Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Ces éclats de glace... de Physalis



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Physalis - Voir le profil
» Créé le 04/10/2015 à 16:49
» Dernière mise à jour le 04/10/2015 à 16:54

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
...ceux qu'on ne voit pas.
Le bleu uniforme du ciel laisse soudain place à un autre bleu plus profond, tout aussi pur, paré de milliers de teintes fluctuantes et relevé de rouge carmin, de vert kaki, de blanc nacré ; par-dessus ondoient des tâches roses et bleues mouvantes, insaisissables et gracieuses Viskuse dans leur univers. Les faibles courants de la baie de Vaguelone ondulent toutes sortes d'algues colorées et parfois soulèvent un coquillage pour le redéposer un peu plus loin. Une colonie de Corayon tente de se cacher derrière le varech pour en ressortir aussitôt, poussée par quelques obscures raisons. Les Kokiyas couvrent littéralement les fonds : les mouvements de va-et-vient de leur coquille et leurs courts et irréguliers déplacements forment comme une onde sous-marine vivante.



La baie renferme tant de merveilles. Écho a l'impression qu'elle ne s'en lassera jamais.

Elle replonge. Un Lovdisc lui frôle la jambe.



Quelques brasses encore vers le large et elle distingue l'astrale silhouette d'un Stari avant qu'elle ne soit brouillée par un banc de Rémoraid. C'est comme si toute la faune maritime s'était donné rendez-vous pour l'émerveiller. Et le spectacle continuel, la douce respiration du lieu la fascine et la berce autant que la veille et les jours précédents.



Écho plonge tous les jours, quand le temps le lui permet.



Elle retire son masque, son seul équipement. Elle a le souffle long et les premiers abords de la plage sur laquelle donne la luxueuse résidence secondaire de ses parents sont presque aussi exceptionnels que les zones de plongé touristiques au large.

Elle plonge depuis qu'elle sait nager : ici, c'est son coin à elle, chaque rocher et dénivelé lui est familier. Au fil des années, elle a vu l'endroit évoluer, se métamorphoser, tout en restant sensiblement le même. Des espèces de Pokémon sont apparues puis se sont installées, les rares tempêtes ont semé leur bout de discorde, les marées érodent bien gentiment leurs blocs rocheux mais les Moyade viennent toujours flotter à la surface l'été.



Écho nage jusqu'à un point où elle a pied. Deux mètres devant elle se profile une masse sombre qui se veut discrète... mais avec un si grand corps et une remarquable corne, sa dresseuse a tout de suite identifié le Clamiral en approche. Il émerge joyeusement et tourne autour de sa maîtresse avant de replonger un peu plus loin.

Elle le suit du regard un moment puis elle s'avance encore.



Devant elle, un grand ponton de bois qui part de la terrasse surélevée de la villa et qui s'enfonce progressivement dans l'eau comme un pont menant à une cité engloutie en ruine, antre d'un trésor antique et merveilleux. Voici ce qu'elle s'amusait à imaginer, petite.

À marée basse, ses pieds sont recouverts de moules et d'autres petits coquillages au milieu d'un jardin vertical de mousse et d'algues brunes.



Elle se revoit, toute jeune fille, jouer dans ce décor de film merveilleux qui faisait son quotidien quelques mois par ans.

"Regarde Maman, je suis une sirène !

-Oh, Écho, arrête de faire n'importe quoi avec ces algues.

-Mais... ?

-Tu viens de les arracher. Est-ce que tu crois qu'une sirène digne de ce nom abîmerait la mer ?

-Oh non... Tu as raison, je suis une vraie sirène alors je n'arrache pas les algues ! Ouaiiiiiis, regarde Maman, tout ça, toute la mer, c'est mon royaume !"





Les vagues lèchent les premières planches. Parfois, une plus hardie que les autres glisse avec une facilité déconcertante sur le bois verni et surprend un jeune homme.

Celui-ci vient de se relever vivement : les flots se retirent doucement et submergent ses pieds nus. Il regarde l'élément liquide céder sa place avec un regard lointain et une attention inhabituelle, comme si il contemplait le phénomène pour la première fois.



"Matis ? C'est toi qui as sorti Clamiral de sa Pokéball ?"

Le garçon relève très doucement la tête, jette un coup d'œil furtif entre ses mèches indisciplinés dans la direction d'Écho comme pour s'assurer que c'est bien elle qui vient de parler puis se retourne et lâche d'une voix neutre :

"Désolé.

-Non, pas de problème, c'était pour savoir."



Elle s'accoude au ponton tandis que Matis se rassoit, les bras autour de ses jambes et le menton sur les genoux.

Il est là, posé sur une portion de bois sec, et Écho l'héberge depuis plusieurs jours déjà pourtant, à l'exception faite de l'heure de son arrivée, il lui a toujours paru ailleurs. Lorsqu'elle lui adresse la parole, il semble se sortir d'un pénétrant songe éveillé et pendant quelques secondes considère son environnement, comme s'il pensait n'avoir jamais dû se tenir là, avant de lui répondre laconiquement.

Alors elle lui parle peu, tiraillée par la culpabilité de le tirer de cette réalité imaginaire, bien que celle-ci ne soit fondée sur rien de convaincant. Il ne lui a presque rien dit ; il lui manque un élément capital pour comprendre son état d'esprit.



Elle ignore si ses songes sont des rêves ou bien des cauchemars.





Qu'est-ce qui a la force de réduire au silence un garçon colérique et impulsif comme Matis ? C'est l'inconnu de l'histoire qui peine Écho. Elle voit ses traits défaits, sa pâleur, ce visage ankylosé qui doit fournir un effort conséquent pour exprimer la moindre émotion et elle sait que cela cache une blessure profonde ; elle pense instinctivement qu'il y a un rapport avec ce qui se passe... plus loin. Dans d'autres villes. Elle ne sait pas où. Elle ne sait pas quoi.





Il a débarqué un matin, sous une pluie estivale froide. Écho écoutait de la musique, affalée dans un profond et moelleux fauteuil, s'accordant une pause bien mérité après un nettoyage en règles des sols en faux parquet de la maison. Depuis que ses parents étaient partis s'occuper de quelques affaires au nord d'Unys -ils avaient dit qu'ils allaient "combattre" alors cela avait à tous les coups rapport avec leur boulot de TopDresseurs- elle devait gérer toutes les tâches ménagères. Ils ne lui avaient à vrai dire pas laissé le choix, mais cela ne la dérangeait pas. Elle était consciente aussi bien qu'eux de son sérieux et de sa totale autonomie. Au moins, sa matinée n'avait pas été aussi ennuyeuse que ce que lui prévoyait le temps, et encore moins que si elle l'avait passé dans ce trou paumé qu'est Pavonnay.

Elle regardait distraitement la pluie tomber lorsqu'elle l'avait vu. C'était une silhouette recroquevillé, le cou et le bas du visage mangés par un haut col et les cheveux foncés dégoulinants, qui se livrait à un curieux manège, le tout brouillé par les trombes d'eau qui dévalaient du ciel blanc laiteux. Elle rasait les imposants murs qui ceinturaient la plupart des propriétés privées et s'arrêtait au niveau des boîtes à lettres ou des interphones avant de repartir, comme si elle recherchait un nom particulier.

Écho s'était levé, interloquée et un peu inquiète pour la silhouette. En s'approchant de la vitre constellée de gouttes d'eau, elle l'avait retrouvée dans son champ de vision et deviné qu'il s'agissait d'un garçon. Celui-ci était arrivé au bout de la rue, constitué en fait par une villa particulièrement monumentale mais dont l'examen ne le satisfit pas plus que les autres.

Elle ne bougeait pas, supposant que l'inconnu allait maintenant remonter la rue, et avait ouvert la fenêtre avec le projet de l'interpeller de loin pour lui proposer son aide lorsqu'il atteindrait sa hauteur.



Elle attendait en tremblotant de froid et en le priant intérieurement de ne pas trop tarder lorsqu'une sonnerie claire lui tira un hoquet de surprise.

La silhouette égarée avait trouvé le nom qu'elle cherchait.

Ce nom, c'était le sien.



Écho s'était hâté, traversant le salon meublé de canapés bleus, tables basses en verre et tapis épais, agrémenté d'immenses miroirs et d'une cheminée d'apparat, puis de couloirs blancs et lumineux qui débouchaient sur une large entrée. À peine elle avait attrapé un manteau qu'elle abattait sa main sur la poignée de la porte avant d'être soudainement prise d'une angoissante hésitation.

Était-ce vraiment raisonnable et sans danger d'ouvrir à un inconnu ? Sûrement non, mais il était trop tard pour faire croire qu'il n'y avait personne : le portail n'étant qu'à quelques mètres de la porte, le visiteur, qui s'était mis à sonner avec de plus en plus d'empressement, avait forcément dû voir la poignée s'abaisser.

Au moment où elle poussait la porte, elle avait senti un éclair foudroyant de regrets l'accabler avant de se volatiliser au moment où le garçon trempé l'avait regardé.



Parce qu'une impression fugace l'avait frappé. Ce visage, elle ne s'en rappelait pas, mais c'est comme si elle l'avait toujours connu. Il y avait quelque chose de familier dans ses traits vifs, précis, angulaires ; sa manière de se tenir aussi lui était quasi habituelle.

Et ses yeux plissés et très étroits. Un regard qu'on n'oublie pas.



Écho n'avait pas oublié.

Deux yeux à la fois joyeux et involontairement moqueurs, avec la pupille brillante de l'innocence.

Ceux d'une petite fille qu'elle gardait régulièrement à Pavonnay.



Malgré son aspect miséreux de vagabond, elle avait fini par reconnaître son frère au moment exact où il lui livrait son nom.



"Tu te rappelles de moi ?

Transformant sa pensée première -un "vaguement" pas très engageant- elle avait essayé de faire bonne figure face à l'apparente gravité de la situation. Mais, impressionnée, elle n'avait pas brillé.

-Heu... oui ?

-Tu peux m'aider ?

La question la prenait de court, elle-même n'en connaissant pas la réponse.

-... Ça dépend.

-J'ai un peu d'argent...

-Oh non, c'est pas de ça dont je veux parler ! Juste, qu'est-ce que je peux faire ?

-Bah déjà ouvrir cette grille. Ça caille dehors."



En s'approchant pour saisir le code sur le boîtier mouillé et glacé, elle tremblait de froid à peu de choses autant que lui. Cependant, Matis tenait la tête haute d'une manière presque exagérée pour quelqu'un que la pluie battait depuis plusieurs heures et son regard, quelques minutes auparavant fuyant et hagard, s'était durci juste assez pour accompagner son sarcasme.

Mais Écho n'était pas dupe. Pour ce que sa sœur lui en avait parlé, elle avait parfois l'impression de le connaître comme un ami de longue date. Et même, n'importe qu'elle personne un minimum attentive aurait vu son état, ses mains sales, l'énorme accroc dans un de ses gants et son pantalon, la boue qui le maculait, et aurait décelé son masque d'impassibilité fait de muscles contractés pour cacher des tourments plus profonds, plus intimes que ce qu'il aurait accepté de dévoiler. Sa fierté le poussait à se fermer, à se barricader avec efforts derrière une apparence ironique qui, au contraire d'illusionner quiconque, renforçait l'impression que tel un mur fissuré, il allait s'effondrer dans la minute.

Elle le regardait passer devant elle avec perplexité. D'où venait-il, que c'était-il passé, qu'est-ce qu'il lui voulait ? Il entrait avec pour seul bagage son histoire qui palpitait sous sa peau, transparaissait sur tout son corps sans pour autant se révéler complètement. Elle s'était attendue à ce qu'il lui raconte, du moins en partie, ce qui avait pu le pousser à demander de l'aide à l'ancienne baby-sitter de sa sœur. À quel point était-il désespéré pour ne pas pouvoir solliciter celle de connaissances plus proche ?

Mais il n'avait rien relaté de tel. Les rares fois où il ouvrait la bouche, ce n'était que pour des considérations pratiques (Tu es seule ? Y-a-t-il une chambre d'ami ? Est-ce qu'il y a des vêtements que je pourrais emprunter ? ...) qu'il formulait d'une voix un peu enrouée, éteinte.

À vrai dire, il n'avait dit qu'une seule chose qui avait retenu l'attention d'Écho.

"Je ne resterai pas longtemps, je ne veux pas t'attirer d'ennuis."



En acceptant d'héberger Matis, elle avait eu l'impression d'entrer dans un peu dans sa confidence, dans un récit fou rempli d'aventures et de secrets. "Je ne veux pas t'attirer d'ennuis." Il voulait sûrement dire qu'il ne souhaitait pas la déranger trop longtemps mais elle préférait croire que les ennuis dont il parlait étaient ceux, plus sérieux, qui l'avait amaigri et forcé à courir sous la pluie se réfugier chez la première connaissance venue.

Mais pourquoi ? C'était étrange. Elle avait été d'abord impressionnée et gênée par ce garçon un peu plus âgé qu'elle, mais rapidement ses réserves avaient été secondées par une sorte d'excitation juvénile, de curiosité insatisfaite. C'était le même bonheur formel qu'on éprouve à être sous le même toit qu'un vieux loup de mer qui a essayé plusieurs naufrages, un aventurier autrefois perdu en forêt, et tous ces rescapés de terribles destinés desquels on n'attend qu'une chose. Une histoire terrifiante et émouvante qu'on raconte au coin du feu.



C'est un peu folklorique, elle le sait et ça ne fait qu'accentuer sa déception. Peut-être lit-elle trop de romans. Elle qui avait refusé son argent, le seul paiement qu'elle veut à présent...

C'est ce récit. Elle a la conviction qu'il va l'aider à comprendre. Elle sait vaguement qu'il se passe quelque chose, mais elle ne sait ni quoi ni où. Ses parents sont partis de toute urgence et restés très évasifs sur leurs raisons. De plus, ils ont catégoriquement refusé qu'elle reste à Pavonnay. Mis à part les conclusions qu'elle aurait pu tirer de leur comportement... elle n'a rien. Aucun élément, aucune piste. Toute la région, toutes les terres qui s'étendent après Vaguelone sont plongées dans un brouillard qui les rend lointaines, insignifiantes. Le reflet qu'elle a de la situation, de sa réalité, est flou, brouillé par l'ignorance.

Écho ne prêtait pas attention à cette tare, cette interrogation silencieuse en elle. Elle ne voulait pas se tourmenter pour rien alors l'enfouir au plus profond de ses préoccupations, édifier discrètement un mur autour lui avait paru une bonne idée. Mais lorsque Matis s'était présenté devant le portail ouvragé, cette lacune était devenue un trou béant et toutes les craintes qu'elle y avait consciencieusement dissimulées s'en étaient échappées.

Ce n'est pas une curiosité déplacée ni un intérêt voyeur. Maintenant qu'elle ne peut plus se cacher que quelque chose cloche dans la marche réglée du monde, elle a besoin de savoir la nature du grain de sable dans l'engrenage.

Il faut juste qu'elle trouve le courage de lui poser ces questions essentielles, de le sortir de ses absences chroniques, de remuer la tristesse et les pensées noires qui se cristallisent dans ses pupilles.



Le soleil frappe fort après son long séjour derrière les lourds nuages de pluie. Il fait scintiller la nappe bleue qui recouvre l'est de leur monde jusqu'à une autre terre, couvre les toits bruns des propriétés et leurs parcs arborés d'un lourd linceul de chaleur et de lassitude et ébloui les jardiniers, les plagistes, tout ceux qui habitent la ville de villégiature la plus réputée d'Unys. Au loin, ils entendent le moteur d'un jet-ski par-dessus le ressac de la mer. Mais il y a ce silence. Elle doit le briser, elle doit oser. Elle ne sait rien de ces événements, d'ailleurs, depuis le début, elle ne fait que supposer leur existence. La seule chose qui témoigne de cette vérité c'est ce garçon devant elle qui fait tourner une Pokéball dans ses mains sous un regard mélancolique. Son visage affligé est le seul miroir dans lequel elle peut contempler ce qu'on a voulu lui cacher.

Ses parents la connaissaient bien, lui faisaient confiance. Peut-être pas assez. Ou alors ce qu'il se passe dépasse de loin son imagination. Elle a le droit de savoir.

Elle doit savoir.

C'est une évidence. Ces connaissances lui permettraient de mieux se protéger, de ne pas prendre de risques inconscients. Vaguelone est pareille à elle-même, et pourtant différente. Elle aurait pu le voir bien avant si on ne lui avait pas fermé les yeux.

Ce sont les mêmes familles qui arrivent, le coffre juste un peu trop plein pour de simples vacances. Ce sont toujours les mêmes styles de personnes qui déambulent dans les rues brûlantes, mais aux robes chics et chemises impeccables se mêlent un peu trop de débardeurs et tongues bon marché. Les gens se sont peu plains du mauvais temps. Des voisins étrangement attentifs ont sonné trop de fois pour s'assurer que tout allait bien chez elle.

La plus fameuse station estivale, abritant la villa d'un membre du conseil 4, accueillant tout le gratin dès les beaux jours, vit autrement. À peu de choses moins guindée, plus peuplée, plus renfermée sur elle-même. Les vacanciers s'amusent toujours, les clubs illuminent la nuit, les glacières des marchands bourdonnent de concert, les voiliers sillonnent la baie avec la légèreté d'un souffle de vent et d'une gerbe d'écume.

Mais certains regardent la profusion de richesses avec étonnement, s'extasient comme des adolescents devant l'opulence des cottages. Ils ont l'air de n'avoir jamais mis les pieds dans la ville, leurs gamins font les yeux ronds devant les lames bleuâtres qui se fracassent sur les rochers. Derrière le bonheur et l'étonnement, il y a une sorte de désœuvrement, d'attente. Chez les commerçants règne un voile de morosité animé d'une certaine fébrilité.



Même si Écho ne se tient pas informée en l'absence de ses parents -ne pas regarder la télévision lui fait un bien fou, plus de publicités énervantes, de jeux idiots, de reportages affligeants ; cette coupure médiatique préserve son sanctuaire de sérénité et de tranquillité- elle réalise tout d'un coup que cela lui crève les yeux depuis le début et cela lui crève aussi le cœur : l'air triste et mélancolique de Matis est celui qui orne tous ces visages inconnus et que leurs propriétaires s'efforcent de dissimuler sous des sourires et des exclamations d'admiration diverses.

Il a fallu qu'elle accueille le malheur sous son toit pour en déceler la présence, sa vicieuse habitude de se cacher au creux des yeux des exilés pour se répandre encore plus vite, sa lâcheté à arriver en silence, son macabre grandiose lorsqu'il étend ses sombres mais transparents tentacules sur toute la région, faisant fi des montagnes et des fleuves. L'un d'eux venait de pénétrer dans sa bulle de paix et la menaçait. Alors quitte à se faire emporter par la noirceur de l'effrayante chimère, autant savoir à quoi elle ressemble.

Le savoir est une arme. Qui lui martelait ça déjà ? Ses parents sûrement, quand elle ne voulait pas aller à l'école petite. Ou alors ces documentaires pleins de bons sentiments militant pour l'alphabétisation des enfants de Rhode. Peut-être. Elle ne sait pas, elle ne sait plus. Tout ça c'est loin. Tout ce qui importe pour l'instant, c'est de poser les bonnes questions pour acquérir cette arme. Et au moment où elle en a l'occasion et le courage... celui qui détient cette clé se lève et lui tourne le dos en arpentant la jetée de bois. C'est trop bête. Alors tant pis, Écho se hisse hors de l'eau et l'interpelle. Sa voix est précipitée, un peu trop aiguë, elle veut tant savoir, même un plongeon dans l'eau glacée ne la détournerait pas de son souhait.



"Matis !"

Ses yeux la fixe. Elle, vraiment elle, pas l'horizon de la mer ou celui d'un lointain songe. Il est présent, aussi bien physiquement que moralement. Ce qu'il va dire lui est directement adressé et a une certaine importance. Le pressentiment de la fille se confirme aussitôt.

"Je vais m'en aller. Merci pour ce que tu as fait. Ne t'inquiète pas, je sais quoi faire et où aller."

Au contraire Écho est inquiète, paniquée, pour une raison qu'elle sait très égoïste. Mais elle s'en fiche. Elle s'est décidée. Matis peut bien battre la campagne perdu et sans refuge, aller au-devant de sa mort et tout ce qu'il veut, ce ne sera pas avant de lui avoir dit. Peut-être est-ce la solitude, ou l'impression d'être trop jeune, d'avoir été laissée sur le bord de la route, sur les rochers pointus de la côte, loin de tout... Elle s'est imaginé que son témoignage recèle une réponse universelle, merveilleuse, assez satisfaisante pour que sa peur se calme. Elle a entendu en pensées cette voix éreintée se lancer dans un récit difficile et gagner en assurance tandis que son propriétaire revit et faire vivre les événements passés puis se briser devant les blessures vécues. Fleuve de souvenirs qui l'emporterai dans les coins secrets de ses rêves éveillés.

Savoir de quoi rêvent les gens. C'est horriblement gênant mais aussi fascinant, mystique. La petite fille qu'a été Écho s'imaginait souvent en déesse omnisciente capable de connaître tout et comprendre tout. Les gens, la mer, la vie... Évidemment, jamais cette espérance inavouée ne s'était concrétiser, c'était avant tout un jeu. Mais malgré son caractère social elle ne parvenait ni à connaître ni à comprendre complètement les autres, soi-même, le monde... Après tout, personne ne le peut, surtout en gardant le silence.


"Matis..."

Par où commencer ? Comment interroger quelqu'un à propos d'événements dont on ignore tout, jusqu'à même l'existence ?

Ses yeux tombent sur la Pokéball vide de Clamiral oscillante sur les planches de bois de la jetée et cela lui donne une idée sur laquelle elle saute sans réfléchir.

"Où sont tes Pokémon ?

Un muscle se contracte aussitôt sur le visage du garçon, une réaction de surprise et de douleur. Mais Écho continue. Oui, elle se fiche de tout, même du mal qu'elle peut faire -elle doit d'abord apaiser le sien.

-Ta sœur parlait toujours du Gruikui que tu élèves depuis sa naissance, de ta passion pour les combats, ta haine contre ceux qui lui avaient volé son Chacripan et ...

Une idée essentielle lui revient. De quoi se faire pardonner son audace.

-Elle t'admire tu sais. Elle t'admire tellement..."



Oui. Il le sait.

Par contre la fille devant lui ne sait rien. Matis l'a deviné le jour même où il est arrivé.

Il n'a pas envie qu'elle continue à parler de sa sœur. Une sombre et rêche écharpe de haine et de mépris l'étouffe subrepticement. Ce n'est pas sa faute pourtant son ressentiment involontaire pour ceux qui reposent dans la prison dorée de l'ignorance qu'est Vaguelone prend le dessus. Eux ne savent. Eux fuient comme des lâches. Eux n'ont pas à souffrir...
Sans préambule, avec une voix qu'il s'efforce posée et des phrases simples et tranchantes, il brise ses barreaux.


"La team plasma. Ceux qui volent les Pokémon. Ils sont revenus. Ils ont déclaré la guerre à Unys, tué mon meilleur ami. J'ai vu son corps et... et une flaque de sang. Ils ont volé tous mes Pokémon !


Matis crie presque maintenant. Il a perdu tout son sang-froid. Mais il doit crier. Au fond... quelqu'un doit entendre le poison qui le tue à petit feu.


-Mélis est mort ! J'AI failli mourir ! Janusia est gelée, Volucité en partie détruite. Voilà ! C'est ça ! C'est ça que tu veux savoir ! C'est ça qu'on te cache, c'est de la guerre dont on veut te protéger !"


Écho a vu la flamme de la colère se rallumer dans ses yeux. La flamme de la réalité.

Elle sent les larmes refluer avec les regrets et la tristesse. Elle fait un pas en arrière. La plante des pieds sur le rebord, elle plonge sans ajouter un mot.

Elle ne veut plus voir le monde.



L'eau bouche ses oreilles, lui pique à peine les yeux et joue avec ses long cheveux. Le regard droit devant elle, planté sur la surface scintillante et irréelle, éclairé par un soleil insolent et insupportable. Les fonds marins sont beaux. Magiques, magnifiques, paradisiaques.

Si ce que le garçon lui a dit est vrai...

Elle ne veut plus voir ce monde.



Mélis... Ce nom lui dit quelque chose... C'est vrai. Elle a combattu les Chefs du Métro avec ce garçon.

Il est mort... C'est... absurde.



Elle se laisse couler et se soûle du bleu et des échos de la mer jusqu'à la dernière seconde.

Lorsqu'elle remonte à l'air libre, Matis a disparu.

Son Clamiral la titille du museau. La jeune fille passe ses bras autour de son encolure et lui demande de plonger d'une petite voix pâteuse.



La mer.

Beau monde bleu dans lequel se fondent ses larmes de rage.