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Tout ça pour mourir de Asako



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Informations

» Auteur : Asako - Voir le profil
» Créé le 28/11/2012 à 18:00
» Dernière mise à jour le 28/11/2012 à 18:26

» Mots-clés :   Romance   Science fiction   Suspense

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2-2 : Cohabitation
David ouvrit les yeux, se redressa et passa la main sur ses paupières encore gonflées par le sommeil. De minces rayons de soleil filtraient à travers la fenêtre crasseuse, se déposant sur le mur en petits joyaux dorés et éclairant faiblement la petite pièce dérangée, où régnait une tenace odeur de renfermé. Il resta immobile un bref instant, ensommeillé et luttant pour ne pas se blottir de nouveau sous les draps, puis, avec des efforts surhumains, il posa ses pieds par terre et se releva complètement, avant de se frayer un passage jusqu'à la porte, ce qui ne fut pas chose aisée car le parquet était jonché de bouteilles en plastique vides, de paquets de gâteaux réduits à de petits morceaux de cartons chiffonnés, de miettes, et de tout un tas de bricoles à l'utilité douteuse.

Lorsqu'il arriva dans la cuisine, un arôme de café flottait dans l'air, mêlé au parfum de tartines tout juste grillées qui n'attendaient que d'être recouvertes d'une bonne dose de marmelade.

-Salut, Dave ! Bien dormi ? l'accueillit gaiement Irwin.

David haussa les épaules, se laissant tomber sur le premier siège qui s'offrait à lui.

Prenant la moitié de la table, Capumain lapait avidement le contenu d'un bol à grands coups de langue, aspergeant de gouttes de lait tout ce qui l'entourait et qui dans le cas présent était un adolescent dont les cheveux châtains en bataille rebiquaient sur son visage pointu et dont les yeux pâles étaient voilés par la fatigue.

-J'ai fait un de ces rêves... ajouta joyeusement Irwin, catapultant à l'aide de sa petite cuillère de généreuses giclées de confitures sur un morceau de tartine carbonisé. Merveilleux.

-Ah...

-Un soleil de plomb, des palmiers à foison, un sable fin, doux, qui glisse entre les doigts, et la mer à perte de vue...

David posa ses yeux sur le mur gris et sale qui lui faisait face, criblé par deux petites fenêtres dévoilant un extérieur pluvieux et glacial, puis les baissa sur la table branlante, sur l'assiette ébréchée dans laquelle gisaient des tranches de toast charbonneuses et sur le café bon marché au goût triste et fade, puis il murmura :

-Ce n'était qu'un rêve...

-Oui, mais c'est toujours agréable de savoir qu'il y a de merveilleux mondes bien au chaud à l'abri de nos paupières, qui n'attendent qu'à être découverts par notre inconscient !

David haussa les épaules, peu convaincu. Pour lui, rêver de belles choses était source de désillusion. Parfois, dans les méandres de son sommeil, les visages de Ted et Rebecca apparaissaient, et leurs sourires déchiraient l'ombre, et ils se jetaient sur lui et l'étreignaient de toutes les forces, et il se sentait heureux et apaisé... puis il se réveillait, réalisait avec horreur que ce n'était qu'un songe et un immense accablement s'abattait sur lui.

-Fais pas cette tête, Dave, lança Irwin en lui donnant une puissante bourrade sur l'épaule, le faisant brusquement sursauter.
David voulut esquisser un sourire pour le rassurer, mais seul un mince rictus empreint de tristesse parvint à traverser ses lèvres.

Trois ans.
Trois ans qu'il vivait entre ces murs décrépis.
Trois ans qu'il se cachait, qu'il ne sortait plus, qu'il restait cloîtré pour échapper à ceux qui le pourchassaient, dehors. Son teint ivoire témoignait de cet enfermement forcé.
Trois ans qu'il restait coupé du monde, n'ayant qu'Irwin comme contact avec la réalité. Et Irwin fuyait la réalité dès que possible, si bien que David n'avait plus trop conscience des évènements qui se déroulaient derrière les vitres de l'appartement.
Trois ans qu'il n'avait pas revu Ted, Rebecca, Matt, Johanna, Sébastien, Stieg, ses parents...
Trois ans que, jour après jour, il constatait, non sans horreur, que Matt s'était trompé. Ses pouvoirs n'avaient jamais cessé de croître, de se déployer toujours plus dans son corps. Il craignait qu'Irwin remarque quelque chose, et, surtout, que les Pokémons d'Irwin, une Mimigal et un Rattata plutôt pacifiques, ne se méfient de lui.
Pourtant, Irwin, qui passait le plus clair de son temps à vagabonder dehors, se comportait avec lui de façon amicale, ne lui posant jamais de questions sur son passé et semblant en confiance, tout comme ses Pokémons. En retour, David faisait de même. Ainsi, même après trois ans de cohabitation, l'un restait un mystère pour l'autre.

« Et c'est mieux ainsi », songeait David.

Irwin roula mécaniquement une cigarette entre ses doigts longs et fins. « Des mains d'artistes », pensait souvent David en les apercevant. Le jeune homme plissait les paupières, symptôme de grande concentration, et ses yeux étaient réduits à deux fentes mordorées. Puis, d'un geste précis qui témoignait d'une certaine habitude, il embrasa son extrémité à l'aide d'un briquet flambant neuf probablement « emprunté » au tabac du coin. En le voyant faire, Capumain enroula sa queue autour du bol de lait et partit le boire ailleurs, importuné d'avance par la fumée.
David saisit un morceau de toast et l'émietta entre ses doigts, pensif. Il envisageait de plus en plus sérieusement de sortir de cet appartement. Il avait assez attendu. Qui le reconnaîtrait ? Qui se souviendrait de lui ? Personne... Parfois, il sortait sur le balcon de l'appartement et regardait les lumières de Poivressel qui illuminaient l'horizon comme des centaines de Mucioles, le coeur lourd, et il rêvait de s'y échapper, d'être à nouveau libre... Il n'avait jamais connu ça, la liberté. Ni chez lui, à Bourg-en-Vol, ni au centre Saigo, et même aujourd'hui, il restait prisonnier...
A ses côtés, Irwin expirait des volutes de fumée argentée avec un délice non dissimulé. Le nuage au parfum de tabac vint effleurer le visage de David... qui se mit presque instantanément à tousser, de petites perles de larme translucides au coin des yeux. Sa gorge le brûlait et ses poumons protestaient vivement contre cette agression, le faisant tousser, haleter, cracher, et la main d'Irwin qui se mit à tambouriner précipitamment contre sa colonne vertébrale n'arrangeait pas les choses.

-Hé, Dave, t'étouffe pas ! Qu'est-ce que je vais faire, moi, avec ton cadavre sur les bras ? Je vais me sentir tout seul sans toi !

-La... fumée... parvint-il à articuler entre deux quintes de toux.

-La fumée ? répéta Irwin, posant un regard incrédule sur la cigarette qui se consumait lentement entre ses doigts. Ah, je vois ! ... Fallait le dire tout de suite !

Il l'écrasa prestement contre la table de la cuisine, creusant un rond noir sur sa surface déjà bien abîmée. David sentit la sensation de brûlure s'estomper, et il inspira profondément, agité de tremblements. Irwin semblait troublé.

-C'est marrant, ça, dit-il lentement. Tu réagis à la cigarette exactement comme mon Rattata et ton Capumain. Ils supportent pas l'odeur du tabac. Ça leur faire cracher leurs poumons. Mais ça t'était jamais arrivé avant...

David resta muet, sentant l'inquiétude étreindre son cœur. Les soupçons commençaient à poindre dans les yeux dorés d'Irwin. Il devait trouver une excuse, et vite...

-Bon, en tout cas, je saurais à l'avenir que je devrais m'abstenir de fumer en ta présence. J'ai pas envie d'être à l'origine de ta mort. Ça va peut-être m'aider à arrêter, qui sait ? T'es plus efficace qu'un patch, après tout !

Et Irwin partit dans l'un de ces grands rires dont il avait le secret. David sentit les battements effrénés de son cœur se dissiper. Parfois, il oubliait qu'Irwin était la personne la moins suspicieuse qu'il connaisse, et il eut brusquement une bouffée d'affection envers lui qui lui donna envie de se lever et de le serrer dans ses bras –mais il resta figé, incapable d'ébaucher le moindre geste, et il se contenta de contempler le visage noir d'Irwin que ses dents très blanches semblaient découper.

***
-Bon, je vais prendre un peu l'air ! A plus tard, Dave !

-Salut.

Irwin claqua la porte d'entrée derrière sa grande silhouette féline. Ses absences n'étaient pas rares, et David évitait de se poser des questions sur ses activités.
Il s'était recroquevillé dans le canapé, qu'ils avaient raccommodé un jour à l'aide de vieux bouts de ficelles et de gros morceaux de scotch opaques, et il lisait distraitement des magasines ramenés par la Mimigal d'Irwin, véritable professionnelle pour ramener de tout et de n'importe quoi pour égayer l'appartement. Elle ne rapportait jamais de journaux sérieux, mais toujours des magasins people qui claironnaient gaiement la vie de ces stars inaccessibles qui passaient leurs hivers à se pavoiser sous le soleil brûlant des îles tropicales.
Si ces lectures avaient tout d'abord assommé David, il avait finit par s'y habituer. Capumain s'était lové contre sa poitrine et regardait les images avec intérêt.

-Capuuu ?! s'étonna le Pokémon en désignant, sur l'une des pages, un Capumain qui portait des lunettes de soleil et qui tenait, à l'aide de la main qui ornait sa queue, une coupe de champagne.

-Apparemment, c'est un grand acteur, commenta David d'un air sombre. Il a joué dans une série narrant les aventures d'un jeune dresseur intrépide accompagné par deux champions d'arène plus jeunes que moi.

-Capuuuu !! ... Capu ?

-Oui, c'est assez improbable, mais...

David s'interrompit brusquement.
Sur l'une des nombreuses images qui parsemaient les pages du magasine, un visage familier venait d'attirer son attention. Un visage familier et pourtant différent. Il reconnaissait les rides qui creusaient la peau, les yeux noir corbeau, les cheveux grisâtres, mais la grande tache brune qui se déployait sur la joue était, elle, nouvelle. Pourtant...

-Stieg Jackson...

Fébrilement, il lut la légende. « Soirée pour le lancement de la nouvelle Golden Ball, à Autéquia. Elle sera mise au vente au mois de février prochain, pour la modique somme de... » Stieg Jackson n'était cité nulle part, mais David aurait parié n'importe quoi qu'il s'agissait bien de lui, malgré cette cicatrice qui lui rongeait la peau.

-Autéquia... répéta-t-il dans le vide. C'est dans le nord, ça. Qu'est-ce que Stieg Jackson allait faire là-bas ?

-Capu...

David fixa les images, déconcerté. Stieg n'était présent que sur une seule photo, en arrière-plan, ignorant visiblement qu'il était dans le champ de vision de l'appareil et plissant un front soucieux, ce qui tranchait avec les visages insouciants et lumineux qui l'entouraient. Il chercha à en savoir plus sur cette fameuse Golden Ball, mais visiblement, les lecteurs étaient déjà au courant car il n'y avait pas de précision sur elle, juste un étalage de noms célèbres et une image représentant une Ball géante qui miroitait de mille feux, arborant les couleurs de l'arc-en-ciel.

-Capu ?

Capumain s'impatientait et tentait de tourner les pages. David le laissa faire, mais Stieg Jackson n'avait pas quitté son esprit. Le scientifique était toujours en vie, certes, mais défiguré. « Brûlé » réalisa-t-il soudainement. Alors ce jour-là, le jour où un simple congrès avait tourné à la catastrophe, l'explosion avait laissé derrière elle quelques victimes. Il imagina les flammes qui dévoraient le visage de Stieg et fit la moue. Le sort du vieillard l'indifférait, mais il espérait que les autres avaient eu plus de chance.

-Capuuuuu !

La patte du singe au pelage violet s'agitait devant ses yeux pour le faire redescendre sur Terre. Il cligna des paupières et reporta son attention sur le magasine, tordant sous ses doigts les pages glacées qui lui livraient sans pudeur d'autres vies, libres, heureuses, tellement différentes de la sienne, si ridicule, si misérable. Une fureur incontrôlée explosa au creux de son ventre. Oui, il était ridicule, à rester tapi dans cet appartement comme un Rattata dans son terrier. Irwin sortait, vivait, mais lui...
Malgré la froideur et le calme qu'exprimaient son regard, David crevait d'envie de jeter le magasine par terre, de se lever, de balancer les lampes et le canapé et la vieille radio et les tableaux par terre et de s'enfuir en courant. A cette pensée, il réalisa qu'il commençait à penser n'importe quoi, il se traita d'idiot et continua de lire, commentant les images avec une moquerie dédaigneuse qui amusait beaucoup Capumain.

***
-T'as poussé comme une de ces racines géantes qui exigent qu'on les coupe avec un Pokémon, Dave ! lança Irwin lorsqu'ils préparèrent le dîner, fouillant dans le sac de nourriture qu'avait ramené Mimigal. J'me souviens, quand t'as débarqué ici, t'étais pas plus haut que ce frigo, et maintenant, tu commences à rivaliser avec moi, niveau taille !

David jeta un regard perplexe au jeune homme, qui le surplombait aisément d'au moins trois têtes.

-J'ai voulu recycler tes vieux habits qui ne te vont plus, tout à l'heure, ajouta-t-il gaiement, et j'ai retrouvé ça dans une poche... c'est à toi ?

Il lui montra un petit morceau de papier chiffonné. David l'attrapa, surpris, et un léger cri de stupeur manqua de s'échapper de ses lèvres. La scène défila dans sa tête, comme un film en accéléré ; Matt Keyes qui lui tendait ce bout de papier, qui lui disait de rendre à l'adresse qui y était indiqué, qu'il y trouverait quelqu'un qui pourrait l'aider...
Ce bout de papier, il l'avait précieusement gardé, les premières semaines de sa captivité forcée. Il l'avait tourné et retourné, et avait lu et relu l'adresse indiqué avec curiosité, mais tout en sachant qu'il devrait attendre avant de s'y rendre, recherché comme il devait l'être. Et puis les jours s'étaient succédés, et le morceau de papier était resté au fond de sa poche et de ses pensées...

-Tu sais où se trouve cet endroit ? demanda soudainement Irwin, l'interrompant dans ses réflexions.

David secoua la tête.

-C'est à Lavandia, pas très loin d'ici. J'peux te montrer sur une carte.

-Vous pensez que je pourrais y aller ? hésita l'adolescent.

Le visage sombre d'Irwin se fendit d'un large sourire.

-Je pense même que tu devrais ! Tu passes ta vie enfermé ici, tu es tellement blanc que tu dois briller dans le noir ! Mimigal m'a aidé à retapé une vieille bicyclette, il n'y pas longtemps. Pourquoi tu ne l'emprunterais pas pour t'y rendre ? Et puis ça te ferait faire un peu d'exercice ; regarde-toi, on dirait une crevette ! Tu ne trouveras jamais une petite copine, si tu continues comme ça, mon pote. Et crois-moi, c'est un expert en la matière qui te parles !