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» Auteur : Xabab - Voir le profil
» Créé le 06/04/2015 à 20:48
» Dernière mise à jour le 06/04/2015 à 20:48

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Chapitre 33 : Si je pouvais apprendre à pousser la porte
Le temps avait passé à Rovia.
Je me suis souvent demandé ce qu'était le temps. Une simple trotteuse parcourant inlassablement un cadran de verre ? Une marque de crayon courant sur une feuille blanche sans aucun retour ? Un sac de souvenirs ?
Le fait est qu'il passe vite et emporte avec lui une multitude de choses. Parfois il ne fait que changer les apparences, comme celle de ce vieux chêne qui, au sommet du village, penchait de plus en plus chaque année. Des fois il en modifiait le sens, comme mes sentiments envers Mila qui se teintaient d'une agréable couleur et transportaient une chaleur dont je commençais à saisir la puissance. Et, à de nombreuses occasions, il balayait tout.

En trois ans ma vie à Rovia n'était plus la même. J'étais arrivé dans la peau d'un gamin terrifié par sa vie, son pouvoir et son père ; j'étais devenu un adolescent épanouit avec une famille, de l'amour et un but.
Mila et ses parents devenaient ma famille jour après jour. Je les aimais et ils m'aimaient en retour ; ce n'est plus un secret, je le répète souvent depuis le début de cette histoire. Je sais que celui qui lira ces lignes se dira que je ne fais que rabâcher des mots sans aucun sens, que je m'étale sans raison et qu'on se moque de connaître ma vie là-bas, que Rovia n'était pas un épisode important. Pour celui qui a tout lu de ma vie sur Internet, la connaît par le biais d'une mauvaise émission télévisée ou par un livre, il dira que l'épisode de mon enfance n'est pas important. Ce n'est pas là que se situe l'action et il ne s'y passera rien avant mes dix-sept ans.
Il se trompe.

Rovia est le commencement. Voulez-vous raconter la vie d'un Papilusion sans parler de son état de Chenipan ? Est-il possible d'écrire un livre d'Histoire, de parler d'une guerre en parlant de la bataille finale de cette dernière, de la première ? Sans les fondations de ce mouvement, le mouvement n'a pas de sens. Il faut se nourrir, prendre le temps de raconter ce qui est véritablement important.
La patience est un art que peu maîtrisent. Avec l'âge je peux dire qu'elle est nécessaire dans la vie et je ne veux pas me presser.

Comment parler de mon enfance sans parler de cette évolution au sein d'un cocon familiale positif qui tranchait avec l'ancien ? Comment parler de mon histoire sans parler de ma relation avec Mila et de ce premier baiser échangé lorsque nous avions quatorze ans ? Comment parler ?
Néanmoins je ne veux pas m'étendre tout de suite sur cet amour, j'ai encore de nombreux épisodes à raconter avant d'y parvenir. Comme pour un insecte il était naît et, au début de notre adolescence, ne faisait que s'épanouir comme un cocon, attendant d'éclore, résultat d'un long procédé de patience et d'un jeu de regards.

Durant cette époque la guerre civile avait reculé. Aimé n'avait pas désiré marcher sur Unys dans une telle tension avec les autres pays, c'était un risque qu'il ne pouvait pas prendre pour Ermo. Il n'avait pas la puissance militaire adéquate pour faire face à une coalition d'une vingtaine d'états se liguant contre lui à chaque assemblée.
Néanmoins cela ne l'empêchait pas de poursuivre sa conquête du pouvoir. Il devint en très peu de temps le seul maître à bord à Ermo sans que personne ne puisse s'y opposer. Il supprima des lois et en ajouta d'autres. Au départ elles se dirigeaient vers un seul but : faire en sorte qu'il reste longtemps au pouvoir. Ensuite elles supprimèrent des libertés afin d'appuyer sa puissance sur son peuple qui redoutait la guerre avec effroi.
Le fait est que la nation vit ses craintes se réaliser un an après l'instauration de Gabriel Aimé. Ce fut à une poignée d'hommes que revint la possibilité de choisir si oui ou non il devait diriger la nation ; les autres n'avaient pas droit à la parole.

Mais même si la guerre reculait aux frontières cela ne voulait pas dire que le projet était abandonné. Pour Aimé plus que pour n'importe quel autre Unys était une région de la nation mère qu'il portait désormais à bout de bras. C'était une vieille frustration, un trou dans la poitrine qu'il fallait combler. Et si le petit état ne se rendait pas directement en acceptant de devenir une province d'Ermo, alors ce serait tôt ou tard dans le sang que le problème se résoudrait.
Au niveau des infrastructures, les camps militaires que le nouveau président avait installé près de la frontière, dont l'un à une vingtaine de kilomètres de notre village, quelques mois après son arrivée au pouvoir, n'avaient pas été démantelés. Au contraire ils continuaient d'être alimentés. Et les chars comme d'immenses félins, étaient prêts à bondir de l'autre côté de la frontière pour démanteler leurs proies sans défense.

Le nuage de la guerre volait au-dessus de nos têtes, paraissant bien loin d'être une réalité. Pourtant son ombre s'étendait au sol en nous rappelant que nous n'étions pas à l'abri. Et que bientôt elle viendrait sonner à notre porte.
Car les violences avaient commencé à plusieurs endroits. Les gens ne le voyaient pas encore comme je le voyais de mes yeux d'adolescent mais la guerre était en marche plus tôt qu'on ne le pensait. Le président lançait son assaut dans l'ombre, mettant la pression à l'assemblée pour qu'elle ne puisse rien avoir à répliquer lorsque le mouvement serait officialisé.

Ce n'était pas rare que je croise des victimes de cette guerre des ombres au village. Parfois elles se traînaient simplement au milieu de l'allée, leurs chaussures balayant une poussière qu'elles étaient incapables de soulever. Il m'arrivait de leur parler, comme pour donner un peu de réconfort dans ces vies d'errance.
« Tu me vois ? était souvent la première question qu'ils me posaient, sans trop y croire, ce à quoi je répondais d'un hochement de tête.
– Bien sûr. Je suis né en pouvant voir ceux qui ne parviennent pas à quitter ce monde, je peux même leur parler.
– Donc je suis bel et bien mort…
– Je suis désolé de vous le confirmer mais ce serait mentir de vous faire croire l'inverse.
– Ce n'est pas ta faute, gamin. »

Souvent la discussion commençait de cette manière. Puis mon interlocuteur tournait le regard vers le ciel tristement et soupirait une bouffée d'air qu'il n'avait jamais inhalé. Parfois il riait, tournant sa situation au dérisoire. Mais c'était plutôt rare ; la première réaction dominait.
« Pourquoi errer ici ? demandai-je par la suite.
– Je suis mort à côté, répondaient-ils le plus simplement du monde. »
Les rumeurs à Rovia énonçant un camp de torture dans les environs, aménagé dans le creux d'une montagne afin d'accueillir des habitants du pays voisin dans le but de soutirer des informations par le biais de la souffrance, allaient bon train. Bien entendu peu de gens y croyaient au début, la presse présentant un président plutôt tourné vers les négociations et les alternatives de paix. Mais aucun de ces journaux ne valaient véritablement la peine d'être lus. Les uns étaient contrôlés par Aimé, les autres se battaient pour être distribués sur le manteau et n'arriveraient jamais au village. Ceux que nous lisions transmettaient les informations que le dictateur voulait transmettre et pas une de plus, et leur utilité se résumait à nous tenir au courant de ce qu'il se passait globalement dans le monde tout en gardant notre suspicion.

Mais moi, contrairement à tous les autres, du haut de mes quatorze ans, je pouvais obtenir une vérité bien plus triste que celle que l'on lisait dans les feuilles de chou. Les morts qui arpentaient le village étaient nombreux, de plus en plus au fil du temps. Cela commença lors de l'année de mes treize ans tandis que je parvenais à maîtriser parfaitement l'œil sur conseils avisés de l'Ancien. Mon pokemon aidait particulièrement dans cette tâche, canalisant la puissance de ce pouvoir afin d'ouvrir et fermer la porte quand je le désirais ; un talent que je n'aurais jamais été capable de découvrir tout seul. Encore l'un des avantages de mon arrivée dans le village. Parfois je me dis que je suis tombé sur les bonnes personnes au bon moment, rien de plus ; par moments il me semble qu'il s'agisse d'un destin tout tracé.
Ce n'est pas important pour le moment de parler de cela. Destin ou pas ? Quelle importance que ce soit de son ressort ? L'histoire reste la même, l'intérêt pour cette notion abstraite me dépasse encore aujourd'hui.

« Je veux revoir ma femme et ma fille, me lança un jour l'un des spectres qui errait près de l'école à la sortie des cours. Mais je ne sais pas où je suis ni ce que je fais. Je me souviens simplement de ces types en train de crever ma peau et de presser une éponge contre ma bouche pour m'obliger à boire un liquide visqueux. Sans doute de l'eau… pourrie, ajouta-t-il après une hésitation.
– Vous ne savez pas où vous êtes ?
– J'ai comme perdu la notion de l'espace et du temps. »
C'est là que je découvris que l'Ancien ne me disait pas tout sur les rapports des fantômes au réel. Je pensais pendant un moment qu'ils étaient comme nous, doués de toutes leurs capacités mais juste incapables de revenir de l'autre côté de la barrière comme je le fis dans ce bus en arrivant au village. Mais ce n'était pas le cas.

Le spectre perd la notion des choses les plus élémentaires. Il ne ressent plus le besoin et le désir, des besoins comme le sommeil ou la faim deviennent les plus abstraits du monde. Il ne sait pas ce que cela fait d'avoir le ventre creux ou les paupières lourdes. Les sentiments lui apparaissent sous forme de chaleur ou de couleur. Il sait qu'il aime mais ne peut exprimer son amour. Il est coincé car n'a pas terminé sa tâche en ce monde, la plupart du temps par rapport à quelqu'un qu'il aurait laissé derrière lui. Son errance est le fruit d'un manque d'orientation, une autre facette de ce qu'il a laissé dans son dos en passant la porte. Souvent une coquille vide, la plupart du temps l'ombre de celui qui reste en ce monde et qu'il désire revoir.
C'est ce que me révéla un jour un fantôme qui traînait dans le village et qui était plus bavard que les autres, comme si dans la mort il parvenait à conserver un flacon de joie qu'il débouchait de temps en temps. Quand je demandai à l'Ancien pour quelle raison il m'avait caché la nature de ces spectres, il se contenta de hausser les épaules en répliquant : « Je ne vais pas te mâcher le boulot. ». Typique de son caractère.

« Vous êtes à Rovia, à la frontière entre Unys et Ermo, pas loin du camp de torture d'où vous venez. Du moins je suppose, personne ici n'a confirmé son existence.
– Il est réel, me répondit-il sans hésiter. Tu peux le croire, gamin, ce n'est pas une légende. J'étais à sa recherche quand ils m'ont capturé pour m'y emmener, quand... » Il s'arrêta net.
« Il y a un problème ? »
Pendant un instant il me sembla voir une larme couler le long de sa joue. C'était absurde car jamais un fantôme ne pourrait pleurer, c'était une de leurs autres facettes. Néanmoins, l'espace d'une infime seconde, un éclat s'illumina près de son œil. « Je ne me souvenais pas de tout cela avant de te parler, je ne pouvais même pas me rappeler mon nom.
– Votre nom ?
– Paul Gregor. Espion au service d'Unys venu enquêter non loin d'ici sur des camps de torture près de la frontière. Je devais faire un rapport sur ce qu'ils étaient réellement et pour quelle raison Aimé avait décidé de cet emplacement. Il n'est pas stupide, c'est impossible qu'il prenne un risque si gros sans raison. »

Et ainsi je compris autre chose sur l'œil. Il n'était pas simplement une ouverture sur l'autre monde et ne nous était pas confié sans raison. Si je pouvais voir derrière la porte, apprendre la manière la plus sûre de la pousser… Si je pouvais faire toutes ces choses et en connaître toutes les ficelles alors je devais accomplir la tâche que le ciel m'avait confié en retour : guider les morts.
Tu comprends maintenant la raison de l'œil, me lança le vieux le soir de cette rencontre. Rares sont les possesseurs de ce pouvoir qui apprennent à s'en servir, encore plus le sont ceux qui découvrent son utilité. Ce n'est pas une malédiction, ce n'est pas une bénédiction. C'est une tâche.
La vie prit soudainement un virage sans précédent. C'était comme si j'avais été en voiture le long d'un ravin en bord de mer. Le soleil frappe l'onde marine de ses rayons et j'observe cette dernière du haut de la falaise, derrière la vitre de mon véhicule. Le vent est doux, il s'engouffre avec passion par la fenêtre ouverte et je respire avec grand plaisir. Et soudain tout s'écroule, la falaise s'effondre, les roues glissent et l'automobile tombe sur les rochers. Mais, à ma grande surprise, au lieu de s'écraser lamentablement, elle retombe sur un autre chemin, tout aussi beau que le précédent, avec de beaux paysages marins et de grands palmiers qui étendent leurs branches sur la plage.
Un nouveau voyage, une nouvelle route.

Rovia devint différent dès cet instant. Car mon œil venait de s'ouvrir et j'étais dès lors un passeur, au même titre que mon maître.
Bien sûr, me dit-il un soir. J'en ai guidé, c'était mon devoir et c'est comme ça que j'ai découvert tout mon potentiel. Si tu veux tout savoir, tu ne seras pas capable de le faire à ton tour avant longtemps. Néanmoins, si tu veux te sentir utile, il te suffira de parler à tous ceux que tu rencontres. La plupart n'ont plus de mémoire mais leurs souvenirs sont présents pour autant. Il sont accrochés à des bouts de ficelles au-dessus de leurs têtes.
Que dois-je faire alors ?

Ce que tu fis cet après-midi. Il te suffit de tendre la main et de les décrocher.

Les morts de passage à Rovia furent bientôt innombrables, de plus en plus chaque année. Et je n'en oubliais jamais un. Je leur parlais, leur faisait retrouver leurs souvenirs presque à chaque fois ; il ne suffisait que d'un mot souvent, d'un contact humain qui leur manquait cruellement. Du moins, c'est une façon de parler.
Et, de tout le village, je fus le premier à comprendre que la guerre arriverait un jour à nos portes afin de balayer nos vies. Car dans la bouche des défunts se lisaient les désirs d'Aimé. Trois ans plus tard l'armée passerait la frontière de Rovia et commencerait à tirer à vue. Et pourtant je ne dirai rien, je ne préviendrai personne à cause de ma stupidité.
J'allais tuer Mila.