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Cœur de Pierre de Yûn



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» Auteur : Yûn - Voir le profil
» Créé le 30/10/2014 à 17:05
» Dernière mise à jour le 17/12/2015 à 10:35

» Mots-clés :   Aventure   Hoenn   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life   Suspense

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Chapitre 2. Une pierre à l'édifice
Ce ne fut qu'une fois arrivé au centre-ville éclairé d'innombrables lampadaires, enseignes et autres panneaux publicitaires que, enfin, le jeune Rochard cessa sa course. Plié en deux, les mains posées sur les genoux, il reprenait son souffle, sous les regards curieux ou étonnés des badauds. Mais ceux-ci se détournaient bien vite de ce garçon chargé comme un Tauros qui venait de débouler sur la grande avenue, trop pressés de retourner vaquer à leurs occupations pour lui accorder davantage d'attention ou se poser des questions à son sujet.
Pierre se redressa au bout d'une vingtaine de secondes. Il n'avait plus couru aussi longtemps et sur une telle distance depuis un bon bout de temps. De plus, même si son sac n'était encore qu'à moitié rempli, il faisait quand même son poids et n'avait pas manqué de titiller son endurance. Il se retourna. Personne. Son père ne l'avait pas suivi, et il n'avait entendu personne se lancer à ses trousses. A nouveau, un sourire triomphant étira les lèvres du jeune homme, alors qu'un éclat de défi s'allumait dans ses pupilles métalliques. Il avait définitivement réussi.

L'adolescent reprit sa route d'un pas léger, les mains dans les poches, savourant sa victoire. Il était désormais libre comme l'air, et n'avait plus qu'à se préoccuper de cette quête des badges.
Cependant, hors de question de débuter avec celle de Mérouville. Non seulement il était certain que son géniteur, si celui-ci cherchait éventuellement à le retrouver pour lui couper les ailes, allait y envoyer un des vigiles gardant sa stupide entreprise pour l'intercepter, mais surtout parce que, dans l'état actuel des choses, il était sûr de perdre. La boîte de conserve en sa possession n'était même pas capable de vaincre les bestioles les plus banales, alors un Champion... C'était inutile d'y songer.

Non, il lui fallait un autre Pokémon pour pouvoir contrebalancer la loque qu'il se trimbalait. Sauf qu'avec l'incroyable inutilité de cette dernière, vouloir capturer ne serait-ce qu'un Chenipotte capoterait. Il lui fallait une autre solution...
Heureusement, Pierre s'était posé cette question des semaines plus tôt. Et, après avoir effectué quelques recherches, il avait trouvé comment contourner le problème.

Le jeune homme aux cheveux de métal entra dans la gare routière qui, à cette heure, était presque déserte. Il put même accéder directement à l'un des guichets, sans avoir à attendre derrière la vieille qui racontait le pourquoi du comment de son voyage à l'employé à côté, ou le père de famille, un peu plus loin, qui tentait de marchander pour avoir droit à quelques pokédollars de réduction sur le billet de l'un de ses enfants.
Une trentaine de minutes plus tard, il prenait place dans le bus qui le mènerait à Lavandia.

***
Pierre s'éveilla lorsque le chauffeur indiqua d'une voix forte qu'ils étaient arrivés à destination. Il s'étira le dos en grognant contre les courbatures causées par le siège inconfortable, et descendit quand les autres furent sortis.
Une fois dehors, il inspira une bonne bouffée de l'air frais et humide de rosée du petit matin. C'était tellement plus agréable que l'atmosphère lourde et étouffante qui vous oppressait à Mérouville. Le ciel était majoritairement sombre, à l'exception de l'horizon où le soleil montrait timidement le bout de son nez, teintant la voûte de nacre doré. Ici, pas de néons qui transformait la nuit en un nouveau jour : seul le grand casino, bien en vue sur une colline surplombant la crique séparant la ville et Poivressel, sa lointaine voisine, faisait office de phare dans cette Lavandia endormie.

Le jeune Rochard extirpa le papier sur lequel il avait marqué l'itinéraire vers lieu où il souhaitait se rendre. Puis, tournant le dos à l'astre naissant, il se dirigea vers la sortie ouest de la métropole.

***
Le roi diurne avait totalement éclipsé son épouse quand l'adolescent vit se profiler le chemin adjacent se séparant de la route principale qu'il avait noté. Vérifiant l'inscription sur le panneau planté à l'intersection, il s'engagea sur l'allée bordée de grandes haies, pour arriver à une bâtisse isolée et accueillante.
Il s'avança jusqu'à la porte mais, une fois la main posée sur la poignée, il hésita à entrer. Et en plus, il se pouvait que l'endroit ne soit même pas encore ouvert, à cette heure. Cependant, voyant qu'il ne rencontrait aucune résistance en faisant pivoter le morceau de métal, il se décida.

Une cloche tinta joyeusement lorsqu'il passa le pas de la porte, annonçant ainsi sa venue aux résidents du lieu. Quelques secondes plus tard, une femme au visage légèrement ridé et vêtue d'un tablier apparut derrière le comptoir de l'accueil.

« Bienvenue au Refuge du Zéphyr, salua-t-elle d'une voix claire, un sourire amical aux lèvres. Que puis-je faire pour vous, jeune homme ?
- Excusez-moi de vous déranger aussi tôt le matin... commença-t-il. Je peux repasser plus tard, si vous voulez.
- Oh non, ne vous en faites pas pour ça.
- Si vous le dites... J'ai lu que vous proposiez des Pokémon à adopter ?
- C'est tout à fait ça, acquiesça la femme. Vous êtes intéressé ?
- Oui ! répondit-il un peu trop vite. Enfin, je veux dire, oui. »

La réceptionniste le regarda d'un air étonné, mais reprit, sans s'inquiéter davantage.

« Vous cherchez plutôt un Pokémon de compagnie, ou bien pour le combat ?
- Pour le combat. Je suis un Dresseur de Catégorie Dix. »

Il fouilla sa poche intérieure pour en sortir sa licence ainsi que son carnet d'attestation, afin de lui prouver qu'il ne mentait pas avant qu'elle ne le lui demande. Elle vérifia les deux documents, avant de les lui rendre en hochant la tête.

« Parfait. Veuillez me suivre, je vais vous montrer les Pokémon possibles à l'adoption. »

Pierre lui emboîta le pas et ils passèrent la porte de derrière, pour se retrouver devant des enclos spacieux et bien aménagés délimités par des barrières de bois. A l'intérieur, quelques personnes s'occupaient de nourrir les diverses créatures du Refuge, de nettoyer leurs abris ou encore de leur prodiguer des soins. Ces dernières leur adressèrent un signe de la tête quand ils pénétrèrent dans le périmètre d'un des paddocks, tandis que des Pokémon curieux s'approchaient d'eux avec un mélange d'intérêt et de crainte, devant cette personne familière et cet inconnu.

« Tous les Pokémon de cet enclos peuvent combattre et sont nés au sein du Refuge, annonça la femme au visage ridé. De plus, nous les avons élevés afin qu'ils aient de bonnes bases en combat. Ils sont donc de bons atouts pour des Dresseurs débutants comme vous. »

Le jeune Rochard serra les dents lorsqu'elle prononça les derniers mots. Elle avait qu'à dire qu'il était nul, aussi, tant qu'elle y était ! Mais il se retint de faire une remarque déplacée. Il aurait été idiot qu'il se fasse jeter dehors avant d'avoir pu obtenir ce qu'il voulait. Il se contenta donc d'un simple haussement d'épaules. Le sourire chaleureux qu'afficha la réceptionniste lui confirma qu'elle ne s'était aperçue de rien.

« Bien, il ne vous reste plus qu'à faire votre choix. N'hésitez pas à vous promener dans l'enclos. Et ne vous en faites pas, ils ne vous attaqueront pas. »

Comme s'il avait peur de ça... Enfin.
Il s'avança davantage parmi les Pokémon et les employés, posant ses yeux de métal sur chaque créature pour l'observer. Pierre fit une petite grimace : toutes ces bestioles semblaient effectivement fortes et robustes, mais c'était justement là le problème. Il avait trop de choix, et ne s'était pas posé la question, avant, sur ce qu'il voulait vraiment. Chacun de ces animaux paraissait être un contrepoids bienvenu à la boîte de conserve en sa possession, mais il n'arrivait pas à se décider à cause de ça.

Mais, tandis qu'il s'était arrêté au milieu de l'enclos et balayait l'espace du regard, quelque chose attira son attention. Une immense gueule noire garnie de gros crocs affûtés, suspendue à une construction de bois installée pour que les Pokémon s'amusent, se balançait doucement dans le vide. Sa surface lisse réfléchissait les rayons du soleil matinal, comme si la mâchoire menaçante était faite de métal et non de chair.
Intrigué, l'adolescent se tourna vers la réceptionniste et demanda, en pointant la bouche métallique du doigt :

« Ce... C'est un Pokémon, ça ?
- Qui, Cinabre ? Bien entendu ! Attendez, je vais l'appeler pour que vous puissiez mieux la voir. »

La femme s'exécuta et aussitôt, la mâchoire cessa ses balancements pour remonter sur le plateau au sommet de l'édifice. Une silhouette à la peau de miel se redressa alors en baillant et en étirant ses bras gantés de réglisse. Elle posa ensuite ses yeux grenadine encore un peu endormis sur la personne qui venait de la réveiller, non sans se gratter l'appendice reliant son crâne à l'imposante gueule, et finit par sauter sur le sol pour s'approcher des deux humains. Apercevant le jeune homme étranger, elle ralentit légèrement afin de l'examiner, une lueur mi curieuse mi méfiante dans ses pupilles.

« Voici Cinabre, une jeune Mysdibule de trois ans, présenta l'employée du Refuge une fois qu'elle fut arrivée à leur hauteur. C'est une bonne combattante, mais elle a son petit caractère et est un peu bagarreuse. Cependant, étant donné que vous faites le Défi de la Ligue, je pense que vous n'aurez aucun problème avec elle. »

Le Dresseur aux cheveux d'acier baissa la tête pour observer un peu mieux la dénommée Cinabre, maintenant qu'elle était toute proche. Les bras croisés, adossée à sa mâchoire disproportionnée, elle aussi l'étudiait en tortillant distraitement la mèche métallique qui lui tombait sur le visage. Hum... Vrai qu'avec une gueule aussi redoutable, elle avait de quoi intimider et faire mal. Mais, encore fallait-il que ce ne soit pas que du vent.
Pierre s'accroupit afin d'être à son niveau, planta ses yeux cristallins dans les pupilles de feu de la Pokémon.

« Cinabre, c'est ça ? Et si tu me montrais ce que tu sais faire ? »

La jeune Mysdibule soutint son regard avant de hausser les épaules et s'éloigner en direction d'un rocher faisant presque sa taille. Elle le désigna aux deux humains d'un mouvement de tête, puis sa mâchoire vint le saisir fermement. Prenant appui sur ses genoux, l'être aux deux bouches le souleva de terre, jusqu'à le mettre au-dessus d'elle. Un petit sourire étira ses lèvres quand, jetant un œil à ses spectateurs, elle vit l'air surpris du jeune homme qui allait probablement lui faire quitter cet endroit. Souhaitant lui en mettre plein la vue, histoire de l'impressionner davantage et qu'il la choisisse définitivement, sa gueule comprima la pierre pour que ses crocs aiguisés la brisent en de nombreux petits morceaux.
Satisfaite du petit effet qu'elle venait de produire, la fée de métal recracha les fragments de roche qui étaient tombés dans son piège d'acier avant de revenir vers les deux humains en se frottant les mains. Ce à quoi le jeune Rochard répondit d'un sourire réjoui.

« Elle me plait bien, elle, dit-il à l'attention de la dame du Refuge, avant de poursuivre, s'adressant cette fois-ci à la créature miel et réglisse : et toi, ça te dirait d'aller te battre contre d'autres bestioles pour devenir les plus forts d'Hoenn ? »

Il avança sa main vers elle, qu'elle sembla ignorer un instant en tournant dédaigneusement la tête... Uniquement pour la serrer avec conviction l'instant d'après, une lueur de défi dansant au fond de ses prunelles. Oh oui, elle était partante !

« Eh bien parfait ! s'écria la réceptionniste. Il ne vous reste plus qu'à remplir les papiers pour officialiser son adoption, et Cinabre sera à vous. Même si cette petite diablesse va nous manquer un peu. »

Quelques minutes plus tard, de retour à l'accueil, Pierre finissait de remplir le document d'acquisition de la jeune Mysdibule en signant au bas de la feuille.

« Et voici sa Pokéball, dit l'employée en lui remettant une petite capsule, une fois qu'il lui eut rendu l'écrit. Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter un bon voyage, et bonne chance dans votre quête, M. Rochard ! »

Il la remercia d'un hochement de tête et se dirigea vers la sortie, sa toute nouvelle compagne sur les talons. Mais, au moment où il ouvrit la porte pour quitter l'établissement, une pensée le frappa.

« Ah, attendez ! » s'exclama-t-il en se retournant brusquement.

La femme assez âgée, tout comme la créature à l'imposante gueule métallique, le regardèrent avec étonnement alors qu'il revenait vers le comptoir, en fouillant dans sa poche intérieure.

« Y'a un truc que je voudrais vous demander. Bordel, mais elle est où... ! grommela-t-il. Ah, la voilà ! »

Il extirpa sa main de sa veste, montrant alors la sphère bicolore qu'il tenait entre ses doigts.

« Je voudrais vous laisser cette bestiole.
- ... Pardon ?
- Ben, vous êtes un Refuge, non ? Du coup, vous récupérez les Pokémon qui sont abandonnés ou je sais pas quoi.
- Et ? répondit la dame en fronçant les sourcils, craignant de voir où il voulait en venir.
- Ce... Truc est plus un poids qu'autre chose. En plus, si j'ai le droit d'avoir que deux Pokémon sur moi pour le moment, autant que je m'encombre pas avec ça. »

L'employée ne dit d'abord rien, se contentant de se pincer l'arête du nez. Cependant, ce simple geste fut suffisant pour que l'adolescent aux cheveux d'acier comprenne quelle serait sa réponse. Son imbécile de père faisait exactement pareil lorsqu'il était sur le point de lui refuser quelque chose ou le réprimander. A croire que tous les adultes fonctionnaient de la même façon.
De son côté, la femme n'arrivait pas à croire ce qu'elle venait d'entendre. Ce garçon qui lui semblait si charmant un peu plus tôt...

« Alors ? s'impatienta Pierre.
- Alors c'est non, déclara-t-elle d'un ton sec.
- Mais pourquoi ? C'est votre boulot de récupérer les Pokémon que personne ne veut !
- C'est peut-être notre travail, mais ça ne veut certainement pas dire que nous encourageons ces comportements plus qu'irresponsables. » L'indignation était clairement perceptible dans sa voix, tandis que ses yeux semblaient lui lancer des éclairs. « Nous avons déjà suffisamment à faire en nous occupant de ces pauvres créatures abandonnées, souvent complètement traumatisées ou maltraitées, à leur faire reprendre confiance en eux et aux autres ! Et vous espérez que nous soyons assez hypocrites pour accueillir à bras ouverts les Dresseurs incompétents qui ne sont simplement pas capables d'apprécier leurs Pokémon à leur juste valeur ?!
- Non mais, attendez un peu ... ! » commença le jeune Dresseur, mais il fut rapidement interrompu à nouveau par son interlocutrice, à présent furieuse :
- De plus, même si, dans un élan de stupidité, nous acceptions de prendre votre Pokémon, je peux vous assurer que vous auriez de gros problèmes ! Sauf rares exceptions, comme une blessure handicapante ou une inaptitude au combat, l'abandon de Pokémon est sévèrement puni par la Ligue ! A plus forte raison quand il s'agit d'un Dresseur, et en plus du Pokémon de départ de celui-ci !
- C'est pas non plus comme si je l'avais choisi ! Sinon, je...
- Peu importe ! Je refuse d'être complice d'un tel acte ! Sortez immédiatement, et ne revenez pas ! Et estimez-vous heureux que je n'aie pas le pouvoir de revenir sur l'adoption de Cinabre, sans quoi vous pouvez être certain que jamais je ne la laisserais aux mains de quelqu'un comme vous ! »

Le jeune Rochard allait répliquer... Pour finalement laisser tomber. Ca ne servait à rien de discuter. Cette bonne femme était certaine d'avoir raison, comme à chaque fois qu'il parlait avec un adulte –son père en premier. Quels que soient les arguments qu'il sortirait, elle trouverait toujours un moyen de les contourner pour avoir le dernier mot.
Il préféra donc lui tourner le dos pour quitter l'endroit, après avoir rangé le globe rouge et blanc dans sa poche. La fée de métal considéra un instant la femme qui, entre autres, s'était occupée d'elle jusque-là. Elle hésita, pour finalement rejoindre son nouveau propriétaire, la porte claquant bruyamment derrière eux, affolant la cloche accrochée au mur.

***
Ils marchaient depuis plusieurs heures, maintenant, sous le soleil qui poursuivait sa course imperturbable. Pierre, les mains enfoncées dans les poches de son jean et les yeux encore plus durcis par la colère, n'avait toujours pas décroché un mot depuis qu'ils avaient quitté le Refuge du Zéphyr. Il ne cessait de ruminer la défaite qu'il venait de subir. Cette harpie l'avait profondément énervé, à croire qu'elle savait tout mieux que lui. Comment avait-elle osé le traiter d'incompétent, alors que c'était cette stupide boule de fer qui était incapable de faire quoi que ce soit ?! Et en plus, il était encore et toujours coincé avec ! Rah !
Mais bon, au moins, il avait pu obtenir ce qu'il était venu chercher. L'adolescent se retourna pour vérifier que Cinabre était toujours là. Celle-ci le suivait docilement, sans rien dire. Bah, de toute façon, qu'est-ce qu'elle aurait pu dire ? C'était pas comme si elle pouvait parler, c'était juste une bestiole comme une autre. Juste qu'elle, au moins, ne semblait pas avoir un pois chiche à la place du cerveau.

Néanmoins, contrairement à ce qu'il pensait, la jeune Mysdibule n'était pas dépourvue de raison. La scène qui avait eu lieu, avant leur départ, la chiffonnait. Même si elle n'avait pas saisi le sens exact de ses propos, elle en avait compris la globalité, et notamment pourquoi la dame s'était fâchée. Mais quelle créature pouvait donc bien se trouver dans la capsule que son maître avait voulu abandonner ? Etait-elle vraiment aussi faible que ce qu'il disait ?
Tout cela l'intriguait, mais elle ne savait pas vraiment quoi faire pour obtenir des réponses à ses questions.

Perdue dans ses interrogations, elle faillit percuter son Dresseur lorsqu'il s'arrêta sans prévenir. Relevant la tête, elle vit l'expression dubitative sur son visage.

« ... Y'a un problème, là. On devrait être à Lavandia depuis un moment, pourtant... »

Pourtant, voilà qu'ils se retrouvaient à la lisière d'un bois dont il n'avait aucun souvenir. Zut... Tout à sa fureur, il aurait pris un mauvais sentier ?
La meilleure solution aurait été de faire demi-tour. Mais, en voyant la créature miel et réglisse qui, la tête penchée sur le côté, fixait sur lui ses yeux grenadine interloqués, il préféra s'enfoncer à travers les arbres d'un pas décidé. Pour lui, il était impératif qu'elle sache que c'était lui qui commandait, et il était certain qu'avouer son échec, quelques heures seulement après qu'elle eut rejoint ses rangs, n'aurait fait que le discréditer d'entrée de jeu. Et puis, ils n'avaient pas pu s'éloigner beaucoup. Il leur suffirait peut-être juste de traverser ce bosquet qui n'avait pas l'air bien grand. Ils arriveraient juste un peu plus tard que prévu en ville, voilà tout.

Cependant, ses prévisions s'avérèrent erronées : d'une part, la forêt était plus vaste que ce qu'il avait d'abord pensé, et ils n'en voyaient toujours pas le bout alors que le soleil commençait à disparaître derrière les cimes ; d'autre part, ils venaient de déboucher sur une rivière paisible, dont Pierre n'avait vu aucune trace à l'aller.

« Et MER-DEUH ! » cria le jeune homme, en balançant son sac par terre de colère.

Pourquoi est-ce qu'il fallait que tout aille de travers dès le départ ?! Il était sur le point de crier sa frustration à la face du monde quand il aperçut la demoiselle de fer qui, adossée à sa mâchoire démesurée, les bras croisés, le regardait avec un air perplexe et un peu exaspéré. Sérieusement, c'était quoi cet humain ? Il comptait agir comme ça tout le temps ? S'il avait voulu l'impressionner, c'était réussi avec son incroyable sens de l'orientation.
Non sans noter mentalement que, dès qu'ils seraient en ville, il lui faudrait acheter une carte et une boussole afin d'éviter ce genre de désagrément, Pierre haussa les épaules, et déclara d'un ton laissant penser qu'il avait la situation sous contrôle :

« Bon, on va camper ici cette nuit. Demain, on arrivera à Lavandia. »

Cinabre leva les yeux au ciel, et se mit à l'observer tandis qu'il s'affairait à installer leur bivouac. Mais, dans sa tête, les questions se bousculaient toujours. Elle devait tirer tout ça au clair.
Finalement, alors que son maître sortait des conserves et une petite casserole de son bagage, elle s'approcha de lui et tira sur sa veste pour avoir son attention.

« Hum ? Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? Si t'as faim, faut attendre. »

L'être aux deux bouches secoua la tête, avant de pointer l'endroit où elle l'avait vu ranger la capsule contenant l'indésirable. Ne voyant pas où elle voulait en venir, le jeune homme fronça les sourcils sur ses yeux aussi durs que le fer, et commença à sortir et lui montrer un à un les objets de sa poche intérieure, vu que c'était apparemment ce qu'elle voulait. Il ne manqua pas d'être surpris lorsqu'elle poussa un petit cri d'approbation une fois la Pokéball visible.

« C'est ça qui t'intéresse ? »

Quel ne fut pas son étonnement lorsqu'il la vit claquer deux fois de son imposante mâchoire, puis pointer le globe du doigt avant de laisser sa gueule grande ouverte. Est-ce qu'il était en train de rêver, ou elle essayait vraiment de communiquer avec lui ?

« ... J'dois vraiment être cinglé. Tu peux quand même pas vouloir que je l'ouvre pour... »

Pourtant, un nouveau cri de sa part vint appuyer ses propos. Il la regarda, effaré. C'était bien la première fois que ça lui arrivait. Jamais un seul des Pokémon qu'il avait pu utiliser au collège n'avait agi ainsi. Il ne savait pas s'il devait s'en inquiéter ou trouver ça normal. Il avait bien vu plusieurs fois des Dresseurs qui, de passage à Mérouville, parlaient à leurs bestioles comme si elles étaient des êtres humains –les plus extrêmes et les plus drôles, à son goût, tenant même une conversation avec elles-, mais il avait toujours pensé que ces comportements excentriques étaient dus à une isolation trop longue avec le reste des hommes, à force d'être toujours en vadrouille. Que ça lui arrive à lui –encore qu'il n'était pas tout à fait certain que ce soit bien ça- et aussi tôt, ça avait de quoi le surprendre, voire un peu le choquer.

« Ok... J'vois pas pourquoi tu tiens à voir cette stupide boîte de conserve, mais je suppose que ça peut pas faire de mal. »

Aussi le jeune Rochard jeta-t-il nonchalamment la sphère qui se scinda en deux en déversant un flot de lumière crue, faisant fuir brièvement la pénombre grandissante. Le voile de particules se dissipa en révélant une créature des plus étranges, que Cinabre n'avait encore jamais vue. Et pourtant, Arceus savait qu'elle en avait vu plein, des Pokémon, au Refuge. Mais celle-là était encore plus bizarre que la plus bizarre qu'elle avait croisée jusqu'à présent. C'était dire !
Mais voilà, quand vous voyiez pour la première fois une sorte de bras de métal bleuté volant, avec trois crochets en pinces qui faisaient office de main, et une grosse boule de fer qui, alors qu'elle ressemblait à une articulation, ou du moins paraissait devoir être rattachée à quelque chose, se retrouvait à la place avec un énorme œil rouge creusé à l'intérieur... Ca avait de quoi surprendre !

L'être cobalt cligna de l'œil, avant de faire pivoter sa... Tête –si on pouvait appeler ça comme ça- dans toutes les directions, en émettant des bips et autres bruits d'ordinateur. Elle semblait un peu perdue, débarquée dans cet environnement qui lui était complètement étranger, mais émit un son rassuré lorsque son unique orbite découvrit Pierre, apparemment contente de voir un visage familier. Ce dernier lui répondit en lui décochant un regard noir, pour ensuite se détourner complètement de la boîte de conserve, comme il l'appelait. Voyant sa réaction, la boule de fer qui faisait office de tête pivota jusqu'à ce que le globe oculaire se retrouve pointé en direction du sol, accompagnant son mouvement d'une série de bruitages fautifs.
La jeune Mysdibule assista à l'échange plus ou moins silencieux qui venait de se produire. Eh ben, quelle ambiance... Où était-elle tombée, à la fin ? Intriguée plus qu'apeurée, elle décida de s'approcher de son partenaire dépité afin de faire connaissance, vu que leur Dresseur semblait occupé. Mais, quand il la vit arriver vers lui, le bras métallique recula en poussant des bips qui laissèrent Cinabre perplexe. Même si, tout comme avec les humains, elle ne comprenait pas le langage exact employé, elle arrivait tout de même à saisir le message. Et ce que venait de dire le Terhal la stupéfiait, surtout pour une première discussion. S'excuser de déranger ? Mais qu'est-ce qu'il racontait ?

La petite clairière en bordure de rivière fut emplie de bips, de grondements et de claquements de mâchoire pendant la vingtaine de minutes qui suivit. Les deux créatures de métal s'étaient lancées dans une conversation exaltée, chacune se présentant à l'autre et lui exposant son histoire. Cependant, la fée à la gueule redoutable tomba des nues lorsque son acolyte lui narra la façon dont leur maître l'avait traité jusqu'à présent. Mais sérieusement, c'était quoi cet humain ?! A force de considérer le bras articulé comme inutile, il l'avait complètement convaincu que c'était le cas et qu'il n'était qu'une erreur !
Cinabre était à présent bien remontée contre le jeune homme. Tournant les talons, elle fit quelques pas dans sa direction avec la ferme intention de lui apprendre un peu à insulter les gens comme ça, quand la boule de fer s'interposa en secouant la tête et l'œil. Ce n'était pas la peine qu'elle se dérange pour lui, vraiment ! Et puis, il n'était pas si méchant que ça, c'était juste de sa faute s'il ne savait pas se battre et...

Un cri strident retentit dans le bois, faisant même s'envoler des oiseaux mécontents de s'être fait déranger alors qu'ils s'étaient préparés à nicher pour la nuit. Même Pierre se retourna, pour voir la nouvelle venue qui, la gueule grande ouverte, semblait en train de menacer la stupide boîte de conserve. Il avait été surpris de voir ses deux Pokémon être aussi bavards et provoquer un tel boucan ce qui, à force, avait commencé à lui taper sur les nerfs. Il n'était pas intervenu jusque-là, mais là, il sentait qu'il n'avait plus trop le choix.
Levant les yeux au ciel en poussant un soupir d'exaspération, il s'avança jusqu'à la Mysdibule et posa la main sur sa tête, la faisant tressaillir de surprise.

« Je sais, moi aussi il me gonfle, dit-il alors qu'elle levait ses yeux grenadine vers lui. Mais vaut mieux pas que tu te battes avec lui. Il en vaut pas la peine, et en plus, si tu le blesses salement –ce qui m'étonnerait pas-, ça va me retomber dessus et je vais être dans la merde. On est condamnés à se le coltiner, j'crois bien. »

La fée de métal écarquilla les yeux avant de plaquer ses pattes sur son visage, exaspérée, et les faire glisser vers le bas en tirant sur ses paupières, tandis que l'adolescent aux cheveux d'acier s'éloignait. Il n'avait strictement rien compris ! Se battre avec le Terhal ?! Ok, elle avouait bien aimer la bagarre, mais quand même, ça aurait été une raison complètement stupide !
Mais, avant qu'elle ne puisse faire quelque chose, leur Dresseur les appela, une lampe torche à la main.

« Bon, il faut qu'on rassemble du bois pour le feu, si on veut manger chaud. J'vais regarder de ce côté-là. Toi, fit-il en pointant sa lumière sur le bras métallique, l'obligeant à cligner de l'œil sous cet aveuglement involontaire –du moins, c'était ce qu'il supposait-, rends-toi utile aussi. Tu vas avec Cinabre, et t'as pas intérêt à faire le boulet ! »

Il s'enfonça alors dans les fourrés, laissant derrière lui une Mysdibule qui enrageait, au point d'abattre violemment sa lourde mâchoire sur le sol, qui s'enfonça légèrement sous l'impact. Non mais ce... ! RAH !
Alors qu'ils partaient de leur côté, la boule de fer voulut lui dire que ce n'était pas grave, qu'elle n'avait pas à se mettre en colère à cause de ça. Sauf que si, c'était grave ! Il n'avait pas le droit de le traiter ainsi ! Elle était persuadée qu'il avait énormément de valeur, de potentiel, de... Elle ne savait pas exactement quoi, mais il saisissait le tableau ! Tiens, il venait de lui fournir deux exemples sans même s'en rendre compte ! Son gros œil rouge, il éclairait dans la nuit, ce qui leur permettait de voir où ils marchaient ! ... Ou flottait. Et la grosse branche qu'il venait de ramasser en plantant ses crochets dans le bois, elle faisait bien au moins deux ou trois fois sa taille ! C'était pas rien, elle-même ne savait pas si elle serait capable d'un truc pareil ! Tout ce qu'il devait faire, c'était montrer à cet imbécile qui leur servait de Dresseur qu'il savait faire des choses et que, même si le combat n'était pas forcément son fort pour le moment, il...

Un hurlement s'éleva alors dans la forêt rendue sinistre par la tombée de la nuit, qui firent se figer les deux partenaires en pleine discussion. L'oreille tendue –du moins, celle qui en avait-, ils gardèrent le silence. Le chant lugubre, bien qu'ayant cessé, était encore porté par la brise nocturne et résonnait à travers les êtres sylvestres. Et il n'avait pas l'air d'être si éloigné d'eux.
Le silence était retombé depuis une dizaine de secondes quand une deuxième vocifération rompit le calme retrouvé, aussitôt suivie par un éclat de voix terrifiée. Une voix humaine. Celle de Pierre.

Sans réfléchir davantage, Cinabre lâcha le bois qu'elle avait récupéré jusqu'à présent pour se précipiter en direction du cri d'angoisse. Mais, au moment de sauter par-dessus un tronc, elle se rendit compte que le Terhal ne l'avait pas suivie. Aussitôt, elle se tourna vers lui en l'appelant, mais il répondit en reculant et en secouant la tête. Non, ce n'était pas la peine, il ne serait utile à...
Un claquement sonore lui répondit. Ca, il n'en savait rien ! Alors, il avait intérêt à se dépêcher, parce que leur maître, aussi idiot qu'il puisse être, avait l'air d'avoir des emmerdes !
Là-dessus, l'être aux deux bouches sauta au bas du tronc couché, et reprit sa course, laissant derrière elle la silhouette sombre de son acolyte. Ce dernier hésita un moment, sa pupille électronique se dilatant et s'ajustant à mesure qu'il réfléchissait. Un autre cri finit par le décider, et il se lança à la poursuite de la jeune Mysdibule, comme un petit bolide au phare rouge.

Heureusement, ils n'eurent pas à aller bien loin pour retrouver l'adolescent. Celui-ci, acculé à un amas rocheux lui coupant toute échappatoire, était cerné par trois hyènes d'encre aux allures de loup. Leurs yeux de braise, fixés sur leur proie, luisaient à la lumière de la Reine d'Argent maintenant levée. Des gloussements aigus s'échappaient de leurs babines retroussées, qui laissaient voir des crocs jaunis par le temps. Elles trépignaient, sautant légèrement sur place, effectuant un pas puis reculant, excitées comme elles l'étaient par l'odeur de peur qui émanait du jeune homme. Ce dernier eut l'idée de les éblouir avec sa lampe torche, espérant ainsi les effrayer. Et cela sembla fonctionner au début, au vu des couinements poussés par les Grahyèna.
Dissimulée dans les buissons avec le Terhal, Cinabre hocha la tête. Bon, il avait l'air plus débrouillard que ce qu'elle pensait.

Soudain, le gros œil rouge du bras articulé repéra un mouvement, au sommet des pierres, juste au-dessus de leur Dresseur. La silhouette sombre d'un autre membre de la meute, presque invisible dans la nuit, avait grimpé jusque-là et s'était aplatie contre la roche. Quand, se recroquevillant sur ses pattes arrière, elle bondit sur l'humain sans défense, la gueule ouverte.
Le cerveau électronique de la créature de métal réfléchit à toute allure au moment même où le prédateur amorçait son saut, envisageant toutes les possibilités. Mais, quel que soit le cas de figure où il avertissait sa partenaire, l'issue qui se présentait à lui était strictement la même : l'hyène louve plantait ses crocs dans la jugulaire de leur maître avant que Cinabre ne puisse esquisser le moindre geste. Toutes ses configurations se terminaient de la même manière. Exceptée une. La seule solution viable... Mais non, c'était impossible, il ne pourrait jamais y arriver ! Mais sans ça, Pierre allait mourir... Et puis, il serait utile s'il réussissait, non ? S'il réussissait... Et s'il échouait, alors tout ça n'aurait servi à rien, et...
Son programme d'analyse se relâcha lorsqu'il se mit à trop débattre avec lui-même, laissant le temps reprendre son cours. Et le canidé poursuivre son mouvement meurtrier. Ce n'était plus le moment de se poser des questions métaphysiques. Il fallait agir. Non, il devait agir !

A la plus grande surprise de la jeune Mysdibule, le bras articulé surgit hors des fourrés et, lancé à pleine vitesse, percuta sa cible dans le ventre. La créature nocturne ne put que laisser s'échapper un gémissement plaintif avant d'avoir le souffle coupé et de s'écraser lamentablement au sol, tandis que son assaillant, sonné par le choc, ne se maintenait que difficilement dans les airs en tournoyant.
Cette attaque des plus inattendues fut, pour Cinabre, le signal de la charge. Sortant à son tour de sa cachette, elle entoura ses bras de deux bracelets de vent nacré, qu'elle s'empressa de projeter sur l'hyène louve la plus proche. Elle enchaîna en refermant son piège d'acier sur celle qui tentait de l'attaquer par derrière, pour aussitôt la lancer en direction du troisième Pokémon grégaire. Une dernière bourrasque lunaire suffit pour que la petite meute s'enfuit en couinant regagner l'obscurité des bois.

Pierre poussa un profond soupir de soulagement en voyant ses agresseurs battre en retraite. S'approchant de la créature miel et réglisse, il lui caressa la tête en lui adressant un sourire reconnaissant.

« Bien joué Cinabre ! J'ai vraiment bien fait de te choisir, t'es vraiment efficace ! On peut pas en dire autant de lui... » ajouta-t-il en grinçant, alors qu'enfin l'être artificiel se stabilisait.

Le jeune Rochard épousseta ensuite ses vêtements avant de se baisser pour ramasser les fagots qu'il avait laissés tomber dans sa tentative d'échapper à ses poursuivants, ne remarquant pas que la demoiselle de métal se mordait les doigts, tant elle était excédée par ce qu'il venait de dire. Il ne s'était même pas rendu compte que, sans l'intervention du Terhal, il serait en train de s'étouffer dans son sang pendant que les chasseurs le dépeçaient ?! Ouh, ce qu'elle avait envie de le frapper !
Cependant, son acolyte arriva à sa hauteur et secoua la boule de fer qui lui faisait office de tête. Non, ce n'était pas la faute de leur maître s'il n'avait pas vu ce qu'il avait fait. Il n'avait pas forcément levé les yeux vers lui, trop occupé à distraire les trois autres créatures menaçantes, et avec le contraste fournit par la lampe torche, même s'il l'avait fait, il n'aurait pas pu le voir.
La Mysdibule grommela, pas du tout convaincue par son argumentation. Qu'il arrête d'essayer de le protéger en lui trouvant des excuses ! Leur Dresseur était un idiot complètement aveugle !

Et tandis qu'ils revenaient vers le campement, elle se jura, foi de Cinabre, qu'elle ferait tout pour qu'il ouvre enfin les yeux sur les capacités de son Pokémon de départ !

***
L'ascenseur s'immobilisa au dernier étage de la Devon Tower en émettant le petit ting habituel, et les portes s'ouvrirent pour laisser passer un Adam Rochard aux traits tirés. S'avançant jusqu'à la porte de son bureau, il salua d'un signe de tête son secrétaire qui, l'ayant entendu arriver, s'était levé.

« Bonjour Baptiste, et bonne année. Vous avez passé de bonnes fêtes du Prodigue* ?
- Bonne année à vous aussi, M. Rochard, répondit l'employé d'un ton aimable, en se rasseyant. Oui, on peut dire ça.
- Vous êtes encore allé à Nénucrique dans votre famille ?
- Ah non, pas cette fois. Vu que la petite est assez grande, nous avons pris l'avion pour aller voir les parents de ma femme, à Auffrac-les-Congères. Les enfants étaient ravis, entre rencontrer leurs grands-parents et voir de la neige pour la première fois. Par contre, je crois que j'ai attrapé un coup de froid en rentrant...
- Couvrez-vous bien alors, fit l'homme à l'impeccable costume noir, en récupérant le journal que son secrétaire lui tendait.
- Et vous, Monsieur ? Votre réveillon ?
- Assez tranquille... »

Trop tranquille, même. Il était resté seul chez lui, en espérant désespérément recevoir un appel de son fils. Certes, il était resté sans nouvelles depuis le 14 novembre qu'il était parti, mais... Il s'était dit que, pour le Jour du Prodigue et le nouvel an, il lui aurait quand même passé un coup de fil. Malheureusement, si le téléphone avait effectivement sonné plusieurs fois, jamais Pierre n'avait été celui qui parlait dans le combiné.

« Sinon, quel est l'ordre du jour ?
- Voyons... » Baptiste feuilleta les pages d'un agenda avant de poser son doigt sur ce qu'il cherchait. « Ah, voilà. Vous avez une réunion à 10h, afin de discuter du bilan et du compte de résultat de l'année précédente, et aussi fixer les objectifs pour cette année. Je vous ai tout mis sur votre bureau. »

Adam retint un soupir. Rien de tel que des discussions interminables sur le pourquoi du comment des bons ou mauvais chiffres du bilan et du compte de résultat, ou les éternelles querelles entre les différents départements sur le budget qu'il fallait leur allouer pour commencer l'année.

« Prévenez-moi à 09h45 pour que je descende en salle de réunion.
- Bien Monsieur. »

Là-dessus, il pénétra dans la pièce éclairée par les rayons froids d'hiver qui passaient à travers l'immense baie vitrée s'étendant sur tout un pan de mur, en refermant la porte de bois clair derrière lui. Rochard senior s'installa ensuite dans le fauteuil confortable et, attrapant le dossier présent sur son bureau, entreprit de l'étudier en prévision de la rencontre qui aurait lieu plus tard.

Un quart d'heure plus tard, l'homme à l'impeccable costume reposait les feuillets en se massant les yeux. Il faudrait peut-être qu'il songe à consulter un opticien, il se fatiguait de plus en plus quand il lisait.
Sinon, la situation de l'entreprise était globalement satisfaisante, même si le résultat de l'année précédente était moins bon qu'auparavant. Cependant, vu qu'ils avaient déjà commencé à produire la demande de l'Institut Spatial d'Algatia, cela pouvait expliquer la hausse des coûts par rapport aux bénéfices. Et puisqu'il était prévu de les livrer d'ici les prochains mois, il n'y avait pas à s'inquiéter.

Le père de Pierre prit alors le journal, afin de consulter les nouvelles du jour. Il grimaça un peu en parcourant l'article faisant état de l'épuisement définitif des ressources minérales de l'Île de Fer. Déjà que la mine de la Grotte Coda, à Kalos, avait été fermée suite à des éboulements et des glissements de terrain répétés quelques années plus tôt, voilà qui laissait à la Bardane Corp. un quasi-monopole sur le marché des métaux. Et, connaissant le comportement plutôt gourmand de la firme, il se doutait qu'elle n'hésiterait pas à faire flamber le prix des minerais qu'elle extrayait du Mont Foré. Ce qui allait donc considérablement augmenter leurs coûts de production... En revanche, l'annonce de la découverte et acquisition d'un nouveau gisement de pétrole par la Loyau S.A. allait probablement mener à une baisse de la valeur des énergies, ce qui pourrait contrebalancer un peu les dépenses futures générées par l'information précédente.
Tournant les pages du quotidien, son regard s'arrêta sur la page des sports. Plus particulièrement sur un petit encadré, en-dessous de l'ordre d'arrivée des Rhinocorne lors de la fameuse Course du Prodigue, concernant les résultats de la Ligue hoennienne des jours précédents.

*

Le 31 décembre 1991 :
Match de Pierre S. Rochard face à Horace C. Dalek, Champion de Clémentiville.

Avancement du match :
Mysdibule (Cinabre) de Pierre S. Rochard VS Kécléon (Carnaval) de Horace C. Dalek
KO de Kécléon (Carnaval)

Mysdibule (Cinabre) de Pierre S. Rochard VS Mangriff (Gladius) de Horace C. Dalek
KO de Mangriff (Gladius)

Pierre S. Rochard remporte le Badge Symbiose de Clémentiville et passe Dresseur de Catégorie Neuf


*

Un soupir de soulagement s'échappa des lèvres d'Adam Rochard. Certes, il était content de voir qu'il avait réussi à remporter sa première victoire officielle, mais ce n'était pas la cause de ce souffle d'apaisement. Il était en vie. Du moins, c'était le cas trois jours auparavant.

Cependant, cela n'empêcha pas son père de se poser la même question qui le taraudait depuis le soir où il avait fui. Comment faire pour lui venir en aide ? Il sentait qu'il refuserait tout argent ou intervention directe de sa part, et ce même s'il en avait pourtant besoin. Comment faire, donc...
Tandis qu'il se creusait la tête pour la énième fois à ce sujet, en feuilletant distraitement le journal, il tomba en arrêt devant une publicité de la Sylph S.A.R.L. qui vantait leur toute nouvelle Hyper Ball, présentée comme encore plus efficace que l'ancienne Super Ball. Une idée germa alors dans son esprit, devant le design et les fonctionnalités supposément révolutionnaires de l'objet. Saisissant le combiné du téléphone sur son bureau, il composa un numéro.

« Le service Marketing ? Ici M. Rochard. J'aurais un service à vous demander pour la réunion de ce matin... »

***
« C'est donc pourquoi nous prédisons une hausse de 1.2% du résultat pour le prochain semestre, ce qui nous permettra de rattraper la baisse essuyée l'an dernier. »

Le directeur financier acheva enfin son long exposé expliquant en détails les performances de la Devon S.A.R.L. en 1991, et posa son regard sur le Président Directeur Général de la société. Il était un peu inquiet quant à sa réaction, vu qu'ils avaient tout de même perdu en valeur de marché avec ces chiffres relativement faiblards.
Adam Rochard, cependant, n'avait pratiquement rien suivi de la présentation. Il avait déjà vu et analysé par lui-même les causes de cette diminution, tout comme il avait formulé ses propres prédictions pour la première moitié de l'année 1992. En réalité, il avait passé la majeure partie de la réunion à lire le dossier relié qu'il avait exigé plus tôt, tout en faisant tournoyer machinalement son stylo dans la main, et était en train de parcourir la conclusion du document.

« M. Rochard... ?
- Hum... ? Ah oui, très bien, ça me va parfaitement, » répondit-il en relevant la tête, brusquement interrompu dans sa lecture.

Il ferma le rapport et se massa les yeux. Bon, il avait définitivement besoin de prendre rendez-vous avec un opticien. S'il n'avait rien de prévu dans son agenda pour l'après-midi, il s'en occuperait.

« Dites-moi, commença-t-il alors que le représentant du département Finance s'était rassis. Est-ce que la trésorerie est suffisante pour lancer un projet conséquent en R&D ?
- Eh bien, le montant actuel est de...
- Je ne vous demande pas un chiffre, coupa l'homme à l'impeccable costume. Je vous demande si elle est suffisante. »

Le directeur financier demeura un instant la bouche ouverte, cherchant ses mots. Etait-il en train de le tester pour le déstabiliser, afin de lui faire payer pour les pertes de l'année ? Ce n'était pas dans ses habitudes, mais qui sait, la fugue de son fils avait pu changer son caractère.

« Tout dépend du projet, Monsieur. Sans précisions, je ne peux rien vous dire de plus. »

Rochard senior le considéra un instant, puis se tourna vers une femme attablée.

« Mme Scavo, pouvez-vous distribuer le rapport ?
- Bien sûr Monsieur. »

Elle sortit plusieurs liasses de feuilles agrafées, qu'elle fit passer à ses voisins pour que tous se retrouvent avec un document dans les mains.

« Voici une étude que le département Marketing m'a gracieusement fournie ce matin, à ma demande. En dépit du court délai que je leur ai imposé, ils ont réussi à rassembler des informations précises et complètes, ce en quoi je les remercie. »

Il adressa un signe de tête reconnaissant à la directrice du secteur en question, qui répondit d'un sourire.
Autour de la table, les sourcils commencèrent à se froncer alors qu'ils lisaient le dossier. Certains se regardaient entre eux, interloqués, tandis que d'autres se questionnaient à voix basse.

« M. Rochard, tenta l'un d'eux. Mais cette étude ne concerne absolument pas notre marché. »

Une rumeur approbatrice vint aussitôt appuyer ses propos.

« Pas encore, en effet. Cependant, ça pourrait bien le devenir.
- ... Je ne comprends pas.
- C'est pourtant simple. Comme vous pouvez le lire, actuellement la Sylph S.A.R.L. est l'unique producteur sur ce marché. Ils n'ont aucune concurrence, sauf pour quelques apothicaires et des artisans, notamment à Johto, mais ceux-ci sont loin de l'inquiéter.
- D'accord, mais quel est le rapport avec nous ?
- Je songeais à diversifier nos activités, pour nous développer dans ce domaine. »

Un murmure sonore accompagna la déclaration, qui avait grandement surpris l'assemblée.

« Mais Monsieur, nous n'avons aucune connaissance pratique à ce sujet ! Et la Sylph S.A.R.L. est implantée depuis presque deux décennies, je vois mal comment nous pourrions lutter !
- En réalité, intervint Mme Scavo, il y a plus d'opportunités que ce qu'on pourrait penser. La Sylph S.A.R.L. est tellement certaine de sa position qu'elle néglige une bonne partie de la demande. De plus, elle reste assez générale dans la gamme de ses produits. Il suffirait de proposer des produits spécialisés pour gagner en importance.
- Quand bien même, ça représenterait des dépenses considérables, rien que pour la mise en place, les usines, ...
- Ce n'est pour le moment qu'une idée, mais je compte bien la concrétiser, enchaîna Adam Rochard avec conviction. Je suis persuadé que ce sera bénéfique pour l'entreprise, même si les premières années seront peut-être un peu justes. D'où ma question au département financier, dit-il en se tournant vers le directeur en question. A-t-on la trésorerie nécessaire pour investir dans un tel projet au niveau de la R&D ? »

Le directeur financier ôta ses lunettes pour les essuyer, le temps de réfléchir à la question. Une fois remises en place sur son nez, il feuilleta quelques pages du dossier afin de récupérer quelques chiffres et données.

« Je crois que c'est effectivement faisable. Je ne peux pas me prononcer sur la suite pour le moment, je vais devoir me renseigner concernant les différents coûts pour ça. Mais sinon, je ne vois aucune raison économique pour refuser. »

Un sourire satisfait éclaira le visage aux traits tirés du dirigeant de la Devon S.A.R.L.

« Parfait, déclara-t-il. Voici donc l'objectif de l'entreprise pour l'année 1992 : s'implanter dans le marché des produits pour le Dressage et les Combats Pokémon. »

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* : Le Jour du Prodigue est l'équivalent de Noël dans le monde Pokémon. Il célèbre le jour où Xernéas (le Prodigue) a donné sa vie afin de sauver l'humanité. Les gens se rassemblent en famille pour s'offrir des présents, et mangent souvent un gâteau aux baies Fraigo en dessert.