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Ces éclats de glace... de Physalis



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» Auteur : Physalis - Voir le profil
» Créé le 04/10/2015 à 16:37
» Dernière mise à jour le 04/10/2015 à 16:40

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...ceux qui nous tuent.
La grotte est si sombre...



De rares trais de lumières arrivent à se faufiler depuis le lointain dehors à travers le grillage filtrant des branches des arbres décharnés et des trous dans le plafond de la caverne. Ceux que la brume épaisse et enveloppante du cratère n'a pas occultés rebondissent sur la surface des pièces d'eau pure qui miroitent dans la petite salle puis, s'ils passent à travers l'arche bien trop parfaite pour être naturelle qui s'ouvre sur d'autres cavités souterraines, se réfléchissent sur des plaques de givres gigantesques. Ces trais jouent ensuite avec certaines roches anciennes que l'érosion a rendues brillantes et avec la glace présente en stalagmites et en stalactites, semblables aux dents d'une mâchoire qui va bientôt se refermer sur eux et les emporter dans une totale et glaçante obscurité.

Une lueur claire et blafarde tombe sur le gilet bleu de Mélis. Après son long parcourt et son combat pour finir par éclairer quelque chose, elle a perdu de sa consistance et de sa chaleur : il ne la sent pas. Elle ne le réchauffe pas, ne lui donne pas de courage ni le détourne de ce spectacle à la beauté effarante et mortelle.

Huit morceaux de glace qui grandissent, se taillent comme des diamants, s'affinent pour devenir de magnifiques épieux transparents et absolument étincelants.

La lumière joue, danse avec. Elle ramène de l'extérieur quelques éclats de couleurs, se faufile entre les pierres grises sculptés à vif par le temps et percute joyeusement les huit armes flottantes, disposées en un cercle harmonieux. Elle les entoure et se coule autour avec grâce, libérant ses teintes chatoyantes, fulgurante et éphémère poussière de perle. Chaque seconde est un nouveau tableau de grand maître.



Pourtant, cette grotte est si sombre...

Les parois de gypse rugueux, le sol inégal, les multiples coins et recoins inaccessibles et toutes les bizarreries issues d'un caprice géologique attrapent la moindre clarté pour la fractionner, la diffracter et la disperser en microscopiques étincelles qui ne diffuse aucune lumière.

Et ces ténèbres font ressortir deux losanges jaunes qui luisent doucement.



Cette grotte sombre, glacée, pétrifiée dans une triste géométrie... sera son tombeau. C'est là qu'il va mourir et il le sait. À moins d'un miracle, il ne peut échapper à l'attaque du dragon qui gémit et tremble devant lui. Le souffle glacé le fait déjà frémir et la chair de poule couvre ses bras. Ghetis n'a-t-il donc pas froid, lui qui lui a promis "le glacial baiser de la Faucheuse" ?



Les pointes se sont légèrement reculées. C'est le signe qu'elles vont charger. Le temps qu'il lui reste à vivre se compte en secondes. Bientôt il sera transpercé de toutes parts...

Il ne veut pas mourir comme ça, ni maintenant. Il ne comprend pas... Il a tant espéré... Comment est-ce possible que le destin ne tienne pas compte de ses désirs ? Comment avoir passé toute sa vie à penser qu'il allait mourir vieux, sans souffrances, dans une nuit juste plus éternelle que les autres... pour finir ainsi ?



Soudain, Mélis se rappelle une phrase. Elle n'est pas de lui mais s'est gravée presque à perpétuité dans sa mémoire. Elle vient d'un poème... un poème qu'il ne comprenait pas non plus.

"Et j'ai mis ma main sur mon cœur
Où remuaient
Ensanglantés
Les septs éclats de glace de ton rire étoilé."




"Monsieur, je ne comprends pas. Vous dites que c'est un poème sur l'enfance et... l'enfance c'est plutôt positif, alors pourquoi ça se finit comme ça ? Ensanglantés, c'est glauque !

-Méliiiis..."



Et ses professeurs soupiraient. Et ils lui réexpliquaient. Et Mélis ne saisissait toujours pas.

Il avait été obligé de l'apprendre par cœur. Mais à la difficulté de retenir un texte s'ajoutait celle de retenir des vers qui se dérobaient à sa raison. Ce poème l'avait marqué par sa fin selon lui brusque et cruelle. Ces drôles d'éclats couverts de sang imaginaire avaient égratigné sa fierté, lorsque son étourderie lui avait fait perdre ses moyens devant sa classe, et devant cette fille qu'il aimait bien.



"Pas fichu de réciter correctement un poème... Tu as encore beaucoup d'efforts à faire Mélis."



Alors il avait retenu cette phrase... trop tard évidement.

Tout comme il avait dit ses sentiments à cette fille... trop tard là aussi.

Il n'aurait jamais de baiser d'elle. Ni de personne.

Celui de la Faucheuse sera son premier... et son dernier.

Il s'en passerait bien.



Si seulement il pouvait se passer quelque chose. Si un prodige arrivait et stoppait la course folle des éperons moirés et éblouissants... Tient oui, c'est cela... Le Deus Ex Machina de la mauvaise pièce que lui récite Ghetis. Si il se bouge un peu, Matis, ce garçon qui se réclame son rival mais qui l'a tant aidé, pourrait arriver à temps avec son Roitiflam aux flammes rougeoyantes et tout faire fondre...

Oui, avec un peu de chance...

Enfin, avec beaucoup de chance...

Non. Strictement aucune chance.



D'autres souvenirs lui viennent. Comment il avait tremblé devant l'assemblée d'enfants... comme il grelotte à cet instant même. Des lèvres auxquelles il avait tant rêvé... et les siennes qui se gercent. Son cœur qui s'affolait quand le professeur prononçait son nom... le même qui pompe son sang avec tant vigueur qu'il le sens partout, dans ses coudes, son cou, ses mollets, ses tempes.



Et le reste du poème.



"Le petit homme qui chantait sans cesse
Le petit homme qui dansait dans ma tête"


La lumière danse et Mélis la suit du regard.

"Le petit homme de la jeunesse
A cassé son lacet de soulier"


C'est encore un adolescent... et sa ligne de vie va se briser.

"Et toutes les baraques de la fête
Tout d'un coup se sont écroulées "


Ses rêves n'ont plus de sens puisqu'ils ne seront jamais réalisés.

"Et dans le silence de cette fête
J'ai entendu ta voix heureuse"


La voix du plus grand dresseur va se taire.

"Ta voix déchirée et fragile
Enfantine et désolée"


Un ténébreux désespoir l'étouffe. Non, il ne veut pas, il ne veut pas...

"Venant de loin et qui m'appelait
Et j'ai mis ma main sur mon cœur"


Son cœur bat plus vite, comme s'il possédait une conscience propre et paniquait lui aussi à la perspective de s'arrêter.

"Où remuaient
Ensanglantés
Les septs éclats de glace de ton rire étoilé."


Et Ghetis riait, et rit encore...



Bientôt, et jamais l'échéance n'a été si proche, il sera pantin désarticulé, corps sans émotions, un morceau de glace à la place du cœur, et le givre recouvrira sa peau blanche, cristallisera ses cils, figera le sang de ses blessures. La Mort l'embrassera et l'emmènera dans une onde polaire.



Pas de phénomène miraculeux, ni d'intervention in extremis. Mélis est damné, condamné depuis qu'il est entré dans la grotte.







Soudain, un cri le traverse de part en part. Ce cri, c'est le sien, celui qu'il pousse pour parer à la douleur, à la peur, à toutes les émotions et toutes les sensations qui se concentrent en un seul point, en un seul dixième de seconde ; tout ce qui l'a construit depuis sa naissance se rassemble pour exister une dernière fois. Avant de n'être plus rien.



Milliers de scintillements.

Noir absolu.

Paupières crispées.



Il tombe à genoux. Les piques de glace se détachent, heurtent le sol et se brisent. De minuscules esquilles, pourpres de sang, se déposent tout autour.



Une fraction infime de temps. Tous ses muscles sont tendus et un froid spectral naît dans sa poitrine, par où s'en va sa vie. Corps éthéré qui s'écroule. Instant presque inexistant où il est à la fois vivant et mort.



Puis, finalement, les yeux fermés...

La nuit "juste plus éternelle que les autres" commence.







Ghetis ne rit plus. Son spectre ne frappe plus la pierre au sol. Il fixe un instant les yeux topaze et sans pupilles du dragon. Difficile de croire que la créature puisse discerner quelque chose. Mais tant qu'elle lui prête sa puissance, peu lui chaut son état.

La singulière grotte est l'écrin parfait pour décupler ses pouvoirs. Sa magnificence deviendra totale lorsqu'elle sera exempte du cadavre qui la défigure.



Mais il sourit. Car il sait que d'autres années depuis plus ou moins longtemps révolues, dans d'autres régions plus ou moins lointaines, d'autres personnes ont tenté pareilles expériences. Avec plus ou moins... oh non, simplement avec bien moins de succès. Aucun n'a réussi. Ces maudits enfants trop curieux, qui ne trouvent rien d'autre à faire que de donner leur amour et leur force à ces créatures qu'il méprisait tant au lieu de les garder pour eux et d'en nourrir de moins vains desseins les avaient toujours troublés, déstabilisés, impressionnés puis humiliés en combat.



Ghetis lui, sourit. Car il sait qu'il est le seul à ne pas s'être trop longtemps embarrassé de ces gêneurs. Cet importun gamin, c'est le seul à l'avoir tué.

Solution bien radicale... mais diantrement efficace.

Il aurait peut-être dû tuer cette fille aussi. Ça n'aurait évidemment pas plu au Seigneur... c'est qu'il y tenait à son combat singulier... mais cela aurait sûrement épargné à Ghetis deux ans d'attente frustrante.

Et puis, cet épisode lui avait fait comprendre qu'il ne pouvait pas compter sur N.

Non, qui de mieux que lui-même pour mener à bien son projet ?



Parmi tous ces hommes qui ont été un jour à la tête de centaines d'individus prêts à tout pour les aider... il est l'unique a réussir.

Son but, il est là, tout proche...

Un simple geste, une quelconque parole...



Il n'a pas froid car il est confiant. La glace est son alliée. L'ère Glaciaire sa mirifique époque.



Unys est à lui.



Son règne commence.





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Poème : le miroir brisé, Jacques Prévert

23/08/15