout cas si tu as un problème n’hésite pas à venir m’en parler. Tu peux y aller.
Elle hocha rapidement la tête puis elle partit. Le professeur soupira. C’était dommage. Il était vraiment nul pour parler aux enfants.
Il décida de refaire une virée vodka derrière l’école. Mais il croisa Nathan qui ratissait.
-Tiens, vous revoilà… Encore pour la gnole ?
-Oh ça va…
-J’vous taquine m’sieur. Comme vous avez l’air moins chiant que les autres…
Leonard regarda Nathan avec une rare intensité. Et surtout avec une sorte de complicité indécise. Le sentiment d’être compris l’un par l’autre.
-C’est Leonard. Pas m’sieur. Et je suis chiant.
-C’est quoi votre problème aujourd’hui, Leonard ?
Leonard pouffa de rire.
-J’espère que ce ne sera pas quotidien… Ca deviendrait bizarre.
Aujourd’hui, Nathan portait un t-shirt kaki.
-Ne vous en faites pas. Quoi qu’il vous arrive ici, dites vous que ça pourrait être pire.
-Je suis un inquiet notoire… Me dire que ça pourrait être pire c’est me dire que je pourrais être meilleur encore…
-Eh… Arrêtez de vous faire du mouron. Vous pouvez pas être pire que les autres garces !
Leonard médita.
-Pis regardez… Moi j’vous trouve sympa. Alors des mômes de huit ans…
La cloche sonna. Leonard hocha nerveusement la tête.
-Bon, j’y retourne.
-Ok. Bon courage. Et stressez pas quoi…
-D’accord…
Leonard retourne dans sa salle. La petite Clémentine s’étonne et lui fait une remarque qui fort heureusement se perdit dans le brouhaha de l’entrée.
-Maître… Vous êtes tout rouge !
Il bredouilla un mensonger : Oh, oui j’ai couru…


La journée se passa bien. Les cours s’enchaînaient. Le professeur constata vite que le cours d’Histoire déchaînait les passions.
Par « Déchaîner », il faut entendre que dans l’enchaînement des cours, cela créait une rupture.
-Euh… Excusez moi mais… C’est la suite du programme… Vous êtes censés savoir ces choses… Je veux dire, Charlemagne, tout ça…
-M’sieur, Madame Portavi elle aimait pas beaucoup l’histoire alors elle nous donnait des photocopies !
Leonard soupira.
-C’est malpoli de parler sur quelqu’un qui n’est pas là, Vincent.
-C’est vrai monsieur, ajouta Clémentine, on n’a même pas fini le programme d’histoire avec madame Portavi.
-Et la géographie ? Vous êtes à l’aise en géographie pourtant. Vous connaissez bien vos fleuves à ce que j’ai vu. Bon, vous inversez le Rhône et la Garonne comme tout le monde quoi…
Rires dans la classe.
-Mais pour l’histoire c’est embêtant…
Shirin leva la main.
-Oui ?
-M’sieur, en quoi c’est important l’histoire ?
Leonard connaissait ce genre de question. Il devait à tout prix opposer un désaccord ferme et sans concession. Ne surtout pas leur intimer que cela ne sert à rien. Sa réponse devait être concise.
-L’histoire c’est très important. C’est en connaissant son passé qu’on est à même de comprendre notre présent et notre futur. Par exemple si vous venez à l’école aujourd’hui de manière libre et gratuite c’est grâce à Jules Ferry qui a donné à tous l’accès à l’éducation. Si vous savez ça, vous êtes à même de comprendre le monde qui vous entoure. L’histoire, c’est vraiment important.
La classe hocha la tête, débattit un instant, puis un garçon, Etienne Durand, leva la main.
-Mais, m’sieur, pourquoi on doit apprendre des trucs sur les rois de France ? Ca sert à rien ça !
Tous furent d’accord : Va pour Jules Ferry mais haro sur la monarchie. Trop de blabla inutile. Leonard se gratta la tête puis il essaya de trouver une réponse ludique :
-Quand j’étais petit…
Tous le regardèrent. Un prof qui raconte sa jeunesse ? Mince alors.
-Quand j’étais petit j’avais un petit jeu personnel très bête et dont vous allez surement rire… Je m’amusais à compter les Louis.
Intrigue de la classe.
-Par exemple en ce moment vous en êtes à François premier, n’est-ce pas ?
Tous acquiescent.
-Eh bien ensuite vous allez voir la dynastie des Bourbons, et vous allez voir que les rois sont numérotés par l’histoire. Louis X, Louis XI etc jusqu'à Louis Dix-huit. Et moi je m’amusais à attendre qu’on passe au prochain Louis, et ça rendait l’histoire de chaque roi intéressante.
-Comme une série télé !
-Oui, comme dans Lost !
Leonard ricana.
-Oui, si vous voulez. Si vous le prenez comme ça, l’histoire deviendra intéressante et même amusante.
Tous s’accordèrent sur ce point. On n’en discuta plus jusqu'à la récré.


La récré de l’après-midi, Leonard ne pouvait pas aller derrière l’école. Et de toute façon, la directrice l’avait appelé.
-Vous vouliez me voir ?
-Vous êtes assez intelligent pour savoir pourquoi je veux vous voir.
-La récré de ce matin ?
-Où étiez vous ?
Leonard répondit du tac au tac avec une dextérité mue par une certitude de bonne droiture.
-J’avais à voir une élève.
-Pas seul à seul. Devant nous.
-Je vous demande pardon ?
-Je n’autorise pas les entretiens seuls à seuls. Vous devez voir vos élèves en présence de tous les professeurs. Cela a duré toute la récréation ?
-Oui.
-Quelle élève ?
-Shirin Abadi.
-Surtout elle. Surtout une jeune fille. Surtout avec sa situation personnelle.
-Vous devenez paranoïaque…
-Simple précaution. Et je suis la directrice, je fais comme bon me semble.
-Pardonnez-moi…
-J’ai tenu à vous dire cela à part pour éviter que les collègues ne vous en tiennent rigueur.
-Merci bien…
-A part cela, tout se passe bien ?
-Oui, ma foi… J’ai une belle brochette de galopins. Ils m’ont demandé à quoi servait l’histoire.
-Ils essaient déjà de vous mener la vie dure !
-Oui, voilà…
-N’ayez crainte. Ce sont de gentils enfants.
-Je n’ai pas dit le contraire.
-Bien. A l’avenir évitez vos petites cachotteries. On n’aime pas trop ça par ici, surtout avec ce que vous savez…
-Je comprends mais n’exagérez pas… J’ai juste pris une élève à part pour lui expliquer quelque chose…
-D’accord. Maintenant vous savez à quoi vous en tenir.
Leonard était tellement énervé par cette conversation qu’il resta mutique lorsqu’il se retrouva entouré des maîtresses d’école.


Ce soir là, Leonard était complètement blasé. Si du coté des élèves ça se passait plutôt bien, les professeurs insupportables et la pression de la directrice…
« Je comprends pourquoi l’autre se piquait… »
Il passa son temps à soupirer sur le chemin. C’est déprimant, un village de campagne, le soir. Vraiment déprimant. Il commença à regretter de s’être installé ici. Tout était finalement trop calme. Pas assez d’action, pas assez de rebondissements, ça devenait lassant.
-Tiens… Revoilà l’ivrogne.
Leonard se retourne. C’était Nathan.
-Tiens…
-Vous prenez le même chemin que moi. J’vous avais vu lundi soir mais j’ai hésité… Ca vous ennuie ?
-Pas du tout.
Au contraire. Un peu de compagnie – Surtout agréable comme la sienne – ne lui ferait pas de mal.
-Z’avez l’air perdu…
-Cette journée a été longue…
-Encore des trucs de clocher… L’est que 16h30, à cette heure-ci dans les grandes villes, les gens commencent à attendre 18 heures.
-C’est vrai que coté horaires je ne suis pas déçu… Mais la directrice me colle la pression…
-Dites lui que vous êtes avec moi à la récré du matin…
Leonard le regarda, surpris.
-Pardon ?
-Elle me connaît, elle sait que je ne suis pas méchant…
-Ca non…
Nathan sourit.
-Dites lui que vous fumez une clope avec moi. Elle n’aura même pas le cran de venir vérifier. Tout ce village me fait confiance.
-Sérieusement ?
-Non, c’est moi qui me fais croire ça…
Leonard ricana. Nathan à sa suite.
-Franchement, je ne peux pas lui dire un truc pareil…
-Mais si.
-T’as quel âge ?
Changement brusque de conversation.
-Dix-sept. Et vous ? J’vous donne 25.
-Trente-trois. Trente-quatre en novembre.
-Quand même. Pourriez être mon père.
Leonard maugréa le compliment – insulte – boutade.
-J’dois le prendre comment ?
-Comme vous voulez !
Nouveau rire.
-T’es le seul gamin de ton âge dans le coin ?
-Ouaip. Les autres sont partis dans la ville voisine. Moi mes parents restent là… Parce que ce serait trop chiant de déménager.
-C’est pas emmerdant d’être le seul de son âge ?
-Oh rassurez vous j’ai des amis… Mais généralement si ils doivent me prendre avec eux ils avent que ça va nécessiter une bagnole, repasser par ici tout ça… Je suis leur tare quoi !
-Une petite amie ?
Nathan sembla légèrement embarrassé.
-Pas trop non… Une fille quand j’étais en sixième mais sans plus quoi…
-Ca te gène de m’en parler ?
-Un peu. Faut pas que j’oublie que vous êtes un instit, j’suis juste un gamin, on n’est pas non plus voisins de porcherie alors…
-Bwoh, tu sais pour certains il en faut pas plus.
-Pas faux, mais moi j’aime pas discuter avec les instits de manière générale. Déjà l’an dernier l’autre toquée…
-Elle a traumatisé tout le monde…
-Vous saviez qu’elle avait forcé Mme Portavi à quitter l’établissement ? Personne sait exactement pourquoi mais…
Leonard sembla étonné.
-On m’en a parlé, du moins on a évoqué l’hypothèse…
-Ouais… Ben, je parlais un peu avec elle, la Marie Claudine. Vu comment elle a fini…
-On ne t’a pas soupçonné ?
-Nan.
-Et t’as peur que ça fasse pareil avec moi, c’est ça ?
-J’ai pas dit ça… Mais bon, j’avoue j’suis un peu plus méfiant depuis ça.
-Un peu comme la directrice quoi.
-Pas aussi fou quand même.
Rires. Leonard arrive devant chez lui.
-Tu… Veux monter prendre un café ?
Nathan observa l’instit qui venait de lui faire cette proposition. Un constat assez lourd se présenta à eux. Le jeune homme, mû par l’envie de monter « Juste comme ça pour voir » mais aussi rappelé à l’ordre par des contraintes d’ordre réaliste.
-Non… Non merci, j’ai un horaire précis, mes parents seraient trop étonnés que je ne rentre pas…
L’adolescent partit, trop vite au goût de Leonard.
« Merde. Ne sois pas si pressé, Leonard, sois patient, ça viendra. »
Il monta dans son appartement qui ne lui avait jamais paru aussi vide. Jamais. Il ne chercha pas à aller plus loin dans la veille. Dormir, vite.


Le lendemain, on est mercredi, et mercredi, c’est bien connu, pas d’école. Ainsi, Leonard en profita pour aller visiter le village.
De la boulangerie, il descendit la côte jusqu'à la rue principale. Une bête rue résidentielle. Un calme pesant.
Peu de gens connaissent la vie des villes de campagne. C’est affreux, sale et pourtant pas mortel. On cite sur les doigts d’une main ceux qui en sont revenus indemnes. D’ailleurs personne n’est revenu vivant pour raconter ce qui s’y passe.
La jeunesse de ces coins là a deux options : Soit elle s’emmure et passe son temps à travailler pour sortir.
Soit elle tourne mal, commet de petites infractions et lorsqu’elle part continuer ses études dans les grandes villes, la horde les happe et on ne les revoit plus jamais.
En somme, les villes dont personne ne parle et qui apparaissent à peine sur une carte sont très aisément comparables aux banlieues.
Sauf que personne n’en parle.
Et que là bas tout est pire qu’ailleurs. Le sexe est une hérésie monstrueuse, béante et ignoble qu’il faut chasser à coups de bâtons. Pourtant, lésée de boniments et de platitude, la jeunesse des villes de campagne est avide de sexe.
Sous toutes ses formes.
On y développe des spécimens qui, s’ils n’ont pas eu de point de comparaison logique dès leur plus jeune âge, deviennent des créatures chétives et malingres, naïves et rendues aux premières boutades.
Des victimes.
Cela peut au contraire créer des spécimens particulièrement forts en gueule et en caractère.
Mais la France à cette spécificité de créer des lieux ou la rumeur et la suspicion deviennent des démons mortels.
A force d’être figure de style, l’Hyperbole est devenue figure d’estime.
Leonard savait cela. Il savait le poids néfaste qui reposait sur les gens des villages.
Il ne s’étonna même pas de ne croiser personne. Jusqu'à ce qu’il en arrive à un lieu des plus incongrus. Et pourtant des plus simples.
Un chemin de sable entre deux maisons menait à un étang de pacotille, enfermé au sein de grilles rouillées dont ils pouvaient s’enfuir, un marais à canards, une espèce d’ancien lavoir reconverti en auge pour les bêtes, canards, oies, quelques cygnes.
Personne ne savait qui s’en occupait exactement. La légende urbaine pas si urbaine qui dit que tout le monde se connaît dans les petites villes est la plus savante connerie qui ne soit jamais sortie d’un livre.
Les gens prétendent se connaître.
Enorme nuance.
Leonard croisa la première paire de gens : Paulin et Edith Krakovier. Le premier son élève. La seconde une potentielle emmerdeuse.
On ne se refait pas.
-Bonjour, m’sieur ! Salua poliment Paulin sans que sa mère n’ait à lui dire.
-Bonjour Paulin…
Le petit garçon jeta un croûton de pain par-dessus la grille rouillée de trois mètres. Edith Krakovier se retourna vers Leonard.
-Oh, vous êtes le professeur de Paulin… Vous habitez en ville, ça paraissait évident.
-Hm.
-On vient souvent par ici… Le gamin, vous savez ce que c’est…
-Pas trop non…
-Ah… Vous n’êtes pas marié…
-Eh non. Je vis seul.
-Dites-moi, vous ne connaissez pas cet endroit, hein ? Dans le village, les enfants appellent ça « Les Canards » parce qu’on y voit des canards en entrant… Mais il y a tout un chemin qui part jusqu'à une ville plus grande ou se trouve une gare. A pied c’est très agréable.
-Merci pour l’info.
-Je vous incite fortement à continuer. Ca devrait vous plaire.
-Mouais j’vais y aller. J’ai rien d’autre à faire de ma journée de toute façon…
Il part. Edith soupira.
« Il est bizarre ! Il est froid ! Il est… Glauque ! Et quelle désinvolture ! »
Paulin semblait bien. Edith ne s’en préoccupa pas. Quel intérêt ?!


C’était sympa ce chemin. Surement ce qu’il avait vu de plus beau dans ce village. Le chemin de sable était bordé de deux entités monstrueuses : Des champs. Il y eut une bifurcation lorsqu’il eut supplanté les habitations pas très avenantes, trop de tôle, trop de dureté.
Il partit à gauche.
Là, il s’aperçut, en parcourant le chemin sablonneux au milieu duquel, sillonnant le chemin, l’herbe poussait à petits flots, qu’a sa gauche le champ persistait jusqu’à un sous-bois attrayant comme une vitrine de noël, et a sa droite résidait un des trésors des villages de campagne : Un terrain vague bordant un champ et suivant le chemin. C’était mignon comme tout, ça donnait à ce chemin une allure joyeuse, étendue, libre…
Il poursuivit son chemin, vit des cabanes abandonnées dans la forêt, quelques secrets et mystères connus seulement des enfants trop curieux qui avaient leur après-midi pour eux, un semblant de paisible au milieu de la cacophonie de son esprit.
« Je sens que je vais venir souvent ici… »
Il s’aperçut que la beauté des villages de campagne ce n’est pas ceux qui y habitent, c’est ce qui gravite autour. Les paysages, le soleil safran à l’heure onzième, l’air chaud sans être lourd, le bruit des oiseaux.
Au détour d’un chemin, Leonard aperçut une silhouette accoudée aux abords d’un pont, fixant l’eau.
Il lui sembla reconnaître – Mais de dos on ne reconnaît jamais que ceux qui nous ignorent et qu’on suit sans cesse – Nathan. Mais sans certitude, il passa son chemin. Sans certitude, il regarda le visage de la personne. C’était bien l’adolescent.
-Hey ! Lança l’instituteur.
Nathan tourna nonchalamment la tête.
-Oh… C’est vous.
-Ca va ? Ca n’a pas l’air…
-Oh si si, vous en faites pas…
Leonard s’installa aux cotés de Nathan sans pour autant le coller. Le jeune homme avait remarqué la présence du rassurant adulte aux yeux doux mais pour autant, il feignait de l’ignorer. La gêne mêlée à une certaine appréhension.
-Je sens que ça ne va pas…
-Mêlez vous de ce qui vous regarde…
-Pardon ?
Nathan détourna les yeux.
-Parle-moi, Nathan. On n’est pas ennemis.
-Vous pourriez pas comprendre.
-Oh je t’en prie… Tu m’as vu en train de boire, je crois qu’on est à même de se comprendre.
Nathan eut un léger sourire.
-C’est mes parents.
-D’accord.
-Ben… Disons qu’ils m’en veulent d’avoir arrêté mes études pour rester à travailler ici.
-Et pourquoi tu l’as fait ?
Nathan soupira doucement.
-J’aime ce lieu. J’aime son ambiance. J’aime ce calme… Cette tranquillité… On est à l’abri de tout ici. La police s’en fout. Y’a jamais le feu. Pas de vols… Pas de bagarres… La paix…
-Ce que tout le monde recherche. Le calme et… L’absence de solitude.
Nathan regarda Leonard avec des yeux qui semblaient las.
-Vous les instits, vous savez jouer avec les mots…
-Si tu veux.
Leonard sourit ostensiblement à l’adolescent qui s’en sentit presque écrasé. Mais après tout, ce genre de sourire, on en demande toujours. On ne les refuse jamais.
-Venez fumer avec moi derrière l’école à la pause de dix heures. Ce sera plus sympa pour vous comme pour moi.
Il tourne le dos et repart.
-A demain.
Leonard eut une espèce de lumière au fond des yeux qu’il n’aurait pas soupçonné voir luire ici.
Le soir même, il se remit au sport.


Les jours passèrent. Désormais Leonard passait la recré du matin avec Nathan. L’adolescent fumait sa cigarette, et Leonard bavardait. Ce petit manège n’intriguait personne. La directrice souhaitait juste que l’après midi, il se cantonne à cette obligation de rester avec elles. Le matin, elle le laissait à la surveillance de Nathan. Surveillance stricte s’il en était.
-J’ai jamais aimé spécialement ce boulot…
Nathan sembla étonné.
-Vous aimez pas enseigner ?
-J’ai dit que j’aimais pas spécialement. Je le fais parce que c’est le seul métier que je peux exercer sans m’évanouir.
-C'est-à-dire ?
-Je suis une grosse feignasse. Etre prof ça vous impose une certaine tenue de route, vous avez des élèves sous votre responsabilité et on vous fera des reproches si jamais vous osez faire un pas de travers….
-C’est paradoxal votre truc. D’un coté vous dites être une feignasse, et de l’autre vous faites un métier qui doit être inscrit au livre des records pour le nombre de suicides commis dans cette tranche de la population….
Léonard ricana
-Tu crois pas si bien dire…
-Ah ouais ?
-Ouais, des fois c’est vrai on a carrément envie d’en finir…
Nathan prit un air plus sérieux d’un coup.
-Vous aussi ?
-Ca m’est arrivé. Des fois. Quand j’enseignais en ville. Les gamins là bas étaient trop lourds. J’étais sous pression à cause de l’administration. J’ai failli me flinguer. Mais au lieu de ça j’ai préféré… Essayer de continuer.
Nathan regarda tristement l’instituteur. Léonard le remarqua.
-T’en fais pas. Ca va maintenant. C’était mon premier mandat de professeur. J’étais jeune et encore un peu trop sensible.
-J’sais pas vous avez l’air solide malgré ça. Ca doit être le fait que vous veniez de la ville.
-La ville ne vous rend pas plus solide, elle vous donne un savoir différent.
-J’avoue… Quand j’ai été au collège, c’était la bérézina dans mon cerveau. J’ai tout appris d’un coup.
-Etonnant, hein… Bon, les cours reprennent ! J’y vais.
-Ok… Euh, Léonard…
L’instituteur se retourne.
-Euh… Bon courage.
Léonard sourit légèrement
-Là c’est différent… Mais merci quand même.
Léonard repart vers la classe. Nathan se lève et s’en retourne à sa fourche. Il a un dernier regard compatissant pour Léonard avant qu’il ne franchisse la porte.
Article ajouté le Mardi 22 Avril 2008 à 00h27 | |

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