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Tout ça pour mourir de Asako



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Informations

» Auteur : Asako - Voir le profil
» Créé le 07/06/2010 à 20:28
» Dernière mise à jour le 08/06/2010 à 17:12

» Mots-clés :   Romance   Science fiction   Suspense

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2-1 : Sur la route
DEUXIÈME PARTIE : DESTINÉES
Courir. Fuir. Un pied devant l'autre, inlassablement, et ce malgré la pluie qui cingle son visage, malgré les ronces qui déchirent ses vêtements et tracent de profondes estafilades sanglantes dans sa peau mise à nue, malgré le point de côté qui lui scie la hanche. Chaque inspiration comprime sa poitrine.
Les pas résonnent dans son dos.
Ils lui veulent du mal. Ils n'ont pas le choix, mais ils lui veulent du mal.
Ses habits collent à sa peau, chaque goutte de pluie lui fait l'effet d'un coup de poignard.
L'eau ruisselle sur sa poitrine.
Suffocation.
Battement de cils.
Ses mains tremblent. La peur lui noue l'estomac. Envie de vomir.
Battement de cœur.
Son pied glisse. Dérapage. La boue, la saleté. Ce goût métallique dans la bouche. L'ombre des arbres l'emprisonne. Une main s'abat sur son épaule. Des voix s'emmêlent en haut, des voix inhumaines.

« Ne pars pas ! »

« Reste, reste ici, reste avec nous… »

« Tu n'as pas le droit de fuir ! »

« Ta vie contre celle de millions d'autre, tu comprends ? »

Ces voix éraillées sont terrifiantes. Se dégager, se relever, se remettre à courir, traverser le rideau de pluie, se diriger vers l'horizon réduit à une mer de brume moite et obscure. Et la pluie qui continue de claquer contre les branches des arbres.

Toc. Toc. Toc.

Rebecca Swann soupira. La pluie cognait avec un rythme saccadé contre les fenêtres. Avec le mauvais temps qui noircissait Bourg-en-Vol depuis le début de l'hiver, tout avait pris des teintes ternes et elle mourrait d'envie de quitter cette atmosphère sinistre.

-Joyeux anniversaire, Rebecca, marmonna-t-elle en fixant la feuille vierge qui trônait sur son bureau depuis déjà une demi-heure.

Elle avait beau se presser le cerveau, rien ne sortait. Elle n'arrivait tout simplement pas à répondre à ce sujet de dissertation qui commençait à lui donner la migraine : « Selon vous, un auteur peut-il toucher le lecteur en se mettant du point de vue d'un Pokémon ? » Elle ne manquait pas d'idées, bien au contraire. Elle n'arrivait tout simplement pas à les formuler correctement. Pourtant, elle était d'ordinaire excellente dans ce genre d'exercice, et cela la frustrait d'autant plus.

-Je fête mon anniversaire enfermée dans ma chambre à travailler… je vais finir par croire tous ces idiots qui me traitent d'intello asociale…

-Hééé, Rebecca ? Surprise !

Elle se retourna, étonnée. Ted Sempere, avec sa chemise à moitié rentrée dans son jean, ses baskets crasseuses et délacées et ses cheveux bruns désordonnés venait d'entrer dans sa chambre sans prendre la peine de frapper et triturait entre ses doigts avec un petit paquet cadeau qu'il lui lança. Elle le rattrapa au vol, se leva et le salua d'un vague signe de la main.

-Cache ta joie, Becky ! Ton enthousiasme fait peur ! ricana Ted en la saisissant par les épaules et en la plaquant contre son torse de toute ses forces. Joyeux anniversaire !!!

Elle grimaça et le repoussa.

-Tu sais que je déteste ce genre d'effusions… les câlins, c'est pas mon truc.

-Je le sais parfaitement, Becky !

-Et arrête avec ce surnom ridicule, soupira-t-elle, blasée.

-Allez, fais pas ta tête de mule et ouvre ton cadeau.

-Il ne fallait pas…

-Ouvre-le immédiatement ou je chante « Joyeux Anniversaire » assez fort pour que tout Bourg-en-Vol m'entende ! JOYEUUUX ANNIIIIVEEERSAAAIRE, JOYEUUUX ANNI…

-C'est bon, c'est bon ! l'interrompit Rebecca, esquissa un léger sourire.

Elle déchira méticuleusement l'emballage, sous le regard empressé de Ted.

-Qu'est-ce que… une Poké Ball ? Ted, tu n'es pas sérieux ! souffla-t-elle en effleurant la Ball miroitante du bout des ongles.

-Tu sais, on ne fête pas ses quinze ans tous les jours !

Emerveillée, Rebecca jeta la Poké Ball dans les airs. La Ball se scinda en deux et fit apparaître un Pokémon rose et rond, au pelage duveteux, qui se mit immédiatement à sautiller tout autour d'elle en poussant de petits cris enthousiastes.

-Un Rondoudou ? s'esclaffa Rebecca. Il est trop mignon, mais pourquoi un Rondoudou ?

-Je ne sais pas, je trouve qu'il te ressemble un peu, non ?

Le jeune fille, surprise, posa alternativement les yeux sur le Rondoudou, petit, rond et excité, puis sur elle-même, plutôt svelte et d'un calme olympien. Ted lui prit le bras en riant.

-Je plaisantais ! Où est passé ton sens de l'humour ? Ah oui, j'avais oublié, tu n'en as jamais eu… encore une fois je plaisante ! Viens, on va manger ce délicieux gâteau au chocolat que ta mère fait si bien !



Rebecca traçait, à l'aide de sa fourchette, de profonds sillons sur sa part de gâteau. Face à elle, Ted mangeait bruyamment, la bouche auréolée d'une moustache de crème et de chocolat, s'empiffrant joyeusement et à toute vitesse.
La jeune fille était plongée dans ses pensées et son regard absent n'échappa pas à son ami.

-Quelque chose te tracasse, Becky ? Tu peux tout dire à tonton Ted, tu sais ça, hein, lui dit-il en lui prenant la main d'un air faussement paternel, ce qui lui arracha un mince sourire.

-Non, c'est rien. Je pensais juste à… David.

Elle avait murmuré le prénom du bout des lèvres, comme si le prononcer était un outrage, et elle s'empressa de retourner à sa part de gâteau intouchée en s'empourprant légèrement.

-David ? s'écria Ted.

Rebecca acquiesça doucement. Son cœur se pinçait douloureusement à l'évocation de ce prénom, et elle sentait déjà les larmes former une boule dans sa gorge. Ted se tut, gêné.

-Il me manque, avoua Rebecca dans un filet de voix. On ne sait même pas où il est, ce qu'il fait, s'il est toujours en vie…

-Bien sûr qu'il est en vie ! affirma Ted, avec moins d'assurance qu'il n'aurait voulu.

-J'ai gardé les coupures de journaux, ajouta la jeune fille faiblement. Celles avec sa photo, celles qui disent qu'il est recherché, et qu'une récompense est offerte à celui qui le retrouverait. C'est horrible, n'est-ce pas ? Ces journaux parlent de lui comme d'un criminel, alors que son seul crime a été d'avoir une famille assez stupide pour le livrer à un centre expérimental.

-Personne ne l'a jamais retrouvé. A mon avis, il se planque pour échapper à ces fous qui faisaient des expériences sur lui. Tu m'as bien dit qu'ils lui injectaient des gènes de Zigzaton ?

Un frisson parcourut l'échine de la jeune fille à cette idée. La main de Ted se crispa autour de la sienne. Lui aussi devait être horrifié en songeant à ce qui avait été infligé à leur ami.
Ils restèrent murés dans un long silence seulement troublé par les cliquetis de l'horloge qui égrenait les secondes à un rythme funèbre. L'ombre de David planait sur eux. Rebecca sentait une onde glacée se répandre sournoisement dans ses veines à la simple pensée qu'ils n'avaient pas de nouvelle de lui depuis trois ans et qu'il puisse être mort. Ils n'avaient rien de lui, rien… sauf peut-être… Rebecca plaqua une main sur sa bouche, réalisant soudainement quelque chose. Elle se leva brusquement et se mit à fouiller fébrilement dans les tiroirs d'un vieux meuble où ses parents rangeaient les papiers importants.

-Euh, Rebecca ? demanda Ted, qui l'avait rejointe et semblait inquiet. Tu vas bien ?

-J'ai reçu une lettre, il y a bien longtemps, balbutia-t-elle, mais j'étais trop petite pour la comprendre, alors je l'ai rangée ici en attendant… je viens seulement de m'en rappeler, la dernière fois que je l'avais entre les mains j'avais douze ans… où est-elle passée ? Ah ! La voilà. Tiens, regarde !

Elle agita triomphalement sous son nez un vieux papier jauni par le temps, tel un trésor inestimable. Ted, de plus en plus anxieux, tenta de la calmer en lui pressant l'épaule, mais elle se dégagea d'un coup sec et se mit à lire à voix haute, les yeux brillants :

Chère Rebecca Swann,

Je t'en prie, lis cette lettre jusqu'au bout. J'ai confiance en toi, et je sais que quand le temps sera venu, tu sauras t'en servir.

Je vais te raconter quelque chose. Ça s'est déroulé loin d'ici, dans le nord du continent. Une épidémie, en apparence dérisoire, s'y est abattue. En apparence. Car derrière les images déployées par les médias pour dédramatiser la situation se cache quelque chose de terrible. Je ne peux pas t'en dévoiler davantage, mais sache une chose : cette Chose responsable de cette épidémie, tapie dans l'ombre, est liée à ton ami David Hunter. Comment je sais que tu connais David et que vous êtes amis ? Oublie cette question. Qui je suis n'a plus d'importance.
Il faut que tu te renseignes sur cette épidémie, sur cette Chose, et sur les véritables projets des scientifiques de Saigo. Mais, surtout, n'entreprends rien immédiatement. Garde précieusement cette lettre, tu es trop jeune pour te lancer dans de vaines entreprises. Un jour, tu sauras qu'il est temps d'agir. En attendant, continue ta vie sans te soucier de cette lettre.

Tu dois te demander pourquoi je te demande, à toi, tout ça. Hé bien, sache que moi-même, je suis un fugitif, et dans mon état je ne peux pas faire grand-chose. Je n'ai même pas le moindre Pokémon sur moi. Et tu es la seule personne qui me vienne à l'esprit qui puisse faire quelque chose, mais pas maintenant.

Une dernier chose : tu es sous surveillance, et ce pour un long moment. Méfie-toi des inconnus qui t'abordent pour te poser des questions indiscrètes, reste muette comme une tombe.
Je suis navré de mettre sur tes épaules tous mes espoirs, alors que tu ne me connais pas. Libre à toi d'ignorer cette lettre, de la déchirer ou de la brûler, je ne pourrais pas t'en empêcher. Mais je ne te demande pas ça pour moi. Il n'y a rien de personnel là-dedans.

Merci d'avoir pris la peine de tout lire.

Rebecca se tut et posa la lettre, le cœur battant à tout rompre contre ses côtes. Elle se souvenait encore parfaitement du jour où ce courrier lui était parvenu. C'était très peu de temps après l'explosion de la salle de congrès de Poivressel qui avait remué tout Hoenn. Un nombre incroyable de victimes avait péri dans l'incendie, et sa source n'avait jamais été identifiée. Le lendemain, un avis de recherche portant David disparu était épinglé à tous les buralistes du coin. Rebecca avait fait mécaniquement le lien entre les deux évènements, et avait compris qu'il avait profité de la panique pour fuir. Cela l'avait longtemps tourmentée : pourquoi ne pas être revenu à Bourg-en-Vol, pourquoi ne pas donner signe de vie et les abandonner, Ted et elle, ses meilleurs amis, dans l'ignorance totale ?
Puis cette lettre lui était parvenue. Elle avait sagement obéit en la rangeant dans ce meuble où toutes les paperasses sérieuses étaient entreposées, puis l'avait effacée de sa mémoire.
Et aujourd'hui, trois ans plus tard, elle se souvenait.

Face à elle, Ted, qui avait été attentif à sa lecture, avait blêmi au fil des lignes et arborait désormais un teint livide qui aurait fait peur à un Blizzaroi.

-David… une épidémie… une… Chose… bégaya-t-il. Qu'est-ce que ça veut dire ? Pourquoi on te l'a envoyée à toi, cette lettre ?

-Je ne sais pas, avoua Rebecca. Ça me donne l'impression d'être l'élue d'une prophétie, comme dans tous ces romans d'aventure, et ce n'est pas vraiment agréable.

-Bon, pas de panique, souffla le jeune homme en se dressant sur la pointe des pieds pour déchiffrer les gribouillis qui tapissaient le feuillet. Il n'y a pas de signature ?

Rebecca secoua la tête, ce qui fit voltiger ses longs cheveux blonds de gauche à droite.

-C'est peut-être une blague, argua Ted, peu convaincu.

-Ou alors, celui qui m'a envoyée ça était sincère et lui obéir pourrait aider David. Tu veux aider David, non ? ajouta-t-elle, une lueur de défi dans ses yeux céruléens.

-Bien sûr ! Tu as Internet, non ? Allons faire des recherche sur cette épidémie !

Il était déjà sur le point de se jeter sur l'ordinateur, mais Rebecca lui attrapa fermement le bras pour le retenir et braqua sur lui un regard de reproche.

-Attends, Ted. Tu m'as bien écoutée ? D'après l'auteur de cette lettre, les médias ont minimisé cette épidémie. Ce qu'on trouvera sera donc forcément faussé. Ça risque d'être long. Il va nous falloir éplucher tous les articles, en long, en large et en travers, et…

-Je passerais des journées entières, s'il le faut, pour aider David !

Rebecca ne put s'empêcher de sourire, réconfortée par la verve de son ami.

-Alors, allons-y.

Ils se penchèrent sur l'ordinateur, gonflés d'espoir.
Dehors, la pluie continuait de tambouriner à un rythme irrégulier contre les vitres.

Toc. Toc. Toc.

Le feu contre l'eau. Des flammèches qui crépitent dans les airs, qui embrasent le bois humide. Une fumée noire, épaisse, asphyxiante. L'odeur carbonisée, qui prend à la gorge, fait couler des larmes grosses comme des billes sur les joues blafardes des assaillants.
Courir. Fuir.
Ignorer la douleur, continuer, ne jamais s'arrêter. Les bras et les jambes lézardées de fines entailles ensanglantées, le cœur lourd, la mer de cendre qui s'étale dans le ciel.
Ses pieds hurlent de douleur, mais sa survie dépend de cette fuite. Ils veulent l'enfermer, traîner son corps face à la mort, ils sont fatigués, ils n'en peuvent plus, ils feraient n'importe quoi pour pouvoir enfin dormir de nouveau en toute sérénité.
Des gerbes d'or illuminent le lointain. Le soleil… les éclats de soleil qui baignent le chemin…
La pluie cesse.
La route s'arrête là. L'échappatoire lui ouvre les bras. Ils n'iront jamais s'aventurer là.
La course est terminée.