Neuf Agents pour sauver le Monde de Nates

Le président de Kanto, qui avait fait appel à neuf "Agents" pour s'occuper du Saint Culte de Giratina, une secte fanatique dangereuse qui commençait à semer le trouble dans sa région, n'avait pas perdu de temps pour donner ses instructions - très précises et qui semblaient parfois n'avoir ni queue ni tête - à ses nouveaux subordonnés. Lesquels n'avaient même pas eu l'occasion de rencontrer le président. Leur "entrevue" s'était faite entre eux et un discours préenregistré du dirigeant, ce qui n'avait rien de très officiel. Ils ignoraient encore pourquoi le président semblait autant redouter leur rencontre. Peut-être avait-il peur que l'on fasse le lien entre lui et ces neuf exécutants qui luttaient contre la secte.

Les Agents 004 et 008 avaient reçu, en même temps que tous les autres, un message leur indiquant de se rendre ensemble au casino de Lavandia, et ce pour rencontrer une certaine personne. Sully Winshaw n'avait pas à se plaindre de cette mission-là ; il adorait flamber tout son pognon au poker, au black jack ou autres jeux d'argent hasardeux. Et il était un fervent adorateur de boissons alcoolisées en tout genre, accessoirement, bien qu'il n'en abuse jamais. Ce soir-là, il portait une tenue plus "guindée" qu'à l'accoutumée, un costume noir et une chemise blanche, sans cravate. Cigarette à la bouche, sa partenaire et lui se frayaient un chemin dans les rues éclairées par des lampadaires de la ville.

Violet Amory, quant à elle, avait toujours haï les casinos. Elle se souvenait vaguement que sa mère y passait tout son temps et ne s'occupant jamais d'elle, la laissant toujours à son père, un parent très gentil qui n'avait rien en commun avec sa femme. Elle se demandait comment ils avaient pu concevoir un enfant tous les deux, vu toutes leurs différences. Habillée d'une robe bleue et de son imperméable noir favori, elle peinait à suivre le rythme de marche de Sully du haut de ses talons. Elle aurait dû mettre autre chose... quoique le casino étant un endroit très chic, la tenue élégante était de rigueur, malheureusement. Ses pieds lui faisaient mal, mais digne comme elle était, elle ne se plaindrait jamais devant son camarade, qu'elle n'appréciait pas spécialement. Il était un peu trop... elle ne savait pas vraiment comment le dire, mais il n'était pas à son goût. Physiquement, elle le trouvait bien, mais son caractère un peu séducteur et peu sérieux ne l'intéressait pas du tout.

Violet frissonna légèrement. En dépit du fait qu'ils soient au début de l'été, la température de nuit était plutôt fraîche. Elle avait eu raison de prendre son manteau avec elle, car elle aurait grelotté de froid pendant un bon moment, autrement. Etrangement, l'Agent 004 se montrait moins bavard à l'accoutumée. Peut-être avait-il fini par prendre cette histoire de secte au sérieux, finalement. Qui pouvait le savoir, à part lui ? Elle décida de le lui demander pour tirer cela au clair.

- Vous avez l'air étonnamment concentré, ce soir. Vous prenez cette mission au sérieux, alors ?

Sully ne répondit pas tout de suite. Il tira une dernière bouffée de sa cigarette et la jeta à côté du trottoir, puis se retourna vers elle. Il affichait une moue légèrement contrariée.

- Pas de formalités, parle-moi comme si j'étais quelqu'un que tu connais. Et pour répondre à ta question... absolument pas, mais je sais reconnaître les gens qui n'ont pas envie de me parler.

L'Agent 008 haussa un sourcil, perplexe.

- Eh bien, si vous... si tu en es si certain...

Ils continuèrent à marcher sans mot dire jusqu'à atteindre la rue juste en face du casino.

- Que sait-on sur cet informateur qu'on doit convaincre ? demanda la femme au chignon. Est-il fiable, au moins ?

L'Agent 004 sortit un petit carnet de la poche de sa veste et commença à le feuilleter. Violet supposa qu'il s'agissait de toutes les informations importantes qu'il notait pour ne rien oublier, dans sa vie quotidienne. Ou bien n'était-ce rien d'autre qu'un carnet destiné aux affaires - elle ne savait même pas ce qu'il faisait dans la vie, d'ailleurs, mais n'osait pas trop le lui demander. Lorsqu'il trouva enfin la page qui l'intéressait, il se mit à lire à haute voix :

- Florent Villias, trente ans. Il était courtier en bourse jusqu'à l'année dernière, mais il a subitement changé de voie, personne ne sait vraiment pourquoi, il n'avait pas vraiment d'ami proche. En à peine un an, il s'est fait un nom dans le monde du crime et est devenu l'un des informateurs les plus prisés de l'archipel de Pokéis. Aujourd'hui, il travaille comme gérant adjoint au casino. Officiellement du moins.

Violet hocha la tête, impressionnée. L'archipel de Pokéis était immense ; il regroupait de très grandes régions, telles que Kanto, Johto, Hoenn ou encore Sinnoh, mais aussi des plus petites beaucoup moins connues, car il n'y avait aucune Ligue Pokémon là-bas. Ce qui faisait la richesse de Pokéis, en plus de sa biodiversité impressionnante, c'était aussi et surtout les compétitions Pokémon très à la mode chez les adolescents. Au moins, ils ne passaient pas leur temps sur leur smartphone comme cela pouvait être le cas en Europe ou en Amérique, des continents sur lesquels ne vivaient que très peu d'espèces de Pokémon différentes.

- Eh, tu dors ou quoi ? Je t'ai dit de me suivre, marmonna Sully, tirant la femme de ses rêveries.

- Je réfléchissais.

L'homme haussa les épaules et tous deux traversèrent la rue pour s'engouffrer dans l'immense bâtiment aux enseignes excessivement lumineuses. Violet était impressionnée, mais Sully, qui avait déjà eu l'occasion de se rendre dans la Ville Noire, à Unys, savait pertinemment que Lavandia n'avait rien à envier à cette ville de débauche et de richesse. L'intérieur du casino était très luxueux, et l'Agent 008 se surprit à apprécier la décoration. Des lustres qui semblaient faits de cristal pendaient au plafond, les murs rouges donnaient une atmosphère sensuelle à la pièce, sans parler de l'odeur d'alcool qui était omniprésente. 004 ne se priva d'ailleurs pas pour prendre une flûte de champagne sur le plateau de l'un des serveurs qui circulaient.

- Je doute que ce soit le moment idéal pour boire...

Le quadragénaire haussa un sourcil et dévisagea sa partenaire de son regard bleu pâle perçant.

- Tu t'es déjà amusée une fois dans ta vie ?

- Aussi bizarre que ça puisse paraître, oui.

- C'est la première fois que je discute avec une femme aussi coincée que toi... soupira-t-il, sans doute beaucoup plus à l'aise parmi les joueurs qu'avec elle.

Violet haussa les épaules avec un sourire mauvais.

- Je suis peut-être aussi la première que tu n'as pas emmenée dans ton lit ?

Sully plissa les yeux, l'air vexé par cette remarque. En effet, même s'il était d'un naturel séducteur et qu'il n'avait pas eu beaucoup de copines ayant duré plus d'une nuit, il n'était pas pour autant accro. De plus, il ne passait la nuit avec des femmes que lorsqu'il avait bu pas mal d'alcool au préalable. Là, il n'en était qu'à son premier verre, et ce n'était pas du champagne qui allait l'assommer.

- Et méchante, avec ça, hein... t'es plutôt bien foutue pourtant.

- T'es pas mal non plus, vieillard, railla Violet.

Il lui donna une tape sur l'épaule.

- Si quarante et un ans, c'est déjà vieux, j'ai du souci à me faire. Et toi, t'as quel âge ?

- Bon, je retire ce que j'ai dit... trente-sept ans.

004 siffla, impressionné. Elle n'avait absolument pas l'air d'avoir presque le même âge que lui. Son visage avait l'air jeune, elle ne faisait pas plus de trente ans. Peut-être avait-elle un produit anti-rides miraculeux qui lui faisait perdre dix ans en une seule application. Il n'en savait rien, et s'en fichait un peu, mais il n'aimait pas se tromper à ce point-là non plus. Cela lui donnait l'impression de perdre peu à peu ses facultés d'observation, pourtant encore intactes. Ils ne s'attardèrent pas plus longtemps là-dessus et marchèrent jusqu'à une double porte menant au couloir administratif. Naturellement, les deux vigiles bien bâtis mirent du temps avant de les laisser entrer pour les guider jusqu'à une porte au fond du couloir, qui indiquait "Directeur adjoint".

L'un des deux vigiles frappa à la porte, et une voix étouffée lui demanda de quoi il s'agissait.

- Une femme et un homme prétendent avoir pris rendez-vous et veulent vous voir immédiatement, patron.

La voix de l'autre côté de la porte se fit de nouveau entendre.

- Laisse les entrer, tu peux disposer. Merci.

De mauvaise grâce, l'homme leur ouvrit la porte et les fit entrer dans la grande pièce luxueuse, que tous deux examinèrent avec intérêt. Pas pour les mêmes raisons, bien entendu. Sully remarqua surtout les quelques bibelots antiques qui semblaient avoir de la valeur, et le coffre-fort juste à droite de l'entrée de la pièce. Intéressant. Violet quant à elle s'extasia sur la beauté du mobilier et des tapisseries aux motifs de Pokémon légendaires, qui étaient particulièrement jolis. Elle se promit d'en acheter une du même genre pour son appartement. Elle ne savait pas trop où elle pourrait le mettre cela dit. Dans sa chambre, il n'y aurait pas assez de place. Peut-être le salon... Elle fut interrompue dans ses pensées par l'occupant du bureau, qui les rappela à l'ordre.

Florent Villias était jeune. Comme l'avait dit Sully, il avait trente ans. Il était plutôt beau garçon, avec des cheveux blonds foncés courts et des yeux verts. Habillé d'un costume-cravate probablement très coûteux, il avait tout d'un directeur de casino. Enfin, directeur adjoint en l'occurence. Lorsqu'il lui serra la main, 004 remarqua l'anneau qui ornait son doigt, qui devait être en or. Encore un objet de valeur. Décidément, s'il avait envie de voler quelque chose, ce bureau était l'endroit rêvé.

- Bienvenue à vous. Je suis le directeur adjoint Villias, mais vous devez déjà le savoir. Asseyez-vous, je vous en prie.

En dépit de son statut et de sa réputation, Florent avait l'air d'un jeune homme tout à fait courtois, qui s'exprimait calmement et sans la moindre arrogance. Une fois qu'ils furent installés, il demanda donc aux deux Agents de se montrer plus précis sur les raisons de leur visite. Ce fut Violet qui prit la parole.

- Avant de vous expliquer, nous devons nous assurer que tout ce qui sera dit ici restera entre nous.

Le maître des lieux acquiesça, parfaitement conscient de la situation. Il savait garder un secret, et accordait une importance primordiale à la confiance entre ses "clients" et lui. Il invita 008 à poursuivre d'un geste de la main, toujours ce sourire bienveillant sur le visage. Elle avait du mal à croire qu'il pouvait se mettre au service des plus grands criminels en échange de sommes d'argent faramineuses.

- Vous avez dû entendre parler du Saint Culte de Giratina, je suppose...

Florent haussa les sourcils. Certes, il en avait pas mal entendu parler ces derniers temps, effectivement, mais de là à ce que l'on vienne lui en parler... Il hocha la tête pour toute réponse.

- Le président de Kanto nous a demandé, à nous deux ainsi qu'à sept autres "Agents", de mener l'enquête et de se débarrasser de la menace.

- Le président Deling ? fit le jeune homme. C'est un peu bizarre venant de lui, je le croyais plus rationnel...

- Winzer Deling est un enfoiré de première, et ce n'est pas aujourd'hui que ça changera, intervint Sully.

- Et pourrais-je savoir ce que toute cette histoire a à voir avec moi ?

- Précisément, poursuivit 004. Vous êtes l'un des informateurs les plus intelligents et dignes de confiance, et Deling vous veut dans son camp contre le Saint Culte.

Florent se renversa un peu plus sur son fauteuil de cuir, sembla méditer un instant les paroles des deux Agents, puis les regarda tour à tour.

- Je pense que je vais refuser de vous aider.

Au vu des regards étonnés de ses deux interlocuteurs, il trouva utile de se justifier.

- Comprenez-moi. Depuis que ces fanatiques fous furieux font du grabuge à Kanto, toutes les affaires criminelles dans lesquelles je suis impliqué vont bon train. La police de là-bas a la trouille, et ils n'osent presque plus sortir de leur commissariat. C'est bon pour mes affaires, et vous voudriez que je vous aide ?

- Et merde, pourquoi ce con de président n'y a pas pensé...

Violet jugea bon d'intervenir.

- Si je peux me permettre, monsieur Villias... si on réussit à se débarrasser de ces fanatiques, le gouvernement nous promet neuf cent millions de pokédollars. Et je connais assez bien les politiciens de Kanto pour affirmer que lorsqu'il s'agit d'argent, c'est toujours très sérieux.

Sully sourit et s'empressa d'ajouter.

- A prendre ou à laisser, alors. Enfin, de toute façon, je suppose qu'un type égoïste et seul comme vous a bien assez d'argent pour se passer de nous rendre service. J'espère que vous aurez jamais d'enfants, ce serait multiplier les crapules...

Etrangement, l'expression du jeune homme avait changé. Il était passé de très serein à légèrement crispé. Il avait les poings serrés et les sourcils froncés, comme si l'on venait de l'offenser. Il se leva et, sans crier gare, fit sortir un Nostenfer de sa Pokéball.

- Mais putain, vous êtes taré ! grommela l'Agent 004, peu ravi de la tournure que prenaient les événements.

- Complètement malade ! approuva Violet en envoyant au combat son propre Pokémon, un Roserade.

Sully ne comprenait strictement rien à ce qui était en train de se passer sous ses yeux, mais il jugea bon de ne surtout pas faire sortir son Dracaufeu, auquel cas la pièce serait mise sens dessus dessous rapidement. Non pas que ce ne soit pas déjà le cas avec un Nostenfer et un Roserade déchaînés.

- Villias, ça vous tuerait de m'expliquer ce qui va pas ?

Florent daigna se calmer un peu pour regarder l'Agent 004, qui avait l'air tout à fait déconfit. Il jeta un regard circulaire dans la pièce et réalisa qu'il était allé un peu trop loin. Il rappela son Pokémon, s'excusa platement et reprit sa place dans son fauteuil, comme si de rien n'était.

- J'ai tendance à m'emporter lorsque l'on insulte ma famille...

Violet haussa les sourcils.

- Oh, alors vous avez des enfants !

Le regard du jeune homme sembla s'adoucir alors qu'il jeta un œil à la photo d'une fille d'environ cinq ans posée sur son bureau.

- J'ai une fille.

Son regard passa brièvement sur une autre photo, puis il se tourna de nouveau vers les Agents.

- Je vais accepter. Vous avez raison, je suis quelqu'un d'égoïste qui aide les pires criminels pour empocher de grosses sommes. Et une part sur neuf cent millions de pokédollars, ça me suffit amplement.

Il sourit.

- Je dois signer un truc ?


* * *


004 et 008 quittèrent le casino, un peu sonnés par l'entrevue un peu étrange qu'ils venaient d'avoir avec leur nouvel informateur, qui serait certainement à même d'infiltrer le Saint Culte pour leur dérober des informations sensibles. En attendant, ils étaient censés aller faire leur rapport au président Deling.

- Je pense que c'était un peu inconsidéré d'accepter aussi facilement de lui laisser une part de la récompense.

Sully haussa les épaules.

- Si ce n'est que ça, je lui laisserai ma part. Ce n'est pas l'argent qui me manque.

La femme au chignon plissa les yeux.

- Je crois que tu ne me dis pas tout sur tes intentions au sujet de ce brave Villias...

- Tu lis dans les pensées ?

Elle secoua la tête avec un sourire amusé.

- D'accord, j'avoue. J'ai plus l'intention de me servir de lui que de faire équipe. Une fois qu'on aura mis un terme à cette connerie de Saint Culte, je compte bien le tuer moi-même. Question de goût. Je ne l'aime pas.

- Si ce n'est que ça, tu n'es pas obligé de le tuer, c'est un peu extrême...

Sully leva les yeux au ciel, sentant d'ici les reproches arriver. Il commença à fumer une cigarette, puis se souvint d'un détail.

- Tiens, regarde un peu ce que j'ai trouvé.

Il tenait dans sa main une petite statuette porte-bonheur représentant un Miaouss levant la patte, entièrement faire d'or.

- J'hallucine... tu as volé ça dans le bureau de Villias ?

L'Agent 004 hocha la tête. En effet, durant la très courte altercation entre Violet et Florent, il en avait profité pour récupérer un petit souvenir. 008 leva les yeux au ciel, exaspérée par le caractère de son partenaire. Bien qu'elle l'apprécie en réalité et qu'elle en vienne même à le considérer comme un ami, elle n'appréciait pas ses pratiques illégales. Pour l'instant du moins.