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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 01/02/2016 à 16:39
» Dernière mise à jour le 01/01/2019 à 18:23

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 24 : Nouveau paradigme
Merci à Red7. :)

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(Qui sème le vent…)
Blanc. Elle courbe ses pieds en une arabesque de souffrance, monte en pointe, attrape le vent. Volucité file entre ses doigts écartés, elle plonge dans les couleurs la vitesse du monde survolté—un tunnel spatio-temporel qui accélère le cours des particules en un flou artistique—
Le flou de son enfance.

Elsa sourit à son père. Il est planté sur la chaussé, prunelles terrifiées, mais du haut de son gratte-ciel elle voit comme s’il était au niveau de son menton, comme s’il était tout proche, comme s’il s’agrippait à ses vêtements doigts griffus et ongles sanglants—

— Papa, rigole-t-elle naïvement contre le flot de ses souvenirs. Tu te rappelles que maman s’énervait quand les feuilles de salades n’étaient pas divisées en parts égales ?
Son père secoue du chef, bafouille.
— Tu te rappelles ce que maman disait ? répète-t-elle alors plus sérieusement, ses narines se serrant, ses sourcils se fronçant.

Comme une élève qui récite une poésie devant une classe silencieuse et un maître attentif, Elsa se dresse et siffle :

« Les bègues ne chantent pas. »

Son père écarquille les yeux puis perd la surprise, prend une contenance confuse, veut attraper sa petite fille déjà grande. Mais elle s’agenouille à la limite de l’univers.

— Papa. Je t’aime.

Syd la prend dans ses bras. Elle voit Oscar sous un grand chêne et se mord la lèvre, soudainement perdue, voulant s’excuser pour le comportement de sa maman. Oscar a la mine cireuse ; il parle, mais elle ne l’entend pas. L’air de Volucité s’agglutine froidement autour de leur bouche. Il s’approche, mais—qui est-il ? Elle recule et butte contre Syd qui l’avait lâchée, saisie de stupéfaction—d’une étrange familiarité.

Mais ils sont assis autour d’un feu de camp qui flamboie au beau milieu de la mer patinée. L’océan reflète le ciel qui reflète le brasier, s’étend de loin en loin un monde de flammes et de clarté. Élin ricane malicieusement, Oscar et Syd tiennent tous les deux les mains d’Elsa. Ils s’échangent un regard content.

Tant qu’ils sont amis, tout sera parfait.

Elsa se réveilla lentement… un tendre sourire aux lèvres. Une lumière brune filtrait à travers la toile rêche de sa tente, teintant sa peau d’ambre. Amaryllis la veillait, ses iris claires très concentrées, et elle se dressa dès que son humaine battit des paupières.

— Salut toi, fit Elsa, la voix éraillée. Aie… ricana-t-elle ensuite, s’asseyant, tirant cinq doigts à travers ses boucles noires.

Elle offrit rapidement un petit encas à sa Mateloutre, la caressant quelques minutes une fois la Pokémon repue. Cependant la Starter finit par la mordre car Elsa, trop distraite, la grattait trop fort… l’humain était en effet préoccupée par le peu de vêtements propres qui lui restait. Elle se demandait comment faisaient les autres pour ne pas sentir la sueur—cela faisait presque une semaine qu’ils vadrouillaient dans le désert…—quoique, finalement, mieux valait ne pas se demander !

Elsa ricana de nouveau et sauta sur ses pieds, portée par un élan de joie. Elle avait envie de voir Syd, Élin et même Mélis ; de discuter, de rire, de marcher toute la journée… Elle avait hâte d’arriver au Château Enfoui pour leur montrer tout ce qu’elle savait à propos des ruines… Vivement, la dresseuse ouvrit le rabat de sa tente et émergea dans la chaleur brutale du désert. À ses pieds s’étendait un monde d’or et de lumière…

— SALUT !

Elsa sursauta si haut qu’elle écrasa Amaryllis par erreur.
Et la loutre le lui rendit bien.

— AH ! s’écria-t-elle d’une voix suraigüe tandis qu’Élin s’avançait. T’es folle, tu m’as fait peur !

La blonde lui offrit un large sourire en retour, faisant coucou d’une main basanée.

— Comme ça, maintenant, t’es réveillée ! lança-t-elle, avant de grimacer comiquement. Tout le contraire de Mélis… Je suis sûre qu’il ne va pas bouger de la journée, ce gros feignant…

Les filles échangèrent un regard entendu malgré le jour aveuglant—le soleil tapait comme un boxeur fou. Elsa haussa les épaules, souriant légèrement, toujours électrisée par une merveilleuse humeur.

— Sinon, où est Syd, dort-il encore ? s’enquit-elle, s’aventurant un peu plus loin de sa tente et jetant un regard à leur campement.
— Syd ? Ah, non, il donne à manger aux Pokémon avant que l’on ne parte. Elle rigola, et s’écroula dans le sable encore frais, ajoutant : J’avais la flemme de le faire !

Elsa se retourna lentement.

— … partir ? répéta-t-elle, perplexe. Partir, où ?
— Bahh, explorer le désert et tout ! rétorqua Élin, agitant les bras et les jambes avec enthousiasme, sculptant un ange des sables.

Les mots de son amie faisaient très peu de sens. Ils dépassaient Elsa qui essayait de leur trouver une logique, un peu perdue, un peu frustrée. Explorer le désert ? Pourquoi faire ?

— Mais c’est dangereux, tenta-t-elle. (Déraisonnable, voulut-elle ajouter.) Quand Mélis se réveillera, il s’inquiétera et—
— Pfft, on s’en fiche ! répliqua la gamine.
— … Syd ne dirait jamais ça…

S'il y avait encore une seule chose qui était sûre au sujet du garçon, c'est qu'il n'était pas immature. Mais Élin fronça le nez, son expression défiante brisant les certitudes d'Elsa. La brune sentit sa bonne humeur vespérale se dissoudre, lentement.

— Je vais rediscuter avec lui, murmura-t-elle, soudain lassée.
— Discuter de quoi ? fit une voix riche et grave dans son dos.
— AH ! sursauta Elsa à nouveau—elle tituba, trébucha contre Élin et s’étala de tout son long—

Élin se releva paisiblement, souriant à Amaryllis qui avait évité de peu la chute de sa dresseuse.
Elle s’étira langoureusement.

— Elsa veut nous empêcher d’explorer le désert parce qu’elle croit que c’est dangereux ! railla la blonde, n’aidant même pas son amie à se relever.

Elsa rougit, honteuse, et serra les dents. Elle se prépara à se justifier, sûre que Syd serait convaincu par une logique claire et des arguments bien agencés… (S'il y avait encore une seule chose de sûre au sujet de son ami, c'était que—).

— Tu sais, nous sommes de bons dresseurs, affirma cependant le neveu d’Aloé ans lui laisser une chance. Après tout, nous nous entraînons tous les jours.

Tout le contraire d’Elsa.

— Je sais, mais… répondit-elle, l’esprit brusquement vide et blanc. Elle vit les possibilités de phrases défiler dans son esprit sans qu’aucune ne lui paraisse adéquate, convaincante.

Sans qu’aucune ne semble pouvoir retenir ses amis.
Ils lui firent chacun une bise avant d’appeler Baggy et Riolu, attrapant leurs sac-à-dos, et l’étudiante resta figée, patin désarticulé. Ce qui se passait paraissait dépourvu de sens. Elle ressentait tout au ralenti…
Syd s’approcha d’elle, soupirant.

— Ne t’inquiète pas pour nous, dit-il, posant une main sur sa maigre épaule.
— C’est juste que… Syd, il faut que je te parle.
— ... d'accord... souffla-t-il. À propos de quoi ?

Elsa serra les dents.

— Tu verras.

Sans qu'elle ne puisse le discerner, un éclat de peur brilla, un instant, dans le regard de Syd.

— Je n'ai pas le temps ! se précipita-t-il. Cela fait des jours que j’essaie de retenir Élin et elle insistait encore ce matin, je ne peux plus repousser l'expédition.
Et sa phrase eut l'effet escompté : elle distrait Elsa.
— Des jours ? s’étrangla la brune—elle sentit son cœur trembler. Mais elle ne m’en a pas parlé une seule fois…
— C'est parce qu'elle en discute principalement durant nos séances d’entraînement communes.

Syd savait ce qu'il faisait.
Elsa ne s'en rendait pas compte.
Ils passent plusieurs heures par jour juste tous les deux depuis que je ne m’entraîne plus.

— HEY ! Syd, si tu continues à tchatcher avec Elsa j’pars toute seule ! hurla Élin depuis l’autre côté du camp, sautillant et faisant de grands gestes.

Elsa grimaça, espérant à demi que ce cri réveille Mélis, que l’adulte les empêche de partir. Mais le départ de ses amis semblait inéluctable, et contre toute logique, Syd avait l’air… enthousiaste…

— Ne t’inquiète pas ! lui répéta-t-il, s’éloignant.

Elsa serra les poings. Elle se mordit la langue, se mordit l’intérieur de la joue, secoua du chef pour nier l’évidence. Elle tourna le dos à ses amis, par fierté.
Le duo franchit le périmètre du camp, échangeant des piques complices.
Non ! Elle se retourna et accouru vers eux, paniquée !

— Attendez ! Est-ce que je peux venir avec vous ? haleta-t-elle, fixant l’un puis l’autre.

Ils se retournèrent, profils clairs, mains aux Pokéball.

— Je croyais que tu pensais qu’explorer était dangereux, dit Syd, faussement étonné.
— Oui mais—
— Et puiiis faut quelqu’un pour garder le camp ! ricana Élin. Imagine Mélis il se réveille et il est inquiet !

Elsa acquiesça sans émotion. Brusquement ses sensations s’éteignirent et le monde s’obscurcit.
Ils avaient déjà disparu quand une colère brûlante remonta en son corps, vague acide, brûlant la joie pathétique de son réveil.
Amaryllis grogna.

La paire retourna vers le centre du camp, d’humeur maussade. Elsa se plongea dans la première tâche idiote et répétitive qu’elle trouva—la vaisselle. Cependant le travail ne put empêcher ses pensées de la brûler, tourbillon de feu dans son esprit. Depuis qu’Oscar était parti, la dynamique du groupe s’était recentrée sur Élin et Syd. Leurs sessions d’entraînement leur prenaient souvent toute une matinée, et Élin faisait sans cesse des blagues qui arrachait un sourire affectueux à Syd, mais que ne pouvait saisir Elsa.
Cela faisait à peine six jours, mais Oscar lui manquait terriblement…

— Hey… t’es toute seule ? Ils sont où, les deux autres boutonneux ?
Elle ne sursauta pas. Trop habituée.
— Ailleurs. Ils sont partis.

[…]

Crépuscule. Désert brun, battu par un vent sec. L’air chaud s’élevait vers les cieux noirs. Une fine ligne de sang bavait à l’horizon décadent, par-delà les dunes. Elsa lisait, sa main gauche perdue dans le sable, ses jambes marquées par le soleil. Amaryllis ronronnait légèrement à ses côtés, un bruit à la fois délicat et apaisant.

— YOSH ! ON EST REVENUS !

Cachée à l’ombre d’une tente, elle resta immobile. Élin et Syd, éreintés, des sourires idiots au visage, ne remarquèrent pas immédiatement la brune maussade. En revanche, un brouhaha cataclysmique tonna depuis la couche de Mélis. Quelque chose tempêta brusquement, la tente s’éleva comme un soufflet… et le dresseur de légende se tira des décombres, le regard noir, les yeux cernés.

Élin frissonna.

— C’est cela, siffla le jeune adulte. Vous êtes partis une journée entière sans me prévenir… Et maintenant, vous êtes revenus.

Un long silence s’installa.
Syd se racla la gorge.

— Nous avions, euh… mis Elsa au courant pour qu’elle vous vous… informe de notre départ...

Il chercha la brune du regard mais elle détourna froidement son visage. Mélis capta ce geste, et eut un petit sourire, s’approchant avec menace des deux fautifs. Elsa serra les poings. Elle espérait malgré elle que Mélis les dispute, pour qu’ils se rendent compte de leur égoïsme ! Se rendent compte qu’elle se sentait exclue alors qu’elle était leur amie ! Elle n’avait pas eu à vivre ça… Elle n’avait pas eu à vivre ça depuis l’année dernière, au collège. Depuis ses fausses amies les pestes.

— Votre comportement—

Soudain Élin sauta sur le jeune adulte et chuchota au creux de son oreille. Leur gardien déglutit, sous les yeux incrédules d’Elsa, et se ravisa.

— Ok, ok, c’est bon ! souffla-t-il. Élin, ne t’aventure pas dans le désert toute seule. Syd, toi non plus. Ici se termine la réprimande.
— COOOOL ! sautilla Élin. Hey Syd, ça te dit qu’on aille regarder les photos que j’ai prise avec mon Pokédex—
— Attends.

Le dresseur aux yeux d’ambre scrutait Elsa avec une inquiétude mal dissimulée. Sans que la blonde ne comprenne, il arracha son bras à sa poigne. Fit un pas faire Elsa. Quand la brune soupira, il s’assit à côté d’elle et coula un regard vers le chaudron vide qu’elle avait nettoyé ce matin.

— Il y a la cuisine à faire, et il faut nourrir les Pokémon… expliqua-t-il calmement à Élin. Il ajouta devant sa moue ennuyée : si tu n’es pas contente, il y a aussi l’inventaire de la journée à faire !
— La flemme ! rétorqua la gamine, ce qui arracha un soupir exaspéré à tous présents.

Elle se laissa tomber à terre et sortit Hope, caressa le chiot tandis qu’il se jetait sur elle, enthousiaste. Et elle s’éloigna du groupe, se tirant avec peu de grâce sur le sable, s’efforçant de garder son Pokédex dans une main.

Syd jeta un coup d'oeil tendu à Elsa.
— Tu ne voulais pas qu'on parle ? lui rappela-t-il, la voix grave.

Le cœur d'Elsa palpita nerveusement. Oui. Mais ils n'étaient pas seuls.
Elle lança un regard rancunier à Mélis, qui les observait d’un air fatigué.

— Rah, c’est bon, rétorqua-t-il sous le feu de ses prunelles. Tu ne peux pas te comporter comme une ado normale et faire des bêtises, toi aussi ? Si c’est ça je me vais me rendormir !

Il se traîna aussi vers sa tente, disparaissant rapidement sous le tissu rêche, et les ados se retrouvèrent tous les deux sous le ciel pourpre.
Elsa déglutit.
Un mot grossissait dans sa gorge et menaçait d'éclater à l'air libre : pourquoi ?
Mais elle ne se sentait pas prête. Elle ne se sentait pas prête.
(L'amitié d'Élin et Syd la déstabilisait.)

— Tu feras mieux de faire la cuisine, souffla-t-elle plutôt pour le plus grand soulagement du garçon.

Le soleil se couchait. Elsa rentra dans sa tente.


(Tempêtes)
« Le 8 Juillet : Cela fait plus d'une semaine que nous sommes dans le désert. Un mois que l'on s'est tous rencontrés. Pas de connexion internet, donc pas de nouvelles d'Oscar... »

Une main pâle souleva le rabat épais de sa tête, laissant aussitôt entrer la lumière crue du jour, ainsi que des monceaux entiers de sable qui envahirent complétement son lit ! Elsa se redressa du fin matelas où elle somnolait et se rua vers l'entrée pour la refermer, préparant une remarque cinglante pour repousser l'intrus—et se retrouva nez à nez avec un Mélis cerné et grognon. Elle lâcha un hoquet de stupeur.

— Tes amis veulent encore s'affronter, l'informa le dresseur sans remarquer sa surprise, retenant un soupir fatigué.
— Oh... fit-elle, peinant à formuler une réponse intelligente. Par ce temps ?

Depuis des heures maintenant, un ouragan ravageait les dunes alentours et menaçait à chaque instant de briser l'abri du Pashmilla de Mélis. La protection était bien trop petite pour que le match se déroule à l'intérieur de leur camp, et Syd ferait une crise cardiaque si l'on détruisait son matériel de cuisine... cela signifiait donc qu'ils voulaient s'affronter dans la tempête. Cette attitude casse-cou ne l'étonnait plus, au vu de leurs vagabondages récents.

— Mais en fait... pourquoi venez-vous me chercher ? demanda-elle brusquement, réalisant avec surprise que Mélis la fixait toujours d'un regard intense.

Elle plissa en retour son regard bleuté, l'évaluant avec méfiance. Mélis ne parut pas s'en inquiéter ou même le remarquer—se grattant la nuque, le dresseur bailla, plus lâcha le plus naturellement du monde :

— Eh bien jeune fille, j'aimerais bien que tu arbitres le match. Comme ça l’un de nous deux surveillera les gamins !
— Hé ! Moi aussi je suis une gamine, c'est votre responsabilité de nous surveiller ! Y a quatre jours, vous les avez disputés car ils étaient partis seuls, alors pourquoi les encourager aujourd’hui ? se rebiffa Elsa—vexée de se faire implicitement traiter de vieille.

Cependant Mélis balaya toutes ses réticences d'un revers de main.

— Oui mais, je suis sûr—euh non je sais que tu es très sérieuse ! sourit-il. Tu sauras t'occuper de tes amis !
— Mais—

Toutes ses protestations moururent dans sa gorge quand Mélis lui tapota paternellement le haut du crâne et s'en alla, l'ignorant totalement, retenant certainement un ricanement perfide pour l'intimité de sa propre tente. Elsa resta immobile au moins plusieurs minutes, abasourdie. Puis le choc s’estompa et elle ne put retenir un juron tonitruant.

— HO le sale—le sale—

L'auteure préfère censurer la suite.

Finalement, elle dut bien se mettre à la recherche d'Élin et de Syd, malgré son agacement de se retrouver la cinquième—ou plutôt troisième—roue du carrosse. Ses rêves de leur montrer le Château Enfoui semblaient lointains à présent. Elle les retrouva en bordure du camp, leurs silhouettes illuminées de vert par l'Abri grésillant, face à face. Les dresseurs étaient plongés dans une discussion animée, se servant de leurs mains et d'expressions comiques pour appuyer leur propos.

— Tu vas voir que je me suis plus améliorée que toi ! s'exclamait Élin d'un ton enfantin.
— Certainement pas ! la contredit Syd. Ça fait une semaine que je m'entraîne en secret l’après-midi, et j'ai développé une technique imparable.
— Ah ouais et alors ? T'es pas le seul à t'entraîner seul et à progresser ! Et je me suis toujours adaptée plus rapidement que toi, rabat-joie !
— Et moi je sais garder la tête froide, pour combler mes défauts. Je connais au moins les Attaques de mes Pokémon... la nargua Syd avec un sourire en coin.

Mais Élin ne fit que répondre en lui tirer mystérieusement la langue—de toute manière, Elsa était arrivée à leur côté et l'échange se terminait. Les rivaux se tournèrent vers leur amie grognonne, remarquant ses vêtements fripés, ses cheveux décoiffés par le sommeil.

— Mélis ne vient pas, finalement ? lui demanda innocemment Élin.
— Tu veux assister à notre match ? s'enquit quant à lui Syd.

Aux deux, elle répondit d’un magistral : « NON ». Qui eut l'effet d'une claque pour les pauvres dresseurs innocents, souhaitant simplement s'affronter, sans prévoir que l'arbitre serait Elsa et non Mélis ! Des expressions désarçonnées s'imprimèrent sur leurs frimousses auparavant souriantes, mais Elsa les ignora. Son regard se porta contre le dôme crépitant, et surtout contre la tempête qui le frappait avec violence.

Soupirant, la brune s'enfonça à travers la protection qui céda, épousant les courbes de son corps comme de l'eau, ou du gel. Une chaleur écrasante la frappa aussitôt. Puis le sable la fouetta, coupant, lacérant ses joues et sa gorge et ses bras avec la férocité de mille serpents. C'était comme si le désert entier tourbillonnait, sifflant, chantant la mort des faibles humains de chair et de sang... Le ciel n'était pas visible. À sa place ondoyaient les ombres de l'ouragan.

— Pouah ! toussa violemment une Élin qui venait de quitter la protection, se retrouvant collée à Elsa si près que l'aînée sentait le souffle haché de la blonde contre sa nuque. C'est l'horreur !
— Tu déclares forfait ? la provoqua mielleusement Syd, se couvrant la bouche pour ne pas avaler gravier et poussière.
— Non, jamais !
— Bon, alors allons trouver votre terrain ! souffla Elsa, levant les yeux au ciel.

Sans les attendre, elle s'enfonça au cœur de la tempête, maudissant de nouveau Mélis, cet irresponsable. Des torrents de sueur magmatique coulaient entre ses seins, ses omoplates, jusqu'au bas de son dos, trempant sa fine chemise. Elle devait plisser les yeux à s'en fendre les paupières pour voir plus loin que le bout de ses cils, plaçant une main tendue devant son visage pour se protéger sans pour autant parvenir à arrêter tout le sable. Heureusement la tempête semblait se dissiper, une relative accalmie s'installant autour des adolescents. Mais pour combien de temps ?

— Vous êtes vraiment fous de vous affronter par ce temps ! grommela-t-elle à l'adresse des rivaux, scannant le paysage brouillé à la recherche d'un terrain propice à l'affrontement.

Difficile de trouver une étendue plate parmi ces dunes, et encore moins d'endroit où elle pourrait s'abriter le temps d'arbitrer...

— Mais c'est un super entraînement pour nos Pokémon ! rétorquèrent les deux inconscients derrière elle, timbres vifs et graves se mêlant en une voix déterminée.
— Oui, et c'est surtout dangereux ! répliqua-t-elle à son tour. Comme toutes vos aventures de la semaine... Non mais franchement dites-moi ! Où vous voulez vous affronter dans ce foutu désert hein ! OÙ ?

La brune fit volteface et leva dramatiquement les bras en l'air, secouant avec exaspération ses membres zébrés par le sable, puis pointant un index furieux vers la paire.

— Vous voyez un endroit où combattre vous ? siffla-t-elle, livide. Parce que moi non ! Eh ben si dans deux minutes vous ne trouvez pas, je vous préviens, je rentre ! J'en ai marre de vous et vous idées folles et puis de Mélis, ce—ce—

À nouveau, l'auteure préfère censurer la suite des paroles.

Passons plutôt à la réaction des pauvres rivaux ! Eh bien, Syd soupirait avec désespoir ; quant à Élin, elle envoya un sourire solaire à son amie et pointa, le plus simplement du monde, trois énormes rochers qui se dégageaient du sable à côté de la prochaine dune. Ils se rejoignaient, obliques, et formaient un abri suffisamment sûr pour qu'Elsa puisse s'y installer. De plus, la pente de la dune s'adoucissait à l'exact endroit où émergeaient les pierres, permettant à un combat Pokémon de s'y dérouler dans les règles.

— On pourrait s'affronter là, par exemple ? proposa-t-elle innocemment.

Un ange passa.

Puis, grommelant, Elsa s'avança vers les rochers, écrasant lourdement le sable à chaque pas pour bien signifier sa colère. Élin et Syd échangèrent un regard amusé, ce dernier arquant son sourcil d'un air blasé. Leurs yeux pétillèrent alors qu'ils se lancèrent à la suite d'Elsa, se positionnant de part et d'autre du terrain.

— Êtes-vous prêts ? leur cria la brune depuis son abri, les mains placées autour de ses lèvres carmines pour imiter un mégaphone.

Une réponse vaguement affirmative lui vint à travers le sable et elle étudia ses deux amis, inspirant profondément.
Les deux adversaires se fixaient, déterminés.

Aucun des opposants ne distinguaient clairement l'autre. Seul le ciel sans nuage se dévoilait parfois en une zébrure azurée, aussitôt étouffé par un nouveau courant de gravier. La tempête battait son plein. Tempête de sable, et tempête d'ombres, de chaleur qui les suffoquait et coulait le long de leurs corps comme des torrents de lave...

— Ce match opposera Élineera Hei de la Ville Noire à Syd Redding-Park de Maillard ! C’est un deux contre deux ! Il n'y a aucune limite de temps, et seules les attaques reconnues par la Ligue d'Unys sont admises !

Elsa scruta attentivement Élin mais la dernière remarque ne parut pas l'embêter… Étrange.

Son regard glissa ensuite vers Syd. L'adolescent se tenait fier et droit malgré la tempête, comme si les furieuses bourrasques et le sable tranchant n'avait aucun effet sur lui. En même temps, ses doigts effleuraient répétitivement ses deux Pokéball, les tapotant doucement l'une après l'autre. Encore. Encore. C'était lui qui avait provoqué Élin en duel, sûr de sa supériorité après une semaine d'entraînement.

Cependant, il n'avait certainement pas anticipé les progrès de la gamine ignare.

COMMENCEZ !

Baggy apparut d'abord car il était bien plus petit et facile à matérialiser. Le Pokémon blasé fit un signe désinvolte à sa dresseuse qui l'ignora superbement, son regard fixé sur la silhouette qu'esquissait la Pokéball adverse... Grotichon retomba lourdement sur le sable fuyant du terrain, poussant un barrissement féroce. Piqué au vif par la confiance de l'adversaire, Baggy se raidit, sa frimousse se tordant en une grimace de mépris.

Elsa vit alors—la figure d'Élin qui semblait comme se détendre et se pencher vers le terrain, sur le point de donner un ordre—et un mouvement imperceptible des pâles lèvres de Syd.
Tout à coup Grotichon s'ébroua et renifla profondément l'air ensablé...

— Baggy, attaque Coup D'Boule ! s'époumona Élin sans remarquer le mouvement adverse, les poings serrés.

Quoi ?! Elle a appris le nom des Attaques de ses Pokémon ?

La fougue du combat animait la jeune fille, semblant l'illuminer depuis l'intérieur. Sous ses sourcils froncés, ses prunelles noires étincelaient. Et cette force semblait se transmettre à son starter, qui siffla une injure Pokémonesque et se rua sur son adversaire, son crâne dangereusement illuminé, tous ses muscles saillants ! Une seconde après il bondissait, sa figure tendue vers Grotichon, replongeant sur lui la tête la première. Et Syd n'avait toujours pas ordonné de contrordre.

Cependant le dresseur n'eut même pas besoin de parler—son Pokémon se grouina férocement et s'élança à son tour vers son adversaire, se roulant du même mouvement en une boule serrée, acte presque impossible pour un Pokémon aussi gros ! Baggy poussa un cri étranglé mais Élin, les yeux écarquillés, brutalement déstabilisée, fut incapable d'éviter la catastrophe. Son starter percuta Grotichon de plein fouet, son cou se tordant, sa silhouette s'écrabouillant presque. Il chuta lamentablement sur le côté, glissant de quelques mètres dans le sable.

— Baggy !

Élin ne savait trop comment réagir ! Le désert n'offrait aucun abri pour son Pokémon, utiliser Feinte pour atteindre un refuge ne servirait donc à rien ! Balayage ne marcherait pas, puisque Grotichon était roulé en boule, et Coup D'Boule ne ferait que blesser son Pokémon davantage ! Baggy avait aussi appris Attrition, mais ne la maîtrisait pas encore bien, et, Casse-Brique, et... rah il y en avait une autre mais elle ne s'en souvenait plus ! Paniquant, la gamine sortit son Pokédex, se rassurant en se disant qu'après tout, Syd n'avait pas encore donné d'ordre offrait et donc à son Pokémon un court répit... L'écran lui afficha la liste d'Attaques de Baggy.

— ... Représailles ! réalisa-t-elle. Apprise au niveau vingt-trois !

Mais un hurlement furieux la força à se reconcentrer sur le combat. Elle vit avec horreur son Pokémon se faire écraser par une Roulade de Grotichon. Désarçonnée elle s'accrocha à la figure de Syd, déchirée par les sables.

— HEY ! Syd ! T'as même pas donné d'ordre !

Le dresseur ne lui répondit que par un sourire provocateur, ne lui expliquant pas par quel miracle son Pokémon enchaînait seul les Attaques.

— Baggy sauve-toi, Feinte ! s'égosilla-t-elle alors, paniquée.

Était-ce seulement autorisé qu'un Pokémon mène le combat ? On l’avait fait chier pour le nom des attaques elle alors—vivement la gamine se tourna vers Elsa, en quête d'explication ! Mais la brune lui fit signe de poursuivre le combat, pointant vers son starter, qui était toujours poursuivi par un Grotichon en pleine Roulade.

Mais bon sang qu'est-ce qu'Élin pouvait ordonner de plus ? Ce terrain était vraiment nul pour Baggy, uniquement à l'avantage des gros Pokémon, réalisa-t-elle. Aucune barrière à travers laquelle se faufiler, aucun câble suspendu pour se réfugier ! Son starter, légèrement plus rapide, évitait tant bien que mal les charges de l'adversaire, mais à chaque allé et retour Grotichon prenait de la vitesse, allant tellement vite qu'il n'était plus qu'un flou rouge, creusant de profonds sillons dans le sol. Tôt au tard il allait percuter sa cible, et Élin ne se donnait pas de grandes chances de victoires dans ce cas de figure...

Mais il ne fallait pas abandonner ! Elle pouvait encore redresser la barre !
Malheureusement ce fut à cet instant que Grotichon rattrapa finalement Baggy.

— ESQUIVE ! hurla Élin, lui indiquant vaguement les rochers qui protégeaient Elsa.

Celle-ci cria en signe de protestation, son regard outremer semblant vouloir trancher la blonde en deux. Non mais oh, rapprocher les Pokémon de son abri ? Ça va pas la tête ! Cependant la gamine ne la remarqua même pas, trop concentrée sur le combat. Il fallait que Baggy se mette en sécurité avant que... mais Grotichon venait de l'attraper par la peau de son pantalon ! Élin serra les poings, livide, anticipant la suite. Cogne. Effectivement. Sans besoin que Syd ne lui ordonne, le cochon de feu fila un coup de poing brutal au ventre fragile du Baggiguane. La victime tentait bien de s'arracher à l'emprise de son adversaire mais sans succès... il vomit un cri rageur.

Grotichon le jeta plus loin, son barrissement féroce dominant l'ouragan.

Et il pencha sa grosse carcasse vers sa victime, inspirant un grand coup... Flair. Élin ne distinguait qu'un flou brun, ocre, or. Syd ne distinguait qu'un flou inintéressant, inutile, obsolète. Elsa plissait les yeux.
Grotichon se lança dans une nouvelle Roulade.

— ATTRITION !

D'un coup Baggy se redressa et croisa les bras, tout son corps illuminé, pile à l'instant où son adversaire lui retombait dessus ! Le Pokémon jura, tout son corps cambré pour contenir la force du cochon tourbillonnant, des flammèches atteignant parfois son visage crispé. Et Élin laissa échapper un encouragement enroué, cœur battant violemment au creux de son corps moite, souffle erratique, furieux. Attrition était une Attaque sensée prendre l'ennemi par surprise, l'user sur la durée. Mais elle usait aussi son lanceur...

C'est alors qu'Élin réalisa—à mesure que Grotichon tournoyait, il s'enfonçait dans le sable. La blonde comprit la solution du problème—comment craquer le code !

— Baggy, attaque Casse-Brique pour t'échapper ! s'égosilla-t-elle, trépignant sur le sol chaud !

Brusquement le petit Pokémon se déroba à Grotichon—et si la Roulade du cochon aurait été trop rapide pour lui auparavant, il s'était à présent trop enfoncé dans le sable pour poursuivre son adversaire ! Baggy effectua un bon prodigieux, semblable à celui qui avait conclu leur match contre Strykna. Sa main tranchante luisant de flammes spectrales, il fondit sur Grotichon. Le latta d'un coup magistral.

Autour du cochon les sables de la dune s'effondrèrent, enterrant son rugissement de douleur sous le gravier et la poussière. Le starter d'Élin rebondit sur sa figure ensevelie pour effectuer un salto formidable, atterrissant sur l'abri d'Elsa—hors de portée. Pendant ce temps Grotichon luttait toujours pour se dégager du sable… Et les yeux d'Élin le suivaient avidement, étudiaient avec excitation le mouvement des sables, les bourrasques furieuses de l'ouragan. L'idée qui lui avait permis de retourner la situation, telle une étincelle, fleurissait au cœur de son esprit et prenait une forme tout à fait nouvelle...

... il fallait qu'elle agisse vite !

— Utilise Jet de Sable ! cria-t-elle à l'adresse de son starter. Jet de Sable et Balayage !

Le Pokémon Wesh fronça les sourcils, fixant sa dresseuse avec frustration avant d'obtempérer. Il était bien amoché, remarqua-t-elle, le coup de poing de Grotichon tâchant déjà son estomac de bleu, du sang coulant autour de ses flancs. Ses dents aussi semblaient le faire souffrir, rouges, et ses grimaces se faisaient encore plus caricaturales que d'habitude. Mais il fallait qu'il tienne. C'était lui qui l'avait portée durant l'Attaque du Ferry, après tout… il était fort. Élin… Élin avait confiance en son Starter.

Les effets de son ordre ne se firent pas tout de suite remarquer. Baggy projetait du sable autour de lui par pelletées entières, utilisant le mouvement ample du Balayage pour vivement tournoyer. Mais, peu à peu, alors que la tempête se calmait, le plan d'Élin apparut. Baggy attirait tout le sable restant autour de sa figure brouillée, virevoltant au cœur des bourrasques, aspirant l'ouragan comme un siphon. Bientôt il se transforma en une véritable tornade de sable tranchant, une colonne monstrueuse et destructrice.

Et Grotichon, qui s'était dégagé de l'effondrement, aurait bien du mal à détruire la tempête malgré sa carrure.

Élin laissa ses yeux glisser vers Syd avec triomphe et défi, un sourire provocateur animant sa bouille ronde. Pour la première fois du combat, la tranquillité du dresseur se dissipait. Il fronçait les sourcils, étudiait l'ouragan-Baggy avec méfiance et sérieux. Leurs regards se rencontrèrent tout à coup. Leurs lèvres frémirent, leurs poings se serrant. C'était pour cela qu'ils s'affrontaient, qu'ils s'attiraient avec violence et répugnance—ils attendaient avec trépidation l'instant… l’instant où leurs présences se mélangeraient en un cocktail explosif, où l'un acculerait l'autre, où l'autre renverserait brusquement la situation. Ils se supportaient et s'entraînaient chaque jour pour renaître à travers le combat, pour se purger avec rage, mêlant peur et excitation, savourant les hauteurs de la puissance.

Vertige.

Élin remarqua alors que la tempête entière s'était dissolue durant l'affrontement. Laissant place à l'étendue éclatante du ciel.
Baggy avait siphonné tout le sable de l'ouragan. Et il sifflait, filait, fonçait sur Grotichon.
Leurs lèvres frémirent, leurs poings se serrèrent.

— BAGGY, FEINTE !
— GROTICHON, NUMÉRO DEUX !

Alors que la tornade acérée et la silhouette compacte du Pokémon Feu s'unissaient en une étreinte mortelle, le cochon vomit une Puredpois aux effluves toxiques, coulées magmatiques. Il rugit de douleur tandis que, simultanément, la marée violacée se mêlait à l'ouragan.

Élin lâcha un hoquet de surprise, enregistrant difficilement les mots qu'avaient lancés Syd, ne reconnaissant aucun nom d'Attaque. Numéro deux ? Quel numéro deux ? Elle lança un regard éperdu à Elsa qui lui fit un signe désolé !

— Ce n'est pas interdit ! s'époumona la brune éloignée.

Mais qu'est-ce qui n'était pas interdit ? De renommer des Attaques ? Élin croyait pourtant que Syd n'avait pas donné d'ordre à son starter de tout le combat ! La blonde se recentra vivement sur le combat pour constater avec frustration que Grotichon était bien amoché mais toujours debout, et qu’il semblait même mieux se porter que Baggy. Elle serra les dents : combien de temps allait pouvoir tenir son Starter ? Il contrôlait déjà bien mal sa tornade, ayant du mal à enchaîner Jet de Sable en se trouvant si proche de Grotichon. L'ouragan se dissipait, le siphon s'étalant en perdant de l'intensité !

Qu'est-ce qu'allait ordonner Syd maintenant—et que signifiait « numéro deux » ?

Avant même qu'Élin n'aie le temps de trouver une nouvelle parade le Pokémon adverse se contracta, sa figure se roulant en une Boul'Armure serrée. Alors un souvenir datant de plusieurs semaines assaillit la gamine… le match de Syd contre Strykna. Pour remporter la mise, l'adolescent aux yeux d'ambre avait lancé...

— Baggy, Jet de Sable VERS LE SOL ! s'époumona la blonde, sa poitrine se serrant avec horreur.

À cet instant, Grotichon rugit et cracha grappe après grappe de Flammèche.
Le temps se figea, de nouveau, les regards d'Élin et de Syd s'entrechoquèrent, chacun priant pour une issue contraire.

La tornade de sable et de Puredpois se consumèrent brutalement, secouée par des explosions à la chaîne, bouquets acérés, rosaces sanglantes qui arrachaient des grognements de douleur aux belligérants—et un tentacule épais de gaz toxique prit brusquement feu, sifflant en une lame rougeoyante vers la silhouette éloignée de Baggy. Le Pokémon se crispa, son regard clair affrontant l'attaque qui allait très certainement le faire sombrer dans l'inconscience. Mais au dernier moment il plongea dans la dune qui coulait vers le terrain et tournoya, tournoya de tout son possible, soulevant vague après vague de sable autour de sa figure amochée—et le ras-de-marée percuta le brasier assaillant de plein fouet, chaque poignée de poussière étouffant une flammèche, une flammèche de plus.

Baggy s'était enfoui dans la dune et avait complétement échappé à l'Attaque, tandis que Grotichon, malgré sa Boul'Armure, avait souffert de la tactique kamikaze. Les deux adversaires étaient maintenant à égalité.
Passé était le moment de la finesse ou de l'imagination. Les Pokémon se redressèrent, se faisant face avec menace et bandèrent leurs muscles. Le combat se terminerait sur un duel de force.

— Grotichon, numéro trois.

L'ordre calme de Syd résonna en Élin une nouvelle fois, sa voix glissant jusqu’à elle comme un baume gelé. Plissant avec concentration les yeux, la blonde observa le starter adverse. Le cochon de feu exécuta une Mimi-Queue en règle—et si sa carcasse imposante n'attendrissait plus grand monde, l'attaque était si ridicule que l'on baissait sa garde tout du même. Puis le sanglier lança une Nitrocharge.

Élin se mordit la lèvre, faisant signe à Baggy d'esquiver en utilisant les roches d'Elsa, s'attirant de nouveau les foudres de la brune. Un ordre... plusieurs Attaques... et si les ordres de Syd se rapportaient à un code, une poignée de Capacités à répéter, répéter jusqu'à l'épuisement ? Par exemple, au tout début du match, Grotichon avait alterné Flair, Roulade et Cogne ! ... Génial... C'était une tactique que l'on pouvait seulement percer à jour en reconnaissant précisément les Attaques, et si Élin n'avait pas progressé, jamais elle n'aurait compris la tactique...
Syd avait tout fait pour la piéger.

— Baggy, murmura alors la dresseuse, tel que seul son Pokémon l'entende.

Le Pokémon s'accrocha à sa frimousse déterminée du regard. Elle hocha du chef. Et il se fit percuter de plein fouet par la Nitrocharge de Grotichon, son corps mou cédant sous le choc, et se pliant en arrière, privé d'équilibre. Le Pokémon Feu avait porté le coup final. Fatal.

— ... REPRÉSAILLES !

Du corps distordu de Baggy jaillit un éclair sombre et vengeur, l'enrobant comme un vœu d'outre-tombe, lui permettant de miraculeusement se réceptionner sur les mains. Le Pokémon combat rebondit vers son assaillant en position de demi-lune, ses pieds tendus claquant brutalement vers Grotichon, s'écrasant sur la partie tendre de sa gorge. Et le cochon lâcha un dernier râle, la voix cassée de Baggy se mêlant à la sienne.

Les deux adversaires s'écroulèrent, unis dans l'inconscience.

Élin rappela Baggy, caressa sa Pokéball toute simple, lui murmura tendrement ses félicitations, lui disant combien il avait été courageux et endurait bien les coups. Le regard noir de la dresseuse se reporta avec fougue sur Syd qui accrochait la Pokéball de Grotichon à sa ceinture, et la fixa avec tout autant d'intensité. Leurs mains se crispèrent.

— J'ai compris ta tactique ! lança Élin.
— Et donc tu as appris les Attaques de tes Pokémon... j'avoue que je ne m'y attendais pas, lui concéda Syd.
— Je suis surprenante, lui renvoya la blonde.
— Pas assez pour sauver ton starter, rétorqua-t-il.

Leurs regards s'aiguisèrent.

— On va voir pour le prochain, souffla la gamine, ses doigts se contractant autour de la Pokéball qu'elle allait lancer.
Elle était sûre de surprendre Syd, encore une fois.
— Tu as peut-être appris les Capacités de tes Pokémon par cœur, bravo ! mais c'est ce qu'a déjà fait chaque dresseur dès son premier jour de voyage, affirma l'adolescent, impassible. Tu n'as fait que rattraper ton retard, tandis que j’ai progressé.

À ces paroles son cœur rata un battement. Désarçonnée, elle laissa échapper un souffle trop longtemps contenu, oublié comme une feuille morte. De l'autre côté du terrain, aux coins de sa vision, Elsa hocha de la tête. Et face à elle se matérialisa le second Pokémon de Syd, attrapé au Ranch d'Amaillide trois semaines auparavant—Riolu...

Une nouvelle fois ses doigts serrèrent la Pokéball rutilante à sa ceinture, ongles ripant sur la surface écarlate. L'un d'entre eux se brisa, éclats blanchâtres se perdant dans le sable, arrachant un lambeau de chair à son majeur. Et la douleur ramena brusquement son esprit dérivant à la réalité.

— HOPE, JE TE CHOISIS ! s'écria-t-elle avec conviction, une ire brûlante saisissant soudain son corps fiévreux.

De quel droit Syd lui parlait-il de « retard » ? Elle avait juste fait les choses autrement—et certainement au long de ses entraînements elle avait découvert des techniques dont il ne rêvait même pas !
Forte de ces nouvelles assurances, la dresseuse donna un ordre à son Pokémon aussitôt celui-ci matérialisé sur le terrain :

— Vas-y, Roue de Feu !

Le chien robuste s'exécuta instantanément, sa gueule s'entrouvrant pour laisser échapper un torrent de flammes en fusion, qui s'accrocha à sa fourrure ignifugée pour auréoler tout son corps. Bientôt le petit dernier de l'équipe d'Élin plongeait dans son propre brasier pour rouler, rouler sur le sable déjà brûlant du terrain. Gagnant de la vitesse, le canin se jeta dans les profonds sillons déjà creusés par les Roulade de Grotichon et aboya fièrement, se propulsant vers Riolu.

— Attends ! le rappela cependant Élin. Tourne en rond !

En face d'elle, Syd arqua un sourcil. Sa Pokémon bandait ses muscles avec méfiance, son corps souple prêt à esquiver à n'importe quel moment. À présent que l'ouragan s'était dissipé, tous se distinguaient clairement—seule la force du soleil distordait leur vision, brouillant les silhouettes des Pokémon et des dresseurs... et les flammes de Hope ne faisaient que rajouter à cette chaleur. Il tournoyait à présent à l'endroit où Baggy avait détourné la tempête, roulant de plus en plus vite en un cercle serré.

Élin sourit. Ce qu'elle s'était imaginé marchait à merveille...

Mais Syd n'était pas du tout impressionné. Le Caninos d'Élin était le Pokémon qu'elle avait le moins entraîné, préférant le dorloter que le confronter au désert. La blonde avait peut-être comblé son retard en termes de connaissances, mais pour le niveau de ses Pokémon, elle était loin de le mettre en danger. Durant la manche précédente, Baggy avait été au niveau 27, contre le niveau 29 de Grotichon. Et il ne doutait pas que l'écart entre Riolu et Hope soit encore plus grand.

Sortant son Pokédex, Syd confirma ses prédictions : le chien de feu n'en était qu'au niveau 23...

De son côté, Elsa avait entrepris la même démarche et étudiait son propre engin avec soin. Les Pokémon d'Élin étaient certes moins puissants et donc moins résistants que les créatures de Syd, mais elle avait prouvé qu'elle pouvait remporter une manche avec très peu et renverser des situations très désavantageuses. Le dresseur aux yeux d'ambre ferait donc bien de ne pas se bercer d'assurances...
Et Hope roulait toujours.

Brusquement, quand le petit chien semblait atteindre une telle vitesse qu'il ne pourrait plus maîtriser sa trajectoire, la tension étouffante régnant sur le terrain éclata.

— Riolu, tactique numéro trois !
— Hope, poursuis-la !

Aussitôt la chienne bleue s'illumina, ses yeux luisants rencontrant le boulet enflammé qu'était Hope et semblant presque enregistrer la silhouette. Puis elle disparut en un éclair blanc, fuyant vers un point distant du terrain avec son poursuivant sur les talons, gravissant la pente de la dune, zigzagant autour de l'abri d'Elsa, s'appuyant sur les rochers pour effectuer un salto audacieux. Partout Hope la suivait, un rouleau compresseur furieux, danger aussi mortel que de la lave en fusion. Parfois il tentait de court-circuiter la Vive Attaque de sa cible en effectuant un virage brutal pour couper son chemin, mais Riolu était plus légère et échappait aux sillons creusés par Grotichon, légère et féroce.

La tension enfla.

— Hope—s'égosilla Élin mais—

En une volteface parfaitement exécutée la patte de Riolu s'illumina et elle se heurta brutalement à Hope, boulet magmatique ! Pendant une seconde lancinante les adversaires mesurèrent leur puissance, en surplace total, un curieux silence s'abattant sur le désert. Syd sourit, sûr de la force de sa Pokémon mieux entraînée, et Élin se raidit, ses yeux s'accrochant aux silhouettes des belligérants. Hope tournoyait violemment mais il perdait de la vitesse, bientôt il lui arriverait la même mésaventure qu'à Grotichon : il serait ensablé ! Cependant, les petits pieds de Riolu s'enfonçaient aussi dangereusement dans le sable et, à cause de la pente de la dune, il était possible qu'elle perde son équilibre... si seulement Élin connaissait une Attaque pour accroître la force ou le poids de Hope !

Son cœur ratant un battement, la gamine se saisit de son Pokédex—décidemment son nouveau meilleur ami—et fit vivement défiler la liste des Capacités de son Pokémon. Mosure, Hurlement, Flammèche, Croz Yeux... la vitesse de Caninos diminuait toujours, il s'était ensablé—mais la solution lui apparut !

— BÉLIER ! cria-t-elle avec conviction, brandissant le poing !
— ESQUIVE ! s'époumona Syd.

Si Riolu était plus rapide, c'était Caninos qui se situait en amont de la dune. Ses robustes pattes-arrières se bandèrent, s'enfonçant plus encore dans le sable, et rentrant le museau, il déclencha son Attaque à l'instant où Riolu, embourbée jusqu'aux genoux, lançait une Vive Attaque pour s'échapper.
L'impact fut brutal.

— Riolu, NUMÉRO TROIS ENCORE !
Se méfiant de la séquence mystérieuse, Élin éructa à son tour :
— CROCS FEU !

Un brasier puissant rougeoya dans la gueule ouverte de Hope et il s'élança vers son adversaire. Cependant, dégagée du sable chaud, la chienne bleue était bien plus rapide que le Pokémon Feu, et se déroba en une nouvelle Vive Attaque, jappant d'un ton provocant. Plus que la manche précédente, ce combat était une affaire de mouvement.

— Rah ! Tu vas voir ! s'exclama Élin face à cet échec, les sourcils froncés. Hope, Roue de Feu, comme la dernière fois !

Le chien aboya son accord, déterminé. Les flammes qui auraient servies à la précédente offensive prirent alors une nouvelle dimension, enrobant sa figure costaude, comme au début du match. De ses yeux pâles il repéra sa cible puis bondit en avant, se roulant en une boule dévastatrice. Et le ballet recommença.

Cette fois, Syd ne comptait pas laisser les hauteurs du terrain à son adversaire. Et Élin refusait de se laisser surprendre à nouveau... Les deux Pokémon n'avaient souffert que de blessures superficielles, un premier test de leur résistance. Ils pouvaient bien continuer encore longtemps à se poursuivre, à niveler l'harmonie du sable mou, à se frôler sans jamais se heurter. Syd, frustré par son manque d'efficacité, serra les dents. Comment pouvait-il accélérer le match... ? Il avait déjà fourni une stratégie à Riolu, il ne pouvait pas la perturber maintenant, il ne pouvait pas...

À l'autre bout du terrain, Elsa soupira, constatant que son ami n'avait toujours pas vaincu sa rigidité. Élin avait comblé son manque d'assiduité et de sérieux—en quelque sorte, son trop-plein de souplesse—mais lui pataugeait toujours... Elle voudrait tellement l'aider, mais il ne faisait que passer son temps avec Élin... Un pic de tristesse et de jalousie la traversa.

... changer de stratégie maintenant allait à l'encontre de sa nature même, remarqua le dresseur avec malaise.
Pendant ce temps, Hope gagnait une vitesse incroyable.
Face à l'adolescent hésitant, Élin sourit. Ses paumes s'ouvrirent, en gage de paix, comme pour l'enlacer.

— Hope, attaque Bélier !

Prenant appui sur l'abri d’Elsa—qui s'était résignée depuis le temps—le chien robuste lança une charge fulgurante contre l'adversaire, corps auréolé de flammes plongeant brutalement vers le terrain—Syd vit sa chienne se retourner pour lancer une Forte Paume, comme le prédisait le schéma numéro trois, alors même qu'il aurait voulu lui ordonner d'esquiver !

— RIOLU ! s'égosilla-t-il, perturbant sa Pokémon—

Le regard de la cible heurta brutalement celui de son dresseur, le combat soudain en suspens.
Puis le temps s'accéléra.
Hope entra violemment en collision avec la petite chienne, l'écrasant contre le sol brûlant, leurs silhouettes, leurs cris distordus par la chaleur, ne devenant qu'un amas de corps en lutte.

— Croc Feu ! enchaîna Élin avec confiance.
Quelque chose dans l'esprit de Syd se brisa.
— PHOTOCOPIE !

D'un même mouvement, les crocs des Pokémon s'enfoncèrent dans le flanc de leur adversaires, canines rougeoyantes meurtrissant la chair molle, cautérisant brutalement nerfs et vaisseaux sanguins de l'intérieur. Hope s'arracha le premier, moins puissant, moins résistant, et s'éloigna en gémissant de la chienne plaquée au sol.
Les regards des dresseurs se rejoignirent, Syd souriant avec soulagement, Élin fronçant les sourcils.

— Les choses sérieuses commencent, lança le premier avec une fausse assurance, espérant déstabiliser la gamine.
— Dingue que tu ne m'ais toujours pas vaincu avec ta « nouvelle technique », ironisa malicieusement la seconde. De toute façon, je t'ai battu la première fois et toi la seconde, maintenant c'est à mon tour !

Sur le terrain, les deux Pokémon se tenaient fièrement, haletant, découvrant leurs crocs sanguinolents.

— Riolu, tactique numéro deux, ordonna calmement Syd, refusant de se laisser atteindre.

La chienne émit un grincement menaçant, ses prunelles rouges arrachant un frisson nerveux à Hope. Élin serra les dents, observant l'adversaire qui, fidèle à sa technique habituelle, disparut en une Vive Attaque. Puis ses yeux se fixèrent sur son Pokémon méfiant, qui leva son propre regard vers elle. Leurs esprits s'unirent silencieusement ; elle l'étudia, observant avec inquiétude ses blessures, évaluant ce qui lui restait de force. Il avait été moins entraîné que son adversaire, la blonde en avait conscience, et ils allaient devoir réparer tout cela ensemble. Mais... il lui restait encore sa détermination, et sa confiance en sa dresseuse. Il pouvait le faire.

— Roue de Feu, ordonna-t-elle, renouvelant le motif qui les avait conduits jusqu'à cet instant.

Mais cette fois, consciente de l'avantage dont elle avait bénéficié au premier affrontement de puissance, la gamine pointa le haut de la dune. Captant ce geste, le regard de Syd s'aiguisa, et il imita le mouvement de la dresseuse, ordonnant à sa Pokémon de gagner la crête le plus rapidement possible. L'épreuve finale surplomberait le terrain entier.

En une poignée de seconde les créatures se retrouvèrent face à face, chacune à une extrémité de la dune, fusant vers son milieu. Cependant il se passa quelque chose qu'Élin n'avait pas anticipé ! Riolu bondit soudainement et se roula en boule, son corps se consuma en un brasier infernal, comme si elle avait imité la Roue de Feu de Hope. Confuse, Élin attrapa son Pokédex et le braqua vers la chienne en flammes—elle avait utilisé une Attaque qui se nommait Photocopie... une Capacité qu'Élin ne connaissait pas, puisqu'aucun de ses Pokémon ne l'apprenait. Rah ! devrait-elle apprendre, en plus des Capacités de son équipe, celles des adversaires ?

À l'extrémité opposée du terrain, Syd sourit.

La collision fut brutale, explosant comme un feu d'artifice, un incendie azur et carmin qui écorcha tout le terrain et les humains ébahis. Les flammes des Pokémon se mêlèrent en un mur magmatique, s'élançant loin vers le ciel, rasant la dune fragile, zébrant le sable de coulées en fusion, d'éclats de verre brusquement soufflés par la chaleur. Élin, Syd, Elsa fermèrent leurs yeux éraflés par l'explosion, toutes leurs muqueuses sensibles palpitant, pleurant pour contrer l'aridité et la brillance de la collision. Chaque inspiration devint un calvaire, leur gorge se serrant contre de la sécheresse, provocant de violents accès de toux. Tous étaient irradiés de lumière ! irradiés de chaleur !

— Hope—cracha Élin, sa voix raclant douloureusement sa langue et ses poumons.
— Riolu ! s'égosilla Syd. Continue !

Car malgré l'éclat originel, l'affrontement n'était pas terminé. Les deux Pokémon luttaient encore pour prendre le dessus, tournoyant, ripant brutalement l'un contre l'autre, deux roues lancées jusqu'à l'inconscience. Et c'est ce qui menaçait de se passer si aucun des dresseurs ne trouvait d'échappatoire, de moyen sûr pour prendre le dessus ! Le duel final s'était transformé en impasse, il fallait briser le status quo.

Pour la centième fois Élin attrapa son Pokédex, pensant à Bélier pour remporter le match mais craignant le contrecoup, souhaitant du fond de son cœur trouver une alternative. Malheureusement, Syd capta le mouvement. Et s'il hésitait auparavant, ce dernier geste le décida à tenter le tout pour le tout... il fallait achever le combat avant qu'Élin ne trouve de parade.

Serrant les poings, le dresseur s'époumona :

— NUMÉRO UN !

Causant la surprise de sa rivale, qui releva brusquement sa tête, mèches d'or voletant, prunelles sombres écarquillées. Qu'est-ce que c'était encore que ce nom de code obscur—

L'étonnant encore davantage, Riolu s'immobilisa complètement. Sa figure luisit faiblement, auréole blanchâtre déchirée par les flammes de Hope. Et, ayant brusquement arrêté son offensive, la petite chienne se fit cueillir comme une feuille d'automne par son adversaire, écraser avec la force d'un rouleau-compresseur, brûler tout le long de son corps fragile.

Hope fit demi-tour, fusa vers elle, l'écorcha de nouveau, il allait recommencer. Et les gonds du visage d'Élin semblaient brisés, sa mâchoire pendant, ébahie, comme celle d'un pantin désarticulé. HEIN ? Syd venait littéralement de renoncer à se battre ! Elle n'y comprenait plus rien, pourquoi avait-il arrêté l'offensive, sa Pokémon était au bord du K.O et ne se relèverait certainement pas de la prochaine Roue de Feu !

Cependant la chienne se releva, vaillamment, toujours illuminée de blanc.
Et c'est alors qu'Élin comprit, en un souffle horrifié.

— HOPE, UTILISE CONTRE !

Son Pokémon tenta de piler de toutes ses forces mais c'était trop tard—Riolu lança l'Attaque qu'elle préparait depuis la fin de sa Roue de Feu, l'Attaque qui allait sans doute signer la fin du combat l'inconscience et l'obscurité : Riposte. Plus le Pokémon avait pris de dégât, plus il en rendait. Plus il avait souffert, plus il ferait souffrir. Hope allait prendre le double de ce qu'il avait infligé.
Et Élin, ne savait même pas si Contre suffirait à annuler la Riposte.

Les deux créatures bondirent et se rencontrèrent en plein air, illuminées par toute leur rage, sur fond d'azur, puisant sur leurs dernières forces—hurlant à la mort et déployant leurs griffes acérées— Leur deux corps semblèrent se disloquer, s'écraser comme des accordéons, retombant en une lutte acharnée vers le sable qui se zébrait déjà de rouge. Hope poussa un râle de souffrance.

L'impact des corps avec le sol souleva un nuage de poussière et de gravier, qui n'étouffait pas tout fait les gémissements des Pokémon, le craquement mou de leur chair sous les dernières morsures. Élin cligna furieusement des yeux, le cœur au bord des lèvres, frustrée de ne pouvoir rien distinguer. Son bébé, son ami endurait les pires douleurs et elle ne pouvait même pas le soutenir par ses gestes, son regard !

— Tiens bon ! s'écria-t-elle alors, éperdue. Tiens bon !

La blonde voulait intervenir, aider son Pokémon, ses membres la démangeaient. Syd s'était raidi, retenant chaque mouvement, chaque inspiration comme s'il pouvait retenir le cours du temps. Il refusait de bouger car s'il cédait ne serait-ce que d'un centimètre, il se ruerait dans la nuée ardente pour sauver sa Pokémon.
Elsa observait tout avec neutralité, se penchant légèrement vers le terrain.
Quand la nébuleuse se dissipa enfin, Hope tenait toujours debout, Riolu à peine consciente, à ses pieds. Ses prunelles écarlates écarquillées.

Le combat était terminé.

Avant même qu'Elsa ne signale la fin du match, Élin se précipita sur le terrain, ne remarquant pas le regard frustré de Syd, ses poings serrés. Elle enlaça son équipier victorieux qui aboya faiblement, blessures le lançant au contact de l'humaine. Qui se retira immédiatement, désolée.

— Pardon... j'ai eu peur... énonça-t-elle lentement. Puis elle ajouta avec tendresse : je suis tellement fière de toi !

De son côté, Elsa se leva avec peine, étirant ses membres endormis, et s'approcha du terrain dévasté, contournant les sillons creusés successivement par Grotichon et Hope.

— Ce match est maintenant terminé ! Élineera Hei de la Ville Noire a battu Syd Redding-Park de Maillard en deux manches singulières !

Syd, désœuvré, rappela Riolu de loin, la félicitant en un murmure enroué. Il avait perdu... mais il ne voyait pas quand il s'était trompé ! À quel moment avait-il fait le mauvais choix ? À quel moment avait-il ordonné le mauvais schéma ? Quand est-ce qu'Élin avait pris le dessus, quand est-ce qu'elle avait eu raison ! Sa volonté était venue à bout de son entraînement...

— Félicitations, lança-t-il avec mauvaise foi, tentant de maintenir une façade honorable.

Mais les deux filles virent clair dans son jeu. Elsa soupira, son regard outremer glissant, blasé, sur la figure du perdant. Élin releva brutalement la tête, mèches volant, la main posée dans le sable aux côtés de Hope se crispant.

— Ouais, enfin mens pas, t'as les boules... sourit-elle, secouant sa frimousse fatiguée.
— C'est faux, s'obstina Syd, serrant les dents.
Il fixa les Pokéball à sa ceinture et ajouta :
— Je ferai plus d'efforts, c'est tout.
— Je te surprendrai encore, affirma Élin.
— Tant pis, j'arriverai à te contrer, j'apprendrai à tout contrer. De toute façon, c'était écrit que je perde ce match, puisque j'avais gagné le précédent.

À ces mots Elsa leva les yeux au ciel. Bon sang, mais quelle tête de Galopa, à croire qu'il ne se départirait jamais de sa maudite assurance ! Soupirant, elle s'avança pour interrompre l'échange entre les deux dresseurs, histoire de mettre un terme à l'aberrance des stichomythies. Maintenant que le combat était terminé, elle avait vraiment, vraiment envie de rentrer au campement et d'écrire.

— Bon, stop ! grommela-t-elle, leur assénant un regard impérieux. Vous vous disputerez ce soir, et après vous être brossé les dents !

Deux regards blasés l'accueillirent, et ensemble, ils se traînèrent vers le camp.


(Éclaircie)
« Le 9 Juillet : j'ai discuté avec Amaryllis. »

Il était écrit que Cryptéro était le gardien mystérieux d'une civilisation antique. Sans doute protégeait-il l'Empire mythique du Peuple de Reshiram, dont on racontait encore les prouesses technologiques et magiques... les légendes que l'on avait tissé autour de ce peuple persistaient encore, malgré les poussières du temps. On murmurait que leur sang était mêlé à celui des Pokémon, que leurs oreilles pouvaient capter les paroles des dieux. Des histoires, inventées pour émerveiller les enfants, postulaient même que ces êtres uniques étaient capables de défier l'espace et le temps, pénétrant dans un autre monde. Qu'ils pouvaient manipuler une « force vitale » pour que leur esprit vive éternellement... aujourd'hui, seules des ruines arides nommées Château Enfoui témoignaient de leur culture, de leur vie et de leur mort.

Le désert et le temps avaient englouti leurs espoirs, leurs tabous, leurs haines. Leur résistance à l'avancée des sables.

Mais les Cryptéro avaient survécu. Et tous les soirs, cachés parmi les ondes éternelles du désert, ils se lançaient dans une patrouille au parcours curieusement répétitif.

Amaryllis bondit dans le sable brûlant, gorgé de soleil à cette heure encore. Ses prunelles en aquarelles d'anis s'accrochèrent à la figure prudente de la dresseuse, à sa jupe de coton blanc. Le crépuscule creusait les ombres des tissus, griffait les cuisses laiteuses de noir. La loutre inspira avec vivacité, méfiante. Seule l'insipidité de la poussière brûlée frappa ses narines frémissantes. Elle tendit les oreilles. Mais les Maracachi s'étaient endormis. Un silence ouaté pesait sur le sable des vallées... l'équipe était en chasse.

— Suis-moi, on va escalader cette dune, lui murmura la dresseuse.

Amaryllis obéit. Plus elles montaient, plus l'air se rafraîchissait, la chaleur s'élevant au-delà à mesure que le soleil se couchait. Et la peau sèche de la Pokémon Eau, irritée et rugueuse, palpitait de soulagement. Elle aimait la nuit. La nuit, elle s'éveillait finalement, son corps fuselé parcouru par des frissons cruels, un désir mordant de chasser. Elles étaient en chasse. Elles étaient en chasse. L'équipe gravit la dune et se posa sur la crête soyeuse, fragile, déjà effritée par le vent et le poids de leur corps. Leurs yeux glissèrent sur les ondes du désert, parcourant les gorges obscures, les pitons filés d'or pâle. Le crépuscule s'installait.

Bientôt les gardiens mystiques s'animeraient et, possédés par la volonté d'esprits décadents, se lanceraient dans leur patrouille millénaire.

— Il faut attendre, chuchota la dresseuse, lèvres rouges sculptant la nuit.

Amaryllis obéit muettement. Elle aimait le silence et l'immensité du désert. La liberté des vents. Son instinct la gouvernait, un flou antique uniquement brisé par la voix de l'humaine. Des souvenirs se bousculaient dans sa tête, des souvenirs que seuls les Pokémon évolués connaissaient et comprenaient. Réminiscences d'un passé révolu. Peut-être avait-elle été un Maracachi du désert. Peut-être sa dresseuse avait-elle appartenu à ce peuple ancien. Elles s'étaient retrouvées...

— Regarde ! s'exclama alors la dresseuse.

La loutre se tendit immédiatement, raidissant tous ses membres, babines se retroussant sur des crocs blancs. Au loin un Cryptéro flottait gracieusement à travers un col ensablé. Il luisait faiblement de violet, lévitant grâce à ses pouvoirs psychiques, ne battant pas ses ailes déchirées. Lambeaux colorés. Amaryllis gronda sourdement.

— Utilise Puissance, la dresseuse conseilla à mi-mot, sa voix mêlant enthousiasme et nervosité.

Toujours la cible s'approchait.
À travers les poussières du temps.

— Taillade !

Du haut de la dune elle bondit sur l'adversaire, griffes acérées furieusement déployées, langue claquant dans une salive excitée. Le Cryptéo exécuta une volteface inquiète mais cela ne fit que lui offrir la chance d’atterrir sur son bel abdomen. Elle planta ses serres aiguisées dans le corps juteux du gardien… un coup en plein dans sa faiblesse.

— Encore !

Amaryllis se déchaîna, filant avec ses griffes des arabesques ensanglantées. La cible répliqua avec une Vague Psy paniquée qui l'envoya au tapis dans le sable chaud—elle se redressa encore. Il ne pouvait rien. Encore.

« Le 9 Juillet : j'ai discuté avec Amaryllis. »

Elsa s'approcha du champ de bataille, serrant le coton de sa jupe entre deux paumes moites. Ses boucles collaient maladivement à son front, elle avait le cœur au bord des lèvres. Son attaque allait-elle suffire ? Depuis le Ferry elle n'entraînait plus Amaryllis, la loutre s'améliorait indépendamment de toute volonté de sa dresseuse...

« Les bègues ne chantent pas. »

Tremblante, elle attrapa une Hyperball achetée à Volucité, et la lança vivement, criant à sa starter de faire attention ! Le rayon sanglant piégea le corps crispé de Cryptéro, le miniaturisant, l'engloutissant sans résistance.

Une seconde.
Deux.
Trois.

Éprouvée, Elsa tomba à genoux sur le sable. Elle possédait à présent deux Pokémon.

[...]

Le morceau de poulet fut lâché dans l'œuf, l'huile et la farine, les pâles lamelles instantanément saisies par la mixture bouillante. Une odeur appétissante de friture envahit le camp, tirant Mélis de la tente où il avait dormi toute la journée, ne participant en rien aux activités du groupe. Décidemment cet adulte ne servait strictement à rien, et si les parents d'Elsa et de Syd le savaient ils feraient très certainement une crise cardiaque ! La première imaginait très la réaction de son père soupe-au-lait : il pâlirait, s'étoufferait sur quelque exclamation terrifiée—ou indignée, mais trop faible pour qu’on puisse clairement distinguer l'émotion dominante de toute manière—puis... il s'évanouirait.

Néanmoins, le dresseur mythique et mythiquement flemmard remarqua le nouveau Pokémon perché sur la tente d'Elsa. Une créature majestueuse aux couleurs flamboyantes, d'un jade pâle, mêlé un jaune comme celui du sable, un azur comme le ciel d'hiver. Des stries noires obsidienne ou du blanc nacré ornaient son corps ancien.

Après avoir inspecté la poêle où rissolait le poulet, l'adulte aux yeux gris se dirigea vers l'adolescente la plus studieuse du groupe, qui avait délaissé le carnet posé sur ses jambes tendues. Elle lui envoya une œillade mauvaise, se souvenant encore de son mauvais tour de la veille—il l'avait forcé à arbitrer le match d'Élin et de Syd en pleine tempête après tout ! Mais quand le dresseur admira son Pokémon avec une expression impressionné, lâchant innocemment :

— Tu es vraiment une jeune fille remarquable ! Qu'un Pokémon aussi puissant et rare te choisisse comme dresseuse indique une maturité rare à ton âge...

« Tu es vraiment une jeune fille remarquable — qu'un Pokémon aussi puissant et rare te choisisse comme dresseuse indique une maturité rare à ton âge » répéta mécaniquement le Cryptéro.

Les ondes psychiques du Pokémon oiseau les frappèrent, retransmettant les paroles du dresseur sans aucune intonation, et Mélis sursauta comiquement.

— AH ! Il parle ?

... Elsa ne put s'empêcher de sourire.
Mélis avait réellement un don pour désamorcer les guerres nucléaires.

Le jeune adulte s’éloigna du Cryptéro, méfiant. Maudit piaf. Grimaçant, il tituba de fatigue—quoi, sortir d’une tente demandait beaucoup d’efforts !—vers l’adolescente et s'écroula à ses côtés. Celle-ci renferma aussitôt son cahier, auquel l'adulte ne portait pourtant aucun intérêt. Elle sursauta quand son interlocuteur lui demanda curieusement :

— Dis-moi, pourquoi tu captures un nouveau Pokémon, alors que tu ne sembles pas vouloir collectionner les badges ? Je ne t'ai jamais vu entraîner ta Starter alors que les deux autres ne pensent qu'au combat.

Prise au dépourvu, Elsa se tendit, son regard fuyant les yeux métalliques de l'adulte. Pensive, elle tritura un coin de son carnet et fixa son nouveau Pokémon, qui conversait avec Grotichon... Pensant à la manière dont elle était écartée par Élin et Syd, pensant à son irréductible différence avec ses pairs. Un sentiment amer l’envahit. Puis elle souffla, et comme un élastique trop longtemps écartelé, se détendit soudainement.

— Je suppose que je désire juste des compagnons de route... confessa-t-elle avec un sourire apaisé. C'est vrai que le combat ne m'intéresse plus. Depuis le Ferry.
— Tu l'as expliqué à tes amis ? s'enquit Mélis avec intérêt.
— Non.

Élin et Syd ignoraient totalement sa décision, et ne s'étaient pas posé de questions, entièrement préoccupés par leur propre rivalité. Elsa n’était clairement pas leur priorité… Ils lui demandaient tout juste conseil sur tel ou tel point technique, car la brune se souvenait toujours aussi bien de ses cours. Ses amis l’avait réduit au cliché de « l’intellote ». Si Oscar était là…

— Puis-je te demander pourquoi tu ne leur as pas dit ? enchaîna l'adulte, intrusif et imperturbable.
Elsa leva les yeux au ciel étoilé, inspira brusquement ; saisie d’une révélation.
— J'attends qu'Oscar revienne.
— Ah... souffla l'adulte, regard dérivant à son tour. Malheureusement, à ce que m'a dit Bianca... cela risque de prendre du temps.

Elsa posa sagement les mains sur ses cuisses et lissa les plis de sa jupe, songeuse. Les senteurs du riz avaient à présent remplacé celle de l'huile, mêlés à la fraîcheur du coriandre, au sucre et au piment. Tant pis. Elle était sûre de sa décision.

— Ce qui m'intéresse, dans l'immédiat, c'est d'atteindre le Château Enfoui, reprit-elle fermement. J'ai toujours rêvé d'explorer les ruines—depuis toute petite j'étudie les contes et légendes du château...
— Certaines vérités font mieux de rester enfouies, commenta légèrement Mélis.

Elsa plissa les yeux, ne relevant pas les courants plus sombres que révélait sa réponse. Elle fouilla dans sa mémoire, se souvenant des heures passées à la bibliothèque ou sur des sites internets farfelus. Rien de ce qu'elle avait appris sur les ruines ne semblait dangereux. Certes, des théories complotistes postulaient que le château avait été un lieu clé dans la bataille contre la Team Plasma... mais Elsa doutait qu'un monument classé au Patrimoine Régional, que tout à chacun pouvait visiter librement, soit d'un grand intérêt pour les criminels.

— Mais monsieur... s'enquit la jeune fille à son tour, brusquement curieuse. Pourquoi me posez-vous autant de questions ?

Il mit un temps à répondre. Un temps où ils constatèrent que la brise s'était arrêtée, que la nuit s'était doucement installée, insidieusement, à leur insu. Le temps s'écoulait...

— Je suppose, que je ne veux pas vous voir reproduire nos erreurs... expliqua Mélis, pensif. Nos générations ont été mutilées par la Team Plasma, nous nous sommes engagés trop jeunes dans un conflit qui nous dépassait complètement. J'espère que contrairement à nous, vous ne jouerez pas aux héros...

Ses yeux presque bleus se posèrent avec bienveillance sur Élin, et Elsa sourit malgré elle.

La blonde harcelait Syd pour qu'il finisse de cuisiner au plus vite, le narguant à propos de leur match de la veille. Le feu de camp animait ombre et lumière sur son visage, étincelant le long de ses mèches solaires. Durant leur semaine au désert, tandis qu'Elsa n'avait fait que rougir, la blonde avait bronzé, et dans l'obscurité, la couleur de sa peau rejoignait presque celle de Syd.

— Dis, dis c'est quoi le nom de ton plat ?
— Du poulet frit avec du riz.
— ... ah bon ? Mais c'est nul ! Aucune originalité !
— On ne soucie pas d'originalité quand on fait la cuisine au milieu du désert !
—Aucun rapport. C'est pas être au milieu du désert ou non qui change l'appellation des plats... tu pourrais faire un effort !
— Rah mais j'en ai rien à faire que tu sois déçue par ce nom... de toute façon tu ne fais que te plaindre !
— N'importe quoi ! T'as juste les boules parce que t'as perdu hier !

Et la dispute continuait sans fin. À croire que les dresseurs n'avaient pas du tout évolué depuis le premier jour de leur parcours. Cependant, l'oreille aguerrie pouvait distinguer une légèreté dans le ton ; le regard entraîné, une étincelle dans les yeux qui n'existait pas aux aurores de leur voyage... Partout l'évolution se constatait, établissant une nouvelle donne, un nouveau paradigme.

— Mais oui, tu as raison... se moqua Syd. Tu es une jeune fille aimable et toujours disposée à aider les autres, d'ailleurs là tu vas surveiller le riz pendant que je vais nourrir les Pokémon...
— Ou alors je peux aller les nourrir... lança la gamine, par pur esprit de contradiction.

Son ami posa sur elle un regard blasé digne de Baggy.

— Bon, t'as raison, j’ai toujours la flemme de me lever et de me pencher dix fois ! s'écria la blonde, levant les mains en signe de reddition. Va nourrir le nouveau Pokémon classe d'Elsa toi-même !

Et, faussement grognonne, elle se tourna vers le riz. Syd s'approcha alors de sa tente, qui contenait toutes les provisions pour leurs équipes—même celles de Mélis, qui avait ainsi réussi à gruger plus de place pour dormir. Il soupira, partagé entre un bonheur apaisé et la nervosité qu'avait engendré sa défaite. Après cet échec, tous ses sentiments négatifs étaient remontés à la surface, avec l'impression qu'il n'arrivait à rien, et que jamais il ne pourrait sauver Otis...

Tout le jour et la nuit caché dans sa poche, le portable des Plasma pesait bien lourd, lui brûlait la cuisse. Mais enfin quand allaient-ils appeler ? Pourquoi lui avoir donné un téléphone, si ce n'était pas pour s'en servir !

À l'instant précis où Syd allait sortir de sa tente, nourriture en main, l'appareil sonna.
Son sang se glaça.
Non.
Pas possible.
La coïncidence était trop grosse !

Tel un robot, la partie consciente de son esprit niant de toute sa force l'évidence, l'adolescent attrapa le téléphone et l'étudia. Numéro inconnu. Comme dans un rêve, il appuya sur le bouton : « décrocher ». Et il se dissimula derrière sa tente, absolument halluciné, corps crispé par une tension indicible.

— Oh oh... lui parvint une voix, à la fois tranchante comme du givre, et douce comme du miel.

C'était... c'était Anto.

— On a essayé de s'échapper... On a essayé de prendre un autobus directement jusqu'à Méanville ?
— C-Comment—s'étrangla Syd—
— Nous te suivons à la trace, que crois-tu, le coupa froidement le commandant Plasma.
— Mais...

Mais et l'accident ? Et le dérapage du chauffeur ? Et l'explosion d'essence ? Ils avaient failli y passer à nouveau ! Ça ne pouvait pas faire partie du plan, non, qu'il meure, pas avant de leur avoir servi...

— Nous contrôlons tout, l'informa paisiblement Anto.
— Pourquoi m'appelez-vous, lui demanda Syd d'une voix blanche.
— Oh, pour bavarder, lui répondit le criminel, d'un ton soudainement badin. Tu sais qu'hier je me suis rendu au numéro dix Rue de l'Hôpital, et j'y ai admiré de nombreux beaux petits pavillons. Certains sont même à vendre. Maillard est une ville charmante, je pourrais, qui sait, songer à m'y installer...
— Non... parvint la réponse, en un souffle terrifié. Non... s'il-vous-plaît...
— Oh, mais pas encore, sourit Anto à l'autre bout du fil.

Le silence se fit.

— Demain, ou après-demain, tu arriveras au Château Enfoui. Quelqu'un t'y attendra là-bas et vous ferez équipe.
— Oui, dit Syd.
— Tu connais la localisation du Galet Blanc, l'artefact sacré qui permet d'invoquer Réshiram. Aloé est ta tante.
— J-Je...
— Vaudrait-il mieux que j'aille vérifier auprès d'elle directement ? s'amusa le commandant.
— Non ! Non, je—je sais comment... Nord, Nord—E-Est, Sud, Sud, Est !
— Répète.

Il obéit, aveuglément. Se sentant aussi vulnérable qu'un Insolourdo, qu'un... humain, paralysé.

— Tu seras là en temps et en heure.
— Oui.
— Tu feras ce que je t'ai ordonné.
— Oui.
— Puisque tu connais les conséquences...
— ... oui.

Au-dessus d’un Syd terrifié lévitait Cryptéro, attiré par le parfum de la nourriture. Il avait enregistré l’intégralité de la conversation.

-

Hoho. Quel est donc le plan mystérieux de la Team Plasma ? Cryptéro recrachera-t-il la conversation ? Qui donc l’entendra ?
La suite dans le prochain épisode !