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Accord Secret de Xabab



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» Auteur : Xabab - Voir le profil
» Créé le 03/05/2015 à 18:49
» Dernière mise à jour le 03/05/2015 à 18:49

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Chapitre 42 : Accord secret
Imaginez une immense balance. Sur chacun des plateaux un poids équivalent, au gramme près, qui ne saurait être déstabilisé d'un côté ou de l'autre. L'un représente le bonheur, l'autre le malheur, deux sentiments transfigurant la vie. Maintenant, imaginez des pierres, tombant régulièrement d'un côté et de l'autre de cette immense infrastructure au fur et à mesure de la vie d'un homme. Il est difficile alors de ne pas pencher irrémédiablement d'un côté ou de l'autre. La vie est un radeau instable sur une mer houleuse. On ne sait quand l'on trouvera l'île ensoleillée ou quand s'arrêtera la tempête : on veut simplement éviter de chavirer.
Ce qui se passa ce jour là fut la pierre de trop et la vague qui écrase sous son poids l'amas de vieux rondins.

Rovia ne faisait pas partie d'Unys. Bien que n'apparaissant pas sur certaines cartes terrestres, les plus anciennes notamment, le village était officiellement une agglomération d'Ermo, sur la frontière entre les deux pays.
En cela, quand la situation se dégrada et que la guerre civile commença, les journaux nous ayant un jour avant prévenu que les troupes se lançaient à l'assaut du petit pays voisin, nous n'avions aucune crainte. La nature de l'homme est faite ainsi : on regarde toujours l'herbe où elle est le plus vert. S'il s'agit de notre jardin alors nous détournons lâchement le regard de celui du voisin qu'un fou s'amuse à brûler. Personne au village ne désirait la guerre civile. Les habitants étaient pacifiques, leur mode de vie entre hippie et communiste à petite échelle le prouvait, mais ils ne pouvaient rien faire face à la puissance d'Aimé. Son armée était assez grande pour mettre Volucité à genoux en quelques jours, ce qu'elle n'allait pas réussir à mener au final, du moins pas de suite.
Quoi qu'il en soit notre vie était hors de danger. Et pourtant, ce matin alors que je parlais avec mon maître, un coup de feu résonna au-dessus de nos têtes. Et je savais de quoi il en retournait.

J'ai déjà parlé des facultés offertes par mon œil. Voir les morts est celle qui est de loin la plus affinée et la plus importante ; mais elle n'est pas seule. J'avais parfois le sentiment profond d'être en mesure de prévoir certains événements par un don de vision que j'étais incapable de maîtriser. Cela m'arriva à plusieurs reprises dans ma vie. L'exemple le plus flagrant que je peux donner est que je vis à quoi ressemblait l'homme qui allait détruire le village avant même de le rencontrer. Il était dans mes rêves et au fond de mon esprit, ce chauve aux grosses lunettes noires. Ce jour-là j'avais le sentiment que Rovia courrait un grand danger, immense même, et que Mila n'allait pas s'en sortir indemne.
Aussitôt, je me tournai vers l'Ancien, au même moment un cri strident résonna dehors. « Mila !
– Je sais, me répondit-il calmement comme si lui aussi sentait ce qui allait se produire. Ces hommes sur la montagne, poursuivit-il en entrant en transe, ils sont dangereux. Des dizaines de soldats et un canon qui chante... »
Un obus explosa à proximité. Je n'avais jamais entendu ce son mais il s'agissait d'un obus, j'en avais l'intime conviction sur le moment.
« … et le village qui brûle. Ils sont là pour une mission précise et… Non, il est là pour cette mission précise. Le chauve aux grosses lunettes qui commande cette armée veut celui qui voit. »

Les yeux de l'Ancien étaient devenus blancs un instant, comme s'il était en mesure de jouer de son don d'une façon qui m'était totalement inconnue, des talents qu'il ne m'apprendrait jamais puisque je le voyais pour la dernière fois de ma vie. Mon regard se révulsa tandis qu'il parlait. Homme chauve ? Lunettes noires ? Immédiatement je mis en parallèle ces mots à des images dans ma tête. Souvenirs de vieux cauchemars dans lesquels ce scientifique de dessin-animé marchait dans ma direction, une seringue à la main et le sourire pendant aux bords des lèvres. Il s'amusait de ma peur, de la colline noire et de…
Un bruit explosa, plus proche cette fois au point d'en faire vibrer mes tympans. « Ils commencent. »
Le murmure de l'Ancien fut comme un coup de fouet qui me propulsa dehors. En quelques secondes je le saluai, me levai et courrai vers la sortie. Dans un ultime élan je lançai un dernier regard vers ce maître qui m'avait enseigné le don mais aussi la vie. Il était calme, assis en tailleur, ses yeux revenus à la normal.

« Tu dois l'aider, se contenta-t-il de me dire en faisant un signe de la main m'invitant à sortir. Même si cela doit prendre du temps. » Et ce furent les dernières paroles que j'entendis de sa bouche.
Longtemps il m'arriva de soupçonner qu'il savait tout à ce moment-là. Il voyait la mort de Mila, ma quête, l'Inquisition, l'orphelinat de Fan et toutes ces choses qui allaient défiler durant les prochaines années de ma vie. Dans son regard je vis autre chose qu'une simple faculté à percevoir l'invisible. Il s'agissait de l'Œil. Pour la première fois de ma vie il m'était apparut clairement au moment où ses pupilles devinrent blanchâtre. Je n'étais en mesure de maîtriser qu'une partie de ce don de la nature ; mon maître le transcendait.
Mais je n'avais pas envie d'y réfléchir, je n'avais pas le temps. Une fois sur le pas de la porte, prêt à sortir, des cris me parvinrent de l'extérieur. Mêlés aux bruits des obus s'écrasant au centre du village et les hurlements d'une femme, les ordres d'un soldat s'élevait par-dessus le brouhaha de la guerre.
« Fouillez tout ! Trouvez-les ! »

Des réfugiés politiques à Rovia ? fut la première question qui traversa mon esprit lorsque je quittai la maison de l'Ancien pour me retrouver dans la rue, sombre champ de bataille. Non, ce n'était pas possible. Aucun étranger n'avait posé les pieds au village depuis des années. Depuis mon arrivée ici, seules deux personnes inconnues nous avait rendu visite. La première était un randonneur perdu en pleine montagne qui cherchait un asile pour la nuit, la neige tombant depuis des heures. La seconde fut un homme qui tentait de fuir Ermo, un réfugié dans le cas présent, mais qui avait passé la frontière depuis plus d'un an et dont nous n'avions aucune nouvelle. De plus son passage fut bref, à peine une journée avant que Charles ne l'aide à passer par le col, empruntant un passage connu de lui seul.
Et pourtant ils cherchaient quelqu'un, une personne qu'ils savaient ici, dans ce petit village. Aucun homme sain d'esprit ne détruisait une communauté par simple plaisir.

L'école était en cendres. Ce fut la première image qui me sauta aux yeux. Un mur gisait à même le sol, des briques brisées parcourant la rue. Charogne immonde de pierre, elle laissait voir l'intérieur de son ventre, pauvre salle de classe dont les pupitres étaient renversés sur le côté, les livres étalés dans toute la pièce et le grand tableau noir pendant lamentablement. Cette petite salle dans laquelle j'avais fait mes études étaient fouillée par un homme en uniforme vert, des bottes lui remontant au milieu des mollets, un insigne accroché à la poitrine et un visage carré lui donnant l'air le plus antipathique possible. Il retournait les cahiers comme s'ils n'étaient rien de plus que des morceaux de papier sans intérêt, cherchant quelque chose à l'intérieur qui pourrait le conduire à ce que lui et ses camarades étaient venus faire à Rovia.
Au loin des coups de feu retentirent, puis un bruit de chute. Un obus, deux obus, trois obus… Les pierres des maisons s'envolaient dans le ciel, se livrant à un intense ballet aérien. Et dans l'allée un corps, sur le ventre, celui d'une femme.

Ce fut la première fois de ma vie que je fus confronté à la mort de cette manière. Madame Jones se trouvait être l'une des plus vieilles habitantes du village. Néanmoins cela ne l'empêchait pas d'être des plus actives dans la communauté. Presque centenaire elle avait arrêté d'aider au champ depuis une bonne décennie mais continuait de procurer des efforts pour le village. Elle triait les légumes, écossait les haricots, coupait les pommes de terre, mettait le tout en bocaux et cuisinait de manière exquise n'importe quel plat. Certains plaisantaient sur son âge et elle le prenait toujours bien, riant du peu de temps qu'il lui restait à vivre. « Je ne suis pas prête à me faire enterrer, mes petits, disait-elle lors des repas en communauté. Vous verrez qu'un jour je serai plus vieille que la plus vieille des pierres de Rovia. » Et les gens de rire, évidemment, devant le spectacle de cette vieille dame dont les cheveux gris se répandaient autour de sa tête percée d'une balle. Morte.
Je compris soudain que ce n'était plus un jeu et mes jambes se lancèrent automatiquement. Soudain je courrai. Vers la maison de mon enfance, Mila, mon destin.

« Gamin, arrête-toi ! cria le soldat qui fouillait l'école. » Je ne craignis pas une seconde qu'il tire à la manière de celui qui avait tué Madame Jones. Non, une voix au fond de mon corps me murmurait qu'il n'en avait pas le droit, d'une manière ou d'une autre il ne pouvait pas me tuer. Était-ce ainsi que l'Ancien se servait de l'Œil ? Pour de telles intuitions ? Celle-ci s'avéra vraie : ils ne pouvaient pas me tuer. Leur ordre était clair : garder en vie tous les adolescents de sexe masculin. Ils me voulaient, moi, personne d'autre. Voilà pourquoi Rovia était en sang.

Au loin la guerre faisait rage. Du moins je ne sais s'il m'est possible d'appeler ainsi le massacre qui eut lieu ce jour-là. Ce fut plutôt un acte de pure barbarie, une milice d'hommes armés contre tout un village d'innocents qui n'eurent pas le temps de se défendre. Certains avaient des pokemons mais ils n'étaient pas entraînés au combat et servaient majoritairement à l'entretien des champs, quelques uns possédaient des fusils de chasse mais ils n'eurent pas le temps de s'en saisir. L'attaque fut fulgurante et préméditée. Ils tirèrent des obus dans les bâtiments principaux non pas pour tuer mais dans le but de nous effrayer. L'école, le hangar et la salle du conseil étaient vide à cette heure de la journée et ils les détruisirent. Quelques maisons furent aussi touchées, dégâts collatéraux. Ils auraient pu me tuer de cette manière mais ce ne fut pas le cas et je soupçonne H d'avoir prévu d'une façon ou d'une autre que les obus ne m'atteindrait pas.
Car je n'étais pas dans la maison familiale ce jour-là. J'y avais laissé Mila et Élisa, Charles étant à la chasse depuis quelques heures déjà quand je me rendis chez l'Ancien. Traversant le village je ne vis rien de plus que le corps de Madame Jones et ce soldat dans l'école. On se battait ailleurs, dans des rues adjacentes. Peut-être que j'eus croisé du monde, peut-être pas. En vérité j'étais trop occupé à regarder la maison dans laquelle j'avais grandi, en miettes, un immense trou à la place du salon et mon lit pendant à moitié du mur arraché. Le lit dans lequel se trouvait Mila. Mila actuellement dans la rue, ensanglantée.

« Mila ! » Qu'importe si mon cri les attirait, s'ils fonçaient tous sur moi, s'ils m'emmenaient. Je me moquais des hommes en vert, de l'armée d'Ermo, d'Unys et de leur guerre de merde. Je voyais juste la femme de ma vie dans la boue, en sang, tombée du premier étage suite à la chute d'un obus sur le toit de la maison. Tout autour de moi devint brume. Le village sembla s'évanouir en même temps que les cris ou les bombes. Il n'y avait plus rien que celle que j'aimais à moitié morte. Le monde se changea en une substance grise de laquelle je m'extirpais. Il n'était plus spatial et temporel ; il n'était plus rien.
Me précipitant à ses côtés je me jetai dans les débris. Mon jean se déchira sur une pierre et je me blessai au genou. Plus tard j'allais découvrir un semblant d'ecchymose mais pour le moment c'était le dernier de mes problèmes. Car quand Mila se tourna vers moi je découvris la triste réalité de ce qui allait suivre. L'un des pieds en fer du lit était juché, comme un drapeau au sommet d'un phare, rouge de son sang qui s'écoulait par rivières de ce trou béant et de sa bouche. De plus son bras droit était tordu sous un débris, brisé comme une brindille, et sa joue tranchée en deux de façon à ce que la balafre lui remonte jusqu'à l'œil. Elle avait manqué de perdre un œil dans l'accident et aurait eu toute sa vie une immonde cicatrice sur son visage si elle avait survécu. Sans doute était-ce mieux de cette manière car je me demandais par quelle miracle elle parvenait encore à respirer dans cet état.
Et les larmes de couler alors que dans mon dos résonnaient les pas de course de dizaines de soldats. Peut-être plus, je ne me souviens plus. « C'est lui ! Le gosse que veut le chef !
– T'es sûr ?
– On lui montrera une fois choppé, dépêche ! »

Je n'avais que peu de temps. Ils allaient m'avoir, que je sois avec Mila ou ailleurs. Ils étaient armés et nombreux. Au delà de cela : ils savaient pour moi. Ils connaissaient mon âge, mon don et voulaient s'en servir pour des recherches dont je ne soupçonnais même pas l'existence. Je n'avais pas la moindre foutue chance de m'en sortir. Et mes derniers instants à Rovia, car je savais que j'allais en partir sous peu, attaché par ces malades, je voulais les passer en compagnie de mon amie, ma sœur, mon amour… « Mila... »
Elle passa une main sur ma joue de son bras valide mais ne prononça pas un seul mot. Dans son état elle en était incapable. Je n'avais en revanche plus que quelques secondes, les pas dans mon dos me résonnaient aux oreilles. Et évidemment je ne savais pas quoi dire. Personne ne peut se préparer à vivre ce qu'il m'arrivait. « Tu connais l'histoire d'Aniya ? lui demandai-je avant de poursuivre suite à un difficile hochement de tête de sa part. Je vais faire comme lui, promis. Je t'aime, je ne veux pas que ça s'arrête. Je ne sais pas ce qu'il se passe mais je vais arrêter tout ça, je vais trouver un moyen et je vais…
– Accord secret ? » Elle prononça simplement ces mots, doucement, entre ses lèvres fines. « Oui, lui dis-je en réponse, comme Aniya. Je ne vais pas te laisser tomber ! Je te le jure, je vais le faire ! Mila s'il te plaît… Pardonne-moi, je devrai pas, je… partir… non, ce matin ce n'était pas… Je t'en prie, je veux que tu restes... » Et je pleurais, perdant mes mots pendant qu'elle s'éteignait, calmement. Sur le coup je ne réalisais pas ce qu'il se passait, je ne savais même pas si elle comprenait ou non ce que j'étais en train de lui dire. Avec du recul cela paraît totalement absurde.
Sa tête a roulé sur le côté puis tout s'est arrêté.

Je me souviens simplement avoir hurlé et avoir reçu un coup sur le crâne. La mort de Mila est comme un vieux cauchemar dont je me remémore à peine le déroulement. Les mots qui furent prononcés, la façon dont ils s'échappèrent de mes lèvres… Tout cela n'est pas clair dans mon esprit. Je me souviens juste de son corps totalement détruit et de la vie qui la quittait rapidement ; je me souviens avoir parlé d'Aniya et elle d'énoncer l'accord secret entre le dieu et la mortelle. C'était une promesse que nous nous faisions sur son lit de mort et il me semble que nos doigts se croisèrent afin de marquer cet ultime geste ; néanmoins je n'en suis pas certain.
Et plus rien, le vide. Comme quand on se réveille d'un mauvais rêve au milieu de la nuit. On réalise que tout est faux puis les troubles s'estompent lentement. Ce n'était que fausse douleur. On souffle et les souvenirs s'envolent comme des confettis. Tout cela n'était qu'un cauchemar que je ne voulais pas vivre et qui me rattraperait tôt ou tard. Mais pas maintenant. Avant cela j'allais tomber, assommé par le coup de crosse, sans doute me frappa-t-il de cette manière, sur mon crâne et plonger dans un délicieux rêve où Mila et moi étions heureux.

Comme le dieu et la mortelle. Aniya, maître de l'Œil qui gouverne les morts, rends-moi celle que tu m'as dérobé.