La langue des corrompus
J'ai retrouvé ce one-shot écrit en 2003 pour un concours, je suis très heureuse de l'avoir retrouvé et j'en profite pour vous en faire part. Bonne lecture.
Urd-sama / août 2008
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« Parce que certains se croient faibles… »
- Magne-toi Goupix ! Faut se grouiller d'arriver dans la forêt !
- Oui oui j'arrive, excuse-moi…
Un groupe de pokémon marchait sur une route à moitié goudronnée, dont le sillage menait à la forêt. Le chemin montait assez raide, et au sommet de cette montée se tenait un Seviper peu commun. Comparé à ses collègues de la même espèce, ce serpent n'arborait pas le modèle de couleurs habituelles, à savoir une robe noire parcourue de motifs jaunes à six côtés. A la place, sa robe était blanche et éclatante, le soleil ricochait sur ses écailles lisses et brillantes, semblant l'entourer d'une aura de lumière. Les motifs jaunes quant à eux était de couleur rouge foncé, en accord avec ses pupilles verticales qui arborait cette même couleur étrange. Il semblait surnaturel, sur le béton gris de la route.
Il observait en contrebas un petit Goupix qui traînait les pattes sur le goudron. Le renard s'arrêta quelques instants pour reprendre son souffle et en baissant la tête sa bouche toucha un petit objet attaché autour de son cou par un collier. Le pendentif était une petite capsule qui contenait une pierre, laquelle semblait flamboyer en son centre, d'un rouge effervescent. Il remonta la tête et fixa le Seviper en haut de la colline. Son allure était très soignée sous son air fatigué et désespéré, on devinait un poil plein de vitalité sous les taches de poussières qui courait le long de sa fourrure épaisse, qui devrait être très douce une fois nettoyée. Il lécha les coussinets de ses pattes, qui étaient rougis et qui n'allaient pas tarder à saigner pour certains. Le petit Goupix n'avait pas l'habitude de faire autant de marche en si peu de temps.
Il rejoint finalement Seviper en haut de la colline, et ils décidèrent ensemble de faire une pause. Le serpent regarda dans le ciel et cria à l'attention d'un être invisible : « Natu, ramène tes fesses pleines de plumes, on fait une pause ! ». Aussitôt un petit cri strident retentit et une boule de plume verte se posa maladroitement au sol, grâce à des ailes ridiculement petites, à se demander comment il faisait pour se tenir dans le ciel sans tomber comme une pierre. Il arborait un regard qui ne démontrait pas ses sentiments, impassible et impossible à déchiffrer, derrière les dessins étranges dessinés par les couleurs de ses plumes.
- Tu veux pieuter un peu Goupix ? demanda Seviper.
- Oui, enfin non… enfin je…
Le petit animal roux avait les larmes qui bordaient ses yeux foncés et brillants comme la plus belle des pierres précieuses.
- Si t'es vraiment crevé faut te reposer ! Mais si tu peux continuer il le faut aussi, nous devons absolument arriver dans la forêt le plus vite possible, il est à nos trousses.
Le serpent regarda au loin la route derrière eux, en fronçant les sourcils et d'un air inquiet.
- Nous pouvons couper par les champs, on gagnera de la distance mais cela sera plus chiant à marcher. Qu'est-ce que tu préfères ?
Le Goupix ne répondit pas et une larme se faufila dans les poils de sa joue, avant qu'il succombe aux larmes et aux tremblements de peur.
Seviper se faufila à côté de Goupix et pressa ses écailles contre le renard. « Je te porterai un bout de chemin, pose-toi et cramponne-toi à moi ». Le renard s'exécuta, posant son ventre sur les écailles fraîches du reptile. Il entoura la base que devait être un équivalent de cou avec ses pattes douces. Il savait que Seviper avait froid et qu'il avait besoin de chaleur, car la nuit tombait et le soleil se faisait rare. Et comme tous les reptiles, sa température ne se régulait pas d'elle-même, contrairement aux mammifères. Goupix ferma les yeux et serra le serpent, espérant lui donner le plus de chaleur qu'il pouvait avant que toute la troupe ne se remette en route vers la forêt.
Ils arrivèrent à la lisière du bois deux bonnes heures plus tard et trouvèrent un ancien terrier de Sablaireau, qui semblait abandonné. Le Seviper y entra, suivit de près par Goupix qui tremblait de peur dans la forêt en pénombre. Natu se posa au sol, observa l'entrée du terrier pendant plusieurs minutes, puis y entra soigneusement. Il faut dire que ce n'est pas dans les habitudes des oiseaux d'entrer dans des terriers. Goupix observa Seviper qui commençait à s'endormir, manquant d'énergie en cette fin de journée froide. Son estomac sonna dans son ventre, il avait faim. Comme il n'osait pas sortir dehors seul, il préféra tenter de s'endormir, le ventre vide, et ne pas déranger Seviper pour aller chercher à manger. Il alla se serrer contre le serpent et posa sa tête entre ses pattes, pendant que Natu se posait à côté d'eux et gonflait ses plumes, le rendant encore plus rond que d'habitude, et surtout beaucoup plus volumineux. Le souffle de ses amis le bercèrent, et il fini par s'endormir.
* * *
Une image parvient à son esprit, d'abord floue, puis chaque détail de l'image venait à son lui et définissait un décor. De grandes formes grises, un sol gris foncé, des fenêtres sur les formes grises, puis une ruelle sombre. Un pan de quartier venait à son esprit. Il distingua une créature rose qu'il identifia à un Rattata. Il rêvait ce qui s'était passé le matin même.
Puis il se vit lui-même, et le Rattata lui sauta dessus, toutes griffes et dents dehors. Dans une mêlée bruyante, il tentait de faire partir le pokémon rat. De toutes ses forces il luttait contre l'ennemi, mais rien n'y faisait, aucun de ses mouvements ne s'exécutait. Il vit alors Seviper qui vint et visa le Rattata, le mordant dans le dos et lui assénant son venin paralysant. Le serpent mordait le rongeur avec toutes les forces qu'il possédait dans sa gueule, et au bout de quelques dizaines de secondes, le Rattata lâcha Goupix. Pendant que le serpent achevait sa chasse par un repas, Goupix était étendu à terre, terrorisé, tremblant et pleurant. Le serpent se retourna et d'un air sévère lui assena: "Maintenant que l'on a quitté notre maître, il faudra te protéger seul ou tu mourras!"
Son esprit resta figé sur cette phrase avant de retourner dans les tréfonds du sommeil.
* * *
« Parce que certains vivent sans se poser de questions… »
Le lendemain matin, ils partirent de bonne heure en direction du cœur de la forêt. Goupix et Natu cherchèrent à manger, et le pokémon oiseau trouva un nid de Chenipan et s'attela à s'y rassasier. Il indiqua aussi à Goupix une carcasse fraîche de Ponyta un peu plus loin, et le petit mammifère pu y manger à sa faim. Le pokémon oiseau reprit sa place dans le ciel et guidait Goupix et Seviper qui traînaient en bas. Personne n'aurait pu dire à quoi il pensait, ni comment il faisait pour s'occuper l'esprit toute la journée.
Cependant le calme ne dura pas très longtemps. Un Airmure les aperçut puis tout se passa très vite. Surpris, Seviper se fit attraper au cou par l'oiseau de fer et ne pouvait rien faire. Il hurlait à Goupix de faire quelque chose pour l'aider. Le petit pokémon était campé sur ses pattes et observait le serpent d'un air médusé, les yeux vides. Natu vola auprès de l'Airmure et tenta de lui asséner des coups de bec dans les yeux, mais il n'arrivait pas à atteindre l'oiseau qui faisait le quadruple de sa taille.
- Je t'en prie Goupix, utilise une de tes attaques feu! Termina Seviper avant de tomber à moitié dans les pommes.
Natu observa durant les quelques minutes qui suivirent le petit renard. Son regard était absent, comme s'il luttait contre son esprit et sa peur. Ses pattes tremblaient mais il tenait bon. Et soudain la pierre de son pendentif se mit à luire, puis à briller d'un éclat rouge intense qui inonda le coin de forêt. La capsule en verre éclata, et du feu sembla en partir, enveloppant et léchant Goupix de toutes parts. Son petit corps frêle se souleva, emporté par les flammes qui bouillonnait et brûlait l'air. Puis une lumière étincelante remplaça le corps de Goupix dont on ne voyait plus que la forme. Cette forme changea et s'agrandit, avant de repartir. A présent c'était un Feunard qui était au milieu des flammes, son pelage clair dansait avec le feu et son regard cernait l'Airmure. Ce dernier lâcha Seviper et tenta de s'enfuir, mais Feunard se courba, puis se détendit d'un coup sec et un feu nacré sortit de sa gueule et grilla le pokémon. Il tomba raide mort sur le sol.
Le feu autour de Feunard s'éteignit, et il courra auprès de son ami Seviper. Il lécha sa joue pour tenter de le réveiller.
- Je t'en prie Seviper mon ami, réveille-toi!
Natu écarquilla les yeux en entendant le pokémon parler. Ce n'était pas la petite voix enfantine et frêle qu'il avait l'habitude d'entendre, mais une voix assurée et rassurante d'un jeune mâle vigoureux. Et surtout, il ne comprenait rien à ce qu'il disait, il parlait dans une autre langue.
Le pokémon oiseau senti une présence autour d'eux, et observa les buissons alentours. Il repéra une branche qui bougeait et un reflet. Il s'envola près du buisson et piailla de toutes ses forces en dessus pour déloger l'ennemi. Un groupe de Goupix et de Feunard en sortit finalement et s'adressèrent à eux dans des termes inconnus du pokémon oiseau.
- Arvos telim nargav'su, adressa le Feunard de tête aux trois compatriotes.
Feunard s'avança et parla à ses confrères dans cette même langue inconnue. Natu restait à l'écart et observa que la situation était sans danger. Il alla auprès de Seviper qui commençait à se réveiller. Le serpent demanda où était Goupix et l'oiseau lui fit signe de tête sur le groupe de renards taillant une bavette. Le reptile s'approcha d'eux et reconnu son ami qui avait évolué.
- Et bien mon grand, t'as tellement trippé que tu en as évolué!
Les Goupix et Feunard sauvages regardaient d'un air maussade le pokémon serpent blanc.
- Et c'est à toi que je le dois Seviper.
Feunard frotta sa tête en signe d'amitié sur les écailles de Seviper. Le chef des renards sauvages s'avança et leur dit dans un langage compréhensible à tous:
- Vous parlez la langue des détenus, vous n'êtes donc pas sauvages.
Natu comprit alors que les paroles qu'il n'avait pas comprises tout à l'heure étaient du langage de Goupix et Feunard. Chaque espèce avait son propre code, mais une langue générale circulait dans le monde des pokémon apprivoisés: dans sa propre langue, on la surnommait "langue des corrompus".
Ils passèrent le reste de leur journée sur le territoire des Goupix et des Feunard. Ces derniers leur racontèrent qu'ils poursuivaient eux aussi l'Airmure, mais qu'ils avaient vu le Seviper blanc et avaient pris peur. Ils étaient donc restés dans les fourrés à observer et à attendre que tout soit sûr. Ils expliquèrent aussi à Seviper qu'il existait plusieurs langues chez les pokémon, au moins une pour chaque espèce, et qu'il existait la langue commune pour tous les pokémon apprivoisés.
Lorsque Seviper leur raconta qu'ils étaient tous partis de chez leur dresseur pour retrouver la liberté, le Feunard assis auprès d'eux regarda le serpent tristement.
- Ben quoi qu'est-ce que t'as? Répliqua Seviper.
- Felmirr hashba waito
- Il dit que tu fais partie des "condamnés blancs", traduit Feunard.
Seviper était interloqué
- Pourquoi "condamné"?
- Car dans la nature, les pokémon qui sont comme toi sont condamnés à mourir, s'ils chassent, les proies le repèrent, s'ils sont proies, les chasseurs le repèrent. Autrement dit, tu ne pourras jamais mener une existence sauvage, continua le Feunard sauvage.
Seviper écarquilla les pupilles puis tourna le dos:
- Je ne retournerai plus chez mon maître, je l'ai décidé et il en est ainsi!
Il partit dans un terrier pour se reposer durant la nuit, déterminé à repartir le lendemain. Feunard l'observa du regard, car lui aussi avait pris sa décision: il resterait avec les Goupix et les Feunard sauvages.
Natu resta sur une branche pour passer la nuit, il constatait que leur groupe allait être scindé dès le lendemain. Il y pensa pendant quelques secondes puis s'endormit d'un sommeil sans rêves.
* * *
« Parce que certains se croient forts… »
Seviper partit le lendemain avant que les renards ne soient réveillés. Il savait que Feunard allait rester avec eux, et préférait partir pour éviter un moment difficile. Lors de son escapade, il vit Natu sur une branche qui se réveilla.
Ils s'observèrent sans dire mot pendant plusieurs minutes. Seviper attendait une réponse de Natu, mais rien ne transparaissait. Finalement il partit dans un fourré de branchages, laissant ses deux compagnons de route en arrière.
Il erra pendant plusieurs jours dans la forêt. Au début tout se passait bien, le Rattata mangé le jour de son départ suffisait pour plus d'une semaine de digestion. Mais lorsqu'il commença à se mettre en chasse, il comprit les paroles du Feunard sauvage, il n'arrivait pas à chasser. L'endroit grouillait de Roucool paresseux et de Nidoran insouciants, mais pas moyen d'en attraper un seul. Chaque fois que le serpent s'approchait de sa proie, ils déguerpissaient avant même qu'il soit à distance suffisante pour les happer.
Quelques jours plus tard, affamé et faible, il aperçut de loin un autre Seviper sauvage. Il l'appela et remarqua que c'était une femelle. Cette dernière s'approcha un peu mais resta à distance suffisante, et s'adressa à lui:
- Fishhnashdashhhh oraffffusahhh
Seviper ne comprenait pas. Il se rendit compte qu'il ne savait pas la langue de sa propre espèce. La femelle repartit dans la direction opposée mais Seviper la poursuivit: "Attends moi, s'il te plaît attends-moi!". Il parvint à la rattraper, mais il était si exténué qu'il ne remarqua pas qu'elle était en position d'attaque. A peine arrêté qu'il se fit méchamment mordre, et qu'elle partit au loin.
Seviper restait depuis quelques jours dans un vieux terrier, malade et tremblant à cause du venin de sa congénère. Il était faible et sa résistance au venin, de même que son propre venin était affaiblit. Il agonisait et ses pensées venaient lui perturber l'esprit. Il rêvait éveillé.
* * *
Il ne voyait que du noir. Il sentait qu'il était entouré de quelque chose de mou, qui le compressait. En voulant se débarrasser de cette chose, une lumière étincelante apparut et l'aveugla. Il sortit de cette enveloppe et vit d'autres petites créatures naître. C'était ses compagnons de route.
Il se sentit soulevé par quelque chose de chaud et chaleureux, qui faisait du bruit. Il voyait chaque jour un énorme visage l'observer. Ses camarades lui expliquèrent que l'on appelait ce visage un "humain".
Un autre humain le prit un jour dans ses mains. Il l'amena avec lui et s'en occupa. Il le choya et le présenta à des concours où il raflait des médailles et le combat devenait un de ses atouts. Il aimait l'humain.
Il s'échappa de chez lui, emportant deux de ses compagnons pokémon avec lui. Ils laissèrent l'humain derrière eux.
* * *
Il voulait retourner chez lui, chez l'humain, chez ce qui avait été toute sa vie. Il sortit de sa cachette, faible et les yeux à peine ouverts et se traîna sur le sol. Il trouva finalement une route de forêt et s'y hissa. Il resta là, immobile et attendant son heure, sans aucune force.
Un Airmure s'approcha du serpent et le taquina du bec. Mais une voix humaine s'éleva du fond de la route et le fit partir.
- Tiens, un Seviper albinos, c'est plutôt rare non?
- Il a l'air mal en point, il faudrait le soigner…
- Je vais le prendre avec moi, mon cousin est un spécialiste de ce genre de reptiles.
- Tiens ceci pour le requinquer un petit peu.
L'humain fit avaler un médicament au Seviper, qui reprit un peu d'esprit. Il se laissa prendre dans les bras de l'humain, sentit le contact de ses écailles froides contre cette peau chaleureuse et douce. Une euphorie générale traversait son corps, ses viscères, sa peau et son esprit. Il se sentait apaisé.
Il posa sa tête sur sa main et ferma les yeux avant de se sentir aspiré à l'intérieur d'une pokéball.
« … personne ne sait vraiment ce qu'il est au fond de lui-même. »