Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

A l'aventure, Willelmina de Soundlowan



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Soundlowan - Voir le profil
» Créé le 27/10/2015 à 21:40
» Dernière mise à jour le 16/10/2017 à 15:38

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Amitié   Fanfic collective   Humour   Médiéval

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 4 : L'affaire du service à thé
Le soleil se levait bien haut dans le ciel lorsque je me réveillai.
D'ordinaire je me levai plus tôt, néanmoins aujourd'hui je n'avais pas eu envie de faire cet effort. Pas après la douche froide à laquelle j'avais eu droit la veille en guise d'encouragement après une pleine victoire. Grommelant, je me levai enfin et secouai mes pokémons endormis auprès de moi. Onix roulé en boule sur son fameux coussin, Malachite dans son hamac avec la bouche entrouverte et un pied pendant dans le vide eurent autant de difficultés à émerger de leur torpeur pour aller se préparer. Si nous avions manqué le repas du matin, servi à l'aube, nous étions pile à l'heure pour celui du milieu de la journée. Tant mieux, le pain rassis et les œufs brûlés n'avaient jamais été mon péché mignon. Si les cuisines veillaient à assurer un repas abondant et sain à la nuit tombée, avant que la plupart des équipes ne partent en mission, les cuisiniers savaient pertinemment que ces mêmes aventuriers se moquaient de ce qu'il y avait dans leur assiette au point du jour, lorsqu'ils revenaient avec la seule idée d'un bon lit. Le repas que nous allions prendre commençait tout juste à être correct, mais ce serait suffisant pour le reste de la journée et notre première mission de groupe. Nous allions faire des merveilles, je le sentais. Je voulais y croire.
Après une toilette sommaire, où je découvris que Malachite semblait très soigneux de sa précieuse feuille, nous descendîmes enfin vers le réfectoire.

Comme toujours en entrant dans l'immense pièce, j'eus la sensation de pénétrer dans une guilde Glace. L'endroit était d'ailleurs ridiculement grand, tous les membres de la guilde ne pouvant en occuper que la moitié, pokémons y compris. Sans doute les architectes voulaient-ils souligner la grandeur de cette institution, mais selon moi cela ne mettait qu'en valeur le fait que la guilde Ténèbres n'attirait que très peu de monde.
Je jetai un coup d'œil désabusé autour de moi. La porte si lourde qu'on la laissait ouverte, ne voulant pas solliciter cinq dresseurs et leurs équipes complètes simplement pour la refermer. Je ne comprenais toujours pas pourquoi les armoiries de la guilde étaient frappées d'argent, ce qui évoquait de nouveau davantage la glace que l'obscurité. Au milieu d'une pièce si monumentale, des tables espacées au point qu'aucune conversation ne pouvait avoir lieu d'un banc à l'autre. Il fallait se parler en petits groupes, ou ne pas se parler du tout. Des courants d'air glacés balayant la salle, forçant les quelques personnes attablées à rentrer la tête dans les épaules, ce qui limitait d'autant plus les échanges qui se résumaient à quelques mots la plupart du temps. Des vitres assez grandes pour éclairer le réfectoire, qu'on avait bien entendu pris soin de masquer de lourds rideaux mités. Il ne faudrait pas non plus que les membres de la guilde se sentent heureux de vivre. Seuls les vitraux ornant la partie réservée aux gradés laissaient entrer une lumière colorée au prisme des motifs du verre, sans aucun tissu pour faire barrage. Je pris soin de ne pas trop m'attarder sur cette partie de la salle, n'ayant aucune envie de croiser le regard de mon maître. Des fanions frappés des armoiries de la guilde, les crocs des supports des torches. Mortel.

Je me dirigeai sans plus attendre vers les buffets, qui avaient paradoxalement le don de me couper l'appétit. Je dinais à l'extérieur dès que j'en avais l'occasion, rêvant de plats chauds et savoureux plutôt que de mets glacés et secs. Définitivement, les fondateurs de la guilde avaient dû mal s'orienter en choisissant le type Ténèbres. La guilde Glace était-elle de son côté plongée dans l'obscurité ? Voilà qui ne manquerait pas d'ironie.
Alors que je me forçais à trouver appétissant les mets qui s'offraient à mon regard, une voix doucereuse se fit entendre dans mon dos.
- Willelmina, tu es là...

C'était lui. Bien sûr que c'était lui. Le frôlement de sa cape sur le sol aurait dû m'alerter d'ailleurs. Je me retournai pour affronter mon maître, que j'avais osé défier la veille, mes pokémons lui adressant également un regard curieux.
- Bonjour, Maître.

Qu'avait-il donc concocté comme horrible punition ? Me charger des latrines de toute la guilde pour une semaine ? Aider les membres guérisseurs à panser les plaies suintantes ? Servir d'appât pour l'entraînement des sharpedos ? En tout cas sa réplique ne s'était pas fait attendre, il lui avait fallu moins de douze heures pour arrêter son choix.
Mon maître me lança son fameux sourire carnassier, celui qu'un chasseur fait lorsqu'il a acculé sa proie, puis s'adressa à l'assemblée. Ce n'était pas bon signe.
- Mes chers compagnons de la guilde Ténèbres, je vous demande d'applaudir notre chère Willelmina qui a trouvé un nouveau compagnon pokémon pour son équipe...

Quelques membres tapèrent une fois ou deux dans leurs mains, ce qui ne suffit même pas à masquer les ricanements s'élevant de toutes parts. Mon maître força encore la voix, sûr de son triomphe et de mon déshonneur.
- En espérant que ce soit suffisant pour lui permettre de réussir ENFIN une mission !

Bien entendu, plus aucun applaudissement après cela, mais des rires gras et forts qui résonnèrent à mes oreilles. Mon visage était en feu, et j'ignorai où je trouvais la force de regarder encore cet homme sadique dans les yeux. Etait-ce donc si anodin, de capturer un pifeuil ? Combien de membres pouvaient se vanter, au sein de cette guilde qui me méprisait, d'avoir réussi à convaincre un pokémon déjà évolué de les suivre ? De son plein gré, sans avoir à livrer de combats pour autant que je le sache ? Je rêvais de laisser partir la gifle que j'imaginais percuter la joue du maître, assez forte pour le faire trébucher si possible. Si en plus, il pouvait se prendre les pieds dans sa cape étrangement semblable aux rideaux de la salle, ce serait parfait. Réaction plus vraisemblable, je sentis mes yeux s'embuer comme si j'allais fondre en larmes. Ne parvenant pas à me décider entre ces deux extrêmes, je restai figée avec les poings crispés, dents serrés à en éclater. Mon maître devant estimer qu'il en avait assez fait pour le moment, il tourna les talons pour se diriger vers la table réservée aux gradés. Je demeurai tremblante quelques instants, puis au fur et à mesure que les ricanements s'atténuaient je retrouvais l'usage de mes muscles. Malachite choisit ce moment pour m'adresser quelques cris d'encouragement, ce que j'appréciai.
- Tu as tout à fait raison, Malachite, je ne vais pas me laisser impressionner. Je vais leur prouver !

Me tournant une nouvelle fois vers le buffet, je pris au hasard suffisamment de nourriture pour remplir mon assiette et mon estomac pour la journée, avant de chercher une place.
Ne supportant toujours pas les regards moqueurs des autres membres, je trouvai un bout de table laissé vide près de la porte. Loin de mes supérieurs, c'était d'autant mieux. Je me laissais tomber dans un rai de lumière que le rideau sur le point de rendre l'âme laissait passer, distribuant leur nourriture à Onix et Malachite. Si ce dernier semblait vouloir faire la fine bouche, ce qui s'améliora lorsque je lui tendis les morceaux de salade qui ne me tentaient pas, mon malosse ne se fit pas prier pour manger. Toujours mortifiée de l'humiliation que je venais de subir, je tendis mon assiette à Onix avec des gestes de somnambule et ne songea même pas à le remercier lorsqu'il réussit à réchauffer son contenu.


Jamais je n'avais été aussi ravie de déserter le réfectoire, accompagnée des éternels regards sarcastiques de mes pairs. Même certains apprentis commençaient à me regarder de haut, chose dont je ne savais pas quoi penser. S'ils n'avaient pas mon expérience, ils n'avaient pas non plus mes défaites à leur actif...
D'une humeur massacrante après cette constatation, je pris par habitude le chemin du jardin. Il s'agissait du premier endroit où l'on arrivait en entrant dans la guilde, et du seul lieu que visitaient les aventuriers qui ne vivaient plus ici mais qui demeuraient liés à la guilde. De fait ils n'avaient pas besoin d'aller plus loin dans le bâtiment, le grand panneau de bois centralisant les offres de mission ou demandes de secours se trouvant au centre de ce jardin dont les fleurs avaient été bannies. Nouvelle façon de tuer toute joie éventuelle des membres dans l'œuf. Seules des herbes médicinales pour les guérisseurs, ou aromatiques pour les cuisiniers, étaient soigneusement entretenues par les jardiniers assistés de leurs pokémons généralement de double type plante, comme Malachite. Ce dernier observait justement les parterres de végétation, n'ayant pas eu beaucoup d'occasions d'en voir à l'intérieur des murs.

Près du panneau se trouvaient déjà plusieurs dresseurs, accompagnés de leurs pokémons respectifs. Eux n'avaient pas eu connaissance de l'incident du réfectoire, aussi m'accueillirent-ils avec une délicieuse indifférence. Je commençai à chercher une mission qui pourrait nous convenir à tous les trois, pas trop complexe et qui pourrait nécessiter de faire appel aux talents naturels d'Onix ou de Malachite. Ils se tenaient d'ailleurs très tranquilles, ce qui me convenait très bien. Mon maître pouvait dire ce qu'il voulait, mais pas que mon équipe était indisciplinée.
J'ignorai qui, le premier, avait décrété que lorsqu'on parlait du grahyena, on en voyait la queue. Mais je l'aurais volontiers étranglé à l'instant pour la poisse dans laquelle il me mettait systématiquement depuis quelques temps. En effet, à peine avais-je songé à mon maître que je le vis du coin de l'œil s'avancer vers moi, les membres moins gradés s'écartant par réflexe de son passage. Finalement, la douche froide du repas ne lui avait peut-être pas suffit, et il venait se repaître un peu plus de ma souffrance. La tête si haut perchée qu'il semblait vouloir grandir encore un peu, son farfuret se coulant dans son ombre, il finit par se stopper devant moi.
- Ah Willelmina, vous permettez ?

J'ignorai pourquoi mon maître me vouvoyait parfois, lorsqu'il n'hésitait pas à me tutoyer lorsque nous étions seuls, particulièrement en cas de réprimande. J'eus pourtant un début de réponse en voyant une autre gradée chargée d'apprentis sortir également du réfectoire. La dresseuse en question était plus froide, plus calculatrice que le maître auquel j'étais attachée, et à mon sens plus impressionnante. Néanmoins elle tenait, contrairement à lui, au respect des plus jeunes membres qu'ils avaient la charge de former, et venait d'assister à mon humiliation avant le repas. Une autre mortification de la même aventurière, surtout en si peu de temps, ne pouvait se faire ouvertement devant une telle personnalité de la guilde.
Mon maître semblait néanmoins vouloir se permettre de choisir ma mission à ma place, preuve que la présence de l'autre gradée ne l'effrayait pas tant que cela. Il me tendait déjà un morceau de papier, que j'avais écarté d'emblée après avoir lu la première ligne.
- Voilà, vous ferez cette mission.

En lisant l'ordre de mission plus en détail, mon impression première se confirma. Définitivement, une telle quête ne m'aiderait pas à effacer ma honte, sans compter que le lieu en question risquait de me faire perdre le peu de moyens dont je disposais, m'exposant ainsi à un autre échec cuisant.
- Il faut que j'aille... Chercher une théière dans... dans... ?
- Essayez de ne pas la rater celle-ci. Et n'oubliez pas d'aller chercher la récompense chez la cliente, si jamais vous réussissez. Au moins cette fois-ci vous ne risquez pas de vous tromper de saison.

Je faillis oser une nouvelle remarque désobligeante, du même acabit que celle de la veille au soir. Je faillis hausser le ton, éventuellement prendre à témoin la gradée qui se tenait non loin, visiblement interloquée par notre échange. Derrière elle, un leopardus au pelage luisant se tenait immobile, attendant un ordre de sa dresseuse. Puis je songeai que cela n'allait pas arranger mes affaires de me réfugier dans les jupes d'une supérieure, pouvant même détruire les bribes de réputation qui me restaient. Je ravalai donc mes paroles acerbes, tandis que mon maître au contraire haussait le ton.
- Ça vous pose un problème ?

Je me décidai finalement à lui exprimer le fond de ma pensée, quitte à me faire humilier quelques jours de plus ou à écoper des tâches ingrates, mais il choisit ce moment pour me congédier.
- De toute façon, vous n'avez pas le choix. C'est un ordre. Alors du balai, allez chercher cette théière. Ouste !

Sous les rires toujours aussi fins du reste des aventuriers, je me décidai à vider les lieux, mes pokémons dans mon sillage. Toute ma fougue s'évanouissait déjà face à ces mines goguenardes, le sourire hautain de mon maître n'aidant pas. Néanmoins, alors que je sortais par le portail de nouveau ridiculement immense, le parchemin de mon ordre de mission si froissé dans ma main que je m'estimai chanceuse d'avoir mémorisé l'adresse indiquée, je vis la seconde gradée se diriger d'un pas décidé vers mon supérieur. Je m'étais peut-être gagné une alliée, même pour un instant, ce qui n'était pas si mal après tout.


Après une heure de marche dont je me serais bien passée, s'ouvrir l'appétit n'étant pas recommandé après avoir englouti son seul repas de la journée, nous parvînmes enfin devant la fameuse arche de pierre du cimetière. Mais qui avait eu l'idée de me fiche une théière là-dedans, mais qui avait eu...
Le paradoxe de l'arche à la fois grandiose, une merveille d'architecture tout à fait monumentale, et parfaitement inutile, les murs de chaque côté n'ayant pas été achevés au-delà d'une dizaine de mètres, ne m'amusait pas comme à l'ordinaire. J'étais encore trop honteuse, furieuse du traitement qu'on m'avait réservé au saut du lit pour trouver drôle l'histoire de l'architecte ayant écoulé tout son budget dans l'ouverture d'une enceinte qu'il ne pourrait finir ensuite faute d'or. L'un dans l'autre, il était vrai que les morts ne risquaient pas de s'échapper du cimetière par leurs propres moyens.
Cette sinistre pensée chassa mon amertume, et rappela à mon bon souvenir la crainte que j'avais éprouvée en lisant le descriptif de ma mission. Celle de céder à la panique, de perdre mes moyens dans un lieu aussi inhospitalier pour finalement échouer ma quête d'une théière. Même le ridicule de mon objectif ne parvenait pas à faire taire mes angoisses.

Si réellement les morts se relevaient de leurs tombes et en sortaient par leurs propres moyens ? S'ils se mettaient en tête de me pourchasser, de m'entraîner dans la mort avec eux, moi qui m'apprêtait à troubler leur sanctuaire et leur repos éternel ? Surtout pour une raison aussi risible, il ne s'agissait aucunement d'un but noble ou qui nécessiterait absolument de déranger les morts. Mais qui pouvait donc vouloir sa théière au point de solliciter l'aide d'aventuriers pour la récupérer ? De mon point de vue, la guilde Ténèbres se décrédibilisait bien davantage en acceptant ce genre de mission qu'en ayant des membres tels que moi dans leurs rangs.
Mon regard tomba sur la pancarte livrant le nom du lieu, ce qui ne chassa que temporairement ma peur d'y entrer. D'ordinaire j'éclatai de rire en songeant au récit de cette mésaventure. Pourtant en cet instant, mon estomac était si noué que même l'histoire du gouverneur porté sur l'alcool au point d'avoir confondu auberge et cimetière, baptisant ce dernier « Au joyeux pochetron », ne m'arracha qu'un simulacre de sourire.
- Pi, pifeuil ! lança soudain Malachite qui s'était approché de l'arche.
- Oui, moi non plus, je n'arrive pas à croire qu'on doive chercher une théière là dedans...

Non seulement c'était horriblement dangereux, avec tous ces cadavres qui, j'en étais sûre, n'allaient pas manquer de nous sauter dessus, mais en plus la raison de notre présence m'apparaissait chaque seconde un peu plus risible. M'empêchant de grommeler entre mes dents, je passai lentement sous l'arche, mes pokémons sur mes talons. Après avoir passé ce portail entre le monde des vivants et celui des morts, je ne pourrais plus revenir, c'était certain...
Je tentai un instant de m'imaginer en spectre, un drap blanc semblable aux immondes rideaux dans lesquels les membres de la guilde aimaient s'enrouler me recouvrant. Au moins je serais en accord avec mes camarades pour une fois. Malachite serait sûrement impressionnant avec les orbites vides faisant couler des larmes noires, et n'aurait pas de mal à rendre son habituelle démarche traînante effrayante, mais je craignais qu'Onix ne se prenne tout de même les pattes dans les chaînes que j'imaginais autour de son corps. Le mieux serait d'essayer de rester en vie.

L'endroit n'était encore ni trop hanté, ni trop effrayant. La place centrale par laquelle arrivaient tous les visiteurs était suffisamment entretenue pour donner l'illusion que les fossoyeurs n'étaient pas des feignants, chose dont on pouvait douter au vu du reste du cimetière. Sans toutes les tombes, les mausolées et autres croix, j'aurai pu me croire de retour en pleine forêt tant la végétation gagnait du terrain face aux constructions humaines. Même à ma droite, la partie où étaient enterrés les représentants des plus riches familles, les arbres devaient être aussi nombreux que les caveaux. Le centre du cimetière était occupé par les tombes des morts du peuple, dont la plupart disparaissaient déjà sous le lierre ou d'autres plantes grimpantes. Seules les sépultures les plus récentes, encore entretenues et visitées, montraient des inscriptions lisibles. Enfin, la gauche du cimetière destinée à accueillir les dépouilles des anonymes, des nécessiteux et des criminels ressemblait davantage à un champ abandonné qu'à toute autre chose. Rien qu'à l'idée de visiter tout cela, je me pris à espérer que l'objet que nous convoitions apparaisse là, à nos pieds, sur cette place.
- Comment on va retrouver une théière là-dedans ? Et comment ça se fait qu'il y ait une théière là-dedans ?

Je n'avais pas pu m'empêcher de poser la question à voix haute, tant la situation me paraissait invraisemblable. La mission était si absurde que je songeais soudain à une blague, une nouvelle humiliation concoctée par de gentils membres attentionnés de ma guilde.
- « Vous ferez celle-là » hein ? Si jamais c'est un canular...

Enfin, invention idiote ou pas, j'avais reçu l'ordre de mener à bien cette quête. Certains aventuriers partaient à la recherche d'un trésor fabuleux, ou d'une épée légendaire. Moi, c'était à la recherche d'une théière. Parfois, je me persuadais que le destin voulait m'envoyer un message.
Au moins, mes adorables pokémons étaient là, solidaires du malheur de leur dresseuse. Je sentis presque malgré moi mon sourire revenir à cette idée, et j'eus l'envie de mettre à profit leurs talents histoire qu'ils ne soient pas venus pour rien.
- Onix ! Sers-toi de ton flair pour essayer de trouver la théière !

Gémissement de mon malosse, qui devait trouver la tâche aussi ridicule que moi. Obéissant, il se mit pourtant à chercher autour de la place, pour lancer peu après un second gémissement de dépit. Bien entendu, il aurait été impossible que la chose se passe simplement et que nous ayons juste à faire quelques pas avant de rebrousser chemin.
- Bon, au moins on aura essayé...

Je me mis à chercher un indice, un élément qui pourrait m'indiquer où cette fameuse théière se cachait dans le cimetière. Comment trouver une chose aussi petite dans un endroit aussi grand ? Et de nouveau, qui avait pu avoir l'idée de venir prendre le thé sur la tombe d'un proche ?!
- C'est comme trouver une aiguille dans une botte de foin... Mais ne nous décourageons pas ! Il ne doit pas y avoir des tas de théières dans un endroit pareil !

Maigre consolation, mais j'étais au moins raisonnablement sûre que la première théière que nous trouverions serait la bonne. Nous avions déjà eu suffisamment peu de chance de nous coltiner une mission pareille, on aura au moins eu la veine d'avoir à chercher un objet si insolite qu'il ne pouvait pas se trouver en deux exemplaires dans un cimetière.
Alors que je m'interrogeai sur la meilleure manière d'organiser les fouilles, Malachite s'adressa à Onix, sans doute dans le but de lui faire part d'une brillante idée sur la question. Ils devaient également chercher à être efficaces, ayant sans doute aussi peu envie que moi de s'attarder indéfiniment ici.


Je cherchai encore désespérément sur mon ordre de mission un indice qui pourrait me laisser croire qu'il ne s'agissait que d'une blague de mauvais goût, lorsque je me rendis enfin compte que la théière n'était nullement décrite dans le texte. Non seulement j'ignorais à quel endroit du cimetière je devais chercher, mais en plus je ne connaissais ni la forme ni la couleur de l'objet en question. La frustration me faisait parler à voix haute de plus en plus souvent aujourd'hui.
- Il n'y a pas non plus le nom du commanditaire... on aurait pu chercher le nom sur les tombes, la théière aurait pu être dessus... Ils disent juste d'aller s'adresser au manoir Beaubois pour la ramener... Je suppose qu'on a plus qu'à chercher tombe par tombe...

Après tout cela ne devrait pas être aussi compliqué que je le craignais en quittant la guilde, il suffisait de chercher la tombe ornée d'une théière, de la prendre et...
-Oh non ! Ca veut dire que... Je dois piller une tombe !? Oh nononon, il ne me ferait quand même pas ça, le Maître ! Nononon, c'est hors de question ! Onix, qu'est-ce que je vais faire ?

Je me tournai vers ma fidèle équipe en quête de réconfort, mais Onix que je regardai dans les yeux n'eut rien de mieux à me proposer qu'un jappement désabusé, vite ponctué de cris mornes poussés par Malachite.
-Et si jamais je réveille un guerrier squelette maudit ? Oh nononon, ça va pas le faire !

Contrairement à ce que j'imaginais, mes pokémons ne cédèrent pas même une seconde à la panique avec moi. Si Onix ne paraissait pas exactement enchanté de cette rencontre avec un mort tiré de son repos éternel pour se battre, Malachite lui semblait ravi de se confronter à un tel adversaire.
Tandis que je cherchais un plan d'action efficace, qui ne mettrait pas ma vie trop en danger de préférence, un vacarme épouvantable de métal clinquant se fit entendre en provenance directe de l'allée des riches mausolées. Mon mauvais pressentiment ne me quittant pas, je sentis immédiatement que la suite n'allait pas me plaire.

Je me tournai courageusement pour affronter mon destin, et vit s'avancer fringant sur son... destrier... le chevalier de pacotille déjà aperçu sur la place du village. Monté sur un haydaim qui devait avoir des envies de meurtre après que son dresseur lui ait collé une armure de parade aussi inefficace que lourde à n'en pas douter. En plus du poids de l'humain lui-même bien entendu, dont l'armure n'avait manifestement jamais servi. De toute façon je voyais difficilement quel genre de métal pouvait le protéger des attaques d'un pokémon en cas de véritable affrontement. J'imaginais sans peine un magmar ou un dracaufeu le rôtir tout vif dans sa coque pour le déguster ensuite au petits oignons. Ma journée devait vraiment être épouvantable pour que j'en arrive à m'amuser de cette idée.
Son kirlia, comble du mauvais goût, portait fièrement une cape presque identique à celle de son maître, un peu plus courte peut-être. Lui avait au moins échappé à l'armure, son corps si frêle n'en supportant sans doute pas le poids. Je tentais de me représenter un kirlia couvert de métal des pieds à la tête, essayant désespérément de poser un pied devant l'autre pour marcher. Ce pokémon-ci compensait l'absence d'une armure par une tiare à la fois clinquante et ridicule, summum de l'élégance donc. La pierre qui l'ornait était d'une taille suffisamment indécente pour ruiner toute chance de discrétion pour le groupe entier, un exploit en soi.

Malheureusement, oh oui malheureusement pour moi, le parvenu n'avait pas oublié notre première rencontre lui non plus. Dès qu'il me vit son sourire numéro quarante-trois « séduction de donzelle avec petite étincelle scintillante sur l'incisive supérieure droite » vint automatiquement engloutir son visage, avec option salut de la main idiot mais supposément classe. Il ne manquait plus que la main langoureusement passée dans les cheveux blonds soyeux pour remettre la mèche de devant en place, après tout il le valait bien. Mouvement de tête pour faire voler la crinière au vent, rideau, fin du show.
Ne voulant pas lui laisser l'occasion de nous imposer cette vue, je finis par me mettre en mouvement. J'étais restée plantée sur le chemin comme une idiote avec mon équipe quelques instants, comme dans ces moments de tension où on voit la catastrophe arriver et qu'on la regarde venir sans bouger, tétanisé.
- Onix, Malachite, venez !

La direction opposée à celle du chevalier de foire étant le champ en friche des miséreux, je pris tout naturellement cette direction. Je voyais mal ce fils de noble hautain et prétentieux me suivre jusque là, ce qui donna immédiatement un charme tangible aux monticules indéfinis censés servir de tombes.
Accompagnée des commentaires de mes pokémons pour qui le bellâtre devait être un passionnant sujet de conversation, j'enjambai un muret sans trop penser à la direction que je prenais. Une fois cernée par les sépultures sans nom ni forme, je m'arrêtai de nouveau, indécise sur la conduite à adopter. Sans compter cette boule au ventre qui revenait, maintenant que l'agacement provoqué par le chevalier laissait place à ma bonne vieille copine la peur. Puisqu'il était censé être bonne conseillère, je devrais sans doute l'écouter et filer d'ici en vitesse. Oui, mais si je rentrais sans la théière, c'est à mon maître que j'aurai affaire...
Mourir ensevelie dans une tombe fraîchement creusée par des morts revenus se venger ou se faire humilier par son maître et vivre en paria le restant de ses jours. Mais pourquoi devais-je faire ce genre de choix ?!

Malachite et Onix ne semblaient pas non plus à leur aise, plutôt sonnés à la vue de ce spectacle auquel je ne les avais pas habitués. Encore qu'en tant que pokémons ténèbres qui se respectent, ils paraissaient plus étonnés qu'effrayés. Mon équipe au moins est d'un courage extraordinaire, il faudra que je fasse faire un blason à leur effigie. Pour ma part, j'avais recommencé à grommeler ma rengaine favorite « maiskesskejeficheiciékesskunthéièrefouladabord » tout en essayant tant bien que mal de rassembler suffisamment mes idées pour former quelque chose ressemblant vaguement à un plan.
- On devrait peut-être se séparer...

La proposition n'avait rien d'extraordinairement original, mais je n'avais pas mieux en stock pour le moment. Optimiser la recherche, c'était d'abord l'accélérer, donc couvrir le plus de surface possible en un minimum de temps.
- Mal mal malosse, malosse losse.

Mon fidèle compagnon approuvait déjà de cris tranquilles, assuré de mes talents de tacticienne. Un miracle qu'il n'ait pas été déçu dans son opinion depuis tout ce temps passé ensembles. Voilà bien un pokémon sur lequel je pouvais compter, ce qui était heureux maintenant que je devais aussi assurer l'entraînement de mon nouveau pifeuil. Je désignai au hasard deux sentiers grossièrement formés entre les tombes, partant dans des directions opposées.
- Moi je vais aller de ce côté avec Malachite... Et toi Onix tu vas de ce côté.

Le regard que me lança mon malosse ne me laissait aucun doute sur ce qu'il pensait de cet ordre. Cependant je ne pouvais me permettre de me séparer dès maintenant de Malachite qui n'était encore qu'un novice en ce qui concernait les missions d'exploration. Bien entendu, la question de savoir si j'étais la meilleure professeure pour ce genre de choses restait à débattre.
Je me baissai près d'Onix et me mis par habitude à le gratter derrière les oreilles. S'il sembla apprécier le geste comme toujours, il ne parut pas plus heureux de mon idée pour autant.
-Allons Onix, ne fait pas cette tête. On se retrouve ici à la nuit tombée, en espérant que l'un de nous ait la théière.

Le fait qu'il comprenne ou non le plan n'était pas le problème, je sentais plutôt venir les ennuis pour qu'il l'accepte. Mon nouveau pifeuil toujours aussi énergique ne risquant pas de m'aider sur ce coup-là, j'accentuai mes caresses en lui expliquant mon point de vue.
- S'il te plaît Onix, ne me regarde pas comme ça. Je ne peux pas partir sans pokémon pour me protéger, et je te fais confiance pour chercher comme il faut, et pour me retrouver avec ton flair si je ne suis pas au rendez-vous, où même si tu trouves la théière avant moi... j'ai confiance en toi Onix, je sais que tu n'en profiteras pas pour t'enfuir, et je sais que tu feras de ton mieux. Je suis sûre que tout va bien se passer !

Mon malosse ne semblait toujours pas convaincu, mais j'avais apparemment réussi à l'amadouer avec mes gratouilles derrière les oreilles. Il n'émit plus de réserves à ce sujet, malgré un air toujours dubitatif. Je me relevai, pressée de sortir de là. Avec la théière, tant qu'à faire.
- Je vais par là avec Malachite, toi tu vas par là. A tout à l'heure Onix !

La direction étant de nouveau claire pour chacun, je me mis en route sans attendre. Malachite, avec son zèle inimitable, commença à me suivre d'un pas si traînant qu'il me flanqua rapidement la chair de poule tant il ressemblait à ce que j'imaginai de la démarche d'un revenant.
Entièrement préoccupée de ce qui se passait derrière moi, j'en oubliai la magnifique fosse béante juste devant moi comme de bien entendu. Le temps de me demander pourquoi le sol était devenu soudainement si spongieux, et me voilà horrifiée de découvrir mon pied enfoncé jusqu'à la cheville dans un monticule frais.
- Je vais réveiller un guerrier squelette maudit !

Le cri m'a échappé alors que je m'abandonnais à la terreur que ma prédiction se réalise. Malachite ne perdit pas son temps pour entourer... ma poitrine de ses bras, et me tirer ainsi jusqu'à ce que je me retrouve les quatre fers en l'air à écraser mon pifeuil. Après m'être relevée précipitamment accompagnée d'un cri courroucé de Malachite qui remit sa feuille en place, je m'éloignai à toute vitesse du monticule. Jusqu'à ce que j'entende une voix d'outre-tombe, avec un accent haut perché comme celui d'un aristocrate moisi depuis deux cent ans, dans mon dos.
Si on m'avait dit à cet instant que mes cheveux étaient devenus blanc d'un coup, je l'aurais cru sans hésiter. Car j'étais tout à fait certaine de n'avoir vu personne en dehors de nous dans cette partie du cimetière. Personne de vivant en tout cas.

Il y avait forcément une explication rationnelle à tout ça. Forcément. L'idée de me retourner me traversait bien l'esprit, mais je ne savais pour quelle raison je le sentais pas trop là. Décidant de me montrer un peu courageuse pour une fois et de ne pas écouter copine peur, je fis volte-face brusquement, pour ne pas perdre ma détermination avant la fin du mouvement.
Une ombre noire flottant plusieurs centimètres au-dessus d'une tombe... Un sourire machiavélique garni de dents bien trop longues... Des membres fantomatiques, une main prête à se tendre vers moi... Un œil unique passant d'un orbite à l'autre...
Je retrouvai ma voix en même temps que mes jambes.
- LE GUERRIER SQUELETTE MAUDIT ! AAAAAAH ! ONIIIIIIIX !


- Je crois... que cette fois... on l'a... semé...

Malachite semblait aussi essoufflé que moi, dont les poumons étaient en feu et la peau liquide tant je suais. Moi qui pensais que les pokémons avaient tous plus d'endurance que les humains, la superbe imitation de tauros enragé que m'offrait mon pifeuil en soufflant désespérément par la bouche me détrompait magnifiquement.
Nous avions fini par nous arrêter près d'une sépulture de nouveau ornée d'une pierre tombale décente. Apparemment notre fuite nous avait ramené dans la partie des morts identifiés, je vis même de riches mausolées à moins de cent pas.
- Au moins on peut rechercher par ici, puisqu'Onix est resté de l'autre côté du cimetière on aura vite fait le tour des tombes ! Allons-y Malachite !

Bien évidemment. Les mausolées aux toits taillés en dentelle, je ne les avais pas manqués, mais impossible que je note le trou béant à un pas de moi dans lequel je venais de tomber. Cette manie de m'étaler dans tout ce que je croisais commençait à devenir lassante.
Malachite pointa vite son nez au bord de la fosse, un cri interrogatif en guise de commentaire à ma nouvelle chute. Tout comme je n'avais pas perdu l'occasion de me vautrer en beauté, lui n'avait pas manqué cette chance de voir le trou, de l'éviter et de prouver ainsi que j'étais une quiche dans tout ce que j'entreprenais. J'ignorai si montrer exclusivement ce qu'il ne fallait pas faire à un élève était bénéfique pour sa formation, mais je l'espérai très fort en cet instant.
Alors que je tentais de ne pas céder à la panique (pitié que je ne sois pas tombée sur un cadavre fraîchement enterré, pitié que je ne sois pas tombée sur un cadavre fraîchement enterré) et que Malachite se demandait comment me faire sortir de là sans me rejoindre au fond du trou, l'ombre qui m'avait fait fuir tout à l'heure se pencha à son tour au-dessus de la fosse.
Mon cri aurait fait détaler n'importe quelle créature vivante, malheureusement j'avais croisé comme de bien entendu un être qui de toute évidence était mort. Mais toujours de ce monde, histoire de flanquer quelques bonnes crises d'angoisse aux pauvres aventurières à la recherche de théières dans les cimetières. Après tout chacun était libre de choisir ses passe-temps.

Contrairement à ce que je craignais, l'ombre ne se jeta pas sur moi pour m'entraîner dans la mort avec elle. Elle se contenta de plaquer ce qui devait être ses mains de chaque côté de son crâne vaporeux, ce qui lui servait d'oreilles devant s'y trouver. Apparemment mon cri lui avait fait mal.
Malachite observant le nouveau venu avec son fameux air de magicarpe frit, je n'eus d'autre choix que de me calmer pour réfléchir à la situation. Notre poursuivant semblait courroucé de mes hurlements, mais pas agressif pour un sou. Maintenant qu'il était relativement sûr que je n'allais pas recommencer à beugler, il m'observait avec un air curieux. Il ne faisait pas mine de m'aider à sortir de là, ni de m'attaquer. Ce dernier point constituait un soulagement manifeste, malgré tout l'allure de mon spectre demeurait suffisamment terrifiante pour que je sente la sueur perler de plus belle le long de mon dos.
Le soleil qui commençait à se coucher produisait une lumière assez vive pour que je distingue peu à peu l'être que j'avais en face de moi. Je finis par m'apercevoir qu'il s'agissait d'un pokémon et non d'un fantôme humain. Je restai cependant perplexe, ayant la désagréable et très étrange sensation que la créature en face de moi était bel et bien morte. Tous les pokémons spectres laissaient-ils cette impression, ou le cadre de la rencontre y était-il propice ?
- Bonsoir, euh... Navrée pour le dérangement, tu es un skelenox, n'est-ce pas ? Pardon, hein, mais pourquoi tu nous suis si ce n'est pas pour nous attaquer ?

J'étais en train de me traiter d'idiote, me demandant comment un pokémon pourrait bien se débrouiller pour me répondre, lorsque le skelenox ouvrit la bouche. Je me recroquevillai un peu plus dans ma fosse, m'attendant à en voir jaillir une ball'ombre, mais ce fut toute autre chose qui en sortit.
- Qui que tu sois, esprit salutaire ou lutin damné ; que tu apportes avec toi les brises du ciel ou les rafales de l'enfer ; que tes intentions soient perverses ou charitables ; tu te présentes sous une forme si provocante que je veux te parler.

Je restai bouche bée quelques instants, tout comme Malachite qui pour une fois réagissait à quelque chose. Le skelenox venait de s'exprimer dans un humain aussi parfait qu'inattendu. L'accent d'aristocrate que j'avais déjà cru entendre plus tôt était bien celui du pokémon, dont les tournures de phrases devaient bien avoir trois siècles. Peut-être plus, l'Histoire ne m'avait jamais fascinée.
Non seulement le spectre s'exprimait en humain, mais en énigme en plus de cela. Un membre plus expérimenté m'avait conseillé de toujours noter ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à une prophétie, je regrettai soudainement de n'avoir ni plume ni parchemin sous la main. Tout ce que j'avais pu comprendre de ce discours alambiqué était la curiosité du skelenox à mon égard, et peut-être l'avais-je dérangé. A force de traîner dans les cimetières pour trois fois rien, j'avais bien dit que nous finirions par troubler le repos éternel de quelqu'un...
- Euh, je suis navrée si nous t'avons dérangé. Je me nomme Willelmina, et voici mon pifeuil Malachite.

Je désignai ce dernier, ce qui attira l'attention du pokémon revenant sur Malachite. Chose curieuse, notre poursuivant ne semblait pas avoir remarqué le pifeuil qui m'accompagnait avant que je ne fasse les présentations. Les deux pokémons échangèrent quelques cris auxquels cette fois je ne compris rien, le skelenox finissant par s'incliner dans ce que je supposai être un salut en vogue à son époque.
- Si je peux me permettre, qui es-tu ?
- Seigneur, nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pouvons être. Que Dieu soit à votre table !

Je commençai à me demander si le skelenox n'était pas la proie d'une sorte de malédiction qui l'obligerait à ne jamais répondre clairement à une question. Il faudrait que j'essaie d'engager la conversation sans le questionner pour m'en assurer.
Je me creusai la tête, la dernière injonction du spectre me rappelait quelque chose. Quoi donc ? Si seulement j'avais davantage écouté les historiens de la ville, je n'en serais certainement pas là. Cela devait être une autre formule de politesse, j'avais même l'impression de connaître la réponse correcte. Oui ! J'avais lu quelque chose qui y ressemblait dans un grimoire poussiéreux de la bibliothèque, un jour que je m'ennuyais trop à la Guilde. Nos livres étant tous si vieux que la plupart était à peine lisible, j'avais eu la chance de tomber au détour d'un dialogue sur la phrase que venait de prononcer Skelenox. A l'époque je n'avais bien entendu rien compris à ce que je lisais, imaginant que les personnages étaient simplement excentriques, mais cela valait le coup d'essayer.
- En ce cas venez y prendre place, afin que Dieu soit avec vous.

Le pokémon spectre s'inclina devant moi, preuve que j'avais du être bien inspirée dans ma réponse. Un soupir de soulagement m'échappa. La fosse dans laquelle je me trouvais toujours ne serait peut-être pas ma dernière demeure finalement.
Je finis par me détendre un peu, puis par revenir au centre du trou. Le revenant m'observait toujours de son œil unique spécial fiche-la-trouille, mais il ne fit pas mine de m'attaquer. Il ne fit d'ailleurs pas un mouvement, tout comme Malachite qui n'avait apparemment pas compris que je ne pouvais pas sortir sans aide. Le spectre comme le pokémon plante partageaient la même expression d'indifférence légèrement idiote, ce qui me fit envisager que j'étais peut-être bien tombée sur un spectre de pifeuil finalement. Un jour, il faudra que je demande à Onix comment il s'était débrouillé pour recruter un pareil spécimen.
Un pas, puis deux. Skelenox ne bougeait toujours pas. J'arrivai au bord de la pente boueuse sans provoquer la moindre réaction de la part du spectre, ou de mon propre pokémon qui semblait comme toujours au bord de l'inconscience la plus profonde.

Je m'apprêtai à agripper une racine qui sortait de terre, et à me ridiculiser une énième fois avec une tentative désespérée d'escalade, lorsqu'à ma grande surprise Malachite saisit la main que je levais pour me hisser hors de la fosse. Entre l'air constamment ahuri de ce pifeuil et sa capacité à avoir des idées au moment où je m'y attendais le moins, je commençai à me demander si nous n'avions pas recruté un pantin animé par la magie noire plutôt qu'un pokémon. A moins que l'ambiance glauque et glaciale de ce cimetière ne commence à déteindre sur mon moral, pourtant toujours au beau fixe d'habitude.
Malachite se mit à tirer, moi à grimper, perdant tous deux le peu de souffle que nous avions réussi à récupérer. Regrettant amèrement de n'avoir pas suivi un entraînement physique plus poussé durant ma formation, je m'apprêtai à faire tomber mon pifeuil dans la fosse avec moi à force d'efforts vains qui se résumaient essentiellement à battre des pieds le long de la paroi boueuse. Pour accentuer le cliché, il avait fallu que je chute dans une fosse aussi froide qu'humide.

Au moment où Malachite poussait un cri d'angoisse, incapable de me relever seul et se sentant près de me rejoindre dans mon trou, une autre main glacée m'agrippa le second poignet.
Je tournai lentement la tête de ce côté, ayant l'impression d'avoir plongé le bras dans un seau d'eau froide. Un appendice noir et brumeux, qui pouvait être une main comme un morceau d'étoffe, émanait de Skelenox et me tenait fermement. Chose extraordinaire, je sentais clairement des doigts sur ma peau, mais ne voyait qu'une noirceur uniforme autour de mon poignet prisonnier de l'étreinte.
L'intervention de Skelenox, aussi inexpliquée qu'inattendue, s'avéra néanmoins efficace. Avec son aide, Malachite parvint enfin à me sortir de la dernière demeure qui ne serait finalement pas la mienne. Je commençai à avoir un léger doute avec tous ces événements.

Une fois revenue à la même hauteur que les pokémons, je m'effondrai par terre tant mes jambes tremblaient. L'expérience de la tombe n'avait rien de plaisant, même lorsqu'il s'agissait d'une situation temporaire. Ce qui ne devait pas arriver souvent, lorsque j'y songeai.
Je levai de nouveau le regard vers Skelenox, qui flottait à quelques dizaines de centimètres du sol en me fixant de son œil unique avec un air inquiet. Pour autant que je puisse juger correctement de l'expression d'un masque fait en os.
- Merci, prononçais-je finalement d'une voix timide, presque aussi tremblante que mes jambes.

Skelenox se contenta cette fois de s'incliner pour répondre, apparemment soulagé que je n'ai rien. Il devait craindre la surpopulation du cimetière à force de voir des gourdes dans mon genre se balader par ici.
Il y eut un instant de flottement. Aucun d'entre nous ne savait quoi faire, et je n'étais personnellement pas convaincue que le spectre me laisserait poursuivre mes recherches malgré son apparente bienveillance.
- Euh... Il va falloir que je m'occupe de ma mission... je peux ?

Skelenox n'ayant pas l'air de comprendre ce que je voulais, Malachite lui lança une série de cris qui devait sans doute être une explication du but de notre visite. L'habitant des lieux posait parfois ce qui pouvait être une question, mais à la tête de Malachite je me doutais que son langage devait être aussi désuet en pokémon qu'en humain. Le spectre finit pourtant par comprendre, et tout en m'adressant un geste d'assentiment de sa main fantomatique il émit un éclat de rire qui aurait sans peine pu passer pour un gémissement. Son langage humain était construit et prononcé d'une voix fluide, mais je supposai que pour tout le reste il n'avait à sa disposition que quelques plaintes morbides et autres grincements pour communiquer. Je frissonnai chaque seconde un peu plus en restant près de cette apparition, et ce n'était pas de froid. Pourtant, Skelenox riait toujours de bon cœur et s'était montré plus qu'amical envers la jolie paire de bras cassés que nous formions, mon pokémon plante et moi.
- Oh, Malachite t'a expliqué que nous cherchions... Bon, j'ai le droit d'essayer de trouver cette théière ?

Skelenox m'adressa le même signe de main assorti d'un hochement de tête approbateur, son rire s'accentuant rien qu'à l'idée. Je le comprenais fort bien, et si ce n'était pas moi en charge de la mission la plus débile de tous les temps j'en aurais sûrement ri aussi.
Le pokémon spectre finit par se calmer, son œil unique roulant de plus belle dans ses orbites creux. Finalement, au lieu de nous laisser à nos problèmes, il se mit à tournoyer autour de moi avec l'air de nous indiquer une allée proche.
- Tu veux venir avec nous ?

Nouveau hochement de tête suivi d'un râle de moribond. Soit, j'étais tombée une fois de plus sur le siphonné du coin. En l'occurrence, un pokémon spectre qui sans m'avoir jamais croisé auparavant, se proposait de m'accompagner avec mon pifeuil bien vivant dans la recherche d'un bibelot familial qui n'avait de tout façon rien à faire dans ce cimetière à la base. Si les gens rangeaient leurs affaires un peu, aussi.
Le gentil mais un peu fêlé quand même Skelenox devait être en manque de compagnie, ce qui serait probablement mon cas également si j'avais passé le même nombre d'années que lui dans un endroit aussi glauque. Sans compter que la foule ne se pressait pas, il fallait bien le reconnaître.
Nous nous mîmes donc en route, moi essayant de déchiffrer les inscriptions sur les pierres tombales aux dernières lueurs du jour, Malachite à ma droite ne faisant pas le plus petit effort pour m'aider, Skelenox à ma gauche flottant au-dessus du sol avec un air très intéressé. Il ne m'aidait pas plus que mon pifeuil, mais observait en revanche le moindre de mes faits d'un regard avide. C'est sûr que les chercheuses de théière, il ne devait pas en voir passer tous les jours.

La nuit était sur le point de tomber, heure à laquelle les spectres sortaient se rendre visite d'une tombe à l'autre d'après ce que je remarquais. Je vis d'abord une, puis deux apparitions spectrales ayant la forme de pokémons. Au loin je crus distinguer des fantômes humains, mais je n'en aurais pas mis ma main à couper tant ils étaient vaporeux. Ils ne vinrent pas de notre côté, en revanche une série de funecires en file indienne nous croisa par la droite. Aucun des petits spectres ne nous prêta la moindre attention, même en passant devant Malachite qui eut tout de même l'idée de s'écarter de quelques pas. Les funecires sifflotaient en rythme un air joyeux que je ne reconnus pas, mais qui me fit sourire.
La présence de Skelenox paraissait m'avoir anesthésiée, je n'avais pas encore hurlé contrairement à mes bonnes habitudes. Je sentais la peur me faire frissonner, la sueur couler le long de mon dos, mais je nageais dans un état général de douce apathie qui me faisait ignorer le danger. J'ignorais s'il en était de même pour Malachite, ce pokémon était trop peu expressif même dans son état normal. Ou anormal, selon le point de vue.

Quelques pokémons nous croisèrent encore sans réagir à notre présence. Nous fûmes obligés de nous arrêter pour laisser passer deux baudrives en pleine conversation, qui sortirent d'une tombe à notre droite pour traverser le chemin et s'enfoncer dans une seconde pierre tombale à gauche, le tout sans cesser un seul instant leur échange houleux.
Le premier spectrum que nous croisèrent en revanche, nous observa un instant d'un air méfiant. Il prit ensuite une expression mauvaise, un sourire grotesque sur le visage, puis s'approcha de nous ses longs doigts en avant. Il ne se ravisa qu'en voyant Skelenox près de moi, tournant les talons après avoir semble-t-il décidé que cela n'en valait pas la peine. Quelques fantominus eurent aussi un air hostile puis gourmand à notre approche, et un teraclope aux yeux fous tendit à son tour ses mains vers moi avant de s'évanouir en un nuage de fumée.
Skelenox observait tout cela d'un air contrarié, et je sentis même la peur gagner du terrain face à cet étrange enchantement dont j'étais victime. Je lançai un regard interrogateur au spectre, puis désignai de la tête ses semblables que nous croisions de plus en plus régulièrement. Il eut alors un air désolé et poussa un simulacre de soupir humain avant d'ouvrir la bouche.
- Il suffit d'un atome pour troubler l'œil de l'esprit. A l'époque la plus glorieuse et la plus florissante de Rome, un peu avant que tombât le tout-puissant Jules César, les tombeaux laissèrent échapper leurs hôtes, et les morts en linceul allèrent, poussant des cris rauques, dans les rues de Rome. On vit aussi des astres avec des queues de flamme, des rosées de sang, des signes désastreux dans le soleil, et l'astre humide sous l'influence duquel est l'empire de Neptune s'évanouit dans une éclipse, à croire que c'était le jour du jugement. Ces mêmes signes précurseurs d'événements terribles, messagers toujours en avant des destinées, prologue des catastrophes imminentes, le ciel et la terre les ont fait apparaître dans nos climats à nos compatriotes.

Un long, très long silence suivit ce monologue qui aurait coupé le souffle de n'importe quel mortel. Je regardai Skelenox d'un air halluciné, Malachite regardait Skelenox d'un air halluciné, un petit funecire bon dernier de sa file qui était resté écouter regardait Skelenox d'un air halluciné.
Je finis par me pencher vers mon pifeuil, lui soufflant quelques mots d'une voix encore chevrotante.
- Tu vois, j'avais dit à Onix qu'on devrait toujours emporter de quoi noter les prophéties, il s'est foutu de moi. Ben regarde où ça nous mène maintenant.
- Piiii.

Je sentais bien que le discours de Skelenox était d'une importance capitale, ou qu'il le serait dans un avenir plus ou moins proche. Oui, mais j'allais jamais me souvenir de tout ça au mot après dans l'intervalle moi. Le spectre lui, ne semblait pas s'être rendu compte qu'il avait prononcé des mots particulièrement lourds de sens, affichant un visage surpris de l'air de demander pourquoi on s'était arrêté.
Son petit discours n'était peut-être pas si important que ça après tout, mais comment en être sûr ? Et si j'en avais besoin dans vingt ans, il n'était même pas dit que je me souviendrais seulement de cette rencontre. Encore qu'elle était sans doute assez bizarre pour me marquer. Les paroles que je venais d'entendre n'avaient peut-être même aucun sens, mais encore une fois impossible de le vérifier pour le moment.
- Es-tu fou ou génie... ? Ces mots ne peuvent pas sortir de la bouche d'un être sain d'esprit, mais elles ne peuvent pas non plus venir d'un idiot.

Aussitôt après avoir pensé cela à voix haute, je me plaquais la main sur la bouche. Mes réflexions personnelles se rapprochaient un peu de cela certes, mais je ne les aurais jamais formulées de cette manière et surtout, je n'avais aucune intention de les formuler tout court. Pourtant, je n'avais pas pu m'empêcher de parler machinalement comme si j'étais seule et bien dérangée moi-même. Ce que j'allais finir par devenir à force de faire des rencontres de ce genre d'ailleurs.
Non seulement un maléfice inexpliqué empêchait ma peur de s'exprimer, mais en plus il me forçait à prononcer à voix haute le fond de ma pensée ? Je commençai à ne vraiment pas aimer cet endroit.
Je m'apprêtai à m'excuser platement auprès de Skelenox histoire qu'il ne décide pas finalement de me dévorer toute crue, mais le pokémon définitivement de bonne constitution se contenta de hausser les épaules avant de m'appuyer.
- Heureuses reparties qu'a souvent la folie, et que la raison et le bon sens ne trouveraient pas avec autant d'à-propos.

Toujours aussi perché comme réponse, mais au moins ça me semblait avoir un vague rapport avec la conversation. Encore que.
La chaleur suspecte mais bienfaisante que j'avais déjà ressentie revint plus forte, inhibant presque totalement ma tendance naturelle à la trouille et mon instinct de survie le plus basique au passage. La sensation n'était pas désagréable, ma foi.
J'étais à peu près persuadée que Skelenox était l'auteur de cette sorcellerie, pas très effrayant d'ailleurs comme maléfice de spectre. Les gars de la Guilde Spectre devaient se la jouer depuis des années à dire que leurs pokémons étaient sanguinaires et très effrayants, celui-là était plus attachant qu'autre chose. Je l'aurais même bien pris dans mon équipe, si seulement il avait été de type Ténèbres. J'aurais au moins eu quelqu'un avec qui causer.
- Quel dommage que tu sois mort...
- Il est vrai que c'est dommage, et c'est dommage que ce soit vrai, répondit immédiatement le spectre flottant.

Le seul véritable problème qui restait en effet. Avec ma foutue bouche qui sortait toutes les âneries auxquelles je pensais, évidemment. Skelenox était décidément très docile, acquiesçant à tout ce que je pouvais dire, même s'il le faisait à sa manière. Il avait dû être au moins philosophe dans sa vie précédente pour réussir à former aussi naturellement des réponses à ce point alambiquées.
Les conversations avec lui devaient être épuisantes à la longue. J'en étais encore à essayer de démêler les informations de son premier monologue, que ses réponses suivantes n'apportaient que de nouvelles questions au lieu de m'éclairer.
Nous reprîmes notre chemin au hasard des allées du cimetière, chacun réfléchissant de son côté. Malachite regardait vaguement à droite puis à gauche à intervalles réguliers, je me demandai s'il cherchait la théière. Plongée dans cette sorte de béatitude inexpliquée, j'avais totalement laissé cela de côté. Je n'aurais jamais cru que la compagnie d'un spectre puisse être agréable, mais puisque c'était bien le cas je préférais en profiter encore un peu au lieu de me farcir les lubies d'un supérieur sadique.
J'essayais vaguement de déchiffrer encore quelques inscriptions, de temps en temps. Histoire de ne pas trop me donner mauvaise conscience vis-à-vis d'Onix, qui devait certainement chercher de toutes ses forces dans son coin. Je me sentirais presque coupable, si je n'étais pas aussi apathique. Mon fidèle malosse ne devait pas avoir fait de rencontre aussi sympathique, ça non.
- Tiens, elle est marrante celle-là... « Ci-gît Gilles Uminé le pieux, il était bien nommé mon dieu, lui qui s'empala sur un pieu »...

Mon regard errait d'une pierre tombale à l'autre, lorsque je fis soudain un bond.
Sur une tombe, fraîche par ailleurs au vu des dates gravées dans la pierre, j'avais vu mon nom. Mon propre nom, le vrai, donné par mes parents, avec celui de ma famille à la suite.
Aucun des deux pokémons ne comprit mon mouvement, bien entendu. Je m'approchai de nouveau en tremblant, la surprise de cette vision ayant dissipé mon illusion de sérénité. En y regardant de plus près, ce n'était pas exactement les bonnes lettres, le nom de famille était un peu plus long. La personne enterrée était un peu plus âgée que moi également, et nos dates de naissance n'avaient rien en commun. Les patronymes étaient proches mais pas identiques.
Je tentais de rassurer Malachite comme Skelenox, qui posaient sur moi un regard inquiet et échangeaient entre eux des coups d'œil étonnés.
- Ce n'est rien, j'avais cru lire mon nom. Ça fait un choc, ce genre de choses.

Skelenox se pencha à son tour sur la pierre tombale, intéressé. J'eus la furtive impression qu'il essayait de l'apprendre par cœur, puis de graver l'endroit dans sa mémoire. Mon pifeuil lui, me lança un regard franchement suspicieux. Rien de plus logique, il ne connaissait ni mon nom de famille ni mon premier prénom, et celui gravé sur la tombe ne pouvait être confondu, même en regardant vaguement, avec Willelmina.
Un autre spectre passa, que je n'eus pas même le temps d'identifier avant que Skelenox ne le fasse fuir. Il commençait à être nerveux, le jour baissait d'instant en instant et le nombre de spectres augmentait au même rythme.
Je n'osais plus regarder la pierre tombale qui m'avait fait sursauter. Si je commençais à avoir l'habitude des tombes à force d'en voir depuis le début de l'après-midi, je n'appréciais pas pour autant d'être renvoyée à ma propre mortalité.
- Cela me fait peur, de mourir... Cela me terrifie en vérité.

Pour ne pas changer, ma grande gueule n'avait pu s'empêcher de s'ouvrir. Malachite pencha la tête sur le côté, réfléchissant peut-être à mon assertion, avant d'émettre un cri qui pouvait abonder dans mon sens comme se fiche éperdument de ma trouille maladive. Je ne maîtrisais pas assez le pokémon pour me faire une idée juste de la question.
Skelenox délaissa la tombe qui avait attiré notre attention pour revenir voleter au-dessus de moi. En tant que mort, son avis sur la question était sans doute plus qu'intéressant.
J'ignorai où il avait pu dénicher un crâne, mais il en tenait négligemment un dans la main qu'il lançait parfois dans les airs pour s'amuser à le rattraper. Il cessa finalement son petit jeu, et ouvrit la bouche pour s'adresser directement à la boite crânienne décharnée.
- Mourir... dormir, rien de plus ;... et dire que par ce sommeil nous mettons fin aux maux du cœur et aux mille tortures naturelles qui sont le legs de la chair : c'est là un dénouement qu'on doit souhaiter avec ferveur. Mourir... dormir, dormir ! peut-être rêver !

Bien qu'il n'ait cessé de fixer les orbites vides de son œil unique, j'étais persuadée que ce discours m'était tout spécialement destiné. En effet, Skelenox jeta négligemment le crâne par-dessus son épaule quelques secondes à peine après avoir refermé la bouche.
L'étrange torpeur de mon esprit s'abattait sur moi de nouveau. Le pokémon spectre qui nous accompagnait paraissait toujours tenir ses semblables à distance, mais les esprits que je voyais de plus en plus nombreux semblaient s'exciter encore davantage de l'approche de la nuit. Malgré mon apathie inexpliquée, les questions se bousculaient dans ma tête. Le maléfice qui me forçait à parler m'inspira alors comment formuler mes interrogations. Une façon ridicule dans n'importe quelle autre circonstance d'ailleurs, mais je me fichais de cela comme du reste.
- Dis-moi Skelenox, pourquoi nous suis-tu ? Et pourquoi nous protèges-tu ainsi ? Est-ce toi qui me fais parler sans que je le veuille, qui me plonge dans cette douce béatitude que je ressens ? Pourquoi même m'as-tu poursuivi en premier lieu, puis aidé à sortir de ce trou ?

En voyant Skelenox ouvrir la bouche, je me doutai qu'il allait se lancer dans un autre discours alambiqué dont je ne comprendrais pas un mot sur trois. Je l'interrompis donc avant qu'il ne commence, levant un doigt en l'air comme pour demander la parole.
- La version courte, s'il te plaît.
- En conséquence, répondit Skelenox avec un sourire amusé, puisque la brièveté est l'âme de l'esprit et que la prolixité en est le corps et la floraison extérieure, je serai bref.

Heureusement qu'il n'avait pas voulu faire long, qu'est-ce que ça aurait été.
Skelenox s'apprêtait à reprendre la parole, cette fois sans que je n'ai dans l'idée de l'interrompre, lorsque l'ultime rayon sanglant du soleil couchant se posa sur le pokémon spectre. Il se retourna d'un bloc pour voir l'astre du jour disparaître à l'horizon, laissant la place à une semi-obscurité propre à la Lune montante.
Alors que j'attendais la réponse de l'esprit, lorsque celui-ci se retourna je me mis à reculer par réflexe en direction de Malachite. Je sentis mon pifeuil se crisper lui aussi, puis venir tout à côté de moi. Pour me défendre ou se cacher dans mes jupes, je n'en avais aucune idée.
Le si doux Skelenox qui avait été notre allié durant l'heure écoulée était à présent terrifiant. La noirceur de son corps paraissait renforcée, son masque d'os blanc n'en ressortant que mieux. Sa bouche entrouverte comme prête à mordre, il avançait ses mains vaporeuses où des doigts se formaient à partir du brouillard noirâtre dans ma direction. J'eus même l'angoissante impression qu'il fixait ma gorge de son œil roulant d'un orbite à l'autre au rythme de sa tête oscillante.

Malachite vint se placer devant moi, il avait bien l'intention de me protéger finalement. Je fus à peine rassurée par l'avantage de son type sur celui du spectre, qui étant de toute évidence mort risquait fort de ne pas sentir la moindre attaque.
Le pokémon s'approcha un peu plus, passant au-dessus de Malachite qui tenta de le stopper mais ne rencontra que de l'air. Comme je le craignais, nous n'avions pas affaire à un simple pokémon de la Guilde Spectre qui pouvait être touché par les attaques d'un vivant.
L'engourdissement de mon esprit s'était totalement dissipé à présent, me laissant seule avec ma peur. Je continuai à reculer, mais fut bientôt arrêtée dans mon élan par une pierre tombale derrière moi dans laquelle je vins buter. Par une espèce de miracle ma maladresse maladive ne s'était pas manifestée pour me faire trébucher sur la tombe et me faire tomber, ce qui n'arrangeait que si peu mes affaires finalement. Comment échapper à un spectre, à un véritable spectre dont nous avions bel et bien troublé le repos ?
Skelenox s'approcha encore, Malachite tentant sans succès de s'agripper à son corps vaporeux. Il n'était plus qu'à trois pas humains de moi, deux pas, un pas.

A l'instant où il allait agripper ma gorge nue de ses longs doigts de fumée, je ne pus retenir un glapissement d'angoisse qui me sembla on ne peut plus légitime.
A mon immense surprise, Skelenox choisit ce moment pour s'immobiliser enfin. Je n'osai pas même déglutir tant ses mains étaient proches de ma peau. J'ignorai si mon cri l'avait stoppé, si c'était les tentatives désespérées de mon pifeuil ou s'il avait tout simplement pris conscience de la situation, mais le pokémon spectre s'éloigna finalement de moi en tenant son masque d'os entre ses mains qui avaient repris la forme d'étoffes noirâtres ondulant au vent.
- Voici l'heure propice aux sorcelleries nocturnes, où les tombes bâillent, et où l'enfer lui-même souffle la contagion sur le monde. Maintenant, je pourrais boire du sang tout chaud, et faire une de ces actions amères que le jour tremblerait de regarder. Doucement ! Chez ma mère, maintenant ! O mon cœur, garde ta nature ; que jamais l'âme de Néron n'entre dans cette ferme poitrine ! Soyons inflexible, mais non dénaturé ; ayons des poignards dans la voix, mais non à la main. Qu'en cette affaire ma langue et mon âme soient hypocrites ! Quelques menaces qu'il y ait dans mes paroles, ne consens jamais, mon âme, à les sceller de l'action.

La complexité de la tirade suspendit pour quelques secondes ma panique. Une énième fois la traduction dans un langage moins ampoulé n'aurait pas été inutile, mais je crus comprendre l'essentiel du discours de Skelenox. Ce dernier paraissait sincèrement horrifié de son comportement, au point que Malachite cessa d'essayer de me protéger. Pas que cela ait été très efficace, mais je saluai mentalement l'intention de mon pokémon, qui lui ne semblait pas envahi par la panique.
Skelenox n'osait plus me regarder dans les yeux, manifestement honteux de son attitude précédente. Je n'osais plus m'approcher de lui mais sentit ma trouille diminuer d'un cran, j'allais peut-être réussir à sortir de ce cimetière sans m'être évanouie finalement.
Le spectre flottant était sur le point de reprendre la parole, mais il se ravisa finalement et commença à s'estomper sans ajouter un mot. Je le retins une ultime fois, le sortilège me forçant à exprimer ma pensée ne me permettant pas de me taire.
- Attends ! Merci quand même pour tout. Dis-moi, pourrais-tu... garder pour toi notre conversation ?

Skelenox suspendit son départ, le temps de me lancer un dernier sourire amusé accompagné d'un regard de nouveau empreint de bonté.
- Sois sûre que, si les mots sont faits de souffle, et si le souffle est fait de vie, je n'ai pas de vie pour souffler mot de ce que tu m'as dit.

Après une dernière réponse ridiculement complexe par rapport à la question posée, il s'évanouit totalement dans les airs.
Je sentis aussitôt les restes de l'enchantement qui pesait sur moi se dissiper. Ma sueur était glacée sur tout mon corps, je claquais des dents et me sentais nauséeuse tant j'avais la trouille de ce qui allait bien pouvoir nous arriver maintenant. Il restait un dernier point à vérifier, mais cela n'allait pas être très compliqué. Je me tournai vers Malachite et lui adressai quelques mots.
- Tu as toujours été débordant d'énergie.

C'était bon, je n'étais plus forcée de dire la vérité.
Mon pifeuil m'observait avec circonspection après ma dernière phrase, s'attendant certainement à ce que je perde définitivement la tête d'une seconde à l'autre, lorsque je pris conscience du vrai problème qui nous restait.
Skelenox avait disparu, soit. Ce n'était pas le cas des autres pokémons spectres du cimetière, ceux-là même qui ne cessaient de me regarder d'un air gourmand depuis leur apparition à la tombée du jour. Maintenant que la nuit était tout à fait installée et sans notre protecteur, je ne donnais pas cher de notre peau.

Comme toujours lorsque j'avais un mauvais pressentiment, la suite me donna raison. Ce furent d'abord quelques fantominus qui commencèrent à nous tourner autour, vite rejoints par leur frère spectrum aux longs doigts crochus. Malachite se trouva importuné par un munja qui, sans avoir l'air particulièrement agressif, considérait apparemment la feuille de mon pokémon comme un repas potentiel. Ce qui n'était bien évidemment pas du goût de mon pifeuil si soigneux de la pousse sur sa tête. Lorsqu'il envoya une claque bien sentie à l'insecte, j'eus au moins le plaisir de constater qu'elle fit voler le munja à quelques mètres. Tous les pokémons spectres des environs n'étaient donc pas des morts, ce qui nous laissait une petite chance d'en venir à bout.
En revanche la gifle que prit le munja sembla l'énerver au plus haut point, ainsi que ses congénères spectres. Les différents fantômes violets devinrent soudainement agressifs envers moi après ce coup, tandis que l'insecte spectral revenait à la charge de Malachite avec un cri furieux. Mon pifeuil n'eut pas grand-mal à renvoyer le munja de là où il venait d'une seconde gifle, sa feuille était apparemment un sujet plus sérieux que ce que je supposais.
Mon pokémon vint ensuite écarter les fantominus qui allaient fondre sur moi, mais eu plus de mal se débarrasser du spectrum. Je craignais que d'autres assaillants ne viennent, et déjà la nuée des petits spectres vaporeux se reformait au-dessus de nos têtes. Le spectrum prenait un rôle de commandant des troupes et dirigeait ses jeunes frères contre nous, leur charge allait se produire d'une seconde à l'autre. Quant au munja, il restait désormais loin des mains de mon pifeuil mais ne semblait pas vouloir abandonner l'assaut pour autant.
Je choisis ce moment fort opportun pour me rendre compte que je n'avais aucune fichue idée des attaques que mon pokémon maîtrisait.
- Malachite, euh... attaque efficace !

Mon ordre fit totalement oublier à mon pifeuil l'imminence des attaques, le faisant même se retourner pour me lancer un regard aussi abasourdi que dépité. Qu'aurais-je pu lui ordonner d'autre, de toute façon ?
Les spectres choisirent ce moment pour foncer sur mon pokémon, leur vue plongeant sur nous me faisant de nouveau hurler comme si on m'égorgeait.
- On va mourir, on va tous définitivement mourir, mais où est Onix !

Malgré les bons sentiments de Malachite qui tentait de me protéger sans ordre de ma part, je préférai choisir la sécurité pour une fois et pris mes jambes à mon cou. Mon pifeuil suivit le mouvement derrière moi, lançant quelques attaques en courant que j'entendis sans les voir.


C'était miraculeux que je ne me sois pas encore vautrée dans les ronces et autres orties du plus bel effet présentes en bordure du chemin sur lequel nous courions. Pour ne rien arranger, les nombreux virages étaient toujours sur le point de me faire perdre le peu d'équilibre qui me restait, je pressentais la catastrophe. J'entendais encore Malachite derrière moi, au moins il ne s'était pas perdu, mais également nos poursuivants qui ne paraissaient pas pressés de lâcher l'affaire.
- Oniiiiiiix !

Manifestement mon pifeuil n'était pas de taille seul, et mon meilleur allié depuis toujours demeurait mon malosse. Bien entendu, c'était lui que j'avais envoyé loin de nous pour couvrir plus de terrain. Plus jamais de séparations, si on parvenait à s'en sortir plus jamais de séparations lors de nos prochaines missions.
J'entendis enfin l'aboiement salvateur d'Onix, qui volait à ma rescousse. Il émit d'autres cris furieux à l'attention des spectres, que je crus sentir s'éloigner de moi. Malachite n'était plus juste derrière moi, en me retournant je le vis arrêté sur le sentier et décidé à affronter nos poursuivants. Onix arrivait à fond de train d'un autre endroit du cimetière, sur le point de prendre part au combat engagé par mon pifeuil qui avait déjà réussi à faire piler les spectres. Je constatai que le munja s'était trouvé des copains, et voulut en avertir mon pokémon dangereusement exposé par son double type.
- Malachite !

Les quelques feuilles qu'il venait d'envoyer à ses assaillants n'avaient effectivement pas pu atteindre les insectes, mais avaient totalement stoppé la poursuite. Cela laissa le temps à mon malosse de rejoindre son coéquipier, je n'avais jamais été si contente de le voir revenir vers moi.
- Onix !

Une ou deux attaques de mon équipe, et la menace se trouva écartée aussi vite qu'elle était apparue. Les spectres s'enfuirent à toute vitesse dans la direction d'où ils étaient venus, ce qui me permis de courir vers mon malosse adoré pour manquer de lui tomber dessus avant de passer mes bras autour de son cou avec un bon début d'hystérie.
- Oh Onix ! C'était une très mauvaise idée de se séparer ! C'était horrible !

Je décidai de le lâcher avant de tremper sa fourrure de sueur et de larmes, Onix détestait être poisseux. Déjà que nous étions suffisamment poissards à nous deux, autant ne pas en rajouter.
Ma voix tremblait allégrement tandis que je tentai de lui faire un résumé exhaustif de nos mésaventures.
-Je suis tombée dans un grand trou tout humide, je crois qu'ils veulent creuser un nouveau caveau énorme et souterrain à partir de là, et un Skelenox est apparu près de nous avec un vrai masque de squelette ! Il a joué avec un crâne d'ailleurs, mais bref. C'était lui que j'avais pris pour le guerrier squelette maudit juste après qu'on se soit séparés, pour parler il n'arrêtait pas de faire de la poésie d'ailleurs on a entendu une vraie prophétie incompréhensible et tout. Ensuite le soleil s'est couché, il s'est énervé et a voulu m'attaquer, et après j'ai glissé sur une tombe où il y avait presque mon nom mais pas tout à fait, Skelenox a disparu mais les spectres sont arrivés, Malachite a voulu me défendre mais je connaissais pas ses attaques, alors on s'est enfui pour te retrouver mais...

Je reniflai bruyamment, j'allais finir par m'enrhumer histoire de terminer cette aventure en beauté. Onix n'avait pas l'air d'avoir compris grand-chose de mon discours que je venais de débiter à toute vitesse, me regardant avec un œil vitreux. Je pris une grande inspiration et tentai de m'expliquer.
- Me regarde pas comme ça, c'est pas de ma faute si je ne connaissais pas les attaques de Malachite ! Si tu savais comme je suis contente que tu nous aies retrouvé, c'était vraiment trop bizarre sans toi, j'ai décidé qu'on ne se séparerait plus jamais pendant une mission d'ailleurs !

Je poursuivis quelques instants d'épancher ma soif de conversation normale sur mon pauvre malosse qui après tout n'avait rien demandé, et qui finit par interroger Malachite pour avoir sa version des événements. Mon pifeuil se contenta de quelques cris, ne tenant sans doute pas à revivre plus que nécessaire une rencontre aussi étrange. Lorsque je m'estimai enfin suffisamment calmée, ce qui n'alla pas sans peine, je me mis à examiner l'endroit où nous étions arrêtés. Il m'évoquait quelque chose.
- Hé mais, je crois que je reconnais cet endroit ! Il y avait l'épitaphe marrante... Donc la sortie est là bas... Allons nous-en, allons chercher cette théière ailleurs !

Nous avions parcouru plus de distance que je ne pensais avec Skelenox, et assez peu lors de notre fuite des spectres tout compte fait. J'étais un peu déçue qu'Onix ne m'ait pas apporté la théière pour compléter son sauvetage héroïque, mais je ne pouvais exiger de lui ce que je n'avais pas pu accomplir moi-même.
J'allais proposer de fouiller les mausolées des plus riches, certainement le dernier endroit que nous n'avions pas exploré de tout le cimetière, lorsque nous tombâmes inopinément sur un groupe entier près de l'entrée.
Mais depuis quand les cimetières en pleine nuit étaient-ils plus fréquentés que les places de marchés à midi ?!

Je voyais donc des sortes de peignoirs gris dissimulant les traits du petit groupe d'humains, accompagnés de deux wattouats dont la laine étincelait au clair de lune. Des encensoirs qui enfumaient très efficacement l'atmosphère, ainsi qu'un grand drap blanc orné de symboles cabalistiques.
Je vis des signes provenant de cultes divers, des noms multiples pour un même Légendaire. Darkrai d'abord, le Cauchemar, l'Ombre de la Terre, la Terreur des Vivants, le Passeur des Morts. Giratina ensuite, l'Oublié, le Maître du Monde Inversé, le Grand Traître, Celui-que-jamais-vivant-ne-comprendra. Quelques autres symboles païens, têtes de pokémons ténèbres et spectres.
Super ambiance ce soir, jamais plus je ne dirais qu'une mission semble trop facile ou ridicule. On n'a pas idée des dangers à courir pour récupérer une malheureuse théière de nos jours.
Ni mes pokémons ne moi ne savions comment réagir, pas plus que les inconnus encapuchonnés apparemment. C'était certain qu'interrompre leur rituel en plein milieu de la nuit ne devait pas arriver souvent.
- Heu... bonjour, finit par lancer un des capuchons.

Je n'étais pas certaine que le terme soit approprié à cette heure, ce qui n'aurait pas dû être mon principal souci pour le moment. Comment mon esprit se débrouillait-il pour se concentrer toujours sur les petits détails insignifiants ?
La voix qui venait de m'adresser la parole était très certainement celle d'un adolescent, oscillant de manière irrégulière entre le grave et l'aigu. J'étais heureuse de n'avoir pas eu à traverser cette épreuve lors de ma jeunesse, les autres membres de la Guilde avaient bien assez de sujet de railleries me concernant sans y ajouter la mue de ma voix de flippée maladive.
J'étais donc tombée sur une bande de jeunes abrutis en train de jouer aux apprentis invocateurs de démons. Super, manquait vraiment plus que ça.
- Oui, bonjour... Heu... désolés, on ne fait que passer...

Autant se montrer polie, des fois que tous leurs bidules marchent vraiment. Si je pouvais éviter de me retrouver avec un esprit démoniaque sur les bras en prime, c'était toujours ça de gagné.
- Y a pas de mal, y a pas de mal, on se préparait juste au rituel...
- Ah... Bon... C'est pas... dangereux, hein ? Vous n'allez pas invoquer de guerrier squelette maudit ?

Qu'est-ce que j'avais avec ça, moi ? Celui qui paraissait diriger le groupe voulut me rassurer à coup de voix mystique ratée.
- Oh non, juste les trucs habituels, vous savez, invoquer Arcéthulhus, faire un sacrifice et communier avec les Puissaaaaances de notre Mèère Natuuuure !
- Vous allez faire un sacrifice !?

Ceci expliquait au moins la présence des wattouats, que je plaignais d'être tombés sur des humains pareils. Encore que les braves petits pokémons paraissaient plus résignés qu'affolés, peut-être ne comprenaient-ils pas ce qui les attendait.
- Ben pas vraiment, frère Ichabod a juste emprunté les wattouatts à son père en lui disant qu'on allait rendre visite à ma grand mère... mais on va pas les sacrifier, parce que c'est super salissant, pis on aura plus rien pour se défendre si des fantômes arrivent, alors heu... On les tond un peu et ça fait tout comme !

Ah. Finalement les wattouats étaient bien blasés. Je cherchais le regard d'Onix qui observait les boules de laine d'un œil qui pouvait être gourmand, c'était vrai qu'après toutes nos aventures un bon mouton grillé ne serait pas de refus.
J'hésitai encore sur la réponse à donner aux glandus en herbe finalement pas dangereux pour un sou, lorsque Malachite me tira la manche pour me désigner du doigt un des frères peignoirs. Le jeune idiot restait en retrait, tenant dans ses mains...
- Oh, dites, cette théière... !

Si seulement cette rencontre pouvait ne pas avoir servi à rien, on aurait au moins pu voir la fin de nos aventures nocturnes dans cet endroit que je commençai à connaître un peu trop bien. Le chargé de la théière, qui s'avéra être une femme, répondit à mon exclamation en agitant son ustensile au risque de renverser son hypothétique contenu.
- Ca ? C'est pour préparer la Poootion Sacrééée de Coooomunion avec notre Mèèèère Natuuure ! Chouette hein ? C'est ma tante qui me l'a offerte !
- Cette semaine, c'est verveine-menthe ! ajouta son chef. Vous voulez faire partie de notre confrérie ? On accepte aussi les sœurs !

Et voilà le bouquet final de la nuit. Je tentai d'imaginer la tête de mon maître à la Guilde, si je revenais lui annoncer que je m'étais engagée dans une confrérie tondant les wattouats pour les sacrifier et célébrant leurs rituels à grands coups de verveine-menthe.
Je n'arrivais pas à croire que les théières couraient vraiment les cimetières. Et je comprenais un peu mieux le souhait du commanditaire d'envoyer quelqu'un d'autre récupérer la sienne, s'il avait eu affaire ne serait-ce qu'au quart de nos péripéties il avait du estimer ne pas être de taille à récupérer son bien seul.
- Non, c'est gentil, mais je suis en mission là, alors... je vais juste y aller...

Je me hâtai d'entraîner mes pokémons loin de ces illuminés avant qu'ils ne me rattrapent pour me proposer leur Petit Biscuit Sacré à la Cannelle. La place de l'arche était en vue, lorsque je parvins enfin à songer qu'ils n'étaient pas si méchants après tout. Débiles, mais pas méchants.
- Bah, je suppose que chacun à ses goûts en matière de jeux...


Retour à l'entrée du cimetière pour nous donc, la journée avait encore une fois été très productive. Ironie quand tu nous tiens. Je ressentais le besoin d'ouvrir mon cœur à mon équipe, effet secondaire de ma rencontre avec le Skelenox poète sans doute.
- Nous revoilà au point de départ, et on n'a toujours rien trouvé... On n'a qu'à passer entre les tombes et regarder si on trouve une théière...

Cet endroit ne me disait pas grand-chose, il y avait de bonnes chances pour que nous l'ayons raté lors de nos recherches. Il fallait bien reconnaître également que lors de mon échange avec Skelenox je n'avais pas porté une grande attention à la théière perdue, mais je ne me sentais vraiment pas le courage de retourner dans cet endroit infesté de spectres. Après nous être séparés une fois de plus, mais en restant cette fois dans des allées voisines, nos fouilles recommencèrent de plus belle.
Cette énième tentative se solda par un échec, pour ne pas changer. Le temps d'explorer correctement le coin, la nuit était devenue suffisamment sombre pour me permettre de sortir ma lanterne sans trop passer pour la pire des trouillardes. Pour peu qu'on songe aux limites physiques des yeux humains bien sûr.
De nouveaux réunis sans le précieux sésame, nous commencions à être à court d'options. Il restait bien les mausolées des plus riches, mais hors de question de les fouiller avec une lanterne éteinte.
- Je propose qu'on aille s'asseoir au pied de la statue là-bas le temps que je l'allume...

Onix et Malachite me suivirent docilement jusqu'au pied d'une statue située bien en évidence au sommet du cimetière, que nous n'avions pas pris le temps de venir admirer à l'aller. Elle représentait un homme au nez en forme de patate rebondie, une clé symbole de ses fonctions dans la main gauche. La droite était posée sur un ventre si énorme que le sculpteur avait la délicatesse de représenter les boutons de l'habit sur le point d'éclater. Placée ainsi face à l'arche de l'entrée, cette œuvre devait représenter un personnage important. Je me penchai pour lire la plaque qui y était associée.
- Ah, c'est la statue du gouverneur qui a baptisé le cimetière... Effectivement, il a vraiment l'air d'un pochetron...

Dommage que la couleur de la pierre ne rende pas davantage hommage à ce nez, qui devait être rouge coquelicot du vivant de cet homme. Je finis par m'asseoir sur le socle de la statue, sortant mon briquet à silex pour enfin allumer ma lanterne histoire de voir où j'allais mettre les pieds, lorsqu'Onix nous appela à grands cris depuis l'autre côté de la statue. Je me relevai pour suivre Malachite qui filait vers le bruit, trouvant bientôt mon malosse en arrêt.
- Qu'est-ce qu'il t'arrive Onix ! Oh ! La théière !

Il aurait suffi d'une trentaine de pas pour tomber sur ce que nous étions allé chercher à l'autre bout de ce foutu, foutu cimetière !
J'allais étreindre mon brave pokémon qui avait enfin mis la patte sur le but de notre mission, lorsque je me rendis compte que nous avions un problème.
- Mais... il y a aussi des tasses... il y a même un sucrier ! Qu'est-ce que je dois faire ? demandais-je à haute voix en ressortant mon ordre de mission tout froissé. Hm, l'annonce dit bien qu'il s'agit d'une théière, pas d'un service à thé... Qu'est-ce que je dois faire ? Est-ce que je dois aussi ramener les tasses ? Mais si elles appartiennent à quelqu'un d'autre, et que ce quelqu'un vient, il ne retrouvera pas ses tasses... Pas vrai Onix ? Mais d'un autre côté, si je ne prends pas les tasses et qu'elles vont avec la théière, je n'aurais pas rempli ma mission... ou alors je serais obligée de revenir. D'un autre côté, l'annonce dit bien qu'il faut aller chercher UNE théière... Hm, il y aura peut-être une prime de récompense pour les tasses ? Que faire, que faire ? Cette situation mérite vraiment une analyse approfondie...

Malgré tout ma bonne volonté, le problème ne se résolut pas de lui-même dans la demi-heure qui suivit. J'avais toujours trop d'objets pour remplir ma mission, après n'en avoir pas eu assez pendant pratiquement toute la journée. Je continuai d'émettre des hypothèses à voix haute, espérant un éclair de génie secourable de la part de mes pokémons, mais ils montraient plutôt un visage davantage dépité à chaque seconde qui passait. Je pouvais les comprendre, vu la poisse qui nous collait au train pour notre première vraie mission en équipe.
Ma lanterne enfin allumée projetait de grandes ombres autour du service à thé toujours posé par terre, que je ne me lassais pas d'observer. J'espérais, je ne sais pas, un miracle, que le sucrier ou l'une des tasses se mette à parler pour me dire quoi faire.
Malachite faisait un petit tour dans les environs, apparemment on ne lassait pas un pifeuil de la promenade aussi facilement. J'avais personnellement les jambes en charpie, le dos en lambeaux et beaucoup de mal à comprendre mon dernier pokémon en cet instant. Onix lui, préférait rester près de moi, se contentant d'écarter les quelques spectres trop entreprenants qui s'approchaient de nous. Brave malosse, j'en avais au moins un qui me comprenait et qui était crevé en même temps que moi.
Je ne le vis pas s'éloigner, trop concentrée sur la vaisselle posée là, mais je relevai la tête en entendant les cris tous proches de Malachite. Il s'adressait manifestement à Onix, qui semblait gratter méticuleusement le sol autour de la tombe la plus proche.
- Qu'est-ce que vous faites ? Onix !
- Mal malo malosse !
- Mais ça va pas de creuser pour déterrer les tombes ! C'est mal !
- Malosse mal malosse ! Maaal malosse osse osse mal, malooosse mal losse !
- Franchement, Onix ! Me dis pas que tu veux déterrer un os !
- Malosse mal, osse osse losse !
- C'est d'un mauvais goût !
- Losse, mal maaaal malosse !

Je sentais que c'était le moment d'affirmer mon autorité naturelle. Je regardai donc droit dans les yeux mon malosse barbouillé de terre, je croisai les bras et pris mon visage le plus sévère pour le houspiller.
- Ne discute pas ! C'est mal de déterrer les morts, alors tu laisses ces os là où ils sont ! Je ne veux pas que tu réveilles un guerrier squelette maudit ! Ou pire, un skelenox qui fait de la poésie ! Tu auras à manger ce soir, mais là, j'ai un problème plus important sur les bras !

C'était bien vrai que cela suffisait, les prophéties incompréhensibles qu'on avait même pas le temps de noter. J'essayai d'accélérer mes réflexions sur la théière histoire de contenter au plus vite l'estomac de tout le monde, Onix n'ayant tout de même pas tort sur le fond. J'en étais encore à me demander quoi faire, ne prendre que la théière, prendre le tout et laisser un petit mot, ne rien prendre et aller demander des précisions, lorsque mon malosse revint d'un pas décidé vers moi, suivi de mon pifeuil.
- Malosse !

Obéissant à ce qui semblait être un ordre, Malachite s'empara de mon sac qu'il ouvrit en grand puis commença à y insérer les éléments du service à thé que lui tendait Onix au fur et à mesure.
Trop ébahie pour réagir dans un premier temps, j'entamai mon refrain favori de protestations « maikéskevoufaiteçavapas » alors que mes pokémons terminaient pratiquement de caser la vaisselle avec le reste de mon bazar. Finalement Malachite se retrouva avec une cuiller et la dernière tasse impossible à faire rentrer dans mon sac plein dans les mains, Onix attrapa la théière par une anse qu'il cala entre ses crocs et ils se dirigèrent ensembles vers la sortie en m'ignorant superbement.
- Mais attendez ! Hé ! Et si ça appartient à quelqu'un ! Hé !

J'allais rattraper mes pokémons, lorsqu'ils tombèrent sur ce que j'espérais être notre dernière rencontre dans ce cimetière. Je savais qu'un dresseur devait traditionnellement se placer devant ses pokémons, mais curieusement cette fois je ne me sentais pas très chaude pour m'avancer.
L'homme en question était donc vêtu assez misérablement de frusques répugnantes de saleté, couleur boue indéfinissable, laissant voir la déformation très marquée de son corps bossu. Il était chauve et ses yeux ne se fermaient jamais en même temps, ni n'avaient exactement la même taille. Pour compléter ce tableau grotesque, sa tête se balançait au rythme de sa marche sans qu'il le contrôle apparemment, formant un contraste morbide avec le manche immobile de la pelle jetée sur son épaule. J'éprouvais soudainement une grande sympathie pour ma lanterne délicieusement inanimée en voyant le mélancolux dans sa main, et Malachite m'apparut plein de vie face au viskuse qui suivait l'inconnu.
- Tiens tiens, on se balade au clair de lune ? m'apostropha le bossu d'une voix doucereuse.
- Heu... je rentrais justement, commençais-je de ma voix la moins assurée. J'étais juste venue... chercher un truc.

Il manquait plusieurs dents à l'homme, ce qui le faisait siffler plus qu'autre chose quand il parlait. J'ignorai ce qui me donna le courage de poser ma question, je me sentais proche de l'évanouissement.
- Qui... qui êtes-vous ?
- Je suis Igor le fossoyeur ! se présenta l'inconnu avec un entrain inattendu. C'est l'heure de ma tournée, petite ! Mais si tu veux que je creuse quelque part, c'est 20 piécettes d'argent, héhéhé...
- Bonne tournée alors !

J'avais préféré abréger l'entretien avant de perdre le peu de voix qui me restait. Son ricanement avait fait couleur la sueur de plus belle le long de mon dos, et en m'éloignant à toute vitesse avec mon équipe j'entendis un rire qui me figea le sang dans les veines. Je n'osais pas me retourner, et tant pis pour les propriétaires du sucrier et des tasses s'ils ne les retrouvaient pas là où ils les avaient laissé. Ils n'avaient qu'à se taper le Skelenox de trois siècles, les adeptes de la tonte rituelle et le déterreur de cadavres.


Enfin revenue dans le monde des vivants, je m'étais dit que rentrer avec la récompense serait préférable au fait de rapporter une simple théière. Surtout que je n'avais pas spécialement envie de crapahuter encore une fois par toute la ville demain matin pour aller rendre son bien à la famille Beaubois. Leur manoir était tout proche, autant y aller maintenant et s'accorder une autre grasse matinée en compensation de notre escapade nocturne. Vraiment, je ne comprendrais jamais les autres membres de ma Guilde qui aimaient aller s'éclater au clair de lune pour entretenir ensuite leur teint maladif à l'ombre des bâtiments poussiéreux du lever au coucher du soleil.
Ne restait qu'un tout petit détail à régler avant d'aller au manoir.
- Je ne vais quand même pas me présenter couverte de boue, avec les cheveux dans cet état ! En plus je suis sûre que j'empeste le squelette à des kilomètres !

Si je me souvenais bien, le chemin que nous empruntions n'était pas loin d'un étang suffisamment isolé pour que je ne sois pas reluquée par le premier manant venu, surtout à cette heure où tout le monde dormait. Quelle bonne idée.
Nous arrivâmes effectivement sur la berge sans encombre supplémentaire, enfin un truc qui se passait comme prévu. Il ne serait pas inutile que je m'occupe aussi de mes pokémons, à force de partager ma poisse il n'était pas dans un état beaucoup plus reluisant que moi. Je supposai que je devais déjà m'estimer heureuse que personne ne soit blessé.
Sur le point d'entrer dans l'eau, je me mis à fouiller au milieu des tasses et autres cuillers pour finalement mettre la main sur le morceau de savon que je brandis fièrement.
- Regarde Onix, j'ai été super prévoyante cette fois ! J'ai tiré des leçons de nos précédentes aventures !

Il fallait bien dire que j'en avais un peu marre de rentrer à la Guilde couverte de boue. J'ôtai successivement mes différentes couches de vêtement, frissonnant dans la brise nocturne, puis posai à côté ma lanterne histoire de retrouver le tout dans l'obscurité.
Mes premiers frissons ne furent rien comparés à ceux qui me prirent quand j'entrai dans l'eau. Bordel, ce que c'était froid ! Pourquoi aucune de nos missions ne comportait un bain bien chaud ?
Je me mis à frotter mes habits pour oublier le froid de la nuit, essayant maladroitement de faire disparaître les traces de ma maladresse légendaire. Je parvenais ensuite, péniblement, à entrer dans l'étang jusqu'à la taille. L'eau me délassait malgré sa température, j'aimais me sentir flotter au lieu de courir comme nous avions pris l'habitude de le faire ces derniers temps.
- Onix, tu me sèches mes habits pendant que je me lave ! Vise bien les endroits mouillés pour ne pas les brûler !

J'allais tenter de m'immerger davantage dans l'eau fraîche, lorsque je me fis la remarque que ce moment au moins était agréable au fil de notre mission.
J'aurais dû voir venir la suite. J'aurais tellement dû le voir venir.
- Oh c'est vous ! Comme je vous retrouve ! Vous êtes ma naïade sortie des eaux !

Je vis à ce moment, horreur suprême, un homme sortir du bois et venir plus près de moi. Bien entendu ça ne pouvait pas être n'importe quel paysan standard qui se serait enfui en voyant mon malosse entraîné à mordre, il avait fallu que ma route croise celle du chevalier à la manque déjà vu à l'entrée du cimetière. A ce moment seulement je pris conscience de la situation dans son entier, moi dénudée, entièrement dénudée, éclairée par un croissant de lune traîtreusement lumineux, sans même le secours de l'eau pour cacher mes formes qui n'y étaient pas encore entrées au-dessus du nombril.
Mon premier cri fusa, suivi d'un autre plus long et plus aigu. Je cherchai désespérément un moyen d'échapper aux regards, ce qui n'était pas évident à trouver au milieu d'un étang. N'ayant rien de mieux je dissimulais ma poitrine de mes bras autant que je le pouvais, reculant dans l'eau pour m'éloigner aussi vite que possible de l'importun.
Ce fut exactement au moment où le peu de neurones qui me restaient se reconnectèrent pour suggérer de me calmer un peu, que mon pied glissa sur une pierre couverte de vase et me fit soudainement trébucher dans l'eau noire. La chute avait été si brutale, sans compter que l'étang était en pente, que ma tête alla jusqu'à cogner assez durement une autre roche faisant saillie au fond.

Alors que je m'efforçai de remonter à la surface dans un premier élan de panique, ce choc de ma tête avec la roche provoqua une sorte de faiblesse comparable à un début d'évanouissement qui fit se relâcher tous les muscles de mon corps, et me laissa retomber vers le fond de l'étang.
- Onix !

Ce fut tout ce que j'arrivais à prononcer avant de perdre pied, gâchant le peu d'air que j'avais réussi à récupérer par ma remontée.
Je me débattis quelques instants qui me parurent une éternité, voulant revenir à la surface qui semblait au contraire s'éloigner. Pourquoi ne pouvais-je pas agiter les bras, les jambes comme d'habitude et simplement nager ? L'eau glacée me paraissait être autant de pointes qui s'enfonçaient dans ma chair, me brûlant tant elles étaient froides. Ce qui était assez paradoxal d'ailleurs, je me faisais la remarque chaque fois qu'on décrivait une sensation de gel comme une brûlure. Je comprenais mieux maintenant. Mais comment mon esprit faisait-il pour toujours se focaliser sur les trucs insignifiants dans les moments de crise ?!
L'eau pénétrait dans mon nez, dans ma bouche, se répandait peu à peu dans mes poumons. Je connaissais le processus opéré lors d'une noyade, mais aucun enseignement théorique ne préparait à cette sensation insupportable d'étouffement. Mes voies respiratoires étaient supposées me soulager lorsqu'elles étaient ouvertes, le principe même de la respiration, pourquoi n'était-ce pas le cas maintenant ? Pourquoi ces flammes dans mon nez, pourquoi cette tempête dans ma gorge ? Comment pouvait-on suffoquer sous l'eau tout en sachant parfaitement nager ? C'était absurde, totalement absurde...
Mes membres étaient de nouveau agités de mouvements, convulsifs plus qu'autre chose cette fois. Mes paupières commencèrent à se fermer, je ne voyais de toute façon plus qu'un brouillard noir parfois entrecoupé de points lumineux.

J'allais m'abandonner à l'inconscience qui m'appelait, lorsque je sentis une vive douleur sur le sommet du crâne. Je fus au même moment tirée à toute vitesse vers le haut, pour autant que j'ai gardé une idée assez précise des directions.
Si c'était ça la mort, ça partait aussi mal que ma vie avait fini. You-pi.

Je sentis enfin qu'on m'arrachait à l'élément liquide, j'ouvris les yeux pour découvrir la Lune haut dans le ciel. Une masse indistincte se tenait près de moi, je l'agrippai comme je pus et me laissai porter vers la berge. Mes bras puis mes jambes semblèrent finalement se souvenir de la marche à suivre pour nager, j'osais quelques mouvements qui auraient sans doute été parfaitement inutiles sans l'intervention miraculeuse de mon sauveur encore indéfini. Plus grand qu'un humain, cela au moins était sûr, et quadrupède pour autant que je pouvais en juger.
Le truc en question finit par me déposer sur un sol dur, où je m'occupai immédiatement de recracher la moitié de l'étang. Si je pouvais en profiter pour remplacer toute cette flotte par de l'oxygène, à tout hasard, je ne serais pas contre.
Je sentis du tissu se poser sur mon corps toujours nu et maintenant trempé, mes vêtements peut-être ? Encore que l'étoffe me couvrait un peu trop bien pour que ce soit ça. J'entendais Onix gémir près de moi, et finit par le voir à mes côtés ainsi que Malachite. Le mystère s'épaississait concernant celui qui m'avait couverte donc. Je tentai une phrase entre deux inspirations sifflantes et trois expirations crachotantes.
- J'arrivais pas... à... trouver le haut... arrêtais pas de suffoquer....

Mais qui me tapait le dos à la fin ?! Non pas que ce soit totalement inefficace à bien y réfléchir, l'eau glacée en sortait plus fort de mes poumons meurtris. Je me tournais à demi vers le mystère numéro deux, juste derrière la créature qui m'avait sorti de l'étang, mais ne parvins pas à percevoir grand-chose dans l'égarement relatif où cette énième preuve de mon incompétence m'avait laissée.
- Vous... vous êtes qui d'abord ?
- Je suis Ernest-Arthur Wilfried de Clairecieux !

Ernest-combien de noms de quoi ? J'allais lui demander de répéter, persuadée d'avoir mal entendu, lorsque les rouages se mirent en place. Et que je me retrouvais donc au pied du chevalier de pacotille responsable de ma presque noyade comme de mon sauvetage apparemment, très fier de lui. En slip. Bleu. Orné de dentelle.
Oh Légendaires, tuez-moi.
Je me relevai tant bien que mal, tentant de ne pas le laisser voir plus que ce qu'il avait déjà découvert de mon intimité. Maintenant j'étais vraiment fâchée. Je pointai vers lui un doigt accusateur dès que je me retrouvai debout sur mes deux pieds.
- Ah, et qu'est-ce qui vous a pris de venir me reluquer comme ça, hein ? Vous croyez que votre statut de noble vous permet tout, que vous pouvez profiter des donzelles du petit peuple !
- Je n'ai voulu que vous sauver !
- Je n'avais pas besoin d'être sauvée ! C'est à cause de vous si j'ai failli me noyer ! Si vous n'aviez pas débarqué pour me reluquer je n'aurais pas perdu pied !
- Mais, je voulais simplement faire boire mon haydaim !
- Ah, c'est facile comme excuse ! Et vous attendez quoi, que je me change devant vous ?

J'eus au moins la satisfaction de le voir s'empourprer généreusement à cette dernière remarque, et surtout de déporter son regard ailleurs que sur mon corps. En l'entendant citer son haydaim je compris au moins qui m'avait tiré de l'eau, et de deux mystères éclaircis en moins de trente secondes. Il faudrait peut-être que je songe à me reconvertir en enquêtrice privée à l'occasion.
- Mais, mais non ! Je...
- Onix ! Vire-moi ce pervers ! Flammèche !

Après tout je possédais des pokémons moi aussi, je ne voyais pas pourquoi j'hésiterai à m'en servir. Bien que je ne lui aie donné aucun ordre, Malachite se joignit promptement à son coéquipier qui s'en donnait à cœur joie pour faire déguerpir l'importun. A peine laissèrent-ils le temps à la petite équipe de récupérer les affaires du chevalier laissées un peu plus loin. Pourquoi s'était-il déshabillé d'ailleurs, puisqu'il avait envoyé son pokémon me récupérer ? Ce n'était tout de même pas pour... Ooooooh ! Je n'en étais que plus reconnaissante envers mon équipe, qui était finalement assez efficace lorsqu'il s'agissait de tout casser ou de foncer dans le tas.
- Onix ! Et toi aussi Malachite ! Vous m'avez sauvée !

Et d'un destin peut-être plus cruel que ce qu'ils auraient imaginé. Encore envahie de ces tristes réflexions, avec la rage au cœur pour ces privilèges que s'attribuait sans vergogne la noblesse, j'enfilais rapidement mes vêtements histoire qu'un autre incident de ce genre ne se reproduise pas de sitôt. D'ailleurs je ne comptais plus les enlever ailleurs que dans une pièce fermée à clé de l'intérieur, où il n'y aurait que moi. Avec mes pokémons, éventuellement.
Le temps de faire entrer de force dans mon sac la tasse récalcitrante que Malachite tenait jusque-là, d'attraper théière et lanterne, et nous étions repartis pour le manoir. Je n'avais plus qu'une hâte, voir enfin le dénouement de nos aventures et mon lit.


Je déglutis un bon coup, puis tendis la main vers le heurtoir sur la porte imposante. Le manoir était encore généreusement éclairé à cette heure, et un majordome vint rapidement me répondre. Son expression neutre des premiers abords se changea vite en air dédaigneux lorsqu'il détailla ma tenue, mon allure et mon équipe. Quand on n'avait pas un seul pokémon, on évitait généralement de l'ouvrir sur le sujet.
Je lui expliquai rapidement le but de notre visite, ce qui le fit enfin consentir à nous laisser entrer. Il ne tarda pas à nous introduire dans la salle à manger de ses maîtres, qui terminaient leur repas à voir l'impressionnant plat débordant de pâtisseries elles-mêmes dégoulinantes de crème. J'avais faim, et mon estomac n'allait pas tarder à le faire savoir à la cantonade.
Je tentai de ne pas détailler trop longuement les lieux, ce qui aurait été une marque de mauvaise éducation, mais ce n'était pas l'envie qui me manquait. Tout exsudait l'opulence, du lustre monumental suspendu au-dessus de la table aux rideaux vaporeux en passant par le tapis précieux aux tons exotiques couvrant le sol. Les meubles marquetés étaient bien entendu tous assortis, sortant probablement du même atelier, les couverts étaient d'argent et la vaisselle de ce que je supposai être de la porcelaine premier choix.
En comparaison, notre quartier général à la Guilde n'en paraissait que plus morbide et prêt à tomber en poussière tant il était curieusement entretenu. Je me promis mentalement qu'un jour, je quitterai cette fichue Guilde Ténèbres avec toute mon équipe la tête haute pour aller vivre dans un endroit aussi splendide que celui-là.

Le comte et sa femme, entourés de leur fils et de leurs deux filles, nous observaient donc venir avec curiosité. Je vis un couafarel aux pieds d'une des deux jeunes filles, un mélancolux jouant autour du lustre près du plafond, mais surtout l'ignoble chevalier à la manque aux bras duquel je venais d'échapper grâce à mon équipe chérie. Son kirlia assis près de lui, était d'ailleurs le seul pokémon à avoir mérité une chaise.
J'entendis à peine le majordome annoncer le but de mon intrusion si tardive, m'apprêtant à poursuivre mes cris à l'attention de l'aventurier solitaire, lorsque le maître de maison se leva. Le comte, encore bien conservé pour l'âge que lui attribuaient les villageoises lorsqu'elle en parlait, devait avoir du mal à simplement supporter le poids de tout le tissu qu'il portait sur lui. Du bleu, du rouge, de l'or, des motifs à n'en plus savoir que faire et des fils partout pour faire vaguement tenir l'ensemble en place. Lorsque nous aurons notre chez-nous à cinquante pièces, je ne me sentirai pas le cœur de m'engoncer dans un attirail pareil.
- Mademoiselle, je crains qu'il n'y ait méprise. Le chevalier Ernest-Arthur Gauthier de Clairecieux nous a déjà rapporté notre bien.

Je sentis une pierre me tomber dans l'estomac. Comment ça, il leur avait déjà rapporté leur bien ? Il cherchait aussi la théière ?! Et je ne l'avais pas entendu s'appeler Wilfried quelque chose, près de l'étang ?
Je devais avoir le visage décomposé, et je sentais une fraîcheur suspecte au niveau de mes joues. Je n'arrivais pas à articuler un son, malgré mes efforts. J'ouvris la bouche deux ou trois fois inutilement avant de rassembler ce qui me restait de neurones, et désignai la théière à mon interlocuteur.
- Mais, et ça alors ?
- Je regrette, notre théière était en fonte gravée, répliqua le comte avec un hochement négatif de la tête. Un domestique l'avait échappée devant la crypte de nos aïeux lors de notre hommage annuel. J'ignore à qui appartient celle-ci. Hilbert, veuillez raccompagner cette jeune dame.
- Par ici je vous prie, me pressa aussitôt la voix du serviteur.

Je me laissai entraîner vers la sortie sans plus de réaction, repassant par le hall tout aussi magnifique que la salle à manger sans le voir, abasourdie de ce nouvel échec. Nous venions de nous démener pour cette mission, il aurait pu arriver n'importe quoi pour la compromettre, et c'était finalement la seule chose à laquelle je n'aurais pas pensé qui nous mettait en échec ! Entre les spectres, la poésie de trois cent ans, les trous, le noir et les noyades au clair de lune, je n'avais effectivement jamais envisagé qu'un aventurier solitaire puisse me voler la récompense sous le nez. Si peu de commanditaires faisaient appel à la fois aux guildes et aux dresseurs seuls... Mais le comte en avait les moyens bien sûr, rien ne l'en empêchait après tout.
- Attendez !

Oh non, pas lui. Pas encore lui. Je l'avais assez vu pour la journée, pour toute ma vie même.
Je me retournai pour voir le chevalier accourir vers nous comme un bon ponchiot file le train de ses maîtres.
- Belle demoiselle, permettez-moi de...
- Vous ! l'interrompis-je brusquement et avec délectation. Vous avez failli me noyer, et maintenant vous me volez ma mission !
- C'est un malentendu, je...

Je me demandais vraiment ce qui pouvait l'avoir motivé à revenir me les briser encore une fois. Je baissai le regard vers mon équipe, et je compris brusquement en voyant Malachite enroulé dans la cape du malotru, apparemment très content de sa trouvaille. A part s'étaler comme sa dresseuse dans tous les trous que nous croiserons, je n'étais pas certaine de l'intérêt de la chose. Je relevai les yeux vers le chevalier et l'interrompis une nouvelle fois.
- C'est bon, je vais vous la rendre votre cape ! Malachite ! Redonne sa cape au Môôssieur !

Pour une fois qu'il pouvait me servir à quelque chose celui-là. Malachite protesta bien un peu, mais il finit par m'obéir et tendit au kirlia du chevalier une cape déjà bien fatiguée du voyage. Je me moquai bien de l'état dans lequel il récupérait cette partie de sa tenue, surtout que c'était parfaitement inutile à n'importe qui quelle que soit la situation. Je me contentai de tourner les talons et de m'éloigner aussi vite que possible sans courir, ne prêtant attention ni au majordome ni à mes pokémons. Malachite finit par me rejoindre en courant sur le sentier, suivi d'Onix.
- On pourrait se revoir ? Dites, je pourrais vous offrir un verre !

Toujours pas lassé apparemment. En plus il me prenait vraiment pour une pécore mal dégrossie. Je me retournai vers le manoir pour ce que j'espérais être la dernière fois.
- Et qu'est-ce que je ferais d'un verre, j'ai des tasses !

Un dernier soupir dédaigneux, et nous étions cette fois définitivement partis.
Onix se servit de son souffle enflammé pour rallumer ma lanterne, je n'avais pas envie de m'embêter avec mon briquet à silex. Avec ma chance du moment je me serais logé un éclat dans l'œil de toute façon.
- Pi piiiiii pi pi pifeuil, commenta Malachite apparemment aussi déçu que moi. Pifeuil feuil feuil piiii pifeuil...
- Exactement ! Comme si il avait besoin de gagner de l'argent, lui !
- MALOOOOOOOOSSSSSSE ! poursuivit Onix d'une longue plainte.
- Je sais Onix, je sais, mais... On ne va pas se laisser abattre encore une fois... Cette histoire de théière est ridicule ! Comme si les théières couraient les cimetières, comment j'aurais pu savoir ?

Je poursuivis mes plaintes sur mon thème favori du monde trop injuste et méchant avec moi jusqu'à la ville.


Nous nous arrêtâmes à l'entrée de la ville en pleine nuit noire. Je n'avais plus aucune idée de l'heure qu'il était, n'étant sûre que d'une chose : il était trop tard. Je pris quelques minutes pour me préparer, n'ayant absolument aucune idée de rentrer à la Guilde pour une nouvelle réprimande. Comment allais-je pouvoir annoncer ça à mon maître ? Une seule conclusion s'imposait.
- C'était pas de notre faute !

J'entrai dans la ville sur ces sages paroles, accompagnée de mes pokémons sans doute aussi fatigués que moi. Les pokémons spectres étaient légion à cette heure, suivant leurs dresseurs ou batifolant seuls. J'allais finir par en regretter le cimetière moi. D'autres dresseurs issus de ma propre guilde se partageaient les rues avec les membres de la Guilde Spectre, l'heure y étant propice. Certains revenaient de missions comme moi, presque tous chargés d'objets précieux ou d'or comme je le constatai avec un pincement au cœur, mais la plupart des personnes que nous croisèrent partaient à l'aventure. J'accélérai, ne voulant surtout pas croiser de dresseurs connus qui auraient pu se moquer de mon énième échec. Les prochaines heures que je passerais à la Guilde suffiraient largement à m'humilier.
- Mademoiselle, hé, mademoiselle, attendez !

Encore un boulet. Mais comment je faisais pour les attirer comme ça ?!
Je me retournai avec l'air de celle qui se sent prête à lâcher ses pokémons sur n'importe qui, pour voir arriver un homme beaucoup trop âgé pour moi suivi de près par un magirêve. Non seulement je ne l'avais jamais vu avant le sprint qu'il venait de se taper pour me rejoindre, mais en plus il n'appartenait même pas à ma guilde. J'allais l'envoyer paître avec joie, lorsque l'inconnu arrivé à ma hauteur et rouge colhomard pointa du doigt la théière que j'avais gardé dans ma main.
- Puis-je... voir... cette... théière... s'il... vous plaît...

Pressée d'en finir, je lui tendis l'objet d'un geste brusque. Encore que s'il voulait m'en débarrasser pour l'offrir à sa mère ou à une vieille tantine, je n'étais pas contre.
- C'est elle, c'est bien elle ! prononça-t-il d'une voix absolument enchantée qui me fit froncer les sourcils.
- Quoi ?
- Vous l'avez retrouvée ! C'est notre Pot aux Larmes !

Son quoi ? La précision ne m'aidait pas beaucoup. J'allais lui demander plus de précisions, contente d'avoir au moins retrouvé un propriétaire à qui rendre l'objet encombrant au possible, lorsqu'il eu l'étrange idée d'appeler à grands cris ses confrères de la Guilde Spectre. J'imaginai qu'il allait bientôt m'expliquer le pourquoi du comment.
- Les gars ! On l'a retrouvé ! On a retrouvé le Pot aux Larmes ! lançait-il à la ronde. Vous n'auriez pas retrouvé des tasses avec ? demanda-t-il ensuite en s'adressant à moi.
- Si, finis-je par répondre à peine remise de ma surprise. Et un sucrier.

Je sortis une des tasses de mon sac pour la montrer à l'inconnu, de plus en plus perplexe. Elle était parfaitement assortie à la théière, ce qui sauterait aux yeux de n'importe qui, mais ça ne m'expliquait pas ce qu'était le fameux « Pot aux Larmes ».
Les spectres ne tardèrent pas à nous entourer, venant à chaque seconde en plus grand nombre. Certains pokémons suivaient leur dresseur, d'autres les entraînaient dans le rassemblement qui se créait autour de nous, et tous avaient l'air absolument ravi. Un changement bienvenu après le cimetière d'ailleurs, c'était au moins ça de gagné. Les humains eux-mêmes n'étaient pas en reste, j'entendis nombre d'exclamations de joie dans la foule des adeptes du type Spectre. Ils m'adressaient également un tel flot de questions que je ne savais pas à qui répondre, jusqu'à ce que mon inconnu reprenne la parole pour s'adresser à moi, ce qui fit taire l'assistance.
- Permettez-moi de vous expliquer, je suis Tibère... il hésita avant de poursuivre. Delajoie... Et je suis l'un des intendants de la guilde Spectre. Ceci... expliqua-t-il en désignant la théière, est notre Pot aux Larmes. C'est une relique sacrée dans notre guilde. Il y a peu nous avons dû nous en servir pour un rituel très important d'intronisation aux nouvelles recrues qui a lieu dans le cimetière du Joyeux Pochetron, et en rentrant, nous nous sommes rendus compte que nous avions perdu notre relique et le service à thé qui l'accompagne ; Nous l'avions commandé exprès pour qu'il aille avec notre relique, c'était assez gênant de devoir en commander un autre. Évidement, perdre notre relique sacrée était un scandale...

... De quoi ?! La Guilde Spectre, qui comptait parmi les plus impressionnantes et mêmes terrifiantes avec la nôtre, avait pour objet sacré... une théière à motifs bleus avec service à thé complet ? Le gradé Tibère sembla s'excuser en reprenant la parole.
- Vous devez me prendre pour un fou...
- Mais non ! affirmai-je d'une voix peu assurée, appuyée par le cri d'Onix qui semblait d'accord avec moi pour une fois.

Après cela et malgré mes protestations les plus vives, il me colla dans les mains une pierre nuit et une pierre feu en échange des tasses, du sucrier et de la théière que je lui avais cédé de bonne grâce. Je n'osai pas lui dire que les pierres feu n'avaient jamais fait évoluer les malosses, le geste étant trop généreux.
- Je n'ai que ça, mais vous pourrez toujours les vendre si vous n'en voulez pas, ça vaut assez cher, je vous dois bien ça pour avoir retrouvé notre cher Pot aux Larmes...

Il aurait pu poursuivre ses remerciements longtemps, surtout qu'ils étaient appuyés par ceux des autres membres de la Guilde Spectre, jusqu'à ce qu'il soit interrompu par son magirêve qui lui tapa sur l'épaule. Le pokémon adressa quelques cris à son dresseur, qui sembla comprendre le spectre à mon grand étonnement. Encore que je n'aurais pas dû être si surprise, après tant d'années passées avec Onix j'interprétais moi aussi correctement ses cris la plupart du temps.
- Ah mais oui, tu as tout à fait raison ! Mademoiselle, permettez moi de vous offrir une perle de connaissance, pour vous remercier d'avoir récupéré notre relique !

Je tentai bien de bredouiller quelque chose pour refuser, ignorant pour ne pas changer ce qu'était une perle de connaissance ni à quel point un tel présent pouvait me lier à la Guilde Spectre, mais il ne m'en laissa aucunement l'occasion pour ne pas changer. Je me retrouvai donc en possession d'un pendentif orné d'une bille bleue pouvant représenter une larme comme une bulle, dont je passais la chaînette argentée autour de mon cou sous les regards approbateurs de l'assemblée. Je dissimulai néanmoins ce nouveau cadeau sous mes vêtements, n'ayant aucune envie de rentrer à ma guilde en arborant fièrement le symbole de la reconnaissance de la Guilde Spectre.
Les quelques conversations qui subsistaient encore au sein du groupe des dresseurs Spectre se tarirent définitivement lorsque Tibère reprit la parole pour une explication qui valait bien les monologues de Skelenox en terme de longueur.
- Il y a très quelques siècles de cela, notre royaume sombra dans une guerre sans merci avec nos voisins. La guerre dura longtemps, si bien que les hommes dans les campagnes finirent par être recrutés pour aller servir le roi, et le roi lui-même dû se rendre au front.
A force d'attendre leurs maris et leurs fils, les femmes se mirent à pleurer, et le chagrin envahit le royaume. Elles pleurèrent tant qu'un jour, la reine décida qu'il fallait faire quelque chose, mais elle-même était transie de chagrin pour son époux.
Alors, elle décida d'enfermer ses larmes. Elle choisit sa théière préférée, qui était d'un blanc pur, et y versa toutes ses larmes. On dit que toutes les femmes de la noblesse qui lui offraient conseils et compagnie firent de même et ajoutèrent leurs propres larmes dans le pot. C'est lors les motifs bleus apparurent sur le flanc de la théière.
Puis elles cessèrent de pleurer, et la reine reprit son royaume en main.
Malheureusement, la guerre fut perdue, les maris et les fils furent tués. En apprenant leur mort, les femmes, qui ne pouvaient plus pleurer car leurs larmes étaient enfermées dans le Pot aux Larmes, décidèrent d'ouvrir la théière pour laisser couleur leur chagrin.
Les larmes s'évaporèrent alors, elles s'envolèrent et rejoignirent les corps des défunts pour se verser sur eux. A ce moment là, les âmes des morts revinrent parmi les vivants, sous la forme de pokémons spectres.
C'est ainsi que les spectres apparurent, et que la Guilde Spectre fut crée par les descendants de la reine et de ses dames de cours qui avaient joint leurs larmes dans le pot, et que cette théière, le Pot aux larmes, devint notre relique sacrée. Alors encore une fois, merci d'avoir retrouvé cet objet de grande valeur...

Soit, ils étaient tarés en fait. Je parvins tant bien que mal à m'échapper de la foule pour me précipiter vers ma Guilde, avant qu'il ne se lance dans une autre histoire folklorique ou que l'assemblée reprenne sa litanie de remerciements ampoulés.


Lorsque je fis le bilan de la nuit en passant le seuil de la guilde, ce n'était curieusement pas si mal. Certes on avait failli mourir une bonne demi-douzaine de fois, et je ne comptais plus le nombre d'incidents qui avaient manqué de m'occasionner une bonne fracture ouverte, mais une théière avait bien été retrouvée avec service complet en prime, et je revenais avec deux nouvelles pierres évolutives pour attester de mes efforts. Avec un peu de chance je pouvais peut-être même les faire passer pour la récompense prévue au départ par la famille Beaubois. Pour couronner le tout, j'avais réussi par une espèce de miracle à m'attirer la sympathie de la Guilde Spectre. Voilà qui devait être une grande première dans toute l'histoire de la Guilde Ténèbres.
Mon ventre criait famine, celui de mes pokémons devaient en faire autant, je me dirigeai donc vers le réfectoire avant de monter me coucher. La faim l'emportait sur l'épuisement pour le moment.

Les buffets étaient davantage garnis en pleine nuit, ce que pour une fois j'appréciai. J'emplis sans vergogne mon assiette jusqu'au débordement, ne prêtant plus aucune attention à ce que j'attrapai. C'était à portée de main, je l'ajoutai à ma pile de nourriture et gare au premier qui oserait essayer d'y toucher. Je parvins même à choisir un os de belle taille pour Onix.
- Ah, Willelmina...

Cette voix doucereuse... Oh non. J'entendis vaguement les conversations baisser de volume dans la salle, la scène de ce matin se rejouait dans ma tête. Pas ça, pitié. J'avais failli être tranquille avant de me coucher.
- J'ose espérer que vous nous ramenez les cinq cent pièces d'argent de récompense pour votre mission...

Je bredouillai vaguement quelque chose pouvant être un « non ». Mais je n'étais pas certaine moi-même d'avoir compris ce que je venais de dire. Je rentrai la tête dans les épaules lorsque mon maître se mit à hurler.
- Non !? COMMENT CA « NON » ? Il fallait récupérer une théière dans un cimetière, rien de plus ! Comment avez vous pu échouer à une mission aussi simple ! Ça ne court pas les cimetières, les théières ! Il fallait juste la trouver, la prendre et la livrer !

Alors là j'en avais assez, au point d'avoir envie de me défendre un peu. Ce n'était pas lui qui s'était tapé les fosses à ciel ouvert, le Skelenox incompréhensible, l'ignoble fossoyeur, les tarés avec leur faux sacrifice, le chevalier le plus collant du monde et ses tentatives de... séduction ? J'agitai donc mon os devant son nez en une tentative pathétique de paraître plus impressionnante.
- Et bien justement ! Je l'ai trouvé, je l'ai ramené, la théière ! Seulement les théières, ça court les cimetières que vous le croyez ou non, parce que c'était pas la bonne, et que quelqu'un avait déjà retrouvé et ramené la bonne théière !

Il en perdit sa voix quelques instants, trop surpris de ma réponse. Il était vrai que si on m'avait affirmé que je pouvais trouver autant de théières dans un seul cimetière avant que je ne parte en mission, je ne l'aurais pas cru non plus. Malheureusement pour moi, il lui restait encore de la répartie et mon maître ne tarda pas à repartir sur son rythme habituel.
- Vous avez laissé quelqu'un vous voler la mission ! Vous vous êtes fait battre par un concurrent même pour une mission aussi simple ! Vous êtes une honte ! Un enfant de sept ans aurait réussi cette mission, mais vous...

Je tentai bien de lui dire qu'on avait quand même failli y rester et que l'aventurier solitaire, bien que particulièrement pénible, tenait manifestement la comparaison avec certains pontes de notre Guilde, mais impossible de trouver une ouverture dans ses reproches jetés à un débit et un volume impressionnants pendant près d'un quart d'heure. Je finis par me demander jusqu'où irait sa capacité pulmonaire, immobile au milieu de la salle, sous les ricanements des autres membres attablés comme à ma bonne habitude.
Je finis par guetter le soutien de quelqu'un d'autre, peut-être la gradée de ce matin qui avait semblé s'intéresser à mon cas avec un peu de chance, attendant désespérément une diversion. N'importe quoi ferait l'affaire au point où j'en étais.

Mon cher Onix l'inestimable prit alors les choses en main, répondant à ma requête informulée. Il se mit soudain à hurler à la mort, sans raison apparente, sans interruption, figeant mon maître au milieu de sa rengaine favorite « vous êtes inutile vous servez à rien personne ne voudra jamais de vous ». Les rires moqueurs de l'assemblée se changèrent également en murmures étonnés, et je me tournai moi-même vers mon pokémon avec angoisse. Ca y était, il pétait un câble. Les événements de la nuit avaient fini par avoir raison de ce qui lui restait de santé mentale.
Désemparée, je baissai machinalement le bras tenant l'os vers le sol, ce qu'attendait Onix apparemment. Il cessa de hurler aussi soudainement qu'il avait commencé, bondit pour prendre l'os dans sa gueule, puis se sauva à l'autre bout de la salle pour jouir de son butin. Je jetai un dernier regard à mon maître, toujours abasourdi de la réaction de mon pokémon, et filai rejoindre mon malosse accompagnée de Malachite. Je me laissai tomber sur un banc un peu à l'écart, et prenant garde à ne croiser le regard de personne je me mis à avaler aussi vite que possible le contenu de mon assiette histoire de m'échapper rapidement de cette salle.