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Echos Infinis de Icej



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Informations

» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 13/12/2015 à 12:55
» Dernière mise à jour le 01/04/2020 à 05:05

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 23 : Continuer, encore
Ndlr : Nyaah 16 pages alors que je n'ai même pas commencé les deux parties avec les héros... DX Cool 26 pages au final, que du bowneur.

Bref, que dire... premièrement, je ne pensais pas disparaître aussi longtemps. J'ai traversé une période assez démotivante psychologiquement, en plus, le manque de commentaire pour des épisodes importants comme le 21 et le 22 m'a démotivée... ça n'a pas forcément l'air, mais c'est important, les commentaires. Par ailleurs, même si la L me permettait globalement de rien foutre en ayant de très bonnes notes, j'ai été présentée à deux concours généraux. Donc je taffe.

L'épisode que je vous livre est un épisode de transition, qui remet chaque personnage à sa place pendant une période. J'ai conscience que ce n'est pas forcément mon meilleur texte, mais j'en suis globalement assez satisfaite. J'espère qu'il n'y pas trop de fôtes. :)

Playlist : The Saints are Coming, de U2 et Green Day
Pour Syd – The Cranberries, Tomorrow

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(L'aube)
Il était le seul à connaître cette cachette au soixante-quinzième étage, l'avant-dernier de l'immeuble. Au-dessous du magnifique penthouse s'étendait l’espace de stockage des canapés non-désirés, des télés abandonnées... Cette pièce monopolisait l'étage, poussiéreuse et crépusculaire. La nuit elle était hantée par les lumières de la ville, aurores boréales filtrées par les vieux draps et les édredons mités.

Artie traversa la pièce. Ce matin il ne s'attarda pas autour des meubles oubliés et transperça son habituelle mélancolie. Incrustée dans les vitres grises de l'immense débarras, une porte fatiguée. Il pouvait l'ouvrir, cela faisait longtemps qu'elle ne résistait plus à rien.

Alors le Champion glissait sur une courte surface de verre, une surface qui ne faisait pas un mètre.
Deux pas.
Et il chutait de soixante-quinze étages puis s'écrasait sur du béton comme un ballon rouge qui éclate.

Artie ne franchissait jamais ces deux pas. Il s'appuyait contre la porte refermée et fixait d'abord les tâches floues à ses pieds, puis les lueurs patinées, corrosives de sa ville. Bleues. Roses. Des phares rouges aux coins des toits pour que puissent atterrir les hélicoptères. Des affiches publicitaires mouvantes. Des piscines plus resplendissantes que durant le jour, carreaux violets ou noirs éclairés par des lampes aquatiques. Des néons clignotants. Blanc. Jaune. Tout se fondait en un tableau orgiaque. Azur. Les surfaces polies de son immeuble en verre dansaient. Vert émeraude. Les gratte-ciels tanguaient, ivres de couleurs.

Le ciel d'encre en devenait lui-même lumineux, étoiles éclipsées derrière les ondes artificielles des humains. Oui, le monde entier, les humains rampant sur les trottoirs, s'effaçait derrière la nébuleuse Volute. La silhouette même d'Artie se déformait, brouillée par l'indifférence éclatante de la ville. Il n'était rien.

Seul son esprit restait noir d'encre, bouillonnant.

L'air froid ravivait ses peurs mais aussi son intelligence. Artie savait se montrer très froid. Ce jour-là, il réfléchissait d'une façon neutre et insensible à leur avenir, analysant les échecs et les pertes éventuelles, traitant les futurs morts comme des numéros insignifiant. Mais si le futur immédiat devenait apparent sous la clarté glaciale de son détachement, leur destin final restait englouti par les ombres. Rien n'était plus incertain que leur avenir...

Aujourd'hui ses invités allaient tous partir—mais pour certains, ils les sentaient connectés à leur futur, déjà trop liés à la Plasma… La Plasma. Artie allait vérifier que tous les Sbires avaient été correctement placés dans des asiles ou des maisons de repos. L'équipage entier de terroristes avait perdu la mémoire, et quelques-uns la raison. C'était assez pour arracher un frisson de dégoût au Champion, qui en avait pourtant vu d'autres.

Deux fois que la Team Plasma ravageait Unys. Il y avait déjà eu des enlèvements de Pokémon, des enlèvements d'humains, des morts. Mais jamais l'organisation n'avait semblé aussi terrifiante qu'en cette année, où cinquante Sbires avaient perdu toute conscience de leur être sans explication, où l'organisation excitait les fureurs de l'océan, où la gamine Hei prétendait avoir rencontré un commandant doté de facultés inhumaines.

La Dernière Team Plasma semblait complètement déformée, mutilée par ses échecs passés. Plus féroce et dérangée que jamais.

Artie savait qu'Unys et ses habitants allaient souffrir. Il avait déjà vu des humains errer sans Pokémon, hallucinés, la moitié de leur âme arrachée. Il avait déjà vu des enfants morts et des attentats-suicides, des rues au béton éclaté par des bombes. Mais surtout, Artie savait que les Pokémon allaient souffrir. Et, plus que tout autre catastrophe, c'est les ravages causés à ces créatures innocentes qui horrifiaient le Champion.

Il est dit que le Trioxhydre mord trois fois. La première pour blesser, la deuxième pour tuer ; et la troisième, pour le plaisir de mutiler.


Yumeiideviantart
(Nouveaux Départs – Rupture)

Artie, Mélis, Bianca, Élin, Syd, Elsa et Capitaine se trouvaient sur le palier du Champion, partagés entre les sourires et l'appréhension. Quand ils se taisaient, un lourd silence s'installait au creux de leur estomac. Le 31 juin, le dernier jour du mois, les derniers rescapés du Ferry se dissipaient... Seul Artie était soulagé de récupérer la maîtrise de son appartement. Les autres avaient l’impression de s’affaiblir en s’éparpillant, de se rendre vulnérable en s’isolant peu à peu.

— Bonne chance à vous, les mômes, souffla bravement Capitaine, sourire éclipsant presque les ombres de son visage.

Il entraîna chaque adolescent dans un immense câlin sous le regard blasé de leur gardien Mélis.

— Et toi, tu vois qu'ils t'ont pardonné, votre amitié en valait la peine, glissa-t-il à Élin qui lui offrit un rictus malicieux.

La gamine tentait de ne pas se laisser plomber par l'ambiance—après tout, le groupe allait reprendre leur voyage initiatique, et leur quotidien s'apaiser peu à peu... sauf qu'Oscar restait à Volucité. Il ne pouvait plus les suivre. Cela, plus que les souvenirs de l'attaque ou l'humeur sombre du groupe, lui fichait le cafard. Elle souriait seulement car elle espérait qu'un événement imprévu, peut-être une explosion au commissariat de police, ou même une réincarnation d'Arceus empêche la séparation... Sa naïveté—ou sa mauvaise foi—la sauvait.

Ce n'était pas la même histoire pour Syd et Elsa.
Après de dernières politesses, le groupe détourna les yeux et le Munna de Bianca téléporta Capitaine. Un vide supplémentaire dans l'appartement...

[...]

L'homme éreinté se matérialisa au port d'Ondes-sur-mer devant une maison grande et étroite, une maison de briques de sel. Son entrée faisait face à la côte est, recueillant les embruns de mer et de liberté. Dans le jardin de derrière, invisible depuis la porte d'entrée où se tenait Capitaine, un petit potager où poussaient quelques patates et des tomates.

Le Munna de Bianca le laissa après un cri poli.

Capitaine était seul. Et plus brusquement que le vent du large, la lame glaciale de ses souvenirs l'assaillit, brûlant sa gorge et ses rétines. Le maître des mers fit volte-face, le cœur comme foudroyé, se rappelant encore le coup violent qu'on lui avait asséné, le sang qui avait coulé le long de sa nuque avant qu'il ne s'effondre, inconscient. Le spectre du... du poing ? Un seul coup de poing avait-il pu faire autant de dégât ? Il en sentait encore l'éclat contre son os... L'homme déglutit, se pressant contre le mur de sa maison, noyé par le malaise.

— Papa ?

Le ton presque enfantin trancha net dans les chimères de son agression. Capitaine avala une goulée d'air froid et sec, ses yeux achoppant sur la silhouette de sa fille qui s'était penchée à la fenêtre du second étage. Mais son corps restait immobile, tétanisé.

— Papa j'arrive !

Il entendit au loin ses bottes cloutées dévaler son petit escalier de bois—et elle fut devant lui, ses yeux électriques vrillant sa mine lointaine. La force de son regard, la vigueur de son aura, de cette aura qu'elle avait toujours dégagé, le ramena lentement à lui. Capitaine n'était pas un homme aux nerfs fragiles, sinon il n'aurait pas choisi de se livrer à l'océan chaque jour de sa vie. Une frayeur aussi brusque... était anormale.

— Ça va, parvint-il à dégager.

Strykna détourna le regard.

— J'vais buter ces salauds, siffla-t-elle, et il ricana nerveusement.
— C'est trop dangereux.

Elle attrapa les quelques effets personnels qu'il avait rassemblé et se dirigea vers la maison, avalant à grandes enjambées les quelques marches du porche. Il la suivit...

Alors Capitaine se retrouva chez lui, dans sa petite cuisine aux carreaux fatigués. Ses yeux lampèrent les détails d'un quotidien oublié, butèrent contre sa fille qui s'affairait à la cafetière... Une pâle lumière jouait sur le comptoir, sur les aspérités de son bois sombre et les grains durs de sa pierre grise, caressant la moisissure autour de l'évier. Les rayons de soleil semblaient percer le ciel gris, déchirer les nuages qui s'agrippaient encore à la mer et aux montagnes, embrun et fumerolles célestes mêlées. Les fenêtres étaient trempées, des gouttes de pluie s'accrochant aux vitres, aux poignées esquissées par la lumière doucereuse du jour.

— Mais Na-Na... réalisa-t-il lentement, en un murmure. Tu n'es pas à l'Arène ?

Sa fille se tourna lentement vers lui, deux tasses de café à la main, et en posa une délicatement devant lui.
Les traits bruts de son visage s'adoucirent.

— Non Papa... pour l'instant, je reste avec toi.

Elle but une gorgée, pestant contre sa voix qui venait de trembler, contre la peur qu'elle avait eu.
Puis elle vida sa tasse.

— Ah, et au fait, don't call me Nana.


[...]

Une place immense avec une jolie fontaine. Un matin d'été léger, ensoleillé, bourdonnant de familles souriantes et d'adolescents en vacances. En somme, le cliché de la journée parfaite. Elsa en était bien consciente. Mais elle restait là, à patienter avec les autres au centre de la place de la Révolution d'Aout. Ils attendaient Oscar, la brune le cherchait d'ailleurs à travers la foule, l'appelant tantôt plus fort que le ruissellement de la fontaine, s'aventurant parfois entre deux silhouettes colorées quand elle croyait le reconnaître.

En vérité… Elsa était saisie d'un sentiment étrange, qu'elle ne savait nommer. Aussitôt qu'elle s'en saisissait pour mieux le reconnaître il s'évaporait, éphémère... pourtant il hantait ses entrailles et une question la taraudait… était-elle toujours fascinée d'Oscar ? L'aimait-elle encore ? C'était cette obsession enfantine qui définissait son être depuis des années... et voilà que la brune était plongée dans une incertitude totale, étrange. Voilà que ses amis n'en étaient plus vraiment, voilà qu'elle soupçonnait Syd et découvrait Élin, voilà que la seule constante dans sa vie allait disparaître.

Ferry. Joie terrifiante. Le lendemain. Effroi. Après—indifférence. Avant-hier… renaissance des émotions et hier… joie et espoir. Aujourd'hui...

Elle ne se reconnaissait plus, dépourvue de son bégaiement, de sa timidité...
Elle ne se reconnaissait plus... dépourvue d'Oscar.

Mélis s'était endormi sur le rebord de la fontaine, à côté d'Élin, qui était perchée sur l'enceinte sculptée, dansant sur la pierre. La gamine scrutait la foule en funambule, bien loin de tous ces soucis. Elle ne souriait pas, mais ne semblait pas non plus triste—elle s'était jurée de ne pas être triste. Car même si la blonde détestait les aux-revoir... ils n'étaient que temporaires, ils n'étaient pas des adieux ou des morts. Oscar avait besoin que l'on croie en lui et en leur amitié !

Syd s'en fichait. Ou du moins il tentait de s'en convaincre. Il avait une mission qui n'avait aucun lien avec Oscar et qui était bien plus importante que l'adolescent à la queue-de-cheval. De plus, le brun parti, une des entraves qui limitaient ses mouvements disparaissaient. Cependant le dresseur de Grotichon ne pouvait s'empêcher de scruter la foule.

Et ce fut lui qui remarqua Oscar en premier.

— Là. marmonna-t-il, pointant sans finesse le brun du doigt.

Seule Élin l'entendit et elle fit un large signe à leur ami, qui accéléra le pas. Il avait l'air triste, ému, l'éclat insouciant de ses prunelles évaporé. Elsa aussi remarqua Élin, franchit les quelques mètres qui la séparaient du groupe. Mélis se réveilla, observa les adolescents du coin de l'œil, jugeant que ce départ ne le concernait pas, qu'il n'avait pas à intervenir—et puis cela lui faisait toujours un mioche en moins à surveiller. Il resta immobile, se rendormant tandis que d'un seul coup le groupe convergeait, comme cette première fois à Pavonnay. Un instant de calme avant l'orage.

— Yosh... murmura Élin d'un ton qui se voulait joyeux mais échouait. C'est vrai qu'tu viens pas... c'est pas un mensonge ?

Ils fixèrent tous leurs yeux sur Oscar, attendant une réponse, leurs cœurs palpitant à l'unisson. Le brun baissa les yeux, triturant le bord d'un de ses éternels vêtements de baba-cools, et n'osa d'abord répondre. Puis il rassembla son courage, tentant de ravaler sa déception.

— Comme je vous l'ai dit... mes parents ont besoin d'aide... répondit-il difficilement.

Plus que tout, il désirait partir à l'aventure aux côtés de ses amis, plonger au cœur du désert, essayer la grande roue de Méanville, la ville qu'il désirait visiter plus que tout autre lieu d'Unys... au lieu de cela il restait aux côtés de parents écervelés et endettés...
Syd n'arrivait finalement pas à s'en ficher.

— Mais Oscar... c'est vraiment idiot, tes parents devraient savoir régler leurs soucis seuls, ils sont adultes ! s'exclama-t-il d'un air revêche, attrapant le brun par le bras.
— Ha, j'aurais aimé... mais je dois rester avec eux au moins durant les procédures légales. Parce que... parce que c'est à travers moi que la police les a retrouvés.

Devant le sacrifice de leur ami, les filles eurent une moue indignée. Mais Syd surtout fut frappé en plein cœur. Le dresseur se rendit compte de la difficulté du choix d'Oscar. Entre ses rêves et une famille peu aimante, il avait choisi d'aider sa famille. Ébahi, le dresseur aux yeux d'ambre considéra Oscar l'écervelé d'un tout nouvel angle, déglutissant. Ce qu'il ressentait à présent pour l'adolescent à la queue-de-cheval, c'était un puissant respect. Enfin les garçons se trouvaient un point en commun... Pile au moment où ils se quittaient, ce que c'était rageant !

— Je trouve vraiment admirable que tu aides ta famille, Oscar, articula alors Syd, toujours aussi stupéfait par sa découverte.

Stupéfait, Oscar le fut aussi, levant précipitamment ses prunelles verdoyantes vers le dresseur de Grotichon. Il attrapa à son tour le bras de son ami et sourit d'un air agréablement surpris, un peu ému.

— Merci...

Ce simple mot exprimait difficilement ce qu'il ressentait. La suite de son chemin allait être réellement difficile, mais d'avoir le respect d'un garçon aussi fermé et tranché que Syd, qui s'était toujours tenu à distance, lui redonnait réellement courage. Il se sentait encore plus sûr de sa décision, à présent... rester avec sa famille était le seul choix possible.

La deuxième à lui dire au-revoir fut Élin. La blonde ne tenait plus en place et se jeta dans ses bras, refusant de pleurer et ravalant un sanglot. Oscar rosit légèrement, habitué au contact de la blonde très physique, mais peu accoutumé à ce qu'elle ressente autant le besoin de le voir et de lui parler.

— Waouh, tu fais plus gaffe à moi qu'à Syd, maintenant... murmura-t-il, attendri. Si j'avais su, je t'aurais quittée avant...
— Pfft, j'ai toujours fait plus attention à toi qu'à Syd, je te préfère à une tête à claque... marmonna la gamine en réponse, tête blonde enfouie contre la poitrine du géant.

Ses paroles presque incompréhensibles n'étaient en revanche pas une pique à l'égard du dresseur renfermé, car seul Oscar pouvait distinguer ses chuchotements. Comme un éclat d'intimité au beau milieu de la foule. Ensemble, ils se rappelèrent de comment le beau-gosse avait défendu la fugueuse au Ranch d'Amaillide... de leur double-capture à la Z.I. d'Ondes-sur-mer—de cent autres instants de rires, de complicité.

— Je suis sûre qu'on se reverra, souffla la blonde avec un sourire difficile, le relâchant. Après tout, on a traversé tant d'épreuves, on ne peut pas se séparer !

Cette fois, chacun l'entendit et échangea des regards approbateurs. Même la distante Elsa esquissa un sourire, son cœur se serrant à la pensée du Ranch d'Amaillide, du Pokéwood, du Ferry... elle s'approcha d'Oscar et planta son regard outremer dans les iris clairs du garçon, le sondant. Il se tendit. D'entre les quatre, ils avaient le plus de passif, de non-dits et d'hésitations. Leur discussion du Ranch d’Amaillide trouvait écho dans le creux entre leurs corps… « Raconte-moi… Raconte-moi ton histoire. »

Le palet d'Oscar s'assécha légèrement.

Et Elsa rosit. Malgré l'incertitude... malgré la tempête d'émotions étrangères de ces derniers jours, et l'étrangeté de sa nouvelle personnalité, née des cendres du Ferry... la brune aimait encore Oscar. Il s’était certes, paré de défauts au cours du voyage, avait glissé de son piédestal… mais c’était le cours normal des choses. Avant elle se l’imaginait comme un Prince Charmant, à présent elle le connaissait. Et elle aimait la personne qu’elle avait rencontré ce 8 juin…

Ils s'enlacèrent puis se relâchèrent, et Elsa laissa échapper un faible hoquet, à mi-chemin entre le pleur et le rire.

— Élin a raison... même si on a vraiment un problème avec les barques et les bateaux, notre amitié en vaut la peine.

Cette affirmation provoqua un rire dans l'ensemble du groupe, et le cœur d'Elsa fit un bond ravi dans sa poitrine. Elle était heureuse—car elle avait la conviction qu'ils allaient se revoir, et que leur amitié résisterait à l'écoulement du temps, à l'étirement des distances. Le groupe s'était peut-être rencontré dans un voyage initiatique, une situation banale, similaire à tant d'autres destins. Mais ils avaient su, ensemble, traverser des situations inoubliables. C'était peut-être grâce au hasard... mais cela signifiait sûrement qu’ils se complétaient bien, qu’ils étaient une bonne équipe.

Lentement Elsa s’éloigna d'Oscar, franchit le premier pas vers leur avenir séparé, tournant le dos à celui qui restait derrière. Sa gorge se noua, mais elle s’avança encore et encore vers le Nord, Élin traînant avec regrets à sa suite. Les filles s'en allaient. Cependant...

— Attendez !

Et cette exclamation ne venait pas d'Oscar, mais de Syd ! Les filles firent volte-face avec surprise, un peu mal à l'aise de voir le douloureux moment des aux-revoirs se prolonger. Mais le dresseur de Grotichon leur fit le signe impérieux de s'approcher et elles obéirent, curieuse de voir le moins amical d'entre eux désireux d'entamer une conversation de groupe.

Syd les attrapa toutes les deux par la main, puis, sous les yeux inquisiteurs d'Oscar, les relâcha pour lui tendre une Pokéball. Il eut un sourire mystérieux.

— Promets-moi juste de ne pas le faire évoluer.

Alors le reste du groupe compris.
(Enfin, peut-être Oscar réalisa-t-il ce que disait son ami un peu plus lentement que les autres.)

— C'est...
— L'Évoli ! s'exclama avec béatitude Élin.
— Oh la chance... souffla une Elsa émue.
— Il faut qu'on le nomme, affirma quant à lui Syd, fronçant les sourcils. Ok, on n'est pas d'accord sur l'évolution, mais il faut au moins lui trouver un nom.

Chacun approuva cette remarque judicieuse et se plongea dans ses pensées, se demandant bien quelle appellation pourrait satisfaire le reste de ses amis. Ils étaient tous si différents, avec très peu d'intérêts et de rêves en commun... qu'est-ce qui pourrait donc bien convenir à tous...?

— Wish, proposa alors Oscar, timidement.

Syd et Élin le fixèrent, intrigués.

— Kessaveudire ? se précipita la blonde, bondissant sur le mot inconnu.
— Ce n'est pas une langue de Poképolis, non ? chercha Syd, le regard concentré.
— Non, sourit Oscar, cela vient d'un autre langage... celui qu’Élin a utilisé pour nommer Hope…
— ... et, compléta l'érudite Elsa, dans cette autre langue, « Wish » veut dire « souhait ».
— C'est parce que je souhaite tous vous revoir, affirma Oscar, la gorge nouée.

Émus, sous le regard somnolant de leur ange-gardien Mélis, les adolescents se livrèrent à une franche accolade. À mis-mot, ils rappelèrent toutes les promesses qu'ils s'étaient faites, Élin de ne plus s'approcher de poisson et de vinaigre, Elsa de partager sa science du combat, Syd de faire la cuisine pour tous et Oscar de retenir le prénom d'Elsa...

— Et promets moi de ne plus boire de l'eau glacée aussi vite, c'est dangereux pour la santé... s'inquiéta Oscar à l'adresse d'Élin.
— En plus ça lui donne l'air vraiment idiote, se lamenta faussement Syd.
— Rah mais taisez-vous ! Chut !
— Et toi Oscar, ne mets plus de parfum à Jeans, cela enrage les reptiles, tu as vu les conséquences désastreuses au Centre Pokémon ! répliqua malicieusement Elsa.

Toutes ces erreurs étaient bien finies maintenant, le temps de leur découverte révolu. Les dresseurs en herbe ne pourraient plus explorer le bord de mer ou se raconter des blagues salaces et idiotes autour du feu de camp. Les combats de Syd et Élin ne décoifferaient plus un Oscar indigné ; quant au hippie, il ne pourrait plus faire rougir Elsa. Les adolescents auraient tous bien changé au moment où ils se retrouveraient...

Mais ce mois de juin passé ensemble avait été extraordinaire. Ils s'étaient déjà métamorphosés, ils avaient déjà grandi tous ensemble ! Que le temps où ils étaient tous divisés semblait si lointain ! Seul Syd hésitait encore entre l'amitié absolue et sa mission... mais pour l'instant, le dresseur s'en fichait, il échangeait des pics avec Élin, il se sentait heureux.

Car ils se retrouveraient. Quoiqu'il arrive.
Lentement, les adolescents se détachèrent et, Mélis à la traîne, disparurent dans la foule.


[...]

La dresseuse ne tenait pas en place. Elle fredonnait un air étrange, donnait des coups de pied furieux dans le vide tandis qu'on décrochait ses perfusions, qu'ont vérifiait les signaux des machines. Sa chevelure brune ondulait derrière elle en une masse sauvage, aussi indomptable que son caractère, l'entourant d'une aura électrique, statique et dangereuse. Deux prunelles bleues, sombres, chassaient les médecins. C'est ainsi que Bianca l'entrevit depuis le couloir de l'hôpital.

— Mais bien sûr que je vais bien, d'ailleurs je vais tellement bien que si vous virez pas tout de suite je vous donne un coup là-où-il-ne-faut-pas ! gronda-t-elle à l'attention d'un infirmier trop pressant.
— M-Mais m-madame White... balbutiait le pauvre jeune homme, gêné.

« Madame White » ne fit que plisser sceptiquement des yeux.

— Mais dis-donc, vous jouez dans quelle équipe, au juste ? l'interrogea-t-elle d'un air impérieux.

Le professionnel de santé vira au carmin et maudit mentalement tous ces dresseurs connus qui se croyaient tout permis.
Bianca dû intervenir avant que la scène ne dégénère.

— Hé...

Brusquement la dresseuse légendaire se retourna, regard électrique se fixant sur la thésarde. Un sourire illumina son visage harmonieux, lui rendant tout son éclat, sa beauté arrogante. Il n'y avait qu'elle pour sourire ainsi.

— Bianca.

Elle n'avait jamais l'air surprise. Semblait toujours à son aise, peu importe où elle se trouvait où elle allait ; fixait les gens autour comme s’ils se devaient d’être contents d’avoir pu l’apercevoir.

— T'es venue me sortir de ce merdier ?

Brièvement la scientifique s'imagina assommer les doctoresses et s'évader avec son amie d'enfance dans les couloirs aseptisés de l'hôpital—sachant que son amie d'enfance n'était vêtue que d'une blouse transparente d'hôpital à la couleur verte des égouts, ce serait cocasse—. Heureusement, décida-t-elle avec frayeur, que cette fantaisie ne resterait qu'une fantaisie !

— Il faudrait que tu te changes d'abord, esquiva-t-elle, haussant des sourcils interrogatifs à l'attention de l'infirmier, seul homme de la pièce pour l'instant.

Le pauvre professionnel piqua—encore—un fard monstre, détournant les yeux et triturant les bords métalliques de son stéthoscope. Franchement Bianca avait de la peine pour lui.

— M-Mais j-je ne joue pas d-dans cette équipe ! balbutia-t-il vivement, au comble de l'embarras.
— Ah bon, vint la réponse simple mais brutale de White.

Elle se pencha vers sa proie avec un regard curieux et dévora sa silhouette presque recroquevillée, indomptable toison oscillant avec les mouvements de sa tête. Malheureusement, aucune des collègues de l'infirmier ne semblait remarquer son calvaire, se contentant juste d'éteindre les divers appareils de la salle.

— Dans quelle équipe, alors ? poursuivit la Championne intéressée.

Pour le coup, le jeune homme semblait au bord de l'infarctus.
Soupirant, Bianca décida d'intervenir pour de bon.

— Oh, ne faites pas attention à elle. Pouvez-vous plutôt nous dire où se trouvent ses vêtements ? s'enquit-elle poliment.
— O-Oui ! sautant sur l'occasion, l'infirmier se déroba avec soulagement à leurs interrogations.

La majorité du personnel quittait aussi la pièce impersonnelle. Une doctoresse s'arrêta devant White pour lui dire qu'elle était satisfaite de ses signaux vitaux. Une autre claqua la porte. Bianca posa alors son regard sur le corps de son amie, un corps de sportive, sain et vigoureux. Comment auraient-ils pu prévoir ce malaise ? Alors que White avait toujours semblé être au paroxysme de sa forme... vivant comme un brasier rugissant.

— Les enfants sont partis ce matin, Mélis avec elles, débuta-t-elle d'un ton absent tandis que la Championne baillait indifféremment, sans se couvrir la bouche évidemment.
— Ah bon, et ils sont même pas venus me voir ces malpolis ! ricana-t-elle sans paraître gênée du tout.
— Eh bien, ils étaient déjà venus te voir à l'hôpital avant-hier, sauf que tu n'étais pas bien réveillée... tenta-t-elle avec un sourire.

Mais la scientifique fronça rapidement les sourcils. Mélis ne lui avait-il pas raconté hier, en coup de vent, que White avait été sujette à des hallucinations violentes justement durant leur visite, au point d’agresser sur Élin ?

— Tu ne t'en rappelles pas ? hasarda la thésarde, perturbée.
— Quoi ? souffla White en s'étirant. Nan.
— Mais...

Ce fut à cet instant là que l'infirmier revint, toquant à la porte sans croiser leurs regards. Le pauvre était réellement mort de trouille.

— M-Mad-dame v-vos vê-ê-te...
— Ahhh tant mieux ! s'exclama la Championne en attrapant les étoffes. Vaguelone commence vraiment à me manquer, puis y a pas à dire, ici la bouffe est dégueulasse !

[...]

Pavonnay était une ville de campagne faite d'air pur et de champs de fleurs. Cet été, on se donnait rendez-vous aux terrasses des cafés, des restaurants traditionnels qui constituaient le charme principal de la ville. Sur la place municipale était même organisée une foire aux Buffalon, où les éleveurs exposaient leurs plus beaux spécimens.

Matis ne prit pas gare au soleil et aux ruelles pittoresques. Il n'avait qu'une seule idée en tête : rentrer après ce si long voyage. Et puis prendre une douche pour dissoudre la puanteur estivale. Il était en rogne. Rien que de repenser à sa discussion avec Mélis, au départ d'Écho, l'enfonçait dans une humeur noire, et les passants qu'il croisait se reportaient en majorité au trottoir d'en face.

Le dresseur aurait peut-être dû prévoir que quelque chose de louche se tramait chez lui. Jamais les rideaux n'étaient fermés durant l'été... pourtant, cette après-midi, ils avaient tous été tirés. Cependant, sa fatigue et l'air toujours aussi charmant de la meulière l'aveuglèrent au danger. Il gravit les quelques marches du perron sans réfléchir, enchaîna d'un rapide tour de clef, et s'invita dans le salon accueillant.

Rien n'aurait pu le préparer pour cette scène.
D'ailleurs, le dresseur en resta sans voix.

— CATHY ?!

Ou presque.

Pour dire les choses simplement, sa sœur était enchevêtrée avec un... mâle de l'espèce humaine, leurs membres se caressant allégrement, sensuellement. Avant que Matis n'arrive, ils étaient tous les deux avachis dans le canapé, se murmurant des mots tendres et contemplant amoureusement les blancs de leurs yeux. L'arrivée du grand-frère avait cependant légèrement cassé l'ambiance.

— M-MAIS Q-QUE—

Le garçon eut un mouvement étrange—il dut vouloir se relever, mais ne fit que buter contre la table basse et s'écraser dans la cheminée. En plus de toute cette maladresse, il était toujours nu, et la cendre tâchait généreusement ses fesses. Charmant... Attendez... Nu... ATTENDEZ IL ÉTAIT VRAIMENT NU ? NU AVEC SA PETITE SŒUR ?

De nouveau Matis hurla quelque chose d'incompréhensible, mais cette fois beaucoup moins digne. Plus aucun doute ne subsistait ! Aucune ombre sur le tableau ! Aucune—

Tu pourrais regarder ailleurs quand même !

Ça y est. Cathy venait de retrouver sa voix, et était à présent rouge de fureur, recroquevillée dans le canapé mais foudroyant son grand-frère du regard très efficacement. Des coussins cachaient fort heureusement ses parties privées mais Matis en voyait tout de même beaucoup plus qu'il ne l'aurait voulu ! C'était sa petite sœur merde ! Sa petite sœur sa petite sœur sa—

— M-Mais tu l'as fait ! gémit-il d'une voix suraiguë, ses yeux n'osant s'arrêter ni sur sa sœur ni sur le garçon intrus. F-fait ! Avec ce type ! Il a rentré sa—d-dans t-ta—
— DANS MA POKÉBALL OUI !

Et SHLAK.

Matis Hui ne comprit pas immédiatement pourquoi il se prit un coussin dans la tête, mais sa joue gauche se souvint longtemps de la claque. L'arrière de son crâne aussi, puisque, ployée sous le choc, sa tête heurta le porte-manteau. Cathy avait toujours été plus forte au bowling que son frère, et ce coup-ci, la jeune brune avait carrément réalisé un strike.

— Mince...

Se relevant, elle attrapa un des édredons qui trainaient autour de l'âtre en prévision de l'hiver, et se rua vers Matis, à présent décemment couverte. Il s'était écroulé devant la porte d'entrée toujours entrouverte, un mince rayon de soleil traçant au filigrane d'or son visage sonné. Cathy passa une main devant les prunelles fixes de l'aîné, et grimaça. Aucune réaction.

— Dire qu'il n'était censé rentrer que demain...

Et sa mère s'était rendue à la foire aux Buffalon. Aujourd'hui avait été une journée parfaite pour s’amuser, mais voilà que Matis ruinait tout ! Pfft...

Restant pragmatique, la brune se releva, fermant négligemment la porte d'un pied pour ne pas qu'un voisin trop inquiet appelle la police—on ne sait jamais, certains êtres humains du quartier pouvaient être pourvus d'une âme et enclins à aimer leur prochain—. C'était vrai que Matis ressemblait assez à un cadavre avec sa peau pâle et ses cheveux en bataille. Peut-être que le mince filet de sang qu'il s'écoulait de son nez n'aidait pas beaucoup.

Rah les mecs... pour sauver le monde pas de problème, mais un coussin dans la tête et ça y est ils sont réduits à l'état d'Insolourdo ! Franchement ! D'ailleurs en parlant de bons à rien, il lui en restait un sur les bras, génial...

— Lloyd ? soupira la jeune fille à cette pensée, s'approchant avec circonspection de la cheminée.
Une voix étranglée lui parvint faiblement, soulevant un nuage de cendres.
— Cathy mon Chacripan... j'crois qu'je suis coincé !

HA.
Ha mais sincèrement il n'aurait pas pu faire pire !
En plus avec ses fesses noires—et noircies—à l'air il était ridicule, jamais plus elle n'aurait envie de lui !

— D'accord... grinça-t-elle, sa voix se faisait dure et menaçante.

Lloyd, toussotant, perdu dans les ténèbres les plus profonds de la cheminé, déglutit. Brusquement il se sentit inquiet au point d'avoir des sueurs froides et de trembler dans la chaleur du foyer... mais pourquoi donc s’angoissait-il, si sa mamour était en train de l'aider ?

— Mon Cotovol en sucre ? appela-t-il faiblement, anxieux.
C'est alors qu'elle lui saisit les pieds, plantant de longs ongles dans ses chevilles et lui arrachant un pitoyable glapissement.
— Ne t'inquiète pas mon Rondoudou, c'est pour mieux m'accrocher, susurra doucement la brune.

Lloyd ne pouvait fort heureusement pas voir l'expression actuelle de sa petite-amie. Tant de sadisme vengeur l'aurait certainement envoyé au commissariat le plus proche, tout comme un éventuel voisin inquiet.

— D-D'accord...

Et SHLAK.

Cathy tira vigoureusement, la brique qui empêchait jusqu'alors Lloyd de bouger céda d'un coup, la lourde pierre rouge explosant depuis la cheminée vers le plafond—fort heureusement Cathy fit un pas miraculeux de côté et seul son petit-copain qui valdingua jusque dans les escaliers ! ... suivi de la brique, qui chuta vivement vers le mâle en détresse. Elle s'écrasa en plein sur ses cuisses et lui arracha un hurlement de Grahyena.

Ha. Deuxième strike de la journée.

La cadette des Hui jeta un coup d'œil à son grand-frère, toujours écroulé au pas de porte, puis Lloyd, qui considérait la brique d'un air étonné. Elle soupira. Mieux valait se séparer d'un boulet avant le réveil de l'autre. Alors, s'approchant de son petit-ami, elle remarqua innocemment :

— Lloyd, on dirait que t'as besoin d'une petite douche... tu ne voudrais pas retourner prendre un bain chez toi avant que Matis ne se réveille, par hasard ?

Il obéit.

Matis raconta longuement cette histoire à qui voulait l'entendre, et même à qui ne voulait pas. Cathy le maltraita longuement pour cette propension embarrassante à évoquer sa vie sexuelle bourgeonnante. Surtout, la fratrie n'était d'accord sur aucun détail de la journée, Matis proclamait l'avoir surpris à l'acte et Cathy maintenant qu'il l'avait trouvée tout habillée... le doute planait. Une chose sur laquelle les deux tombaient invariablement d'accord, cependant, c'était que plus jamais, plus JAMAIS, Matis ne devait donner de « conseils » à sa sœur.

— Et... voilà comment on met un préservatif.

Son frère portait une belle bosse à l'arrière du crâne, même si le coussin n'avait pas laissé de trace sur sa joue. Dommage.

— Oui, merci, je sais, rétorqua Cathy avec agacement, se détournant de son frère pour se préparer un café.
— Oh mais tu m'écoutes ! C'est important ! s'énerva en retour l'aîné, agitant la Baie Figuy dont il s'était servi pour la démonstration.
— Rah mais je sais que c'est important, c'est moi qui l'ai mis sur Lloyd figure toi !

Et, foudroyant son frère du regard, la brune se laissa tomber lourdement à la table de leur cuisine. Son regard dériva, cherchant à échapper aux yeux écarquillés de son frère. Dehors, le soleil brillait, une mère se promenait avec son fils et leur Couverdure... Pfft, Cathy était certaine que jamais la maman du gamin n'oserait, comme Matis, lui faire manipuler un préservatif en famille, ce qu'il avait de chance...

— A-Attends, il ne voulait pas mettre de capote ?

La voix étranglée de son frère fit bondir son cœur, et la brune jura. Cependant elle prit sur elle, plus pour écourter la conversation au maximum que par courtoisie ou amour familial.

— Non, c'est juste qu'il ne savait pas ce que c'était... grommela-t-elle, levant les yeux au ciel.

Même Matis trouva la force de rire, et ses pouffements couvrirent presque les crépitements de la cafetière.

— Pouah mais quel mec pitoyable ! On lui a pas greffé de cerveau à la naissance ou quoi ?
— Ah-ha, je meurs de rire...

Cathy se servit enfin son café bien mérité, se dirigeant ensuite directement vers la porte de la cuisine. Tout pour échapper à son frère. Elle prit néanmoins le temps, avant de disparaître dans le salon, de lui susurrer une dernière pique :

— De toute façon, qu'est-ce que t'en sais, t'as jamais eu de copine...

Laissant Matis seul, subissant l'effet d'une douche froide.

Un temps s'écoula avant qu'il ne bouge, la mine sombre. Et encore, ce mouvement lent ne fut que pour éteindre la cafetière ronronnante, se rapprocher de la fenêtre... les reflets fantomatiques de ses yeux gris, emprisonnés dans le triple vitrage, l'observaient avec mélancolie. Sans qu'il puisse le retenir, un soupir vint embrumer les carreaux épais.

Sa sœur avait raison, jamais il n'avait eu de petite-amie... depuis Écho. Écho qui ne pensait qu'à Mélis. C’était une histoire tout ce qu'il y avait de plus banale, ce triangle amoureux qui se retrouvait dans tous les livres et à toutes les salles de cinéma. Et pourtant, quand l'on était soi-même impliqué, on ne savait que faire, car aucune méthode fictive vue et revue jusqu'à l'écœurement ne semblait marcher. Qu'est-ce que l'on se sentait bête, enfermé dans une situation si commune !

Il ne l'aimait plus à présent, il avait renoncé. L'année où Matis avait décidé de châtier ses manières, il avait aussi abandonné ses vieilles passions.

Jeune, il détestait aller à l'école, imitait le patois de Pavonnay, jurait à tout va, rejetait tous les codes de politesse. Il était comme une pièce grossièrement taillée qui ne passait pas la porte d'un musée d'art. Cela avait choqué ses deux compagnons de voyage, le jour de leur rencontre. Matis s’en était rendu compte et avait eu beaucoup de honte. Au cours de son voyage, la différence avec Écho, fille de professeurs, et Mélis, héritier de notables locaux… s'était cruellement révélée.

Et aujourd'hui elle était partie. Écho s'en était allée construire sa vie ailleurs—Matis voyait dans ce départ un parallèle douloureux avec Cathy qui construisait très bien sa vie ici-même... La jeune fille avait oublié toute sa colère et sa rancœur à l'égard de la Team Plasma. Elle était tout simplement passée à autre chose.

Finalement... Matis se sentait juste, terriblement seul... plus qu'il ne voulait se l'avouer. Et cette solitude plongeait comme un coup de poignard gelé dans son cœur palpitant, frémissant autour de la dague.

Peut-être était-il temps que Matis aussi plie baguage.

[...]

La chaleur était terrassante, arrachant des plaintes stridulantes aux insectes, aux touristes éreintés, à la mer qui battait les rochers. Aucune trace d'humidité dans l'air. Aucune lourdeur dans les dagues brûlantes qui écorchaient gorge et poumon, annihilaient toute trace de crème solaire ou de transpiration. L'air même semblait trop léger, saoul. Soumis aux rayons, coulées magmatiques du soleil fou, l'oxygène et les gaz d'échappement se dissolvaient en volutes floues ; les bâtiments même ondulaient lointainement sous les reflets de l'océan. On peinait à respirer dans cet enfer estival.

Rivamar.

Fort heureusement, Écho était en intérieur. Plus précisément, dans une agence immobilière. Ainsi, tandis que le staff réglait les dernières formalités et débitait son compte-en-banque, c'était la climatisation gelée et non la chaleur torride qui caressait doucereusement la nuque de la jeune femme, s'enroulait paisiblement autour de ses trop nombreux coups de soleil. Par-delà les baies vitrées du hall d'accueil, la mer étincelait, striée d'écume ivoire.

— Voilà Madame Gray, c'est fait !

Écho se retourna avec un sourire poli, accepta sa carte de crédit. Elle ne distinguait pas bien les traits du jeune secrétaire—son cœur palpitait, ses pensées couraient follement vers son avenir. Heureuse, pour la première fois depuis longtemps. Soulagée de l'être, car cela voulait dire que ce voyage n'avait pas été inutile...

— Merci.

Quelques minutes après elle s'élançait vers la porte—du moins il lui semblait qu'elle s'élançait, qu'enfin elle se libérait de toute obligation ! Et si la chaleur l'écrasa brutalement Écho ne se départit pas de son sourire, de ses hoquets presque incrédules tant elle se sentait apaisée. Enfin, enfin... enfin Rivamar l'enrobait de ses couleurs chantantes, de sa musique chatoyante si exotique ! Tout lui était étranger, pourtant les senteurs du marché, Écho les adopta instantanément, et la silhouette du phare lui sembla immédiatement un guide bienveillant. Tout était beau, éclatant sous le soleil.

Buvant tant de détails éblouissants, de bonheur, Écho ne se rendit pas compte qu'elle s'était avancée jusqu'au milieu de la chaussée. Elle oublia bien vite qu'en tout, deux millions cinq cent mille personnes vivaient à Rivamar, et que certainement elles aussi empruntaient ses nombreuses routes. Regarder à gauche, à droite, gestes simples que la jeune dresseuse avait pourtant toujours exécuté avec prudence, passèrent complètement à la trappe.

Et ce qui devait arriver, arriva.

Un jeune beau-gosse déboula au coin de la rue, pédalant à toute berzingue sur son vélo tout-terrain, et fila droit vers une Écho au sourire béat. Le blond eut beau hurler, la jeune femme ne l'entendit pas, partie trèès loin dans son délire de conquistador.

Et SHLAK.

Un hurlement féminin déchira l'air de la petite ruelle et Écho fit un vol-plané d'au moins trois beaux mètres. Quand elle s'écrasa sur le passage... Eh bien, un petit-détail : presque toutes les routes de Rivamar sont composées de panneaux solaires. Cette voie-ci ne faisait malheureusement pas exception.

Aussi, en plus du choc brutal contre la chaussée, Écho se fit immédiatement brûler au quatrième degré sur l'ensemble du dos, et ses vêtements se mirent à fumer. Un nouvel hurlement féminin fit vibrer la ruelle.

— MERDE ! hurla quant à lui très dignement le beau-gosse en pilant brutalement.

Jetant son vélo sur le côté, il se précipita vers Écho et attrapa son bras, redressant en un seul coup la jeune femme. Elle s'écroula sur lui, gémissant, ses cils papillonnant—découvrant deux yeux d'un gris perlé, la noirceur de la pupille formant un contraste saisissant avec la pâleur de ses iris, qui volèrent immédiatement à la recherche d’une menace. Écho piqua un fard quand elle détailla les traits de son agresseur/sauveur : cheveux blonds en bataille, deux yeux noisette écarquillés, une flopée de taches de rousseur et des traits ronds, mais adultes ; surtout un sourire désarmant...

Cependant, le salto de son cœur ne fut rien à côté du grand huit qu'il réalisa quand elle comprit l'identité de monsieur l'agresseur/sauveur.

— KYAH ! s'écria-t-elle, repoussant brutalement le jeune homme et manquant de s'écrouler à nouveau. Vous êtes BARRY ?

Barry le rival de l'incroyable Dawn qui était connue partout à travers le monde et ce même jusqu'à Oblivia ? Barry l'ami du scientifique renommé Louka Diamond ? Enfin BARRY qui avait atomisé la Team Galaxie aux côtés de ses compagnons ?! C-C'était une chance inouïe de le croiser ici, Écho n'en revenait pas, elle—devait-elle demander un autographe avant qu'il ne s'ennuie et s'en aille ?

Toute cette explosion d'idées s'emmêla confusément dans son esprit, ne résultant qu'en un pathétique enchaînement de borborygmes. Écho en fut si embarrassée qu'elle se mordit la lèvre jusqu'au sang, fixant ses pieds pour s'empêcher de défaillir. Ce fut probablement pour cela qu'elle ne remarqua pas les prunelles de Barry s'écarquiller d'étonnement et de plaisir, un souffle surpris s'échappant de ses lèvres.

Le dresseur avait reconnu la jeune femme aux longs cheveux châtains, arrangés en macarons qui semblaient défier la gravité. Cette allure fière et légèrement apprêtée, il l'avait observé durant de nombreux matchs époustouflants.

— Et toi, t'es Écho Gray, sourit-il avec amusement, passant une main rapide dans sa tignasse blonde.

La dresseuse sentit véritablement son monde se renverser.

— Vous me reconnaiss –
— Hé j't'en prie, tutoie-moi...
— T—Vous—mais tu ne te rends pas compte, c'est un honneur de te rencontrer... se précipita-t-elle, se sentant comme dans un rêve, ricanant d'un souffle incrédule. J'ai regardé tous tes matchs à la télé depuis que j'ai dix ans, t'es trop incroyable et... avec ta rapidité et même ta... brutalité !

Se plongeant dans un passé lointain, Écho revit presque le combat dantesque qui avait opposé Barry et Dawn, les deux finalistes de la ligue de Sinnoh, pour déterminer qui aurait le droit d'affronter Cynthia et le Conseil Quatre. Le Simiabraz du dresseur entrait littéralement en éruption tant il était sauvage, et son Etouraptor avait presque mis en pièce le Togékiss de Dawn... sans parler de sa Mustéflott brutale et ses raz-de-marée écrasants, impitoyables, brisant les os ennemis, noyant toute résistance.

Barry sourit avec humour et s'approcha d'elle amicalement, rétorquant d'un ton léger :

— Et que dire de toi alors... ton triomphe sur Matis était vraiment beau à voir, et même ta défaite contre Mélis. Avoir une Siderella aussi puissante, capable de vaincre un Ohmassacre et une Libégon d'affilée, c'est vraiment classe, et ton Clamiral a aussi tenu contre deux Pokémon de Mélis avant l'arrivée de son Doudouvet...
— Tu connais tout par cœur ou quoi ? rigola-t-elle pour l'interrompre, légèrement embarrassée.

Il haussa les épaules.
— Regarder des ligues, c'est mon passe-temps.
Elle le détailla à nouveau, le cœur palpitant.
— Dis, pourquoi t'es à Rivamar, au juste ? lança-t-il. Le tourisme ?
Le cœur au bord des lèvres.
— Plus que ça, j-je m'installe.
Son sourire se fit lumineux.
— Classe. Faut qu'on se boive un verre un de ces quatre !

Un nouveau départ.

[...]

Un nouveau départ. Quelle bêtise il avait fait de ne pas accepter l'offre de Bianca il y a trois jours ! Il aurait pu parler à White ! Tcheren aurait pu parler à White ! ... Mais il avait été stupide et avait décidé de laisser ses sentiments gouverner sa raison, et tout ce cirque au détriment desdits sentiments malmenés, pour le coup. Raah, depuis qu'il s'était avoué qu'il aimait la dresseuse, il se comportait en permanence comme un Insolourdo, ou pire, comme le fils d'un Insolourdo et d'une Magicarpe !

... mince quoi...

Le dresseur soupira, de nouveau appuyé contre une fenêtre de son appartement de fonction. Dimanche. Aucun gamin à l'étude. Le crépuscule battait tristement la chaussée.

Les soirs de mélancolie, Tcheren se demandait sérieusement ce qu'il était venu faire à Pavonnay, pourquoi il s'était enfermé dans ce frustre patelin, où la seule chose à faire était d'analyser, de déformer la vie des voisins. Comment ses ambitions de devenir Maître de la Ligue s'étaient-elles abaisser à Champion de Pavonnay, Champion d'une petite ville de campagne complètement négligeable ? Comment en était-il venu à observer indifféremment les toits violacés se tâcher de sang...

Sous le soleil mourant, le vague-à-l'âme qui l'habitait depuis son échec à la Ligue l'enserrait cruellement.

À quoi bon appeler White. Qu'aurait-elle à dire, cette femme superbe et impitoyable, à un perdant comme lui. À quoi bon lutter, si Tcheren était destiné à la solitude et la médiocrité.

Ce qui le sauvait, c'est que l'apathie l'avait toujours irrité. Quand il se sentait mal, le Champion ne se laissait pas immobiliser. Il annihilait toute la paperasse qui s'accumulait sur son bureau en s'abrutissant de travail. Au moins possédait-il une qualité qui lui était utile.

Tcheren se dirigea donc vers sa bibliothèque, vers le bureau qui incarnait l'entité protectrice des lieux... sauf qu'un Dimanche soir l'entité protectrice se trouvait entièrement vide de tous formulaires ou superflu administratif, laissant le maître des lieux—à défaut d'être maître de Ligue—désarmé, seul à affronter ses démons.

White.
... et merde !

S'arrachant presque une poignée de cheveux, Tcheren retourna à la vitre du salon, luttant contre un pic d'anxiété, ses yeux s'accrochant désespérément au paysage pour trouver une distraction. En plus de tout cela il était trop agité pour lire ! Et il n'avait pas la télé chez lui car la télé c'était trop con ! Et... et il ne voulait pas d'internet non plus car à part des articles de sciences politiques ou Sciences et Vie internet c'était trop con !

... rahhhh....

Le Champion se retourna vers son sombre intérieur, sentant les murs l'oppresser aussi violemment que les ombres grandissantes le démoralisaient. En plus de cela il fallait qu'il cuisine... et qu'allait-il se faire à manger ce soir ? Il n'avait pas le cœur à faire d'effort... Le dresseur se dirigea tout de même vers la cuisine, fouillant avec fatigue les tréfonds de ses placards. Finalement il se fit revenir les pâtes de la veille, de l'ail, du bacon et du piment. Mieux que rien.

Une demi-heure après, il avait fini de manger et se sentait toujours aussi agité.
C'est alors que Tcheren comprit ce qu'il refusait de voir depuis une heure, le cœur lourd. Tant qu'il n'affrontait pas la source de sa peur, il ne dormirait pas.

Le Champion se dirigea vers son PC et composa le numéro de l'appartement d'Artie, où White devait normalement se trouver... cela faisait trois jours qu'elle avait été admise à l'hôpital, et White se remettait habituellement très rapidement de toute maladie, elle avait une santé de fer après tout...

Était-elle furieuse qu'il l'ait snobée, qu'il ait refusé de lui parler ? Qu'il ne lui ait pas souhaité un bon rétablissement ? Ou peut-être qu'elle s'en fichait... et si elle ne voulait plus lui parler du tout depuis l'affaire du Ferry ?

— Allô ? répondit poliment une voix. Le cœur de Tcheren fit un bond, effrayé il s'exclama d'une voix suraiguë :
— W-WHITE !

Malheureusement, même avant qu'on lui réponde, le dresseur comprit qu'il s'était gravement trompé.

— ... Non... c'est Artie...
— Et est-ce que White est là... ? s'enquit-il d'une petite voix.
— ... Non... elle est repartie.

Lourdement, Tcheren raccrocha.


(Dès que le vent soufflera, je repartira)
Ses doigts effleurèrent délicatement le polaroid aux bords émoussés. Étouffé à l'intérieur des bandes blanches, un cliché, avec San. Mais elle n'était qu'une ombre en arrière plan. Ses cheveux platine étaient à peine visibles... il était le seul à la distinguer sur cette photo, qu'il avait prise quand elle semblait avoir emménagé définitivement chez lui. Ce jour-là, il avait cuisiné une immense poêlée d'aubergine, d'ail, de viande juteuse, de soleil. Ils prenaient un thé à la menthe sur sa terrasse de banlieue.

Il se contempla une dernière fois dans le miroir, constatant avec résignation que même sur sa peau matte, ses cernes étaient visibles. Ses boucles noires ressemblaient plus à un souk de Rhodes qu'autre chose. Sans parler de sa barbe—ou plutôt des quelques poils qu'il osait appeler « barbe ».

Rixi appela son employeuse, patienta un quart d'heure en écoutant une musique d’ascenseur, puis lui annnça avec aplomb : « Je démissionne ». Au diable les cours particuliers de maths donnés à des morveux qui faisaient toujours, toujours les mêmes erreurs parce qu’ils n’alignaient pas trois neurones... Il raccrocha sans attendre la réponse de sa cheffe.

Chichi le Chinchidou l'aida à faire ses valises, piaillant de frayeur à la moindre motte de poussière. Belle la Fragilady les aida à faire le ménage. Il quittait sa maison. Tant pis pour le loyer. Ses comptes étaient à sec.

Rixi s'arrêta devant une fenêtre entrouverte, savourant la brise légère et le soleil blanc. Dans l'école d'à côté, les filles avaient lancé une immense partie de foot, mais les CPs ne réussissaient pas très bien. Il rigola doucement, tentant de voir par-delà le mur de brique qui étranglait son jardin, vers l'infini. Il n'y arriva pas.

Finalement, il partit, avec pour seul bagage un sac en bandoulière. « La Réalité n'a d'importance que celle qu'on lui accorde... »


(Le crépuscule)
Le soir, Volucité ne s'allumait pas immédiatement. C'était d'abord la violence des cieux qui marquait la ville, déformait les silhouettes entre Ponchien et Grahyena, imposait sa griffe sur les gratte-ciels métalliques. Reflets rouges et safran. Poussière et gaz d'échappement absorbés par les rayons du soleil. Puis, quand tout s'obscurcirait, les néons clignoteraient, les immeubles danseraient sous les lumières des bureaux. Ce seraient les immeubles qui imposeraient leur modernité éclatante au ciel noir. Et Volucité onduleraient comme les aurores boréales que l'on apercevait au nord de Sinnoh.

Dès que le premier panneau publicitaire s'allumait, Artie quittait le soixante-quinzième étage. Sinon, il pouvait rester tout une nuit hypnotisé par le chatoiement de sa ville...

La sonnerie de son portable déchira vivement le silence ouaté des hauteurs.

— Allô.
Yo Artie...

C'était la voix légèrement éraillée de Strykna à l'appareil. Artie se sentit sourire légèrement, remontant le fil des derniers jours pour savoir où en était théoriquement son amie. Toujours à Ondes-sur-mer ? ... À priori, oui. Son père était rentré ce matin, aussi... elle devait bien aller alors...

— Mon père est rentré.

Effectivement.

— Comment va-t-il ?

Un silence, le temps que la Championne trouve ses mots. Toujours le soleil déclinait, globe de feu transpercé par les silhouettes d'encre des gratte-ciels. Artie s'appuya un peu plus contre la paroi lisse de son immeuble, projetant une ombre difforme sur le verre patiné.

— ... Mal. Il a eu un flashback, je crois. C'est anormal...
— Oui, j'imagine.

Un néon s'alluma. Alors, fermant lourdement les yeux, Artie se dirigea vers l'intérieur du soixante-quinzième étage. Il était si indifférent à tout qu'il aurait pu se croire le cœur gelé...

— Comment tu sais ? lui parvint la voix légèrement incrédule de Strykna.

Artie ne lui répondit pas. Mais dans son esprit s'était depuis longtemps formé la réponse... Parce que, quand un Trioxhydre mord une troisième fois, c'est toujours pour mutiler.


(À l'aventure, héros ignares !)
Le bus de deux étages avançait lentement sur l'autoroute encombrée, comme un poisson blessé qui peinait à remonter le courant. Midi venait à peine de sonner—Matis n'était pas encore arrivé chez lui, Écho n'avait pas rencontré Barry, Tcheren se distrayait encore avec de la paperasse, Artie végétait dans son appartement du soixantième. Le soleil abreuvait le monde d'or liquide ; sa lumière transformait la poussière en fard ambré, les voitures en joyaux d'argent.

À la périphérie de Volucité, plus loin encore que le condominium d'Elsa, la ville se transformait en vaste dédale de pavillons et de ruelles. Parfois un terrain laissé en jachère se révélait au détour d'une résidence en une explosion de marguerites et mauvaises herbes. D'immenses affiches publicitaires encadraient l'autoroute qui surplombait la banlieue ensoleillée, comme une balafre. Partout on devinait les silhouettes des habitants, figures colorées semblant aussi insignifiantes que des Fermite.

Elsa, Syd, Élin et Mélis avaient réussi à occuper la rangée de quatre à l'arrière, au détriment de familles mécontentes auxquelles Élin tirait joyeusement la langue. Leur bus était censé les amener de Volucité directement à Méanville car le Château Enfoui était fermé au grand public durant deux semaines—des scientifiques y faisaient apparemment des recherches qui nécessitaient que la faune locale soit isolée de Pokémon dressés. Quelle déception pour Elsa, qui aurait bien voulu visiter les ruines du Château Enfoui ! Sa curiosité scientifique la titillait... elle aurait voulu montrer toutes ses connaissances à ses amis et au dresseur légendaire qui les accompagnait. Élin, quant à elle, aurait adoré explorer le Désert Délassant et prévoyait de rebrousser chemin à partir de Méanville si nécessaire !

... Syd s'en fichait. Et pour le coup, il s'en fichait vraiment. Tout ce qui l'intéressait, tout ce sur quoi était concentrée son angoisse, se limitait au simple portable qu'il avait reçu de la Team Plasma. Sa priorité était de le garder chargé... car il devait être prêt à recevoir un appel, et exécuter ce qu'on lui demandait, d'un moment à l'autre...

Mélis, de son côté... dormait. Il avait emmené un oreiller exprès pour le voyage et s'était endormi contre la vitre droite, ignorant complètement le paysage—il avait d'ailleurs tiré les rideaux. Cette activité lénifiante ne plaisait pas du tout à Élin, mais elle avait beau embêter le dormeur, il ne faisait que changer de position sans se réveiller ! Dingue ce mec ! La blonde aussi avait hérité de gênes de dormeurs, mais pas à ce point quand même, passé onze heures du matin il fallait savoir bouger ses fesses !

Du coup, la gamine était forcée de se reporter sur sa gauche... Mais Elsa griffonnait silencieusement quelque chose sur un carnet qu'Artie lui avait offert, les sourcils froncés, et Syd observait le paysage d'un air fermé. Pfft... franchement, quelle bande d'asociaux... Oscar au moins lui aurait parlé, il ne refusait jamais l'occasion de papoter ou de s'émerveiller devant un paysage, une babiole inconséquente...

Mais ils se reverraient ! Il lui suffisait d'attendre un peu, même si la patience n'était pas son fort, et Oscar reviendrait !

— On le reverra, souffla-t-elle avec confiance—même si personne ne lui avait adressé la parole.

À ses côtés, Elsa ne réagit pas, écrivant furieusement sur son carnet. Aussitôt Élin prit la mouche et darda un oeil noir au cahier, un petit formant à la couverture en plastique rigide et transparent, d'un vert très clair comme les yeux d'Oscar, brodé de mandalas de velours rouge. Elsa n'avait marqué qu'une courte introduction avec son cursive fin et élégant, bien différent du script rondouillard d'Élin. Elle pouvait vaguement discerner les mots « Ranch » et « Sur quels sujet portent les recherches de Ni... ». Fatiguée de faire autant d'effort pour lire ce que son amie écrivait, la blonde se pencha vers Elsa et demanda bien fort :

— Dis, tu veux bien me raconter ce que t'écris sur ton carnet ?

Cependant la brune sursauta et referma vivement le carnet, lui défendant l'accès aux mystérieuses lignes. Elle semblait à la fois énervée et gênée, comme si Élin l'avait aperçue en train de commettre un crime.

— C'est privé ! se défendit-elle, ramenant le tout contre sa poitrine.
— Mais on est amiiies non ? insista Élin, les yeux brillants. On fait un voyage ensemble depuis plus d'un mois, je t'ai vue endormie, à moitié à poil, je t'ai vue revenir d'un buisson où t'avais fait pipi même ! Tu peux TOUT me montrer !
— EWW mais pourquoi tu parles de ça ! s'écria Elsa d'une voix suraiguë, piquant un fard, tentant le maximum pour ne pas se souvenir de ces instants embarrassants.
— Maiis parce que je veux voir ton carnet !
— C'est non !
— Mais—

Et SHLAK.
Ce que personne ne prévoyait arriva.

Leur bus ultra-top-high-tech à deux étages, qui s'était enfoncée sur une petite route du désert pour prendre de l'essence, quittant l'Autoroute Noire, fonça à toute vitesse dans un nid de poule, dérapa et alla s'encastrer dans l'enceinte d'un terrain vague.

La violence du choc ébranla chaque personne de l'automobile, arrachant des cris choqués aux humains et aux Pokémon ; une personne qui revenait des toilettes fit un beau vol plané vers le côté gauche du bus et atterrit sur un Lançargot ébahi. Une seconde après, l'alarme automatique du bus se déclencha, assaillant les tympans des passagers qui se détachèrent, hurlèrent, attrapèrent leurs enfants qui pleuraient et les traînèrent vers les deux sorties. Déjà on sentait une dangereuse odeur d'essence, et le conducteur lançait des regards affolés à la foule, braillant à qui voulait l'entendre qu'il fallait rester calme dans son micro !

Syd bondit tout de suite à ses pieds, attrapant les bras d'Elsa et d'Élin pour vérifier qu'elles allaient bien—la tête d'Elsa avait heurté la vitre arrière sous le choc mais sinon tout le monde était intact—.

— Il faut sortir d'ici ! ordonna-t-il d'une voix anxieuse, traînant les filles derrière lui.
— C'est grave là, c'est grave, notre voyage est maudit... balbutiait Élin, hallucinée. Elsa enchaîna d'un :
— L'essence commence vraiment à sentir fort, c'est inquiétant !
— Tu penses que ça va exploser ? inspira en retour la blonde avec frayeur.
— Ah non quand même pas... répliquèrent Syd et Elsa en chœur, échangeant un regard inquiet.

Franchement il ne manquait plus que ça ! Si le bus explosait, ils étaient vraiment maudits ! —Enfin, ils seraient surtout morts, mais l'auteure s'abstiendra de leur rappeler par gentillesse—

Une seconde, deux secondes. Trois secondes. Quatre secondes tiquèrent avec une lenteur incomparable, lancinantes, vrillant les cœurs malmenés du groupe qui suffoquait dans le bus et la foule. Une des portes de secours était bloquée par les décombres du mur qu'ils avaient percutés, aussi une file de passagers terrifiées s'étendait jusqu'à l'avant du bus, geignant sous l'alarme stridente.

— Mince... murmura Elsa, tentant de ne pas jurer, de garder contenance malgré le stress.

Elle ne se sentait pas en confiance, pas du tout joyeuse ou cynique comme sur le Ferry. Toute cette combattivité l'avait quittée et la brune ne retrouvait qu'une vague anxiété, assortie du désir de bien faire. D'être aux côtés de Syd et Élin. De s'en sortir sans jouer au héros, tout simplement. Peut-être était-ce cela, sa nouvelle personnalité, une fois la tempête d'émotions et de rancœur disparue...

Élin, quant à elle, restait stoïque. Elle avait peur... mais elle l'acceptait, l'avalait comme une simple saveur amère. Elle triomphait de ce réflexe primaire, le remplaçant par un autre instinct logé au plus profond de son cœur, celui de protéger ses amis. Car il fallait de tous les goûts pour faire une vie.

« MESDAMES MESSIEURS, UTILISEZ UN DES EXTINCTEURS POUR BRISER UNE VITRE. »

On se crispa. Des dizaines d'yeux vigilants fouillèrent les alentours, plus encore de paires de mains se tendirent vers la bombonne la plus proche. Mais c'est Syd qui fut le plus vif, le plus efficace. Se penchant vers la gauche, il s'attela à briser une des fenêtres, y versant toute ses forces, serrant les dents.

— Allez-y jeune homme ! appela une mamie d'un ton approbateur, levant le poing.

Un éclatement brutal. Une bourrasque d'air frais. La puanteur de l'essence. Brusquement Elsa fut happée par la main de Syd, qui annihilait le reste des brisures avec l'extincteur, plongeant son regard d'ambre dans ses prunelles outremer.

— Tu passes la première.

Elsa inspira brusquement. Elle se pencha vers la vitre pour observer la distance qui la séparait du sol, compta un mètre, deux mètres, déglutit. Sous le bus s'étendait une marre d'essence. Captant sa peur, Syd lança Grotichon, lui ordonnant de ne surtout pas lancer d'attaque Feu, pas même une étincelle !

— Vas-y !

Elsa sauta dans les bras du Pokémon. Syd se retourna vers la foule anxieuse qui le fixait à présent, transpirant dans la chaleur du bus sans climatisation—il avisa Élin, l'attrapa par la main avec un regard soulagé. Pourtant, la blonde arborait une moue troublée.

— À ton tou—
— Attends mec... il manque pas quelqu'un ? lança la blonde, lui résistant, fronçant les sourcils.

Un ange passa.
C’est vrai qu’ils étaient d’habitue quatre… mais Oscar était resté à Volucité…
Les adolescents conclurent ensemble, incrédules :

— Mélis ne s'est pas réveillé !

Alors ils se précipitèrent pour se donner des ordres et surtout pour se contredire, leurs voix s'affrontant pour voir laquelle étoufferait l'autre, Élin tentant tant bien que mal de se dégager de la poigne de Syd qui ne faisait que resserrer son emprise.

— N'y vas pas ! On l'évacuera en dernier !
— Ah oui et si ce fichu engin explose ? Pas question que je le laisse !
— Tu vas prendre trop de temps avec tous ces gens !
— Ne t'inquiète pas pour ça, j'ai ma technique—et puis de toute façon t'as bien vu sur le Ferry que j'étais douée pour retrouver quelqu'un !
— Élin !
— BAGGY !

Brusquement la gamine têtue se dégagea de sa main serrée, se précipitant vers les famille inquiètes qui se massaient derrière eux. Son Pokémon apparut en un éclair, agacé d'être réveillé en plein milieu du trajet—il constata le décor catastrophique avec un soupir blasé, et chercha sa maîtresse des yeux par réflexe.

— ÉLIN ! s'écria Syd, jurant, tapant du pied. REVIENS !
— Baggy, viens m'aider ! ordonna quant à elle la dresseuse, l'ignorant.

Son Pokémon s'avança apathiquement vers elle tandis que Syd réitérait son ordre et que la blonde chantonnait « nanana je t'entends paaas ! ». Quand le Pokémon Combat fut à ses pieds, Élin se tourna vers la foule, leur lança un sourire mutin, et affirma d'une voix glaciale :

— Si vous ne facilitez pas mon passage, mon Baggiguane s'entraîne aux Balayette sur vos jambes poilues.

Un ange repassa.
La foule frissonna.

Et c'est ainsi que Mélis fut évacué du bus. Élin sauta tout de suite après lui en rappelant Baggy du même geste, atterrissant dans une marre d'essence. C'était la dernière à être évacuée du bus, et elle était fière de son courage, et même, fière de sa peur. ... Évidemment Syd ne le vit pas du même œil et la menaça de l'assommer avec un Pokémon si elle faisait des siennes à la prochaine catastrophe.

Car oui, à ce stade-là du voyage, le groupe était malheureusement certain de traverser de nouvelles apocalypses. Ils commençaient à être un peu habitués quoi.

— Fait chier... marmonnait Mélis. J'dormais bien moi...
— Tu rêvais de Kokiyas ?
— ... On s'en fiche, j'dormais c'est l'important !

Malgré les valises évidentes sous ses yeux, l'adulte guida quand même les adolescents vers le conducteur traumatisé, enjoignant Syd de surveiller Élin. La blonde le prit très mal—franchement, on croyait qu'elle allait s'enfuir où, dans le désert ? ... Quoique ce n'était pas une si mauvaise idée que cela !

— Merci pour votre incompétence, monsieur... lâcha platoniquement Mélis quand il fut face au chauffeur.

Le concerné, rouge comme un Goupix, décida de changer de couleur et pâlit dangereusement en reconnaissant le dresseur de légende. Sa frêle silhouette ployait sous les regards noirs que lui lançaient le reste des familles, dont certains enfants pleuraient plus fort que l'alarme du bus. Un groupe large de femmes s'était réuni, affirmant très fort des slogans comme « homme au volant, mort au tournant ! » sous les acclamations approbatrices de leurs maris.

— Franchement, vous n'auriez pas pu faire mieux... insista Mélis.
— P-Pardon... Pardon m-monsieur...
— Dites-moi, quand viens le bus de remplacement ? Et le remboursement ? s'enquit avec un large sourire le dresseur.

Cette fois, le conducteur fit presque un malaise, et dut se rattraper à la palissade poussiéreuse qui longeait les rescapés. Son Pokémon, un Crabaraque aux airs effrayés, le soutenut fidèlement.

— S'il pâlit encore un peu plus, on pourra le faire passer pour un fantôme, commenta indifféremment Élin.
— Dire que c'est moi qui bégayais comme ça avant... ajouta Elsa, rêveuse.

L'échange entre les deux filles couvrit presque la réponse du conducteur, mais elles réussirent quand même à capter son murmure étranglé.

— E-Eh b-bien u-un b-bus de remplacement v-v-viendra nous chercher M-Monsieur G-G-G-Gray... n-nous sommes d-déjà d-dans le dé-désert mais attendez ici, l-le Châ-t-teau Enf-foui est f-fermé au public...

Alors, par-dessus tous les cris, les pleurs, les injures qui pleuvaient sur le pauvre homme, s'éleva un hurlement de joie. C'était ÉIin. Et elle arborait une expression digne des plus grands psychopathes.

— On est rentrés dans le désert ? On a passé les blocus du gouvernement ? À L'AVENTURE !

Aussitôt la blonde fonça dans les dunes.
Mélis fit une syncope.
Syd cria de rage.
Et Elsa, ne rêvant que de grandes découvertes dans les ruines, fusa à sa suite.