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Ces éclats de glace... de Physalis



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» Auteur : Physalis - Voir le profil
» Créé le 04/10/2015 à 16:52
» Dernière mise à jour le 04/10/2015 à 16:52

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...ceux qu'on entend.
Un rythme lent, étrange, minimaliste. Envoûtant. La musique lui évoque un lieu dénué, cotonneux, calme mais en même temps... inquiétant. Comme si quelque chose attendait son heure...

Un battement très léger, comme les palpitations d'un cœur flottant entre deux états, ni tout à fait un rêve, ni tout à fait réel. La musique lui fait un peu peur, un peu frissonner. Le fascine.



Des amis la lui ont fait écouter dans la journée, et depuis il n'a pas lâché son casque. C'est un de ses défauts. Lorsqu'il aime une chanson, il ne peut pas s'en passer et la passe en boucle jusqu'à plus soif. Il sait qu'il va bientôt s'en lasser mais peu importe. Le plaisir qu'il tire de son écoute supplante toutes considérations sur le futur de celle-ci.



Cela ressemble à un sifflement, très doux, très discret, en accord parfait avec l'ambiance dégagée. Il ne l'avait pas remarqué au début, mais maintenant il entend le chuchotement. Une voix humaine, quasi inaudible, un murmure fantomatique. Impossible de saisir le sens de cette litanie mystérieuse.



Arrivé chez lui, il balance son sac sur son lit et allume son ordinateur. Tant pis pour les devoirs. Il les ferait après. De toute manière, tant que sa curiosité au sujet de cette musique n'aura pas été satisfaite, il ne pourra pas se concentrer pleinement.



Elle s'appelle cocon. C'est signé d'un simple J. En poussant ses recherches plus avant, il apprend que le chanteur vient d'Unys et qu'il est connu surtout là-bas. Pas étonnant qu'il n'en ai jamais entendu parler. Il se focalise ensuite sur le titre en particulier. C'est tout récent. Il y a même un clip vidéo.

Incroyable, pensa-t-il. Unys est en guerre et ce mec trouve le moyen de sortir une chanson et un clip...

...

L'art plus fort que la guerre.


Tiens, elle est pas mal celle-là. Il la note mentalement dans un coin de sa tête. Elle pourra toujours servir dans une rédaction.



Il démarre la vidéo. Le début de la musique lui arrache un sourire. Bon sang, jamais il ne pourra s'en lasser... enfin... cela mettra en tout cas plus longtemps que d'habitude.

Sur un fond noir, la lettre, J, stylisée, accompagnée en plus petit de la mention Unys.

Il a l'air d'y tenir, à sa région.


Puis dans un fondu, les premières images se révèlent. Le garçon est surpris, mais c'est l'amusement qui remporte.



C'est exactement le genre de lieu qu'il s'était imaginé.

L'endroit est blanc et très grand. La caméra s'attarde sur le sol dallé, recouvert de fines particules que l'on voit, même sans effet de lumière, danser un peu partout dans l'air. Elles semblent cacher un dessin sur le sol. Des sortes de filins -on ne distingue pas vraiment ce que c'est- rompent la monotone géométrie du carrelage en la traversant, s'étalant, serpentant sans règles précises. Le tout est jonché de plâtre, de sorte de pièces tissées et desséchées, de fragment de porcelaine rayée.

Puis entre dans le champ une chose intéressante : une sorte de petite statue. Renversée, elle est à terre et l'on distingue d'abord sa partie inférieure. C'est une sorte de cocon fait des mêmes filins qui jonchent le sol, dans lequel est encastrée une plaque métallique rouillée, illisible. La partie supérieure apparaît et le cœur du garçon rate un battement : il connaît ce symbole. Une rapide recherche lui confirme son intuition. C'est le sigle de la Ligue d'Unys.

C'est donc une arène. Une arène abandonnée, qui tombe en ruine.



Cela le choque. Oui, même dans sa région, certains champions quittent leur arène, qu'ils partent en retraite, changent de vie, ou que la Ligue décide de mettre en valeur d'autres types. Mais elles sont toujours réaménagées dans les mois qui suivent en infrastructures d'utilité publique.

La guerre à Unys. Il sait peu de choses dessus. Juste ce qu'il a entendu dans des flashs d'information. Un fou qui veut interdire la possession de Pokémon, et ce par tous les moyens. Il va jusqu'à attaquer les villes qui possèdent une arène ou toute autre institution gérée par la Ligue. Il les gèle grâce à un Pokémon. Ça lui semblait tellement contradictoire qu'il avait mis beaucoup de temps à comprendre. Les médias étaient soit trop évasifs, soit trop compliqués. D'ailleurs ils ont déjà oublié l'information. Les nouveaux jardins du palais Chaydeuvre font un reportage moins déprimant, assurément.



La caméra s'élève. Au mur, sur toute sa largeur, s'accroche une grande plate-forme, blanche et carrelée aussi. Dessus, il y a le cocon de la statue, mais à taille humaine et percé d'ouvertures. L'image pivote et montre le mur opposé. Une plate-forme avec la même disposition est reliée à l'autre grâce à un pont de filins qui paraît extraordinairement fin et fragile.

Dire qu'un jour il a probablement été emprunté par des dresseurs, que des combats se sont déroulés tout proche, que cette salle gigantesque a résonné de cris de déception, de victoire, d'espoir.

L'espoir. En reste-t-il aux dresseurs, aux habitants d'Unys ?



Le haut de certains cocons se prolonge en forme de tuyau qui mène à un autre étage. Beaucoup sont cassés et des morceaux pendent tandis que d'autres sont échoués sur le sol ou retenus par les nombreux fils blancs qui traversent l'espace de l'arène. L'un d'entre eux s'est coincé à l'horizontale entre un cocon et le mur. Dessus est assis un jeune homme, presque un adolescent.

Ses cheveux, d'une nuance particulière, blonde mais tirant sur le vert pomme, semblent flotter autour de lui alors qu'il secoue la tête. Cette impression se confirme lorsqu'il pose ses mains à ses côtés... et s'élance dans le vide.



Le garçon spectateur, qui remue légèrement au lent rythme de la musique et grignote nonchalamment un biscuit, n'est même pas surpris. Ses réflexes d'étudiant prennent le dessus.

Je parie qu'il a utilisé un Pokémon de type psy. Ou alors un avec Lévitation ? Mais il faudrait qu'il soit assez petit pour le cacher sur soi. Ouais non, le type psy reste le plus plausible. Par contre lequel ? On ne voit pas d'aura qui l'entoure.



Le chanteur ne tombe ni ne se retient quelque part. Tout comme ses amples vêtements blancs sans aucun artifice, il flotte. En contre-plongée, derrière son visage masqué par des mèches et son expression lointaine, un plafond en forme de demi-sphère tissé est percé de toute part, et laisse apparaître des tâches de couleurs. Couleurs fades, passées. Inaccessibles.

Le garçon se retourne souplement, le visage tourné vers cet idéal détruit, déchiré, avec une expression de tristesse infinie.

Gros plan de profil. Une larme grossit au coin de l'œil et ses lèvres remuent doucement. De manière imperceptible. Comme si un poids l'empêchait de chanter. L'émotion, le manque d'air ou...une force invisible ? Il porte une main à la gorge et la larme se met à dévaler sa joue. Il relève la tête et son corps suit le mouvement : il est maintenant à la verticale et la goutte d'eau adapte son cheminement. Elle s'attarde un moment près d'un grain de beauté avant de se jeter dans le vide.



La caméra tourne à 360º. Partout des fils qui pendent, des cocons brisés, des morceaux de plates-formes défoncées. Il manque des carreaux aux murs : la bande noire au niveau de chaque étage subsiste sporadiquement. Et la poussière domine.

J'espère pour lui qu'il n'y est pas allergique.

C'est là que le spectateur se rend compte que l'ambiance n'est pas blanche, pas lumineuse. Elle est terriblement grise et triste. Tel un filtre sur l'objectif, que les cinéastes utilisent pour donner à leur film l'air d'être vieux. Mais malgré la poussière, l'abandon, l'impression n'est pas que les images datent, mais qu'elles sont cruellement actuelles.



Chez lui, devant son écran, l'étudiant grignote encore. Ce n'est pas comme si il s'attendait à quelque chose de joyeux, mais la vidéo vient vraiment de lui saper le moral. Si ça continue, il va vider le paquet de goûter et il sait que c'est une mauvaise idée.



À l'étage du dessus, on retrouve la symétrie bien que les paliers n'aient pas la même forme que les précédents et ne soient pas reliés. Une coquille de soie s'agite, bouge, se déforme de manière inquiétante, presque malsaine. Elle se fend à un endroit et un poing paniqué en surgit.

Dans les ténèbres, le visage du garçon blond en panique, les yeux écarquillés, une main le bâillonne.

L'étouffante chrysalide se fissure à nouveau et tombe en poussière, quelques morceaux sales de plus parmi les autres.

Il cherche à reprendre son souffle au milieu des débris. Ses membres tremblent.

D'autres cocons se déchirent et explosent d'eux même ainsi que le plafond. Tout est au ralenti. Soit c'est une véritable horde de Pokémon psy qui contrôle la situation, soit les réalisateurs ont vraiment tout explosé puis l'ont ralenti au montage.

Ok, là, c'est carrément flippant.



Paradoxalement, ce n'est pas totalement contradictoire avec la musique. Lorsqu'il l'écoutait en rentrant chez lui, traversant la ville calme au soir, elle lui procurait un peu de paix. Douce et hypnotisante.

La bête qu'elle dissimulait vient de sortir de son antre, terrorisant le héros du clip, qui joue vraiment bien. On ne peut s'empêcher d'éprouver de la compassion, de frissonner pour lui.



Et ce, même si l'on ignore totalement quoi ou qui il guette, avalant sa salive et jetant des regards frénétiques.

Soudain il se fige. Il ne bougeait pas vraiment avant mais c'est encore plus flagrant, comme si même son sang ne circulait plus. Un éclair de pur peur traverse ses pupilles marron. Ses muscles se détendent violemment, son corps s'élève à deux mètres du pont de soie qui se désagrège... et il se met à chuter. Au milieu des plaques de couleurs passées, des bouts de cocon qui fusent, des fils de soie qui l'accrochent et le balade en tous sens. Au milieu des déchets, de la destruction, des ruines. Au milieu de sa vie, aussi bouleversée que l'arène.



Le message, la métaphore est simple, évidente. La guerre. Ce genre d'image l'agace d'habitude. Mais là, l'étudiant finit du bout des dents le dernier gâteau. Il est parcouru de spasmes involontaires, comme des décharges électriques le long de la colonne vertébrale. Il sent sa tempe battre, le sang affluer. Autant de réactions somatiques de son émotion réelle.



Cette fois, il n'a aucune idée de comment de comment cela été réalisé. On dirait que le garçon tombe. Pour de vrai. C'est comme les ralentis dont on a l'habitude dans ce genre de vidéo.

Mais il chante. Ses lèvres bougent, c'est clair. À un rythme normal. Ses mouvements correspondent aux paroles qui s'affichent en sous titres, très sobrement.

Et la litanie prend tout son sens.





Avant de toucher terre, un écran noir, très bref. Et on le retrouve allongé, les bras en croix, la chevelure éparse, le teint plus pâle que jamais, fantomatique jusque dans son habillement. Les manches évasées donnent l'impression qu'il a passé un drap à peine cousu. Il est pieds nus.

Le garçon écarte d'une main rageuse les détritus qui l'entourent. Il bondit sur ses pieds et fonce sur les lourdes portes. D'un coup épaule, il en fait tomber un pan. Ce n'était visiblement pas prévu vu qu'il s'étale à la suite. Il se relève aussitôt et, dès lors, la caméra change radicalement. De cadres pros, d'image parfaitement fixes et de zooms étudiés, on passe à une caméra peut-être cachée ou portée sur une épaule, secouée, saccadée par les pas de celui qui la porte.

Le chanteur fait un signe au cameraman. Avec un sourire, on aurait pu prendre ça pour un "Venez, je vais vous faire visiter". Mais son regard nous dit que c'est plutôt un "Regardez ce qu'il reste d'Unys".



Les rues sont désertes et la glace partout. En une fine couche de givre sur l'asphalte, en un manteau blanc et brillant sur les façades, en impressionnants pics, miroirs déformant et diffractant le peu de lumière qui les traverse en myriade d'étincelles, qui narguent les humains de par leurs positions, leur grandeur, leur presque invincibilité et hégémonie : toits d'immeubles, fenêtres brisées, enseignes ou tout simplement le sol, ils se dressent impunément là où ils se trouvent, sans aucune contrainte. Ce sont ces pics, ces montagnes d'eau à l'état solide qui peuple la cité. Tous les habitants ont fui ou se réfugient dans les caves. Les buildings sont des refuges ravagés, des coquilles vides, inutiles, presque choquantes.



Le garçon coure. Son visage est maculé, si sale que ses larmes tracent des sillons visibles. Il coure et ne semble plus avoir d'émotion. Il parcourt des villes, des hameaux, des routes. A chaque fois abandonnés ou glacés. Il s'arrête devant les arènes. Le sigle est tordu, brisé, à terre, gelé. Les néons qui l'ont un jour dessiné sur la façade d'un étroit et glauque bâtiment sont éclatés. Parfois, il est simplement absent, retiré ou volé pour être fondu et resservir.

Les ports et aéroports sont bloqués. Dans leur enveloppe lisse et bleutée, les bateaux évoquent des maquettes en bouteilles et les pistes d'atterrissage couvertes d'une gelée blanche des patinoires tout en longueur abandonnées.

Certains quartiers sont filmés de loin. Ce sont ceux où les affrontements ont lieu. Les combats se font à coups de Pokémon. La mort est présente. Son existence se ressent. Un battement lent et lourd. Les derniers pour quelques vies. Une poignée de secondes de gravité.

Deux forces opposées. Deux croyances extrêmes. Stratégie et évolution de la situation. C'est presque un jeu. Un jeu de faire valoir -d'imposer- ses idéaux par la force.

Le garçon coure encore. Une fois, des personnes se retournent sur son passage. Peu après, il est pris en chasse par deux uniformes noirs flanqués de Miradar. Un lieu contrôlé par la team plasma. Il leur a paru louche.

Ce que je vois...c'est vraiment Unys...

Il a risqué sa vie et sa liberté pour faire ça.




Il chante des mots tristes et terribles. Sans rimes, son texte résonne étrangement, poignante harmonie. Il se force, il crache les mots qui le rebutent, susurre ceux qui le gênent, conscient qu'ils doivent être dits. Il n'explique pas mieux la guerre qu'un reportage. Cela reste une chanson qui raconte une histoire. Mais cette histoire, il la connaît.



Il parle de garçons qui rêvent et que l'on trahit. De leurs forces pas assez puissantes pour inverser une machine. D'épées froides et transparentes qui les menacent. De sentiments qui sont des liens et qui les attaches. De cocons grouillants et d'autres protecteurs. De leurs peur ; ils attendent de grandir pour se rebeller. Du présent qui leur joue un tour en devenant passé. De leurs espoirs qui, en battant, détruisent tous sur leur passage.

De tout ce que personne ne comprend.

Du silence d'une nation en tumulte. De ce qu'on veut lui enlever. De ce pourquoi elle se bat.



Unys est désunie.





L'étudiant, devant son écran parfaitement propre, sa maison parfaitement rangée, sa vie parfaitement ordonnée, a l'impression d'avoir compris quelque chose. Comme si un pic de glace avait traversé des milliers de kilomètres pour se ficher dans son cœur.

Il pleure.

Comme Julien.