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Snow of Death de Myssdii

Snow of Death


Elle m'a dit d'attendre, ici, tout seul. Elle m'a dit qu'elle reviendrait me chercher, qu'elle avait juste une course à faire, que ça ne prendrait que quelques heures. Elle m'a dit qu'elle m'aimait très fort.
Puis elle est partie.
Et j'ai attendu longtemps. La nuit est tombée, et j'y vois plus rien. Alors je tends l'oreille. J'ai une très bonne oreille, mais je ne l'ai pas entendue. Ou alors elle n'est pas encore revenue. Je suis un bon Pokémon. Alors j'attends. J'attends qu'elle revienne pour qu'on reparte tous les deux ensemble. Tous les deux, au milieu de cette neige qui commence à tomber.
J'aime bien la neige. On dirait des bouts de nuage qui tombent sur mon museau, mes pattes, mon dos. Je suis tout blanc. C'est joli le blanc. C'est une belle couleur. Mais je préfère le noir. Donc je me secoue. C'est encore plus beau de voir la neige voler dans tous les sens que de la voir tomber. Mais je suis tout mouillé. J'avais oublié ce détail. Mais ça ne me gène pas, j'ai connu pire.
Elle avait un Pokémon qui crachait de l'eau. Et je ne l'aimais pas. Et lui, il ne l'aimait pas, elle. Alors je l'ai attaqué. Plus pour elle que pour moi. Je suis un bon Pokémon. Je l'ai défendue. J'ai eu entre mes dents un goût de sang. Je n'aime pas ça. Mais c'était pour elle. Alors j'ai mordu. Très fort.
Le Pokémon n'a plus jamais craché de l'eau. J'y ai veillé. Jamais plu il ne la haïrait. Plus jamais. Car je suis là. Pour la défendre.

Je suis à nouveau tout blanc. Mais je n'ai pas envie de me secouer. Je l'attends. Si je n'écoute plus, je vais la rater. Une seule chose à la fois. C'est ce qu'on m'a dit. Alors je ne me secoue pas. La neige continue de me couvrir de blanc.

J'ai froid. J'ai sommeil. Des petits morceaux de glace s'accrochent à mes poils et mes oreilles. Je ne vois presque plus rien. Mes paupières sont gelées. Cette fois, il faut que je me secoue. Je tente de me lever, mais je n'ai plus de forces. Mes pattes refusent de m'obéir. Ma fourrure ne me protège plus du froid. La neige se glisse dans mon pelage. Je suis trempé. Gelé par ce froid intense qui m'emporte loin, très loin…
Non… Je ne veux pas partir maintenant… Je veux la revoir… J'ai promis…

La neige m'étouffe. Mais mon feu intérieur s'est mis à me réchauffer. J'ai moins froid, mais je ne suis plus capable de bouger. Pourquoi tout doit se finir ainsi ? Non… Je peux encore… me lever… une dernière f…



***



Un tunnel… Une lumière blanche… Des voix…
- Caninos ! Lâche-le ! Tu vas le tuer !
C'est elle… C'est ce fameux jour… Il y a du monde autour de moi… Des silhouettes sombres… Je me souviens… On me tire en arrière pour me faire lâcher prise… Mais je ne veux pas et mes crocs se resserrent sur la gorge du Pokémon qui crache de l'eau… et du sang…
- Ce Pokémon est enragé !
- Il est en train de le tuer !
- Caninos ! Arrête ! Tout de suite !
Non… Jamais je n'ai lâché… Ce n'est que quand il a arrêté de se débattre que j'ai desserré mes mâchoires… Ce goût de sang… J'ai voulu m'en débarrasser… Impossible… Il est ancré dans mon esprit et laisse une sensation désagréable sur ma langue… Une odeur de mort a assailli ma truffe…
Des dizaines de mains m'ont agrippé…
- On va l'enfermer !
- Il est dangereux ! Vous avez vu comment il l'a égorgé ?!
- Caninos…
Elle est là, à genoux près du corps sans vie… Elle a le regard hanté… Elle me regarde sans me voir… Pour elle, je suis déjà une page tournée… On m'emporte loin d'elle et de cette mare de sang qui m'horrifie…
Elle est revenue le soir même… Ma cage est froide… J'ai faim… Elle a tremblé en me voyant, mais elle a finalement ouvert, ses mains hésitantes sur le verrou… J'ai sauté dans ses bras… Alors elle m'a serré contre elle en murmurant des mots que je n'ai pas entendu, mais que j'entends clairement à présent…
- Pardonne-moi… Mais c'est fini…



***


J'ai vraiment été aveugle… Ou bien le ai-je su au fond de moi-même, sans pour autant l'accepter ? Comme un abruti de chiot, je n'ai rien vu venir…
Elle m'a abandonné…

La lumière m'appelle. Une attraction irrésistible comme quelqu'un qui vous ouvre ses bras accueillants et protecteurs. Mon âme volette dans sa direction…

Pourtant… Je ne lui en veux pas… J'ai fait une mauvaise action et je la paye désormais… Je veux seulement lui dire que je regrette cette erreur… La voir une ultime fois avant de partir… Je fais demi-tour et refuse ce paradis qui s'ouvre à moi. Je m'arrache de ce corps sans vie, et seule mon âme existe désormais sous une forme précaire de ce que les humains appellent « fantôme ». J'ai choisi de rester…

C'est drôle. Je ne ressens plus le froid, ni la faim, ni la douleur. Seule ma peine est encore présente, toujours aussi forte. Trop forte même. J'ai envie de pleurer toutes les larmes de mon corps, de mourir une deuxième fois pour apaiser cette tristesse qui m'accable. Mais je ne peux pas. J'ai choisi ce destin, alors je l'assume.
Pour la première fois depuis que je suis sur ce rocher en pleine forêt, je me pousse à contempler les arbres qui m'entourent. La neige a tout recouvert d'un épais manteau blanc, un paysage courant dans cette région et à cette période de l'année. Nous ne sommes pourtant qu'en automne. Les branches des sapins sont courbées sous le poids de la poudreuse qui tombe parfois dans un bruit étouffé, mais amplifié par le silence qui règne. Partout, des stalactites me renvoient mon reflet de fantôme. Au début, je ne vois qu'une forme bleutée et mauve. Puis, petit à petit, je distingue les détails de ma nouvelle apparence. Je flotte dans les airs, coincé dans ce corps rondouillard aux reflets mauves plus ou moins pâles. Derrière ma tête, où les seuls détails notables sont mes deux grands yeux limpides et presque incolores, flotte une sorte de voile mauve qui ondule alors qu'aucune brise ne souffle. Ainsi donc, voila le prix à payer…

Je m'envole le plus haut possible. Aussi léger qu'une fumerolle, je me laisse porter par les courants ascendants qui émanent de la neige reflétant la lumière de la lune. La vue est magnifique. Au loin, je vois la ville où ça s'est passé. Je décide d'y aller. Elle doit encore y être.
Toutes les lumières sont allumées. Je distingue sans peine les gens à l'intérieur des maisons. C'est au Centre Pokémon que je la retrouve. Elle est assise à l'intérieur, avec deux autres personnes que je ne connais pas. Derrière la vitre qui se recouvre peu à peu de buée qui témoigne de la douce chaleur régnant dans la pièce, j'observe celle que j'ai protégée toute ma courte vie. Ses courts cheveux blonds et ses yeux noisette. Sa démarche assurée et son habituel mouvement de tête pour ramener éternellement cette même mèche de cheveux qui lui tombe sur le coin du nez.
J'ai envie de mourir…

Pourquoi suis-je resté ? J'ai cru l'aimer, et j'ai supposé cet amour réciproque. Mais je me suis trompé. Abusé. Détruit. Brisé en milles éclats qui sont partis rejoindre le firmament et les âmes des Pokémon qui brillent au-dessus de nous. Je ne suis plus qu'une empreinte qu'on piétine et qu'on regarde sans la voir vraiment. Une ombre au crépuscule qu'on distingue à peine dans l'obscurité grandissante. Je ne fais plus partie de ce monde, pourtant je m'y trouve encore. Quelle raison y a t-il à cela ? Toute cette souffrance pour une personne qui m'a abandonnée sans scrupules et sans cœur, et qui est là, ce soir, aussi peu différente d'avant ? N'ai-je été qu'un ami passager ? Un simple jouet qu'on abandonne dans un carton dès qu'il ne nous amuse plus ? Ne suis-je plus rien pour elle qu'un souvenir déjà oublié ? Un fragment de mémoire envolé ? Un flocon de neige ayant fondu pour se transformer en un printemps précoce ? Non. Je ne suis pas rien. Avant de partir pour d'autres horizons, elle doit le comprendre.

Je m'appuie contre cette vitre qui nous sépare. Lentement, je sens mon essence s'effilocher, devenir plus infime que l'air que je ne respire plus, et passer à travers le verre transparent, mais néanmoins solide et réel. Une fois de l'autre côté, une intense douleur s'empare de moi alors que je tente en vain de rassembler ma fragile apparence. Tout m'échappe sans que je puisse contrôler cette étrange « matière » qui me constitue. Je me disperse dans toute la pièce en gouttes d'essence infinitésimales. Mon esprit est tiraillé en tous sens et sur le point d'éclater à son tour. Est-ce la fin de cette seconde vie précaire ?
Tout à coup, toutes les lumières s'éteignent dans le Centre Pokémon. Seule brille une froide aura bleue autour de mon esprit écarté de toute enveloppe physique ou irréelle. C'est alors que tous mes fragments convergent vers ce même point pour me redonner cette apparence de fantôme mauve aux yeux limpides et vides d'expression. Telle une aurore boréale, mon aura bleue ondule sur les murs obscurs de la pièce. Lentement, je m'élève plus haut pour que les trois personnes présentes me voient.

Un cri strident s'élève de sa gorge. Les deux autres humains ne bougent pas et me regardent, effrayés. La fille a les cheveux bruns et les yeux verts lumineux, tandis que le garçon, plus jeune, a les cheveux châtains en bataille et les pupilles brunes. Il y a deux Pokémon avec eux : une sorte de souris jaune et noire, ainsi qu'un autre Pokémon jaune avec des impressionnantes mâchoires en acier qui lui sortent de la tête. Mais ce ne sont pas eux qui m'intéressent. C'est elle. Celle qui a crié en me voyant. Je sais qu'elle a peur des spectres, mais j'ai cru qu'elle m'aurait reconnu, malgré cette nouvelle forme.

- C'est… un Onipaku ?

Le garçon me regarde fixement. Mais moi, je continue de la regarder, elle.

- Il s'agit de l'âme d'un Pokémon qui a été abandonné par dresseur. On raconte qu'il revient toujours voir celui qui l'a abandonné. Soit pour se faire pardonner, soit pour se venger.

Elle se tourne alors vers moi, et ses yeux noisette rencontrent les miens. Le teint blême, les yeux exorbités par la terreur, elle n'a plus rien d'autrefois. Les ondes bleutées illuminent la scène par alternance tandis que le vent s'engouffre dans la cheminée et éteint le feu qui y brûlait abondamment. L'atmosphère est glaciale et de la vapeur s'échappe de sa bouche entrouverte de stupeur. Le silence plane, un silence de tombe. Un silence de mort.

- Ca… ni… nos…

Ces trois syllabes à peine murmurées me font l'effet d'une douce chaleur qui emplit tout mon corps ectoplasmique. Ainsi, elle ne m'a pas banni de sa mémoire. Je ne suis pas rien. J'existe pour quelqu'un. J'existe pour celle pour qui j'aurais tant aimé exister durant des temps plus longs. Avec un immense espoir renaissant, je m'avance vers elle. Elle tend une main tremblante et hésitante. J'ai peur de ne pas pouvoir la toucher. J'ai peur de passer au travers elle comme je l'ai fait pour la vitre puis d'éclater à nouveau et à jamais.
Plus que quelques centimètres…
Plus qu'un…

Sa main rencontre ma tête dans un grand flash de lumière bleue. Je sens son contact, chaud et rassurant. Les larmes emplissent ses yeux alors que je sens tout mon désespoir se déverser en elle par ce simple contact. D'un geste vif, elle me prend dans ses bras protecteurs et pleure comme j'aurai aimé pleurer. Ses larmes douce et salées roulent sur mon corps de fantôme.

- Pardonne-moi Caninos… Pardonne-moi…

Sous ces paroles qui retentissement en moi comme mille coups de tonnerre, je me serre avec amour contre celle que j'ai protégé autrefois et qui, aujourd'hui, me donne la plus belle des récompenses. Et comme si tout ce bonheur était trop grand pour moi, je me sens me disperser.

Mon âme s'envole vers un autre monde alors que j'éclate en un millier de cristaux de neige qui retombent lentement dans ses mains tendues…

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