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Cœur de Pierre de Yûn



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» Auteur : Yûn - Voir le profil
» Créé le 11/11/2014 à 18:31
» Dernière mise à jour le 03/06/2016 à 11:52

» Mots-clés :   Aventure   Hoenn   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life   Suspense

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Chapitre 6. D'une pierre deux coups
La renarde mystique sauta en arrière pour éviter le fouet aérien qui allait s'abattre sur elle, mais se blessa les pattes sur les débris aiguisés des plumes éparpillées au sol par son adversaire. Elle voulut se redresser pour contre-attaquer, mais un violent spasme la saisit, causé par le poison que l'aigle renforcé lui avait administré au début du combat.

« C'est le moment Mithril ! s'écria le jeune adulte aux cheveux d'acier. Bec Vrille !»

Le rapace émit un sifflement entendu, puis s'éleva au-dessus du terrain à ciel ouvert. Ce ne fut qu'une fois à hauteur du nuage le plus bas qu'il cessa son ascension, pour plonger en tournoyant sur lui-même, se muant en une flèche d'argent et de sang.

« Repousse-le Etna, vite ! »

Rassemblant ses dernières forces, le goupil aux multiples queues puisa dans son brasier interne pour cracher une monumentale colonne de flammes irisées, qui jaillit en direction de la voûte. Néanmoins, bien loin d'être effrayé, le projectile vivant s'enfonça dans le pilier ardent. Sa rotation endiablée agissait comme une protection, en faisant glisser l'élément brûlant sur son plumage de métal sans que celui-ci n'ait le temps de le blesser.
La Feunard déversait toujours sa fournaise quand le bec massif de Mithril sortit du rideau embrasé et entra en contact avec le sol inégal de l'arène. La puissance de l'impact fut telle qu'elle souffla la créature à la fourrure de soleil, la repoussant en arrière sans qu'elle puisse rien faire. Etna roula encore sur plusieurs mètres avant d'être stoppée par un rocher. Elle n'eut même pas la force d'ouvrir les yeux.

« Bravo Mithril ! Je savais que tu y arriverais ! » le félicita Pierre.

L'oiseau en armure claqua du bec, satisfait.
Même si obtenir sa confiance avait demandé de longs mois de travail après le repentir du jeune homme, il était depuis devenu un allié considérablement puissant dans la petite équipe. Il avait même réussi à défaire à lui seul toute l'arène de Myokara ! De plus, s'il était finalement tombé face au Grolem du Champion de Mérouville, ça n'avait pas été sans l'affaiblir au point que Cobalt n'avait plus eu qu'à l'achever.

Et une fois encore, l'Airmure avait fait preuve de sa force : l'hermine cendrée n'avait pas résisté plus de trente secondes aux serpes de vent ; le duel aérien entre lui et Ketoï, le Flambusard du vieil homme, s'était également soldé par sa victoire après un âpre combat ; enfin, la renarde aux yeux flamboyants avait été handicapée dès le début par les éclats de plume dispersés sur le terrain, ainsi que par la toxine que l'oiseau de proie avait sécrétée quand elle l'avait mordue.

Il était temps pour lui de se retirer de l'affrontement, cependant. Le jeune adulte ne connaissait que trop bien le dernier atout du Champion de Vermilava, et savait combien le corps de lave du gastéropode pouvait se révéler périlleux pour le plumage métallique de son oiseau. Sans compter qu'on pouvait déjà distinguer de nombreuses traces de brûlures sur son armure d'argent, conséquences des assauts embrasés de ses deux derniers adversaires. De toute façon, il n'avait jamais été à l'ordre du jour qu'il lutte contre Eldfell.

« Tiens, on dirait que tu as retenu la leçon des dernières fois, fiston, dit le grand-père en le voyant faire rentrer l'aigle.
- Oui. Et j'espère bien que la cinquième fois sera la bonne ! »

Les deux adversaires libérèrent presque en même temps leur créature respective sur le terrain, l'escargot ardent faisant face à la toupie mystique.

« Eldfell, aveugle-le ! »

Le Volcaropod prit une grande inspiration avant de se rétracter dans sa coquille. Aussitôt, des panaches noirs de fumée s'échappèrent des multiples fentes de la protection, et se répandirent pour prendre possession du terrain...
Pourtant, le voile obscur fit dessiner un sourire sur les lèvres du challenger.

« Allons, M. Moore, le taquina-t-il. Ca avait peut-être marché avec Cinabre, mais vous ne m'aurez pas deux fois. Montre-lui, Gypse ! »

Utilisant son pied unique comme pivot, la poupée d'argile commença à faire tourner ses bras, augmentant la cadence à chaque instant. Au bout de quelques secondes, il avait atteint une telle vélocité que l'on ne parvenait même plus à voir ses membres factices, l'air vibrant seul trahissant leur présence.
Les lourdes volutes furent bien vite happées par l'aspiration, qui les attirait et les enjoignait de rejoindre le cortège aérien. Il ne resta bientôt plus sur le terrain qu'une sombre tornade comme seule trace du gaz toxique.

Soudain, un éclat fut perceptible à travers le colonne d'ébène, précédant le jet de lumière éclatante qui, entraînant le smog dans son sillage, fusa droit sur l'invertébré en fusion. Un râle étouffé sortit de la bouche instable de la créature des volcans, touchée de plein fouet par le rayon.

« En effet, on dirait qu'on va devoir mettre les bouchées doubles pour t'avoir, fiston. Eclaire-nous un peu, Eldfell ! »

De l'une des fissures de la carapace naquit une flamme, qui monta au ciel en ondulant à la manière d'un serpent. Une fois à bonne hauteur, elle s'enroula sur elle-même, grossissant peu à peu en prenant la forme d'une sphère flamboyante. Quand enfin, le lien qui le rattachait à son créateur se brisa, c'était un véritable soleil miniature qui surplombait royalement l'arène, en dispensant une folle chaleur pour cette après-midi de février.

Mais déjà, le Volcaropod s'était à nouveau mis en action. Ses bras de magma s'étendirent pour arracher des rochers du terrain et les jeter en direction du petit golem. Ils n'eurent cependant pas le loisir de le toucher : l'anneau rouge sur son corps s'illumina, stoppant net les projectiles qui demeurèrent suspendus dans les airs, certains à quelques centimètres de sa surface terreuse.

Pierre ne put s'empêcher de sourire, confiant. La télékinésie de son Balbuto était toujours aussi efficace. Jamais l'escargot bouillant ne parviendrait à le toucher !
C'était ce qu'il pensait jusqu'au moment où il remarqua le rictus malin affiché par son adversaire, qui diminua immédiatement son assurance.

« Gypse, c'est un piège ! Enlève-toi de là ! »

Mais il était déjà trop tard. Eldfell s'était nourri de toute l'énergie solaire dont il avait besoin, qu'il recrachait désormais sous la forme d'un flot resplendissant de clarté. Le rai éclata les pierres qui lui faisaient obstacle avant de percuter la toupie en plein dans son anneau central. Foudroyé par le rayon diurne, la poupée mystique s'effondra au sol pour se faire ensevelir par les rocs sur lesquelles elle n'avait plus d'emprise.

« Tu as trop baissé ta garde devant mes coups faciles, fiston, lui expliqua Firmin Moore, satisfait. C'est pas au vieux Capumain qu'on apprend à faire la grimace ! »

Dépité, le jeune Rochard fouilla dans sa poche intérieure pour récupérer la sphère du golem ocre, voulant le retirer du combat. Mais, au moment où il l'extirpait, les roches qui masquaient le Balbuto se mirent à trembler. Un instant plus tard, elle s'écartaient violemment, dévoilant leur prisonnier. Gypse, l'un de ses bras d'argile brisé et le corps ébréché, s'éleva dans les airs, enveloppé dans une aura rouge.

C'est alors que l'incroyable se produisit. Les paupières scellées de la poupée de terre s'ouvrirent, révélant deux gros yeux écarlates, au sein desquels une fine pupille noire trônait en leur centre.
Une puissante bourrasque se leva, obligeant même les deux humains à se protéger le visage de leurs bras, tandis que, sur le terrain, poussière et pierres étaient soulevées hors du sol pour tournoyer autour de la toupie mutilée, prises dans une danse antique. Les particules de terres, tout comme les roches, commencèrent alors à recouvrir leur manipulateur, lui forgeant un blindage minéral qui ne cessait de grossir. Son regard hypnotique seul demeurait exposé, tandis qu'il disparaissait progressivement sous la roche et le sable.
Soudain, le cocon terrestre se fissura, transpercé par des rais rougeoyants, pour ensuite voler en éclats. A la place de Gypse se tenait un golem imposant aux yeux rouges innombrables, des runes claires se détachant sur son corps sombre.

C'est à ce moment-là que le Champion sortit de sa contemplation du phénomène.

« Eldfell, Lance-Soleil encore une fois ! »

A nouveau, le Volcaropod absorba l'énergie produite par l'astre factice et la rejeta en direction de la créature métamorphosée. Cependant, au moment de la toucher... La poupée de terre se désagrégea en grains de sable insaisissables, que le rayon solaire traversa sans pouvoir les effleurer. Les particules presque invisibles traversèrent le terrain pour se rassembler juste derrière le gastéropode embrasé et reformer le Kaorine. Les bras trapus de ce dernier se détachèrent alors pour pilonner la terre qui, rendue malléable par la volonté de la créature mystique, se creusa comme une onde à la surface de l'eau. A une telle distance, il fut impossible pour l'escargot des volcans d'esquiver l'assaut ou d'avoir ne serait-ce que le temps de rentrer dans sa coquille pour amoindrir la violence de l'attaque. Il fut emporté au loin par la déferlante terrestre, et n'évita la collision avec un rocher qu'en enfonçant les doigts en fusion d'un de ses bras de magma dans le sol, se servant de ce point d'accroche pour ralentir sa folle course.
Une fois la vague tellurique passée, Eldfell voulut se redresser. Mais il venait seulement de relever la tête que, déjà, le golem antique s'était placé au-dessus de lui, les pointes de ses membres d'argile positionnées à quelques centimètres des tempes de son adversaire. Le regard multiple du Kaorine s'illumina, de même que les écritures à la surface de son corps, et aussitôt le Pokémon de M. Moore se mit à se tordre dans tous les sens, comme s'il souffrait ou cherchait à se soustraire à une emprise imperceptible. Quelques secondes plus tard, il s'écroula, terrassé par les capacités psychiques de la poupée massive.

Un calme étrange suivit le vacarme du combat, durant un bon moment avant que Pierre finisse par le briser.

« Eh ben... C'était euh...
- ... Gênant ?
- Un peu quand même, oui.
- Bah, t'en fais pas fiston. J'me doutais bien que t'arriverais à me surpasser un jour. Et apparemment, c'était aujourd'hui. »

Le vieux Champion rappela son Pokémon évanoui dans sa capsule et s'approcha de son challenger, qui avait lui aussi rentré Gypse après l'avoir congratulé.

« Je suis heureux de te remettre enfin le Badge Chaleur de Vermilava, fiston, déclara-t-il fièrement en lui tendant l'insigne en forme de flamme. On peut dire que tu l'auras mérité, celui-là ! »

Le jeune adulte l'accepta en le remerciant d'un grand sourire. Mais celui-ci se teinta d'une légère tristesse quand il posa ses yeux durs sur le petit symbole.

« J'aurais quand même aimé que Cinabre soit là pour en profiter elle aussi.
- Je sais fiston, surtout que vous aviez travaillé dur tous les deux. Mais, je suis certain qu'elle est fière de toi, de là où elle est. »

Il ne répondit que d'un hochement de tête, puis rangea l'emblème dans son écrin, aux côtés des quatre autres qu'il avait déjà gagnés. Il venait à peine de fermer le boîtier que les portes de l'arène s'ouvrirent en grand, laissant passer une Adriane essoufflée, son cartable sur le dos.

« Oh non, vous avez déjà fini ? Mais je voulais voir le match, moi !
- Désolé ma chérie, s'excusa son grand-père. Mais ça faisait longtemps que Pierre voulait sa revanche.
- Mais tu fais toujours tes matchs quand je suis à l'école ! C'est pas juste ! »

La petite fille rousse croisa les bras en boudant pour bien montrer qu'elle n'était pas contente. Cependant, cela n'eut pour autre effet que de faire sourire les deux adultes.

« Passe-moi ton carnet fiston, que j'y mette ton changement de catégorie. Tu restes manger ce soir ?
- Avec plaisir, » répondit le jeune Rochard en lui tendant le petit livret.

Firmin Moore quitta alors l'arène pour rejoindre sa demeure, non sans avoir légèrement ébouriffé les cheveux de sa petite-fille au passage. Alors qu'elle faisait toujours la tête, le Dresseur aux cheveux d'acier s'accroupit pour être à sa hauteur.

« Allez, arrête de bouder Adri'. Tu vas te changer en Léviator sinon.
- Même pas vrai, d'abord... bredouilla-t-elle en lui tournant le dos. Pis d'abord, quand je serai grande, c'moi qui serai la Championne, et je ferai tous les matchs que je veux, na !
- Mais c'est qu'on a de l'ambition ! »

Sans prévenir, il l'attrapa, déclenchant son petit rire enfantin. Ils sortirent à leur tour pour retourner à la maison du Champion, l'enfant rousse dans les bras de Pierre.

« Alors comme ça, tu veux avoir ta propre arène ?
- Ouip ! Même que j'ai déjà mon Pokémon à moi !
- Oh, vraiment ?
- Oui ! C'est un Chartor que papy a trouvé l'autre fois, au volcan. Il avait sa carapace toute abîmée. Alors on l'a soigné, et il a dit qu'il pouvait être à moi parce que j'étais assez grande !
- Eh bien, quelle petite chanceuse !
- J'pourrai te le montrer, dis ?
- D'accord, mais pas tout de suite. Je dois d'abord m'occuper de Mithril, et je crois que tu as des devoirs à faire pour demain, non ? »

Il venait d'ouvrir la porte d'entrée et avait reposé la fillette au sol. Devant sa mine renfrognée, il comprit qu'il avait vu juste.

« Tu veux que je t'aide pour les faire ?
- Nan, pas besoin.
- Bon, alors dépêche-toi, comme ça tu pourras me montrer ton Chartor, après. Mais ne les bâcle pas !
- Non non. »

Adriane s'éloigna rapidement jusqu'à sa chambre, sous le regard amusé du jeune adulte. Puis, il sortit dans le jardin et matérialisa l'aigle renforcé sous le saule pleureur. Le rapace se secoua en claquant du bec, ses plumes d'argent tintant mélodieusement en s'entrechoquant. Il engloutit la lanière de viande que son maître lui donna pour le récompenser de son combat, et le laissa examiner les traces noires sur son plumage.

« Bon, ça devrait partir assez facilement, » dit le jeune homme en ouvrant une petite boîte renfermant un onguent odorant.

Un chuintement réticent retentit dans le gosier de l'Airmure, qui n'avait pas l'air d'apprécier la senteur amère qui s'en dégageait. Mais il ne broncha pas quand Pierre commença à étaler la crème sur les parties d'armure endommagées.

« Je sais que tu n'aimes pas cette odeur, mais c'est ce qu'il y a de plus efficace pour ce genre de blessures. Et au moins, comme ça, je suis sûr que tu ne vas pas chercher à te gratter ! » le taquina-t-il.

En réponse, Mithril poussa un sifflement de protestation.

« Oh si, je te connais ! La dernière fois que je t'ai mis un truc qui sentait meilleur, tu as fini par t'arracher presque toutes les plumes où il y avait du baume dessus ! »

Comme s'il grommelait, l'oiseau de proie claqua plusieurs fois du bec avant de détourner la tête, vexé.
Firmin Moore sortit à ce moment-là sur la terrasse et l'appela.

« Fiston ! Téléphone pour toi !
- Ah ? s'étonna le jeune adulte. Un instant, je termine! »

Finissant d'appliquer la pommade, il s'essuya les mains et rangea la petite boîte avant de gratouiller l'arrière du crâne de son Pokémon.

« Allez, file. Mais ne rentre pas trop tard. »

Un sifflement entendu lui répondit, puis le rapace d'argent et de sang décolla, ne devenant plus qu'un petit point sombre dans le ciel à mesure qu'il s'éloignait.
Le jeune Rochard le suivit du regard durant son ascension, avant d'aller dans le salon pour prendre l'appel.

« Allô ?
- Bonjour Pierre, ici le Pr. Seko. Tu vas bien ?
- Oh, bonjour Professeur ! Oui oui, tout va bien, je viens de remporter mon cinquième badge.
- Toutes mes félicitations, alors ! Ca a l'air de bien marcher pour toi, depuis ton appel de l'an dernier.
- Ca oui. Et donc, pourquoi me téléphoner ? demanda le Dresseur aux yeux durs.
- En fait, l'un de mes projets de recherches est en train d'aboutir. Il ne reste plus que la dernière étape, qui devrait être un succès si mes calculs sont exacts.
- Tant mieux pour vous, alors.
- Oui, mais j'aimerais que tu sois là quand ça arrivera. Parce que ça te concerne un peu.
- ... Comment ça ?
- C'est une surprise, répondit Aloïs Seko d'un ton mystérieux. Bref, quand penses-tu pouvoir venir à Bourg-en-Vol ?
- Hum... Ca prendrait quelques heures de vol, mais je préférerais que Mithril se repose une journée, vu qu'il a pas mal combattu aujourd'hui. Disons dans deux jours ?
- Parfait. Nous t'attendrons. A jeudi, donc. »

Le savant raccrocha peu après, et Pierre allait reposer le combiné quand une voix enfantine cria depuis le couloir :

« Pieeeeerre ? Tu peux venir m'aider, s'teu plaît ? J'arrive pas à faire ma géographie ! »

***
Une ombre planait dans le ciel dégagé au-dessus de la petite bourgade. L'oiseau imposant entama alors sa descente en spirale, en veillant bien à ne pas trop virer de bord afin que son passager ne se retrouve pas éjecté. Quelques instants plus tard, il s'était posé sans heurts au sol, l'herbe courte se balançant sous l'air brassé par ses puissantes ailes écarlates.
Le jeune adulte mit pied à terre sous le regard étonné des passants qui avaient assisté à la scène, et poussa un soupir de soulagement, pas fâché de sentir à nouveau le sol. Même s'il avait pris quelques leçons de vol auprès d'Alizée une fois la confiance de Mithril obtenue, il n'était pas encore habitué à effectuer de tels voyages. En particulier concernant la partie où il fallait atterrir.

Il sentit alors le bec de l'aigle de métal se faufiler entre son bras et ses côtes, ce dernier stridulant même une réclamation quand son maître posa ses yeux de fer sur lui. Amusé, Pierre fouilla l'une de ses poches.

« Tu vas prendre du poids, toi, à force, » fit-il d'un ton taquin.

Il lança tout de même la friandise de chair en l'air, que le rapace réceptionna sans mal dans sa bouche avant de l'engloutir avec gourmandise. L'instant d'après, il avait réintégré sa capsule, tandis que le jeune homme se mettait en route.

Après une vingtaine de minutes de marche, durant lesquelles il avait demandé deux fois son chemin, il se retrouva enfin devant le laboratoire du Pr. Seko. Il avait à peine toqué à la porte que celle-ci s'ouvrit sur un homme d'une trentaine d'années au visage carré.

« Ah ! s'écria-t-il joyeusement. Tu dois être Pierre, n'est-ce pas ? Ravi de te rencontrer enfin, mon garçon !
- Moi de même, Professeur, répondit-il en lui serrant fermement la main.
- Je t'en prie, entre ! Nous n'attendions plus que toi. »

Le savant le guida jusqu'au salon désordonné, où se trouvait déjà un homme d'un certain âge à l'imposante moustache blanche. Le crâne dégarni et des lunettes noires sur le nez, il patientait sur le sofa, en caressant la fourrure de feu zébrée de charbon du chiot endormi sur ses genoux. Les voyant arriver, il prit appui sur la canne au manche recourbé, posée contre l'accoudoir du canapé, et se leva pour venir à leur rencontre, son Pokémon sur ses talons.

« Ne fais pas attention au bazar, s'excusa Aloïs Seko. Le rangement n'a jamais été mon fort, au grand dam de ma femme. Heureusement, mon fils n'a pas l'air d'avoir hérité de cette caractéristique.
- Come on Aloïs, vous avez simplement un système de rangement différent des autres, plaisanta l'homme chauve avec un fort accent étranger. Et puis, de ce que j'ai vu, vous êtes capable de retrouver n'importe quel dossier dans votre désordre organisé.
- Ha ha, c'est vrai. Mais faisons les présentations. Pierre, je te présente le Docteur Auguste McGee, expert en génétique et Champion de Cramois'Île, à Kanto. Auguste, voici Pierre Rochard, le jeune homme sans qui tout cela n'aurait pas été possible.
- Ah, finally ! s'écria le Champion scientifique en lui secouant vigoureusement la main. Je peux enfin vous remercier d'avoir remis ce projet à l'eau !
- Euh... De rien, mais je vois pas vraiment de quoi vous parlez. »

Surpris, le Dr. McGee se tourna vers son collègue, alors que son Caninos était en train de renifler le pantalon du jeune adulte.

« Vous ne lui avez rien dit ?
- Pas encore, je voulais lui faire la surprise, s'expliqua le scientifique hoennien. Est-ce que tu te souviens du fossile que tu m'avais envoyé, il y a un peu plus d'un an, mon garçon ?
- Plus ou moins, oui.
- Comme je le pensais quand tu me l'as décrit par téléphone, il était extrêmement bien conservé. Et après l'avoir étudié et effectué quelques recherches, je me suis dit que nous devions saisir cette opportunité pour poursuivre un programme de recherches qui avait été abandonné quelques années plus tôt pour des raisons... Comment diriez-vous Auguste ? Je ne voudrais pas non plus vous froisser.
- Je vous ai déjà dit que ce n'était pas la peine de me prendre avec des pincettes à ce sujet, le réprimanda amicalement le Kantonnais. Nous avons été aveuglés par notre soif de découvertes, et n'avons pas su dire non quand on nous a tentés. C'est aussi simple que ça et j'assume parfaitement mes erreurs passées. Et comme on dit à Kanto, let your past make you better, not bitter.
- Si vous le dites.
- ... Et donc, c'est quoi ce projet ? demanda le jeune Rochard.
- C'est très simple : nous allons faire revivre ces fossiles ! »

Le Dresseur eut un moment d'absence, clignant plusieurs fois de ses yeux durs avant de regarder tour à tour les scientifiques devant lui, le visage ahuri. Ce qui ne manqua pas d'amuser ses interlocuteurs.

« ... C'est sérieux ?
- Oh yes, son ! s'exclama le Champion étranger, un sourire de savant fou aux lèvres. Nous n'avons jamais été aussi sérieux ! ... Well, c'est mon cas en tout cas.
- Mais on devrait peut-être te montrer directement, suggéra le Professeur en voyant que Pierre était toujours bien sceptique. Auguste, pourriez-vous l'amener au labo ? Je vais préparer du thé.
- Pour moi ce sera du café bien noir, merci. Allez, viens avec moi, son. Sulfur, ajouta-t-il à l'attention de son Pokémon, go fetch my white coat, buddy. »

Le chiot jappa brièvement avant de filer chercher la blouse blanche, posée sur le canapé, et la rapporta fièrement à son maître. Ce dernier le remercia d'une caresse sur la tête, puis s'engagea dans le couloir, suivi par le jeune adulte et le Caninos.

« Il est encore en plein dressage, expliqua le vieil homme excentrique en enfilant le vêtement de protection. By the way, ça me fait penser qu'Aloïs m'a dit que tu étais Dresseur ?
- C'est exact.
- Ah, les joies de la jeunesse... Si je n'avais pas choisi une carrière scientifique, je pense que ça ne m'aurait pas déplu de parcourir les routes de Kanto pour découvrir le pays.
- Pourtant, vu votre statut de Champion, je croyais que vous aviez vous aussi fait ce genre de voyage ?
- Well... J'en ai plus ou moins fait un, en fait. Quand il y a eu l'affaire du Manoir Cramoisi, j'ai été en prison pendant quelques mois. Puis, la Ligue m'a fait une proposition. La Championne de Cramois'Île venait de décéder, et il n'y avait personne pour la remplacer. Du coup, ils offraient de me libérer si, en un an, je parvenais à me faire une équipe convenable. J'ai accepté, et voilà. M'enfin, c'était surtout un moyen pour eux de me garder sous contrôle, tout en me faisant participer à la vie en société. Ca a aussi été le cas pour mon principal collègue, le Dr. Isaac Fuji, qui est retourné à Lavanville pour tenir un refuge. »

Alors que le Dr. McGee ouvrait une porte, Pierre s'interrogea par rapport à ce qu'il venait de lui dire. Quelqu'un pouvait donc devenir Champion de cette manière ? A dire vrai, depuis sa rencontre avec la Dresseuse du vent, il s'était imaginé que le choix se faisait toujours à l'issue d'un tournoi, et non avec des procédés aussi éloignés. Décidément, il avait encore beaucoup à apprendre.

« Et voici la petite merveille ! » s'écria le vieil homme au crâne dégarni, une fois entré dans le local de sciences.

Il lui avait désigné fièrement l'invention phénoménale... ! Qui, aux yeux novices du jeune adulte, restait une simple machine avec des écrans, des claviers et deux réservoirs remplis par ce qui semblait être de l'eau, dans lesquels deux morceaux de roche demeuraient en suspension.

« Ca a été un vrai casse-tête pour les démêler, ces deux-là. Heureusement, on ne me surnomme pas le Roi du quiz pour rien ! »

Un rire sonore s'échappa de la bouche grande ouverte de l'expert en génétique, apparemment très satisfait de sa blague, auquel le jeune adulte ne répondit que par un sourire un peu gêné.
Le Champion kantonnais se calma bien vite, et posa sa main sur l'un des deux cylindres.

« En tout cas, j'ai une grosse dette envers la famille Rochard, on dirait.
- Quoi, pour les fossiles ? C'était pas grand-chose, vous savez...
- Oui, il y a ça, mais pas seulement. Rien de tout cela n'aurait pu se réaliser sans le soutien de Rochard senior. »

Le Dresseur aux cheveux d'acier se figea à l'écoute de ce nom, ses yeux durs s'écarquillant.

« Que... Comment sans, son soutien ?
- Hm ? C'est pourtant évident, non ? fit Auguste McGee en se tournant vers lui. La Devon S.A.R.L. a entièrement financé ce programme de recherches, après qu'Aloïs lui ait demandé de l'aide. Ah, si seulement j'avais eu de tels contacts, moi aussi, à l'époque, ça m'aurait évité bien des tracas... »

Il ne répondit rien, complètement tendu. Il se sentait pris au piège, encore pris dans les manigances de son père !

« Bref, ton père a accepté après quelques jours de réflexion. Mais à une condition.
- Tiens donc... lâcha-t-il d'un ton sec, la mâchoire serrée. Et je peux savoir laquelle ?
- Je trouve quand même étonnant que tu ne saches rien de tout ça. Tu es quand même l'instigateur du projet, même si c'était involontaire.
- C'est quoi cette condition ? » pressa-t-il, le regard durcit.

Le Champion scientifique allait lui répondre quand la porte du laboratoire s'ouvrit, déclenchant un tonnerre d'aboiements.

« Sulfur ! Hush and heel ! Now! » tonna le vieil homme à moustache d'une voix forte, en indiquant l'endroit à côté de son pied d'un claquement de doigts.

Penaud, le chiot zébré cessa ses beuglements contre le Pr. Seko qui, tenant un plateau où reposaient trois tasses fumantes, venait juste d'entrer dans la pièce. La queue entre les jambes, le jeune Caninos regagna la place qu'on lui avait désignée en poussant des couinements fautifs.

« We'll have a talk about this later, young boy. Vraiment désolé Aloïs, j'ignore ce qu'il a à toujours vous aboyer dessus quand vous rentrez dans la même pièce que lui.
- Si ça peut vous rassurer, ce n'est pas le seul Pokémon avec qui ça m'arrive, dit le savant en posant le plateau sur un bureau. Un Nirondelle m'a même picoré la tête alors que je faisais une étude de terrain, une fois ! Je dois juste avoir une tête à claques pour eux.
- Ha ha ! Une tête à claques ! » s'esclaffa le Cramois'Îlien.

Oubliant Pierre, il s'empara de sa tasse pour descendre d'une traite la boisson amère. Il poussa ensuite un grand soupir de satisfaction avant de reposer le mug avec force.

« Bon ! s'écria le vieil excentrique en remontant ses lunettes noires sur son nez et en tendant vers l'avant ses mais croisées, au point de faire craquer ses articulations. Let's go ! »

Un sourire de savant fou aux lèvres, le Champion kantonnais s'installa devant la machine et commença à taper au clavier à une vitesse endiablée, ses yeux dissimulés par les verres teintés rivés sur les écrans où des données défilaient rapidement. Il avait clairement l'air de s'amuser comme un petit fou.
Laissant son collègue étranger aux commandes, vu qu'il n'avait visiblement pas le choix, le Pr. Seko prit les deux tasses encore pleines dans ses mains. Ce ne fut qu'à ce moment-là que, voulant donner sa boisson au jeune Dresseur, il remarqua son visage crispé.

« Quelque chose ne va pas, Pierre ?
- C'était quoi, la condition ? lâcha-t-il en lui jetant un regard noir.
- ... La condition à quoi ?
- La condition pour que mon père vous finance ?
- Mais qui t'a dit... ? »

Mais l'homme d'une trentaine d'années n'eut pas besoin d'en demander davantage. Il connaissait déjà la réponse.

« Rah, je savais que j'aurais dû préciser à Auguste qu'il ne fallait pas aborder ce sujet... soupira l'homme de sciences.
- Oui, ben trop tard ! siffla le jeune Rochard. Alors ?!
- Je... Bon, je suppose que je n'ai pas le choix... Adam acceptait de nous financer si, en retour, tu étais impliqué au projet.
- ... Pardon ?
- Il souhaitait que, si nous réussissions effectivement à les faire revivre, ce soit toi qui élèves ces deux Pokémon préhistoriques. Justement parce que c'était toi qui les avais trouvés.
- ...
- Mais, tu dois t'en douter, il ne voulait pas que je t'en parle. Il craignait que tu refuses catégoriquement, si tu apprenais qu'il nous finançait.
- Ben voyons... »

Le silence tomba entre les deux hommes, seulement perturbé par les tapotements rapides des doigts du Champion sur le clavier.

« Ecoute, Pierre... Ton père voulait seulement trouver un moyen de t'aider, même indirectement. Tu ne crois pas que...
- Et voilà, toutes les données finales sont rentrées ! interrompit bruyamment le Dr. McGee en se redressant. Plus qu'à actionner le... Hum ? »

Il sembla chercher quelque chose sur le tableau de bord de la machine. Soudain, il se tourna vers son collègue.

« Aloïs, où est le levier que je vous avais demandé ?
- Eh bien, euh... Il n'y est pas...
- WHAT ?! s'écria l'expert en génétique, abasourdi. Mais pourquoi ?!
- Je trouvais que ça aurait chargé inutilement la console, en plus de coûter un peu trop cher. Du coup, j'ai seulement fait installer cet interrupteur...
- Mais... Mais enfin, Aloïs, où est votre sens du théâtral ?! Pour une telle occasion, il fallait un levier ! »

Dépité, le Champion chauve se retourna vers la machine, alors que Pierre se demandait si ce n'était pas à cause d'individus dans son genre que l'image du Kantonnais extravagant persistait. Le vieil excentrique actionna mollement l'interrupteur, visiblement bien déçu.
Un anneau lumineux apparut alors au bas de chacun des réservoirs, et se mit à les remonter lentement. Arrivant au sommet du cylindre, il repartait dans l'autre sens, un peu plus rapidement, et ainsi de suite au point que, en quelques secondes, il fut impossible de distinguer le contenu de chacune des cuves. Apeuré devant tant de lumière, le petit Sulfur se réfugia derrière les jambes de son maître en couinant, mais celui-ci lui ordonna de se taire d'un simple regard.
Enfin, le cercle éclatant ralentit, jusqu'à revenir à sa position initiale.

« Ca... Ca a marché ! s'exclama le scientifique hoennien.
- Je maintiens que ça aurait eu plus d'effet avec un levier... » marmonna pour sa part Auguste McGee.

Le jeune adulte, lui, ne comprenait pas vraiment leur enthousiasme, au vu du contenu actuel des réservoirs.

« Euh... Vous êtes sûrs de vous... ? demanda-t-il en fronçant les sourcils. Ils ont complètement disparu, là. »

Effectivement, le liquide limpide était désormais exempt des morceaux de roche qui se trouvaient encore là quelques instants auparavant.
Mais le Pr. Seko lui fit signe d'approcher de la console, sur laquelle il pianota quelques touches. Deux écrans s'allumèrent alors, pour montrer des cellules qui se divisaient pour rapidement augmenter leur nombre.

« On ne peut pas encore les voir à l'œil nu, mais ils vont bientôt grossir. Quelle était votre estimation, déjà, Auguste ?
- Je dirais qu'il y a 500h d'attente, soit à peu près une vingtaine de jours, avant qu'ils ne naissent véritablement, répondit-il en lissant sa moustache imposante. J'ai utilisé spécialement une version améliorée par mes soins du liquide pro-natal qui avait été élaboré pour la création de... Vous savez, cette abomination.
- ... S'il y a autant de temps que ça à patienter, pourquoi m'avoir fait venir maintenant, alors ? demanda le Dresseur en fronçant les sourcils sur ses yeux durs.
- Parce qu'on profitera de ce délai pour faire un maximum de recherches sur la manière d'apprivoiser ces créatures, expliqua Aloïs Seko. Ca ne sera pas aussi simple qu'avec des Pokémon normaux : ils sont beaucoup plus primitifs, donc leurs réactions pourraient être bien plus extrêmes.
- ... Plus extrêmes qu'un Airmure qui essaye de me découper en rondelles... ? Et pourquoi ne pas simplement utiliser une Pokéball sur eux ?
- Je doute que ce soit aussi simple, son, parce qu'ils risquent d'être en état de stress. Tu imagines, toi, si tu débarquais dans un monde inconnu, que tu rencontres des gens que tu n'as jamais vus et que la première chose qu'ils te font, c'est t'enfermer dans une petite sphère ? Pour eux, ce sera pareil.
- Et c'est justement pour éviter ça qu'on va devoir s'occuper de trouver des solutions pour que tu puisses les élever avec le moins de risques possibles. »

Pierre regarda tour à tour les deux scientifiques, en gardant les sourcils froncés.

« Vous parlez tous les deux comme si j'avais déjà accepté d'être mêlé à tout ça...
- Ben, c'est bien pour ça que tu es ici, s'étonna le Champion étranger.
- Non. Je n'avais aucune idée de ce que le Pr. Seko voulait de moi quand il m'a demandé de venir, répliqua-t-il sèchement. Mais maintenant que j'ai tous les éléments, je vais peut-être pouvoir prendre ma décision. Et pas me conformer à la vôtre, ou à celle de mon père. »

Il tourna les talons et se dirigea vers la porte, avant d'être interpellé par l'homme au visage carré.

« Attends, Pierre ! Je sais que je n'aurais pas dû te cacher ça, mais s'il te plaît, ne réduis pas tout nos efforts à néant. Nous allons vraiment avoir besoin de toi !
- ... Je vous tiendrai au courant de ma décision. »

Là-dessus, il quitta la pièce en claquant la porte.

***
Sortant du bâtiment, le jeune Rochard se mit à arpenter aléatoirement les rues de la petite ville, ruminant ses pensées. Il ne pouvait même pas le laisser faire son voyage en paix. Il fallait quand même qu'il s'en mêle ! Jusqu'où irait-il, pour tenter de contrôler sa vie ?!
Ses pas hasardeux le conduisirent jusqu'à un petit square, où une dizaine d'enfants jouaient dans les constructions qui leur étaient destinées, sous le regard bienveillant de leurs parents. Lassé d'errer ainsi, il décida de s'asseoir sur un banc libre, assez éloigné pour ne pas trop être dérangé dans le fil de ses pensées par les cris des gamins.

Il devait refuser. C'était aussi simple que ça. Il refusait de se faire manipuler de la sorte, même s'il l'appâtait à la perspective de posséder deux créatures inédites, qui lui procureraient un avantage certain au vu du peu d'informations à leur sujet.
... Vrai que présenté comme ça... Et puis, l'expression sur le visage du Pr. Seko, quand il lui avait répondu de la sorte... Il avait eu l'air sincère et vraiment désolé de la situation qui avait abouti. Pouvait-il vraiment se permettre de lui faire faux bond, alors qu'il avait eu l'honnêteté de vouloir partager sa découverte avec lui ? Oui, sauf que cette honnêteté ne résultait que d'une condition imposée par son père, donc...

Pierre se massa les tempes en grognant. Ca ne servait à rien, il tournait en rond. Il aurait besoin des conseils de quelqu'un... Pas sa mère, elle se serait aussitôt rangée de son côté à lui. Et, même s'il était tenté d'appeler M. Moore -encore que cela aurait voulu dire emprunter le téléphone du savant hoennien, ce qui aurait été une belle hypocrisie de sa part-, il se doutait déjà de sa réponse. Non, il lui fallait quelqu'un qui soit le plus neutre possible !

La solution lui traversa l'esprit. Fouillant dans sa poche intérieure, il en sortit une des capsules bicolores. L'instant d'après, le gros robot bleuté se matérialisa, le pendentif sombre se balançant doucement au bout de son bras.
Cobalt étudia brièvement les alentours, se familiarisant avec le paysage, avant de se concentrer sur son maître.

« J'ai besoin de ton aide à propos d'un truc sur lequel je dois me décider. Tu veux bien ? »

Aussitôt, le Métang acquiesça en poussant des bruits curieux.

« En bref, j'ai deux choix possibles : soit j'accepte d'aider le Pr. Seko et on aura deux Pokémon préhistoriques dans l'équipe, soit je refuse parce que c'est mon père qui a financé le projet. T'en penses quoi ? »

Sans la moindre hésitation, l'automate articulé creusa légèrement la terre d'un de ses crochets, afin d'y dessiner un trait.

« Oui, je sais que la première option semble être la meilleure. Mais... Dans ce cas, ça voudrait dire que je fais exactement ce que voudrait mon père. Et ça, je refuse ! »

Les pupilles factices de la machine consciente se dilatèrent et se réajustèrent plusieurs fois, comme si elle réfléchissait. Puis, elle émit une petite série de bruits d'ordinateur.

« Hum ? Ben, c'est mon père quoi : il veut toujours tout décider à ma place, et croit toujours tout savoir mieux que moi. Et ça, c'est vraiment lourd. »

Un bip grave de désaccord retentit, alors que son interlocuteur muet pointait sa pince dans sa direction.

« Comment ça, je fais la même chose avec vous ? Mais c'est pas pareil, je suis votre Dresseur ! C'est pas comme si j'étais votre père ou... »

Il s'interrompit, voyant où Cobalt voulait en venir. Si, en fait, d'un certain côté... Il agissait de la même manière avec eux ? Un peu... Comme s'il était leur parent.
Il les récompensait quand ils faisaient quelque chose de bien ou ce qu'il attendait d'eux, et les réprimandait quand ils faisaient une bêtise. Comme lorsque Mithril s'était arraché les plumes où il avait mis du baume guérisseur. Il avait alors sévi, en en choisissant un autre avec lequel il était certain qu'il n'oserait pas faire ça. Et, voyant qu'il s'était laissé faire, il l'avait gratifié d'une friandise. De plus, maintenant qu'il y repensait, il leur parlait souvent comme il le faisait avec Adriane. Comme s'ils étaient des enfants... Ses enfants.

« ... Bon, ok, je t'accorde ce point... Mais ça ne change pas que je suis en colère contre lui, » déclara-t-il en se redressant sur le banc, les bras croisés.

A nouveau, l'automate bleuté poussa un bruit interrogatif.

« Tout simplement parce qu'il fait tout pour me mettre des bâtons dans les roues quand je vais pas dans son sens. Voilà pourquoi. Comme quand j'ai voulu prendre l'option Dressage au lycée, et que c'est... »

Toi qu'il m'a offert, se retint-il de dire juste à temps. Non, il ne pouvait pas donner ça comme exemple. Parce que, si effectivement ça avait été l'une de ses raisons d'en vouloir à son père, en lui donnant un Pokémon qu'il avait jugé comme inutile, il s'était depuis rendu compte que, bien au contraire, Cobalt était l'une des meilleures choses qui lui soient arrivées. Il avait cherché la créature qui lui irait le mieux, lui avait dit son géniteur à l'époque... Créature qui, en effet, s'était révélée être un allié infaillible, même lorsqu'il s'était montré odieux avec elle.
Néanmoins, malgré le fait qu'il ait empêché les mots de franchir ses lèvres, le Métang semblait avoir compris ce qu'il avait failli dire. Adoptant une attitude contrariée, l'imitant même en croisant autant que possible ses bras massifs, une sorte de bourdonnement sourd émana de lui. Soudain, il s'éloigna de son maître et se mit à fouiller les environs, comme s'il cherchait quelque chose.

Le jeune Rochard le regarda faire, tout en s'interrogeant. Maintenant qu'il y réfléchissait, il réalisait qu'au contraire, son père avait souvent essayé de le soutenir, ou de régler leurs problèmes à l'amiable. Les rares fois où il avait haussé le ton, c'était clairement parce que c'était lui, son fils, qui avait été trop loin. Et, pouvait-il vraiment lui en vouloir d'avoir essayé de l'empêcher de fuguer ainsi, alors qu'il avait tout manigancé dans son dos... ?
Alors, pourquoi était-il toujours en colère contre son père, si la principale raison n'avait plus lieu d'être ? ... En fait, depuis quand avait-il décidé de lui tenir tête ? Parce qu'il avait été persuadé qu'il voulait le garder sous son aile pour le manipuler, et que c'était pour cela qu'il l'avait tenu éloigné de sa mère. Pourtant... Elle n'avait pas parlé de son ancien époux comme il s'y serait attendu, quand il l'avait revue. Elle l'avait même défendu, et avait dit être en colère contre lui pour la façon dont il avait agi avec son père...

C'est à ce moment-là que Cobalt revint vers lui. S'arrêtant à sa hauteur, il lui tendit alors le journal qu'il tenait entre ses crochets.

« Quoi, qu'est-ce que tu veux que je fasse avec ? » demanda-t-il en prenant le quotidien.

Le gros robot avança sa pince sur la feuille souple devant le jeune homme, et indiqua une publicité qui prenait bien tout le bas de la page. L'encart faisait la promotion d'une toute nouvelle sphère à l'élégante surface noire cerclée de rouge, apparemment appelée Luxe Ball, qui faciliterait les relations entre le Dresseur et son Pokémon. Pour que son bonheur soit le vôtre, affirmait le slogan.
Ne comprenant pas, Pierre adressa un regard perplexe à la machine bleutée, qui poussa un son exaspéré. Puis, elle pointa le nom de l'entreprise qui était à l'origine de cette innovation.

« La... La Devon S.A.R.L. ? s'étonna Pierre. Mais... Je croyais qu'ils ne s'occupaient que de tout ce qui était technologie de pointe ! »

Qu'est-ce que cela voulait dire ? ... Non, il ne s'était quand même pas lancé là-dedans juste pour pouvoir l'aider ! Si... ? Peut-être...
Il reporta son attention sur la petite phrase, écrite à la main. Une écriture qui ressemblait énormément à celle de son père. Pour que son bonheur soit le vôtre... S'agissait-il d'un message qu'il avait espéré lui transmettre ? Pour lui signifier que, tout ce qui comptait pour lui, c'était qu'il soit heureux dans ce qu'il faisait ? ... Non, c'était quand même tiré par les cheveux. Si ça se trouvait, ce n'était qu'une formule marketing pour bien vendre. Même si la coïncidence était grande. Trop grande...

« ... Merci, Cobalt. »

Quelques minutes plus tard, il était de retour sur le pas de la porte du laboratoire. Inspirant un grand coup, il toqua.

« Je suis désolé pour ma réaction de tout à l'heure, Professeur, dit-il alors que ce dernier venait d'apparaître dans l'encadrement. Je me suis emporté contre vous, alors que vous n'aviez rien fait, que ce soit vous, le Dr. McGee ou... »

Mon père, ne parvint-il pas à prononcer. Ces deux mots restaient bloqués dans sa gorge, comme s'il avait encore du mal à l'accepter. Mais le savant lui répondit d'un doux sourire.

« Ne t'en fais pas, mon garçon. Je m'excuse, moi aussi. J'aurais dû être honnête avec toi. Mais je craignais tellement que tu refuses, en apprenant qui finançait le projet...
- Je sais... Mais j'ai pris ma décision. Vous pouvez compter sur mon aide.
- Merci ! Tu ne sais pas ce que ça représente pour Auguste et moi, soupira le savant, visiblement bien soulagé. ... Ah, attends une seconde. »

Il disparut à l'intérieur, mais revint presque immédiatement, un drôle d'appareil à la main.

« C'est pour toi.
- Euh... Merci, mais qu'est-ce que c'est ? demanda le jeune adulte en examinant l'engin jaune qu'il venait de prendre.
- C'est un Navigateur Pokémon, aussi appelé PokéNav. Enfin, c'est un prototype, il ne sera mis sur le marché que dans deux ans.
- ... Pourquoi m'en donner un maintenant, alors ?
- C'est un appareil destiné à faciliter la vie sociale des Dresseurs et éviter l'isolement que beaucoup vivent. Notamment en leur permettant de communiquer avec leurs proches, au moyen d'une fonction de téléphone intégrée. Il y a d'autres fonctionnalités, aussi, mais je ne les connais pas toutes.
- Ca ne répond pas à ma question.
- Officiellement, c'est parce que les développeurs ont besoin de voir s'il fonctionne au quotidien, en dehors de leurs laboratoires.
- ... Et la vraie raison... ?
- Eh bien... hésita Aloïs Seko. Il a été conçu au sein de la Devon S.A.R.L. et... Ton père voulait que tu sois le premier à en avoir un. »

Le Dresseur aux cheveux argentés ne répliqua rien, les yeux toujours rivés sur le PokéNav. Intérieurement, il s'était attendu à cette réponse. Une partie de lui voulut fracasser le dispositif contre le mur. Pourtant, il n'en fit rien, se contentant de le ranger dans une poche de son sac.

« ... Merci...
- Je t'en prie. Allez, rentre maintenant. Auguste ! s'écria le savant en direction de l'intérieur. C'est bon, Pierre accepte de participer !
- Great ! On va pouvoir déboucher la bouteille de Magmar's Breath que j'avais apportée pour l'occasion ! »

***
Il était tôt, le lendemain matin, quand le Pr. Seko prit le combiné du téléphone et tapa un numéro précis. Une quinzaine de secondes plus tard, on décrochait.

« Allô ?
- Bonjour Adam. Je ne vous dérange pas ?
- Non, non, j'étais simplement en train de lire les nouvelles du jour. Que se passe-t-il, Aloïs ?
- Je voulais vous prévenir que le projet avait réussi : nous avons fait revivre les fossiles ! J'aurais dû vous appeler hier, mais la soirée a été assez animée.
- Je vous en prie. Et je suis content pour vous.
- Merci. Mais aussi, je voulais vous dire que... Votre fils a accepté de nous aider. En sachant que c'était vous qui nous aviez financé.
- ... Aloïs, je vous avais demandé de...
- Je sais... Malheureusement, je n'avais pas prévenu le Dr. McGee à ce sujet, pensant qu'il ne l'aborderait pas. Mais visiblement, j'ai un peu sous-estimé l'excentricité kantonnaise...
- ...
- Mais, il y a autre chose, aussi. Il a également accepté votre cadeau. Toujours en sachant qu'il venait de vous. »

Le directeur de la Devon S.A.R.L. ne répondait toujours pas. Peut-être parce qu'il a du mal à y croire, se dit l'homme de sciences.

« Du coup, c'est une bonne nouvelle pour vous et pour moi, tenta-t-il pour détendre l'atmosphère.
- On dirait... Excusez mon silence, c'est juste que...
- Pas de souci, je comprends. Je vous tiendrai au courant de la suite, si vous le souhaitez.
- Merci, oui... Au revoir. »

Le Pr. Seko raccrocha, un peu embarrassé. Il aurait pensé qu'il montrerait plus d'enthousiasme que ça à cette annonce...
Mais il n'eut pas le temps de s'en inquiéter davantage, car un bredouillement se fit entendre derrière lui.

« Bonjour Professeur... »

Il se retourna pour voir un Pierre encore un peu endormi en train de se masser le front.

« Bonjour Pierre. Tu vas bien ?
- Je crois que j'aurais pas dû accepter le verre de Magmar's Breath... J'ai la tête comme un Pitrouille...
- Ah ça... Surtout quand on est pas habitué à boire, cet alcool est très traître. Auguste est réveillé ?
- Non... Il est toujours en train de dormir sur le canapé. Je crois qu'il n'a pas bougé depuis hier soir...
- Ca ne m'étonne pas vraiment. Bon, je vais te chercher quelque chose pour ton mal de crâne, et j'irai le réveiller ensuite. On va avoir du travail. »

***
Doucement, les pétales surmontant la tête massive de la plante s'étirèrent en direction du morceau de poisson qu'on lui tendait. Les tentacules s'enroulèrent délicatement autour de la nourriture, la soulevant de la main qui la supportait, avant de se rétracter pour l'apporter dans le creux dissimulant sa bouche. Satisfait, l'humain caressa le calice lilas aux yeux factices.

« C'est bien Silène, » la félicita Pierre.

Depuis presque six mois qu'ils travaillaient ensemble, après son éclosion, ils avaient fait de gros progrès. Au début, quand il avait essayé de le nourrir de cette façon, le végétal préhistorique attrapait systématiquement son bras de ses pétales flexibles pour l'enfoncer dans sa bouche, agissant par réflexe. Mais elle avait peu à peu compris qu'elle avait plus intérêt à ne pas blesser cette étrange pince charnelle, puisque celle-ci venait chaque jour lui apporter à manger sans qu'elle ait besoin de chasser elle-même. Et désormais, elle réagissait à la voix de son Dresseur, répondant notamment au nom qu'il lui avait donné, et venait à sa rencontre quand elle le voyait entrer dans son enclos aménagé.
Les résultats étaient tout aussi concluants avec le scorpion à plumes, né en même temps qu'elle. Antarès, comme il l'avait nommé, se montrait même presque affectueux. Il le saluait en refermant doucement ses pinces sur sa main, et plusieurs fois il lui était arrivé de grimper sur le dos du jeune adulte.

Cependant, les deux créatures préhistoriques ne se connaissaient pas. Les deux savants avaient jugé préférable de les élever à part, chacune dans son propre enclos, par mesure de précaution. Il y avait en effet de fortes chances qu'ils soient prédateurs l'un de l'autre, comme le suggérait la position qu'ils avaient adoptée sur le fossile, et ils ne voulaient pas courir le risque qu'ils s'entre-tuent.

Un bruit derrière le jeune Rochard fit pencher mollement la tête de la Lillia, pour que ses vrais yeux puissent voir ce qui arrivait. Apercevant le Pr. Seko qui s'approchait, elle s'éloigna alors lentement, ses ventouses se détachant et se collant à la terre pour rejoindre le bassin d'eau de mer où elle avait l'habitude de se réfugier.

« Elle n'a pas encore l'air de s'être habituée à moi, on dirait.
- Ca viendra peut-être. Par contre, ça s'est pas arrangé, son état. »

Il désigna les pétales fanés qui gisaient au sol. En effet, si la plante lilas se développait bien, au point de dépasser Pierre de plus d'une tête, désormais, cela faisait quelques semaines qu'elle perdait régulièrement ses tentacules frontaux. S'ils avaient d'abord songé que cela venait d'un quelconque stress, ils n'avaient plus su quoi penser en voyant qu'une nouvelle corolle avait commencé à pousser, au sommet de la tige qui lui servait de cou, formant comme une crinière. De plus, son calice semblait se refermer peu à peu, adoptant une forme proche du grelot, et la teinte lilas de son corps s'était faite presque entièrement remplacée par une couleur anisée.

« C'est vraiment étrange... murmura le savant. Je reviens de la cage d'Antarès. Il y avait encore deux mues, et je crois qu'il en prépare déjà une autre.
- ... Vous plaisantez ? J'en avais déjà enlevé quatre qu'il avait faites cette nuit, quand je suis allé le voir tout à l'heure ! »

Le comportement de l'arachnide aussi était inquiétant. Il grossissait chaque jour, faisant déjà plus de deux mètres de long, et sa morphologie se modifiait à chaque fois qu'il renouvelait son exosquelette. Le petit scorpion à plumes du début n'avait plus grand-chose à voir avec ce qu'il était maintenant : son corps s'était comme étiré, ses nageoires souples s'étaient déplacées sur le cou qui s'était formé ; sa nageoire caudale s'était allongée en une queue terminée de pics menaçants, et sa carapace dorsale s'était scindée en deux élytres renforcées. A cela s'ajoutaient deux appendices qui avaient poussé sur le bas de son abdomen, et qui se complexifiaient à chaque nouvelle mue pour ressembler de plus en plus à des pattes...

« Et en plus... Bon, j'ai peut-être rêvé, mais il m'a semblé qu'il était debout juste avant de plonger dans l'eau.
- ... Comment ça, debout ?
- Sur ses deux pattes. Tu sais, celles qui ont poussé. »

Alors qu'ils quittaient l'enclos pour revenir vers le laboratoire, les deux hommes s'interrogèrent du regard, ne sachant pas vraiment quoi penser de tout ça.

« Vous avez eu la réponse du Dr. McGee ?
- Pas encore, mais ça ne devrait pas tarder. »

Il n'avait pas fini sa phrase que la sonnerie stridente du téléphone retentit dans la maison, et le savant s'empressa de prendre l'appel.

« Allô ?
- Ah, Aloïs ! fit la voix forte du Champion étranger. Je viens de finir d'examiner les échantillons que vous m'aviez envoyé, et je crois avoir identifié le problème...
- Vraiment ? Tant mieux, parce que la situation commence sérieusement à devenir bizarre.
- Vous vous souvenez quand j'avais dit que j'avais utilisé une version améliorée du liquide pro-natal pour accélérer leur croissance ?
- Oui ?
- Weeeell, je crois qu'elle était un peu trop améliorée. D'après ce que j'ai pu observer, les cellules se reproduisent à une vitesse hallucinante, ce qui expliquerait le développement fulgurant d'Antarès et Silène...
- Rah, bon sang...
- A ma décharge, sans ça nous aurions probablement dû patienter plusieurs dizaines d'années pour qu'ils atteignent leur stade actuel de développement.
- D'accord, mais ça ne change rien au fait qu'Antarès a mué six fois en l'espace de douze heures, et qu'il prépare déjà la septième... soupira le scientifique hoennien. Et je crois même qu'il s'est redressé sur ses deux pattes.
- Hum... Voilà qui est inquiétant, indeed...
- Vous avez une solution ?
- Je pense, oui. J'ai élaboré un sérum, qui devrait permettre de stopper le renouvellement des cellules. Par contre, ils garderont leurs tailles et morphologies actuelles.
- Ce sera toujours mieux que rien. »

Quelques instants plus tard, l'homme de sciences était dans son laboratoire, en train d'expérimenter la formule donnée par le vieil excentrique, assisté par le jeune Rochard.

« Vous pensez que ça va fonctionner ?
- Auguste est celui qui a créé ce liquide pro-natal. S'il y a bien une personne pour savoir comment contrer ses effets, c'est lui. Il faut juste attendre pour... »

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'un grand fracas se fit entendre, ébranlant les murs du bâtiment.

« ... Qu'est-ce que c'était que ça ? s'interrogea le scientifique.
- On aurait dit que ça venait de la cage d'Antarès... »

Pierre venait juste de murmurer ces mots qu'un second éclat retentit, faisant à nouveau trembler les parois.

« C'est pas bon signe du tout ! Combien de temps vous faudra-t-il pour terminer le remède ?
- Je dirais au moins cinq minutes, dix pour être sûr.
- Très bien. Je vais aller voir ce qu'il se passe ! »

Là-dessus, le jeune adulte quitta la pièce pour se précipiter vers l'enclos du scorpion antique, d'où venait le bruit. Mais, en pénétrant à l'intérieur, il se mordit la lèvre en écarquillant les yeux.

« Oh merde... »

Un trou béant était clairement visible dans l'une des cloisons de la salle aménagée. Et, comme par hasard, il s'agissait du mur mitoyen à la cage de la plante préhistorique... !

Le Dresseur aux cheveux d'acier courut jusqu'à l'ouverture improvisée, espérant que ce qu'il craignait ne se réalise pas...
Néanmoins, ses doutes étaient fondés. Dans la pièce d'à côté se déroulait un affrontement féroce entre les deux créatures d'un autre temps. L'arachnide bipède, qui avait encore grandi, cherchait à atteindre de ses pinces coupantes la tige flexible de son adversaire afin de la décapiter. Mais le végétal immémorial ne se laissait pas faire : les tentacules de sa basse corolle étaient enroulés autour des bras de chitine, forçant dessus comme pour les arracher. Cependant, ses liens ne parvenaient à saisir les plumes ou les élytres de l'invertébré, glissant dessus sans y trouver la moindre accroche.

« Silène ! Antarès ! Arrêtez ! »

Il avait espéré attirer leur attention en les appelant, mais cela ne sembla pas fonctionner. De plus, voyant qu'il n'arrivait pas à l'atteindre de front, le scorpion géant se retourna brutalement, entraînant avec lui les pétales qui lui entravaient ses armes, et asséna un puissant coup de sa queue en pointe à la base de sa proie prédatrice. Mais, s'il avait espéré l'emporter et la faire chanceler, c'était peine perdue. Les ventouses de la Vacilys s'étaient allongées pour s'enraciner bien profondément dans la terre, l'empêchant ainsi de perdre l'équilibre. En revanche, elle répliqua immédiatement à l'attaque en crachant un liquide verdâtre qui, entrant en contact avec le blindage minéral de l'Armaldo, se mit à bouillir en entamant son armure, s'infiltrant dans les interstices en dégageant des vapeurs nauséabondes.

S'apercevant que la situation empirait, le jeune homme aux yeux durs sortit deux capsules de sa poche intérieure pour matérialiser le gros robot bleuté et le golem au multiple regard rougeoyant.

« Cobalt, Gypse, il faut les séparer, vite ! » s'écria-t-il.

Aussitôt, l'automate pointa ses crochets en direction du monstre millénaire, alors que l'imposante poupée d'argile envoyait ses propres membres sans attache tournoyer autour de la plante des temps anciens. Une fine aura bleutée et écarlate enveloppa alors les deux créatures en plein affrontement mortel, représentant les capacités psychiques mobilisées par les Pokémon de Pierre.
Mais, peut-être était-ce parce que les fossiles réanimés venaient d'un temps bien antérieur au leur ou bien à cause de la taille démesurée qu'ils faisaient désormais, le Métang et le Kaorine avaient toutes les peines du monde à avoir une véritable emprise sur les mouvements de leurs victimes. Plusieurs minutes d'à-coups furent nécessaires à l'être mythique pour décoller les tentacules, les faisant reculer de quelques centimètres seulement à chaque fois, alors que ses bras trapus, en orbite autour du végétal, vibraient sous l'effort intense de sa concentration. Quant à la machine consciente, ses crochets étaient raidis, comme s'ils agrippaient fermement quelque chose qui tentait de leur échapper, et il avait toutes les difficultés du monde à écarter ses membres articulés l'un de l'autre, reflet de ses problèmes pour éloigner le scorpion bipède de son ennemi.

Finalement, au prix de nombreux efforts et après plusieurs minutes, les deux créatures préhistoriques furent éloignées l'une de l'autre. Mais seules les volontés éprouvées de Gypse et Cobalt les empêchaient de se ruer à nouveau l'une sur l'autre pour reprendre le combat. Et ils semblaient avoir de plus en plus de mal à les contenir...
Sentant que l'affrontement bestial allait reprendre d'une seconde à l'autre, le jeune Rochard n'hésita pas un seul instant : il fonça s'interposer entre l'arachnide et la plante qu'il avait élevées ces derniers mois.

« Stop ! » s'exclama-t-il, un bras tendu vers chacun des êtres ancestraux, au moment où ceux-ci se libéraient des influences psychiques.

Les deux ennemis se figèrent dans leur posture menaçante, étonnés de reconnaître le drôle de mammifère, ridiculement petit par rapport à eux, qui avait pris soin d'eux. Surtout, ils étaient dubitatifs. Pourquoi restait-il là, sans crainte, alors que derrière lui se tenait un ennemi qui n'hésiterait pas à le réduire en pièces ? N'avait-il donc aucun instinct de survie ?
Cependant, avant qu'un seul ait esquissé le moindre mouvement vers lui, Pierre baissa les bras, le temps de fouiller dans l'une de ses poches. Il en extirpa deux morceaux de poisson, qu'il tendit respectivement à l'Armaldo et à la Vacilys.

« Tout va bien. Il n'y a rien à craindre. »

Il répéta doucement ces mots pendant les minutes qui suivirent, alors qu'aucun des deux êtres des temps anciens n'osait bouger, de crainte qu'il soit pris pour cible par l'autre.

Ils restèrent ainsi figés en silence durant un long moment. Enfin, Antarès effectua un premier pas prudent dans sa direction, ses yeux en amande ne quittant pas le végétal antique de l'autre côté. Le voyant progresser ainsi, Silène avança son calice vers le bras tendu, puis commença à étirer les tentacules de sa couronne végétale avec précaution. Les pétales s'enroulèrent autour de la friandise à l'instant où la grosse pince prenait délicatement l'autre morceau de chair aquatique.
Les deux adversaires suspendirent leur geste, s'étudiant dans un moment de flottement. Ayant l'air de comprendre qu'ils n'avaient pas à craindre que l'adversaire s'en prenne à ce primate qui les nourrissait, scorpion et plante rétractèrent leur membre respectif, pour manger l'offrande qui leur était faite.

Soulagé de les voir apaisés, le jeune adulte poussa un long soupir. Ce fut à ce moment-là que le Professeur Seko apparut, à travers le trou dans le mur.

« Pierre ?! Bon sang, tout va bien ?
- Oui, j'ai réussi à les calmer... Plus ou moins.
- Tant mieux... Tout de même, la force d'Antarès est impressionnante, pour réussir à percer le mur comme ça... Heureusement, le sérum est prêt. »

Le jeune Rochard hocha la tête en prenant les deux fioles au liquide bleuté. Néanmoins, il préféra ne pas les administrer lui-même aux Pokémon préhistoriques. Il craignait d'ajouter à la confusion en s'approchant de l'un sous le regard de l'autre. Aussi, il confia la tâche à Cobalt et Gypse.

« Je pensais vraiment pas qu'ils seraient aussi calmes l'un face à l'autre... murmura Aloïs Seko.
- Ca, c'est uniquement parce que je suis entre eux pour le moment. Mais j'ai peur qu'ils recommencent à se battre si je quitte cette place.
- C'est fort possible, oui... Comment faire, alors ? »

Le Dresseur hocha tristement la tête. Il n'en avait pas la moindre idée... La meilleure chose à faire serait de les habituer à vivre l'un à l'autre, mais ça ce n'était qu'une solution sur le long-terme, et ça ne réglerait pas son souci actuel.
Une pensée lui traversa alors l'esprit. Peut-être...

« Professeur... Vous pensez qu'ils pourraient supporter d'être capturés, maintenant ?
- Eh bien, vu qu'ils ont l'habitude de toi, je pense que c'est jouable, oui.
- Dans ce cas, j'aurais besoin que vous fassiez quelques achats pour moi, si c'est possible. »

Fouillant dans sa poche, il tendit quelques billets au savant en lui expliquant ce qu'il voulait.
Ce dernier revint un peu plus tard dans l'enclos, où ni Pierre ni l'un des Pokémon antiques n'avaient bougé.

« C'était bien ça ? demanda-t-il en lui remettant les objets.
- Oui, parfait ! » répondit le jeune homme en hochant la tête.

Se tournant vers le scorpion bipède et la plante millénaire, qui tous deux le dépassaient largement en hauteur, il tendit une sphère noire cerclée de rouge en direction de chacun.

« Pour que leur bonheur soit le vôtre, hein ? » dit-il dans un souffle imperceptible.

Il appuya sur les deux boutons, aspirant les créatures du passé.

***
Les doubles portes du bâtiment s'ouvrirent, laissant s'engouffrer l'air chaud d'un après-midi de début de septembre, alors qu'un jeune homme aux cheveux d'acier entrait. Il fut aussitôt accueilli par une femme à la longue chevelure d'un noir d'encre.

« Sois le bienvenu à l'arène d'Algatia ! C'était toi qui avais pris rendez-vous pour le match d'aujourd'hui, n'est-ce pas ?
- En effet.
- Dans ce cas, suis-moi. »

Ils accédèrent au terrain à ciel ouvert, se positionnant chacun d'un côté.

« Serais-tu intéressé par un match double ? questionna la Championne.
- C'est justement pour ça que je suis venu.
- Dans ce cas... »

La femme lança deux sphères, qui s'ouvrirent pour révéler une courte girafe bicolore et un cochon bipède décoré de perles.
Un petit sourire confiant s'afficha sur les lèvres du jeune adulte, alors que lui-même actionnait les deux globes d'un noir élégant qu'il tenait dans ses mains. L'instant d'après, un scorpion colossal et une plante l'égalant bien en taille firent leur apparition sur le terrain.

Ils s'accordèrent un regard... Avant de se jeter sur leurs adversaires.

La hache de guerre avait été définitivement enterrée.