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Duel au sommet de olyn



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» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 31/07/2012 à 13:23
» Dernière mise à jour le 31/07/2012 à 13:23

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Chapitre 11 : Le spectre de la défaite
- Tu t'es perdue, fillette ?

Le sobriquet me fit grincer des dents. L'air mi-surpris mi-amusé, le Rocket me dévisageait comme s'il se demandait ce que je foutais là. Il n'était pas le seul. Mais qu'est-ce qui m'avait pris de suivre un malfaiteur notoire dans un repère souterrain ? Le goût du risque, ok, c'était sympa, mais à un moment il fallait savoir s'arrêter... Assurément, quelque chose ne tournait pas rond chez moi.

- Les jeux d'argent, c'est pour les adultes, tu sais, continua-t-il.

C'est ça, enfonce le clou...

J'aurais voulu lui faire ravaler son sourire, mais je n'osais pas bouger d'un muscle avec cette arme braquée sur moi. C'était la première fois de ma vie que quelqu'un me menaçait d'un flingue, et bon dieu, je n'étais pas préparée à ça ! Aux dernières nouvelles, ce jeu s'appelait Pokémon, pas Call of Duty. Mon rythme cardiaque avait fait un bond d'enfer et devait à présent se situer aux alentours de 120. Je respirais aussi beaucoup trop vite, et mes saletés de poumons refusaient de ralentir leur cadence.

Du calme, du calme. Rien que ces deux derniers jours, j'ai survécu à un éboulement, une attaque de Pokémon spectre, et un incendie. C'est pas un pov' type avec un flingue qui va me mettre au tapis.

Verdict de la tentative de se convaincre soi-même : Logique, 1, Léa, 0.

- Tu vas gentiment lever les mains, dit-il en appuyant sa demande d'un léger mouvement du pistolet qui fit bondir mon cœur dans ma poitrine. On ne voudrait pas que tu relâches accidentellement un de tes Pokémon, mmh ?

J'écartai docilement les bras. Ma bouche s'activa toute seule :

- Pourquoi s'encombrer d'un pistolet quand vous pourriez vous servir de vos Pokémon ?

Ma voix ne tremblait presque pas. Une petite victoire à la fois. Et puis, ma question était fondée : il avait deux Pokéballs à la ceinture. Niveau létal, les Pokémons valaient n'importe quelle arme, j'en avais fait la douloureuse expérience.

- Oh, les Pokémon, ça peut être utile, mais je ne crache pas sur les armes à feu, me répondit-il avec un ricanement. Et puis, autant se servir de tous les outils à notre disposition, non ? Même si j'avoue largement préférer un joujou tel que celui-ci à un Pokémon dont il faut prendre soin...

Il fit passer son pistolet d'une main à l'autre tout en me gardant en joue. La minuscule petite partie de moi qui n'était pas paralysée de peur admira sa dextérité.

- Regarde-moi ça. L'élégance du design, la simplicité du mécanisme... Un bébé pourrait s'en servir. Il y a juste à appuyer... comme ceci.

Je vis son doigt se resserrer sur la gâchette. Bouffée de panique.

Non. Non, non, non.

Lentement, très lentement, il ramena son index en arrière, prolongeant l'instant. Mon corps tout entier se tendit. Les battements de mon cœur s'affolèrent, doublant, triplant, et ma respiration se bloqua dans ma gorge. Je crispai les poings tellement fort que mes doigts en devinrent gourds. J'étais atrocement consciente du sang qui fourmillait juste sous ma peau, du poids de mon corps et de l'effort qu'il me fallait fournir pour rester debout, de la sueur qui coulait le long de mon dos, ainsi que d'un millier d'autres sensations qui me parvenaient en vrac durant cette longue seconde qui me parut durer indéfiniment.

Ironie du sort, je ne m'étais jamais autant sentie vivante qu'en cet instant, alors que je n'avais plus qu'une poignée de secondes à vivre. Ma vie allait-elle défiler devant mes yeux, comme dans les films ?

Je ne le saurais jamais, car alors que j'anticipais la balle qui allait me tuer, le Rocket eut un mouvement de tête moqueur et abaissa son arme.

- Relax. Je ne suis pas un meurtrier.

Je poussai un soupir involontaire tandis qu'une grande partie de la tension accumulée disparaissait. Mon soulagement fut si soudain que je sentis tous mes muscles se détendre d'un seul coup ; je manquai tomber à genoux mais parvint de justesse à rester sur mes jambes. Il me fallut bien trente bonnes secondes avant de m'apercevoir de la faille dans sa déclaration. Ma bouche était tellement sèche que je dû me racler la gorge trois fois avant de parvenir à parler.

- Pourtant, vous vouliez tuer mes Pokémon dans le tunnel du mont Sélénite.

Ses yeux bleus se plissèrent dangereusement.

Nouvelle règle, décréta la petite voix dans ma tête qui se targuait d'être ma conscience. Ne jamais contredire un psychopathe en possession d'une arme.

- Et ? Je te parle de personnes, pas de Pokémon. Aux dernières nouvelles, tu ne communiques pas par la seule répétition de ton prénom.

Bon, admettons. Dans le monde réel, si on tuait un chien, on ne se faisait pas traiter de meurtrier. De barbare, peut-être. De meurtrier, non.

Le Rocket rangea son arme dans son étui, m'observant comme si j'étais un spécimen particulièrement intéressant dans un zoo.

- Un petit conseil : si tu comptes relâcher un de tes Pokémon, fais-le rapidement au lieu de rapprocher subrepticement ta main de tes Pokéballs comme ça, fit-il remarquer, désinvolte.

Ah. Il avait repéré mon manège. Percée à jour, je m'emparai franchement de la ball de Teigne. Il inclina la tête, souriant toujours.

- Donc, ton choix est d'envoyer un de tes petits amis à fourrure me tabasser... Bien, bien. C'est dommage, tu vas passer à côté d'une belle opportunité.

Et là, il affecta un air faussement déçu, avec la petite moue de circonstance. Ben voyons... Prends-moi pour une poire. Mais d'un autre côté, il aurait pu me tirer dessus et il ne l'avait pas fait. Soit. Je mordis à l'hameçon.

- Quelle opportunité ?

Son sourire passa au niveau supérieur, lui donnant l'air d'un requin bien nourri.

- Tu dois te poser des questions, non ? Sur ce qui se passe en ce moment dans le cimetière Pokémon à Lavanville ? Ou même ici, à Céladopole... L'incendie du centre ne t'a pas semblé suspect ?

Sans blague, connard.

Ça, c'était ce qui se trouvait sur le bout de ma langue. Au final, j'optai pour une réponse plus lisse - téméraire, la Léa, mais pas suicidaire.

- Évidemment que si. Des questions, je m'en pose des tonnes.

- Hé bien, je t'offre l'occasion d'obtenir des réponses. Ça n'arrive pas tout les jours, non ?

Il marqua une petite pause, histoire de ménager son effet. Ce type était un sacré acteur.

- Le chef de notre organisation... le chef des Rockets... je te dis où il se planque et je t'explique comment y aller.

Rien que ça. Y avait anguille sous roche. Baleine sous roche, même. J'étais censé croire qu'il allait simplement me révéler les secrets de leur organisation, là, comme ça ? Non, décidément, je n'y comprenais plus rien. Et toujours ce sourire malsain qui flottait sur son visage, comme s'il se délectait de ma perplexité.

- Et je dois faire quoi en échange ? m'enquis-je prudemment.

Au moindre truc suspect, il se prenait une Teigne dans la gueule.

- Combattre mes Pokémon.

J'accusai le coup durant quelques secondes. Je sais, c'est stupide si l'on prend en compte que je me trouvais dans un jeu qui tournait autour des combats entre Pokémon, - qui était construit sur ce concept même -, mais je ne m'attendais vraiment pas à ça. Un flot de questions s'échappa de ma bouche :

- Pourquoi ? Pourquoi ne pas m'avoir éliminé quand vous le pouviez ? Pourquoi choisir cette tactique tordue ? Et surtout, pourquoi trahir vos camarades ?

Il haussa les épaules.

- Parce que ça m'amuse. Parce que j'en suis capable. Peut-être même parce que tu le mérites.

Pour les vraies réponses, on repasserait. Celles-là ne m'avançaient pas des masses. Je dévisageai mon interlocuteur, pesant le pour et le contre. Il me retourna un regard impassible. Je crois que j'aurais pu rester là à l'observer toute une journée, sans arriver à le cerner pour autant. Il était différent des autres Rockets, ça c'était clair. Quelque chose chez lui me dérangeait, mais impossible de mettre le doigt dessus...

Cependant, je n'allais pas laisser passer une occasion pareille, même si elle m'était offerte par un serpent venimeux.

- OK. J'accepte votre offre.

- Un duel rapide, deux contre deux, précisa-t-il. Si tu gagnes, tu obtiens tes réponses. En revanche, si je gagne, tu fais demi-tour et tu ne te mêles plus jamais des affaires de la Team Rocket.

Un sacré risque, mais j'étais prête à le courir.

- Souris, Teigne, je compte sur vous les filles.

Les contours de mes deux Pokémon se dessinèrent dans les airs tandis que la lumière faiblarde des ampoules du plafond vacillait. Le Rocket libéra les siens d'un geste détaché : un gros rat poilu doté de deux crocs redoutables et un genre de tapir jaune/marron au nez pendant qui se tenait debout sur ses deux pattes arrières. Un Rattatac et un Soporifik. Si mes Pokémon avaient l'habitude de se confronter au premier, le deuxième pouvait en revanche poser problème.

- Hypnose sur le Nosferalto, Vive-Attaque sur l'autre, commanda le Rocket sans plus attendre.

L'horrible crissement des griffes du Rattatac sur le sol de béton me déchira les oreilles, le résultat d'un démarrage au quart de tour pour se précipiter sur la Colossinge, alors que le Soporifik tendait les mains vers l'avant et fixai Souris de ses yeux à moitié fermés. J'ouvris la bouche pour répliquer, mais Teigne n'attendit pas mes ordres et s'élança à la rencontre du Rattatac, égalant la vitesse fulgurante du rongeur.

Quelle tête de mule...

Rat VS singe : les deux Pokémon faisaient à peu près la même taille et probablement le même poids. Le face-à-face risquait d'être explosif. Je rivai mon regard sur Teigne. Plus que quelques secondes... La collision eut lieu à mi-course. Je distinguai un éclair de griffes et de crocs, la trajectoire brutale d'un poing sur un museau, puis les deux combattants se séparèrent dans un concert de grognements entrecoupés de sifflements, et roulèrent au sol chacun de leurs côtés, emportés par leur élan.

Pendant ce temps-là, le vol de Souris s'était fait instable. Elle résistait vaillamment, mais finit par succomber à l'Hypnose du Soporifik et dégringola comme une pierre. Ses immenses ailes membraneuses tournoyaient autour d'elle dans sa chute, la freinant un peu, mais pas suffisamment. Elle allait s'écraser au sol... enfin, elle se serait écrasée si Teigne n'avait pas été là. Un bref coup d'œil en l'air pour estimer la distance, et la Colossinge bondit, récupéra Souris dans ses bras juste avant l'impact inévitablement douloureux sur le béton, et amortit sa course pour s'arrêter à quelques pas de moi.

- Coup d'Boule, énonça le Rocket l'instant suivant.

Pour le moment de répit, c'était raté. Son Soporifik poussa un mugissement et fonça sur mes deux Pokémon, les chargeant tête baissée. Si sa démarche était un rien comique, il allait quand même foutrement vite.

- Teigne !

Ce fut le seul mot que j'eus le temps de prononcer avant le choc. Elle me comprit pourtant, ou alors nous étions sur la même longueur d'onde, car elle lança Souris en l'air et se prit l'attaque du Soporifik à elle seule. Le Coup d'Boule la projeta contre le mur, lequel se craquela sous la violence de l'impact. Elle glissa le long de la cloison, à moitié sonnée.

- Croc de Mort.

Bordel ! Pas une minute pour souffler.

Je détachai mon regard de Teigne et constatai que le Rattatac avait récupéré. Il remua ses moustaches avec un sifflement agressif et chargea derechef la Colossinge qui peinait à se relever. Ça s'annonçait mal... quand soudain un son changea la donne, un son à la limite de ce que l'oreille humaine pouvait percevoir. Ma petite Souris s'était réveillée et était en train de balancer ses Ultrasons, plein pot sur le rat. Celui-ci persista pourtant dans son élan, accélérant même sur les dernières foulées.

- Bouge de là, Teigne !

Elle resta immobile, foudroyant du regard le Rattatac.

- Teigne !

Dernier appel désespéré. Putain de voix trop aiguë qui trahissait ma peur. Bon sang, pourquoi ne m'obéissait-elle pas ? Elle ne savait pourtant que trop bien les dégâts que pouvaient faire les crocs d'un Rattatac... Était-elle déterminée à encaisser toutes les attaques en lieu et place de Souris ? Ou bien se punissait-elle pour la mort de Ficelle ? Là on tombait dans du pur masochisme...

Parvenu à deux mètres de la Colossinge, le rat se propulsa d'une formidable détente des pattes arrières et découvrit ses crocs jaunâtres et ô combien redoutables. À la dernière fraction de seconde - il s'en fallut vraiment d'un cheveu -, Teigne s'écarta et le rongeur continua droit dans le mur. Le sous-sol tout entier en trembla, et un bruit écœurant - un bruit d'os brisés - retentit dans le couloir étroit. Le Rattatac retomba comme une chiffe molle, les moustaches froissées et les yeux vitreux. Sa nuque était tordue selon un angle pas normal du tout.

J'entrevis le sommet de sa Pokéball lorsque le Rocket le rappela - grise.

Grise.

Une vague de nausée monta en moi. Je la combattis, ravalant ma salive. Pas le moment de flancher.

Teigne n'en avait pas terminé, implacable dans sa rage. Elle s'approcha du Soporifik, prenant tout son temps, tandis qu'il essayait en vain de l'Hyptoniser, ses mains boudinées tendues devant lui. Le Rocket soupira.

- Soporifik. Coup d'Boule.

Le Pokémon psy se rua sur Teigne, qui grogna quand elle se reçut l'attaque dans le ventre, n'ayant pas pris la peine d'esquiver. Elle enchaîna en l'attrapant par la trompe d'une main, et de l'autre lui expédia un coup de poing si brutal au creux de l'estomac que le Soporifik tituba, fit deux pas en arrière, et s'écroula sur le dos. Teigne l'accompagna dans sa chute, frappant encore et encore. J'assistai à un déchaînement d'une violence inouïe ; le Pokémon jaune mugissait de douleur tandis que Teigne cognait aveuglément, les poings rouges du sang de son adversaire. Le Rocket observait la scène, un demi-sourire aux lèvres.

Mes doigts se retrouvèrent d'eux-mêmes sur la Pokéball de la Colossinge, sans aucune intervention consciente de ma part. Mais de fait, c'était la seule solution. Si je ne la rappelais pas, elle ne s'arrêterait qu'avec la mort de son adversaire...

- Nosferalto, émit soudain Souris.

Le volume s'était à peine élevé au-delà du murmure, et pourtant Teigne se figea. Elle jeta un regard en arrière. Revint au Soporifik. Leva de nouveau son poing ensanglanté...

- Nosfer, insista Souris tout doucement. Alto, alto...

Les épaules de Teigne s'affaissèrent. Elle secoua la tête, souffla par le nez, et délaissa sa victime étendue sur le béton pour revenir vers la Nosferalto.

- Singe, fit-elle une fois parvenue à sa hauteur.

Son regard brillait. Elle paraissait toujours aussi déterminée, mais pour la première fois depuis des jours, j'avais l'impression qu'elle n'était plus en colère. Lorsque Souris l'enlaça de ses deux grandes ailes, un peu comme Ficelle en avait l'habitude auparavant, elle se laissa faire.

Le claquement de langue du Rocket signala la fin du duel.

- Pas si mal, déclara-t-il. Je ne m'étais pas trompé sur ton compte : tu as du potentiel.

Du potentiel ? J'avais tué un autre Pokémon, et sans Souris, le Soporifik n'aurait pas survécu non plus. Un fiasco total, oui.

- Ouvre grand tes oreilles que je t'explique l'astuce, continua-t-il, un rien condescendant. Tu aurais pu cavaler pendant des heures dans ces sous-sols, tu n'aurais jamais trouvé la planque du boss. Y a un étage qui n'est accessible qu'en prenant l'ascenseur... et seuls trois personnes possèdent un exemplaire de la clef requise pour le faire fonctionner. Fort heureusement pour toi, je suis l'une de ces trois personnes.

Il sortit de sa poche un petite clef dorée et me la lança. Surprise, je la rattrapai de justesse.

- Au fond du couloir, à droite, ajouta-t-il en m'indiquant la direction d'un geste de la main.

J'hésitai. Et si c'était un piège élaboré, après tout ? Faire semblant de perdre pour me mettre en confiance, et... et quoi ? Mon raisonnement s'arrêtait là.

- Plus tu restes ici, plus t'as de chances qu'un autre Rocket se pointe, remarqua mon interlocuteur, l'air de rien. Et je te garantis qu'ils ne seront pas aussi cléments que moi.

Raaah. Je fus saisie d'une terrible mais stupide envie de partir en marchant à reculons histoire de garder un œil sur lui. Au diable le ridicule. Ce type me flanquait une frousse que je n'arrivais pas à expliquer. Il était trop imprévisible, et ça, ça le rendait nettement plus dangereux que n'importe lequel de ses collègues. Finalement, je pris mon courage à deux mains et tournai les talons, suivie par mes deux Pokémon.

Sa voix m'atteignit alors que je prenais l'angle du couloir :

- À plus, fillette.

J'espère bien que non.

- Singe, commenta Teigne.

- Je sais que tu aurais pu te charger de lui, lui répondis-je. Mais si on avait pris la peine de le mettre hors d'état de nuire, ça aurait fini comme la dernière fois. Pour une raison ou pour une autre, la police ferme les yeux sur les magouilles de la Team Rocket. Et puis on aurait perdu l'avantage de la surprise.

C'étaient mes excuses, et j'allais m'y tenir.

- Siinngeee.

Traduction : 'Ouais mais j'aurais quand même pu lui casser la gueule.' Au moins, elle avait retrouvé la parole, même si c'était évidemment pour se plaindre de ma façon de faire, qui devait cruellement manquer de bastonnage à son goût.

- La prochaine fois qu'il m'appelle fillette, je t'autorise à lui foutre ton poing dans la tronche.

- Singe !

Sa voix vibrait d'enthousiasme. Voilà qui me convenait déjà plus. Je caressai furtivement Souris lorsqu'elle passa à ma hauteur en guise de remerciement. Ficelle était partie, mais la vie continuait, et Teigne allait peut-être enfin finir par l'accepter.

Le Rocket ne m'avait apparemment pas menti, car il y avait bien un ascenseur au bout du couloir. Il grinça affreusement lorsque nous entrâmes à l'intérieur - faut dire qu'à nous trois, on devait peser dans les 150 kilos -, mais à part ça il semblait en état de marche. Les palmes moites, je rentrai la clef dans la serrure à côté du bouton '3ème sous-sol', puis l'enclenchai. Les portes se refermèrent dans un bruit de ferraille et la descente commença.

Vous avez déjà essayé de rester immobile alors qu'en votre for intérieur, c'est la tempête ? Laissez-moi vous dire que c'est pas de la tarte. Savoir que je m'apprêtai à rencontrer le chef des Rockets faisait de moi une vraie pelote de nerfs. La rage montait lentement en moi, et je n'arrivai pas à l'endiguer. Ne le voulais pas, peut-être. Le chef de la Team Rocket... l'homme responsable de toute cette pagaille... celui qui faisait souffrir Pokémon et dresseurs indirectement... Et en prime, l'adrénaline de la confrontation avec le Rocket n'était pas encore retombée : bref je ne tenais pas en place.

Pour faire passer le temps, ou bien peut-être pour avoir l'impression d'agir, l'impression de faire quelque chose, je me retournai. Et me retrouvai face-à-face avec moi-même. Je me regardai droit dans les yeux, me contemplant dans le miroir qui recouvrait la paroi du fond de l'ascenseur, et ne me reconnus pas. Mais qui était cette fille ? Cette fille, avec ses cheveux bruns en bataille, ses mains qui tremblaient sans qu'elle puisse les en empêcher, et ses lèvres figées en un rictus sauvage ? Cette fille au regard passionné, flanquée de deux monstres qui auraient accepté de mourir pour elle ? Pas Léa Norelle. Non. Cette fille, c'était ce que ce jeu avait fait de moi.

Je me détournai de mon reflet. La vérité brûlait, et je n'étais pas capable de supporter cette brûlure. Pas encore. Peut-être jamais.

Les portes s'ouvrent avec un ding sonore. À ce stade-là, de toute façon, la discrétion pouvait aller au diable. L'étroit couloir était relativement bien éclairé, contrairement au reste de la base. Directement sur ma gauche se trouvait une salle remplie de caisses et autres cartons, et en face, une porte. J'optai pour une entrée musclée.

- Teigne.

La Colossinge bondit, enfonçant la porte d'un seul coup de pied. Les gonds sautèrent et elle s'aplatit au sol dans un fracas retentissant. Je l'enjambai et pénétrai dans un bureau à demi plongé dans l'ombre. Seuls une table, quelques plantes vertes et un divan occupaient l'espace. Un homme était assis sur ce dernier, un verre de vin à la main. Profil altier et nez aquilin qui lui conféraient un air aristocratique, cheveux courts, la quarantaine passée, il ne ressemblait pas du tout à ce à quoi je m'attendais. Enfin, exception faite de ses vêtements : il portait du noir de la tête aux pieds. 'Bonjour, je suis méchant', criaient ses habits.

- Qui êtes-vous ? lançai-je, même si je m'en doutais déjà.

Je fus moi-même surprise par l'émotion qui transparaissait dans ma voix : de la haine. L'homme eut un sourire glacial. La façon dont il me regardait m'évoquait celle d'un chat paresseux, repu et satisfait. Il n'avait pas l'air surpris de me voir. Au contraire, ma présence dans son repère semblait même l'amuser.

- On m'appelle Giovanni, répondit-il en posant son verre.

- Le chef de la Team Rocket ?

- Lui-même.

J'inspirai à fond.

- Alors vous avez des comptes à rendre. (Je comptai mes griefs au fur et à mesure sur mes doigts.) Un, vos sbires à Lavanville ont déclenché la colère des Pokémon spectres de la Tour. Deux, l'incendie du centre Pokémon de hier soir. Trois...

La queue formée de rochers d'un Onix tout juste matérialisé fouetta l'air. Elle fut stoppée à un cheveu de ma tête par Teigne et ses réflexes foudroyants. Sans elle, j'aurais été réduite à l'état de bouillie. Incrédule, je fixai le titanesque Pokémon du regard, mon énumération oubliée.

- ...mais vous êtes taré ou quoi ?!

- Tu es venue pour ça, non ? rétorqua Giovanni. Je coupe au plus court.

Son Onix se dressa de toute sa hauteur et gronda triomphalement. Je serrai les poings. S'il voulait la jouer comme ça... Moi aussi j'avais un serpent géant. La pièce parut soudain tout petite lorsque Plouf se joignit à la fête. D'un commun accord, le Rocket et moi reculâmes contre le mur pour laisser le champ libre aux combattants. Teigne, elle, ne bougea pas : elle voulait sûrement être aux premières loges pour l'affrontement.

- Nous avons bien une opération en cours au cimetière de Lavanville, je le reconnais, admit-il. As-tu la moindre idée du prix auquel se vendent les crânes d'Osselait ? Non, bien sûr. Mais l'incendie qui a ravagé le centre Pokémon... non, ce n'était pas de notre fait. Quel intérêt aurions-nous à détruire un bâtiment qui soigne les Pokémon de tout le monde, et ce gratuitement ?

Il eut un petit geste de la main, le signal d'attaque pour son Onix qui balança sa queue comme une massue en direction de Plouf. Et vu la taille du Léviator, il aurait fallu qu'il soit bigleux de chez bigleux pour le manquer. Pour la même raison, esquiver était hors de question. Pas assez de marge de manœuvre. Le coup vicieux toucha Plouf à la tête ; du sang gicla de ses écailles et éclaboussa le mur. Mon Léviator gronda de colère et se secoua, plus que prêt à rendre la monnaie de sa pièce au serpent de pierre.

Je lui donnai le feu vert :

- Vibraqua.

Avant d'ajouter à l'intention de Giovanni :

- Vous mentez.

Ils devaient être responsables, c'était la seule explication. Je savais que cet incendie n'était pas un incident, je le sentais jusque dans mes tripes. L'Onix replia vivement son appendice caudal vers lui, et ce faisant fracassa le bureau au passage, qui se fendit en deux et s'écroula, projetant des échardes de bois aux alentours. L'un d'entre eux m'érafla l'avant-bras. Une douleur minime, mais qui pouvait constituer un prélude à de bien plus terribles blessures. Je me plaquai davantage contre mon bout de mur.

Trois fins jets d'eau à la puissance phénoménale jaillirent de la gueule béante de Plouf, frappant le géant de pierre en plein visage. La puissance de l'assaut le repoussa contre la cloison du fond ; il rugit - moitié colère moitié douleur - et fit claquer sa queue au hasard. Elle heurta le plafond et brisa une lampe ; des débris de verre nous arrosèrent en pluie, accompagnés de morceaux de plâtre. Après ce coup désespéré, l'Onix poussa un dernier grondement et s'affaissa sur lui-même. Il luttait pour continuer à se battre, mais sa fatigue eut finalement raison de lui et ses yeux se fermèrent lentement.

Giovanni ne perdit pas de temps et le fit rentrer dans sa Pokéball. Puis il écarta les bras et me sourit amicalement, l'image même de la franchise.

- Quel intérêt de mentir à une gamine ?

Gamine, fillette... Qu'est-ce qu'ils avaient tous à me rabaisser au niveau d'une enfant ?

- OK, je suis peut-être une gamine, concédai-je, mais une gamine avec des monstres dangereux lui obéissant au doigt et à l'œil !

- C'est la définition même d'un dresseur, non ? ricana-t-il.

Il sélectionna une autre de ses Pokéballs et la lança. Elle tournoya dans les airs et s'ouvrit au sommet de sa courbe, laissant apparaître un Pokémon qui ressemblait vaguement à un rhinocéros, mais en plus court sur pattes et bardé de plaques osseuses. Quant à moi, je rappelai Plouf histoire de faire de la place, et libérai Salade. Il devait avoir entendu ce qui se passait dans sa Pokéball, car il débarqua comme une furie, lianes dressées au-dessus de sa tête de façon menaçante et yeux plissés de colère.

- Un Herbizarre ? remarqua Giovanni. Ah, Chen, je te reconnais bien là... Toujours à donner des Pokémon rares aux jeunes dresseurs débutants...

Quelque part, ça ne m'étonnait pas que le prof Chen et lui se connaissent... Mais c'était quand même un rien inquiétant comme info.

- Je te qualifie de gamine car ta vision du monde est encore très enfantine, crut bon de m'expliquer Giovanni. Tu vois tout en noir et blanc. Les méchants d'un côté, les gentils de l'autre, et bien sûr tu es absolument certaine de savoir où tu te trouves. Tu as conscience que la vie n'est pas aussi simple, n'est-ce pas ? Rhinocorne, Plaquage, ajouta-t-il une fois sa tirade terminée.

La bête renifla bruyamment, gratta le sol de sa grosse patte et s'élança pesamment vers Salade. Le martèlement de ses sabots résonnait jusque dans le couloir. J'hésitai, une part de mon esprit occupée à trouver des arguments pour contrer ceux de Giovanni tandis que l'autre travaillait sur les stratégies que j'aurais pu conseiller à Salade. Notre joute verbale se confondait avec notre duel, et je ne pouvais pas gérer les deux à la fois. Apparemment mon cerveau n'avait pas encore découvert le mode multitâche.

J'opérai donc un choix entre mon Pokémon et mon ego.

- Tranch'herbe.

Y avait pas photo, clouer le bec à Giovanni était vachement plus bas sur la liste de mes priorités que la sécurité de Salade. Mon Pokémon propulsa une tornade de feuilles sur le Rhinocorne avant même que la dernière syllabe n'ait quitté ma bouche. Elles fendirent l'air de leur tranchant, infligeant de multiples coupures au Rhinocorne, qui n'apprécia pas le cadeau. La bête carapacée trébucha dans sa course, ses pattes se dérobèrent sous lui. Il glissa à terre sur un côté, porté sur quelques mètres encore par son élan, avant de s'arrêter. Le Tranch'herbe, qui avait laissé de profonds sillons dans ses plaques osseuses et avait même atteint la peau en-dessous à deux reprises, avait suffi à le rendre inconscient.

Giovanni rappela son Pokémon sans faire de commentaires sur la partie Pokémon de notre affrontement, et en remit une couche niveau assaut verbal.

- Tu penses qu'on amasse de l'argent juste pour le plaisir ? Non, nous avons un but bien précis. Un but noble, si j'ose dire, qui au final profitera à tout le monde.

Son Pokémon suivant me rappela de mauvais souvenirs. La dernière fois que j'avais vu un membre de son espèce, c'était sur le pont de l'Océane. Le Kangourex me fixa de ses grands yeux marrons et tapa des pieds par terre, par intimidation, ou simplement par impatience.

- Et de quoi s'agit-il ? m'enquis-je en faisant signe à Teigne que c'était son tour.

- Allons, allons... si c'était aussi facile que ça de percer notre secret, ça n'en serait plus un... (Il claqua des doigts.) Morsure.

La facilité avec laquelle il jonglait entre duel physique et duel mental me laissait envieuse. J'avais toujours un train de retard en ce qui me concernait.

- Tomberoche, Teigne, lui enjoignis-je, renonçant à répondre à Giovanni.

La Colossinge se mit en mouvement avec agilité, et alors que le Kangourex fonçait dans sa direction, la gueule déjà grande ouverte, elle abattit ses deux poings sur le sol - une fois, deux fois, trois fois - tout en continuant à se déplacer de sa démarche bondissante. À chaque impact, le béton se fendillait et de gros rochers se détachaient du plafond pour fondre sur le Pokémon kangourou tels des missiles téléguidés. La bestiole fit preuve de réflexes foudroyants, slalomant pour les éviter, réussissant un parcours quasi sans faute. Seuls deux rochers le percutèrent, un au flanc gauche et l'autre au bas du dos.

Son attaque effectuée, Teigne ralentit et tenta d'esquiver les mâchoires du Kangourex. Je devinai son rentrer de buste et la roulade qui allait suivre... mais l'autre fut plus rapide. Nettement plus rapide. Le Kangourex la choppa alors qu'elle entamait son mouvement de retrait, et ses dents se plantèrent dans l'épaule de la Colossinge avec un claquement vindicatif. Au lieu de la relâcher immédiatement comme ça aurait dû être le cas, il la souleva dans les airs et la secoua à plusieurs reprises, tel un chat jouant avec une souris. Le sang de Teigne repeignit les murs alentours et me gicla au visage, m'atteignant à plusieurs mètres de distance.

Puis le Kangourex la rejeta à terre négligemment.

- Mais le fait que tu ignores nos véritables intentions ne constitue en rien une excuse pour débarquer ici et te faire justice toi-même. Avant d'être en mesure de nous juger, il faudrait que tu disposes de toutes les données... or ce n'est pas le cas, et par conséquent ton jugement est faussé par nature, et donc inévitablement boiteux.

Je réprimai un éclat de rire. On nageait en plein dans l'absurde. Son Pokémon venait de charcuter le mien et le mec était là à parler philosophie comme si nous étions de vieux amis en train de discuter tranquillement autour d'un repas. Irréel...

Je me passai la langue sur les lèvres et un goût cuivré envahit ma bouche. Du sang... La fourrure de Teigne en était littéralement maculée, ses poils agglutinés par l'hémoglobine, et son bras gauche pendait, inutile. Je fis glisser mon sac sur mon épaule et m'emparai d'une potion.

- Teigne, viens là...

- Singe ! répondit-elle sans même se retourner.

- Sois pas stupide ! Viens ici !

Elle se campa sur ses pieds, immobile.

- Problèmes d'obéissance ? sourit Giovanni. Je compatis.

Et d'ajouter :

- Ultimapoing.

Ah oui, sa compassion crevait les yeux. Le Kangourex avança de trois pas et ramena son énorme paluche en arrière, visant la tête de Teigne qui n'avait toujours pas bougé. Elle répliqua par un uppercut du droit, et leurs deux poings se rencontrèrent à mi-parcours. Les deux Pokémons laissèrent échapper des grondements jumeaux. Ça avait dû faire mal...

Teigne recula, les bras ballants. Du sang gouttait de son poing droit à présent, et cette fois, c'était le sien. Il fallait absolument que je lui administre une potion.

- Même si vous œuvrez vraiment pour une noble cause, ce dont je doute franchement, vos méthodes sont mauvaises, commençai-je, sans avoir la moindre idée de ce que j'allais dire par la suite. Vous pourriez vouloir la paix dans le monde que ça ne changerait rien, si vous l'obtenez en maltraitant vos Pokémon et en tuant des gens, ça n'en vaut pas la peine. Et je vais vous dire autre chose...

Je parlais pour ne rien dire, sortant tout ce qui me passait par la tête, gagnant du temps. De précieuses secondes que j'utilisai pour verser deux potions sur les blessures d'une Teigne qui s'était résigné à l'indignité de devoir se faire soigner. Je n'avais pas conscience de ce que je racontais : c'était du pur bavardage, histoire de meubler et de retarder le plus possible l'ordre qui n'allait pas tarder à franchir les lèvres de Giovanni.

- ... et puis d'abord allez vous faire foutre. Ultimapoing.

Ouais, j'étais un peu arrivée à court d'arguments sur la fin.

- Idem, répliqua Giovanni. Finissons-en.

Les deux Pokémons remontés à bloc se précipitèrent l'un vers l'autre. Je fermai les yeux une fraction de seconde, soufflai pour décompresser, et les rouvris. Ils étaient au corps-à-corps. La patte du Kangourex frôla le flanc de Teigne et continua sa course. Raté. La Colossinge avait le champ libre, et elle se fit plaisir. Son poing cueillit le Kangourex juste sous le menton, un coup qui avait assez de puissance pour fendre une dalle de béton. La tête de la bête partit en arrière sous la force de l'impact ; je crus entendre un craquement osseux. Le Kangourex poussa un grondement sourd, vacilla, et s'écroula, sa masse de plusieurs centaines de kilos faisant trembler le sol.

Ainsi se conclut mon duel avec le boss des Rockets - du moins, en ce qui concernait la partie Pokémon.

- Tu as du potentiel, je l'admets, affirma-t-il. Tu pourrais aller très loin...

Du potentiel ? L'autre Rocket avait utilisé exactement la même expression... Qu'est-ce que c'était censé vouloir dire ?

- ...si tu n'étais pas enchaînée par tes standards moraux, j'entends. Ceux qui réussissent sont ceux qui osent transgresser les règles. C'est une loi de la nature.

- Si j'obtiens la victoire en utilisant les même tactiques que vous, en me comportant comme une criminelle... ce sera une victoire vide de sens, estimai-je.

- Ainsi selon toi, la fin ne justifie pas les moyens ? Et pourtant tu fourres ton nez dans tout ce qui ne te regarde pas, au mont Sélénite, à Lavanville, et maintenant ici même. Curieux. Je crois que je commence à comprendre quel est ton problème. On appelle ça le syndrome du héros.

- Merci pour le diagnostic, fis-je aigrement.

- Mais de rien, dit-il en imitant mon ton sarcastique. Oh, tu vas avoir besoin de ça, ajouta-t-il en me lançant ce qui ressemblait à une paire de lunettes de piscine.

Je tentai un rattrapage, foirai mon coup, et elles atterrirent à mes pieds après avoir ricoché contre mon petit doigt. J'en avais marre des gens qui me lançaient des trucs à la figure. Ils ne pouvaient pas me les tendre, plus simplement ? Teigne ramassa le cadeau de Giovanni, renifla la chose, et me la tendit comme s'il s'agissait d'une vieille paire de chaussettes puantes. Mais non, c'était bien une paire de lunettes. Les verres avaient une couleur vert bouteille, et un drôle de machin les surmontait, une espèce de pince qui servait à les ajuster sur la tête, peut-être ?

- C'est gentil de votre part, mais j'ai pas l'intention de faire de la plongée, ironisai-je.

- C'est un Scope Sylphe. Et crois-moi, ça va te servir.

Il pencha la tête sur le côté, une expression songeuse sur ses traits raffinés.

- Maintenant que j'y songe, tu me rappelles quelqu'un... Un garçon que j'ai rencontré il y a quelques années qui lui aussi voulait jouer au héros. Comment s'appelait-il, déjà ? Ah oui... Vivian.

Un éclair m'électrisa la colonne vertébrale. Je me maîtrisai pour ne pas me trahir. Inspiration, expiration.

- Et que lui est-il arrivé ?

J'eus droit à un sourire en guise de réponse. Puis une forme humanoïde s'échappa d'une Pokéball, il y eut un flash de lumière violette, et la seule personne qui aurait pu m'éclairer sur le destin de mon frère disparut sous mes yeux. Je jurai à voix haute. Conneries de pouvoirs psychiques ! Il me fallait un Pokémon avec des pouvoirs de téléportation moi aussi. Peut-être que si j'en avais eu un, il aurait pu traquer Giovanni, comme dans les films où les gentils retrouvaient le méchant en localisant son téléphone portable... Non, là je délirais. Mais tout de même, c'était rageant.

Que savait-il à propos de Vivian ? Impossible qu'il soit au courant de notre lien de parenté... Nous ne nous ressemblions pas du tout, que ce soit au niveau des traits du visage, de la couleur des cheveux, celle de nos yeux, ou même de notre groupe sanguin. Non, ça devait être une des conséquences du jeu. Vivian avait pris la place du Personnage Joueur, place qui était la mienne à présent, il s'était fait remarquer par Giovanni à l'époque, et c'était cette ressemblance qui l'avait amené à mentionner mon frère, et rien d'autre.

- Mister Giovanni, je sens qu'on va se revoir, que vous le vouliez ou non.

- Zarre ? demanda Salade, à qui ma réaction n'avait pas échappé.

- J'ai des questions à lui poser au sujet de mon frère, lui expliquai-je. Mais vous n'avez pas à vous inquiéter pour ça, ajoutai-je en englobant Teigne du regard. Ce sont des vieilles histoires...

- Singe, approuva Teigne.

Traduction : 'D'accord. On ne veut pas savoir de toute façon. Quand est-ce qu'on cogne ?' (C'était un 'Singe' tout plein de nuances.) Salade, lui, avait l'air intéressé, mais il ne pressa pas la question.

- Allez, venez les enfants, on mets les voiles...

Je fourrai le Scope Sylphe dans mon sac, et mes deux Pokémon m'emboîtèrent le pas alors que je quittai la pièce, qui soit dit en passant avait été complètement dévastée par notre duel. Je ne pus empêcher un petit sourire d'atteindre mes lèvres. C'était mesquin, mais au fond de moi je me réjouissais d'avoir détruit la planque de Giovanni. S'il voulait à nouveau se servir de cet endroit, il allait devoir faire faire de sacrés travaux.

Nous ne croisâmes personne sur notre chemin et sortîmes du repère sans encombre. Je ne savais pas trop combien de temps s'était écoulé depuis que j'y avais pénétré, mais ça remontait sans doute à deux ou trois heures, vu qu'il faisait nuit à présent. Mes réserves d'énergie se situaient au plus bas et je sentais qu'une crise d'hypoglycémie n'allait pas tarder à pointer le bout de son nez, mais j'étais trop sur les nerfs pour pouvoir dormir.

- Qu'est-ce que vous en dites ? demandai-je à Salade et Teigne. On retourne à Lavanville ?

Double hochement de tête. La démocratie avait parlé. Armée d'une barre de céréales pour calmer ma faim, je pris la route de la ville des fantômes.

***

Ce qu'elle était haute, cette tour... et sinistre, n'oublions pas sinistre.

Plantée au pied de l'étrange structure qui abritait le cimetière Pokémon, j'essayais de rassembler le courage d'y monter à nouveau. J'avais campé sur le chemin, m'étais levée aux premières lueurs du jour, et - je jetai un coup d'œil à l'horloge interne du Pokédex -, j'avais marché trois heures durant avant d'arriver en ville. Là, il n'était pas loin de dix heures. L'ombre projetée par la tour bloquait le soleil depuis l'endroit où je me trouvais.

Entre ou ne pas entrer, telle était la question. Ma première tentative d'exploration s'était plutôt mal terminée... mais ce n'était pas des Pokémon, fût-ce des types spectre, qui allaient m'empêcher d'accomplir ma destinée. J'eus un petit rire. Accomplir ma destinée... Je faisais une putain d'héroïne, tiens.

Allez... Je cessai de tergiverser et pénétrai dans la Tour de Lavanville, accompagnée de Teigne et de Salade. Le rez-de-chaussée était aussi peuplé que le désert du Sahara. J'adressai un signe de tête en guise de bonjour à la personne qui s'occupait de l'accueil et gravis les marches jusqu'au premier étage. L'endroit était identique à la dernière fois, sauf qu'une chape de brume recouvrait le sol, si bien que je ne voyais pas du tout où je mettais les pieds. L'atmosphère glaciale m'occasionna un frisson, et le silence assourdissant me mit plus mal à l'aise que je ne l'étais déjà. Là aussi, personne en vue.

Je traversai rapidement l'étage. Aujourd'hui, j'allais atteindre le sommet de cette tour, quoi que je rencontre sur mon chemin. Je venais de m'engager dans l'escalier qui menait aux deuxième lorsqu'un truc me chatouilla la nuque.

- Salade, arrête, c'est pas drôle.

- Zarre ?

Je me retournai. Mon bulbe vert me rendit un regard innocent. Allons bon. Voilà que mon imagination me jouait des tours maintenant. Haussant les épaules, je repris l'ascension. J'y étais presque... Je posai le pied sur la dernière marche, ou plutôt, voulus poser le pied. Au lieu de ça, je m'étalai à plat ventre sur les marches. Cette fois, pas d'erreur, j'avais très nettement senti quelque chose me faire un croche-pattes.

- Salade ! hurlai-je à m'en faire éclater les poumons.

- Zarre !

Il avait répliqué d'un ton indigné. Je grognai.

- D'accord, donc si c'est pas toi, c'est un fantôme... De mieux en mieux.

- Zarre, zarre, zarre ! (C'est seulement maintenant que tu t'en rends compte ?)

- Ouais, bon, ça va, hein...

La paire de lunettes de piscine gracieusement offerte par Giovanni apparut soudain dans mon champ de vision.

- Singe, fit Teigne en les agitant sous mon nez.

Mes Pokémon avaient l'air de comprendre ce qu'il se passait bien mieux que moi. Je suivis le conseil de la Colossinge et enfilai les lunettes. Pour aussitôt pousser un cri. (De surprise, pas de peur, attention.) En face de moi se trouvait un Pokémon à l'apparence carrément flippante : une grosse boule noire avec deux grands yeux blancs et une bouche entrouverte dont pointaient deux petites canines, le tout entouré d'une aura de brume violette. Il flottait à quelques centimètres du sol et me fixait de son regard malicieux.

- Alors c'est toi qui me fait tourner en bourrique...

Le Pokémon spectre fut secoué d'un rire silencieux.

- À mon tour, maintenant.

Je lui balançai une Superball dessus (et oui, j'étais passée au niveau supérieur question items). Elle le traversa et l'aspira sous forme de lumière rouge alors qu'elle retombait au sol. Je poussai un bref soupir : pendant un instant, j'avais cru que ça ne marcherait pas. Curieusement, la ball ne remua qu'une seule fois, avant de s'immobiliser. Monsieur le fantôme faisait le malin, mais il n'était pas si costaud. Ha non. Madame la fantôme, constatai-je quand je jetai un coup d'œil à mon Pokédex. Apparemment, l'espèce portait le nom de Fantominus, et ils adoraient faire des blagues et surprendre les gens. Portée par une inspiration du tonnerre, je la surnommai Bouh et envoyai sa ball au PC de Lavanville.

Satisfaite de cette rencontre fructueuse, je m'avançai confiante entre les rangées de tombes. J'étais en train de contourner une pierre tombale, empruntant un raccourci vers l'escalier suivant, quand une voix rauque retentit sur ma droite :

- Donne-moi... ton... sang...

WTF ? songeai-je, très anglaiquesment (mais si, c'est un mot).

Je tournai la tête et découvris une femme à quelques mètres de moi. Oh, bonjour madame. Deux options : soit elle avait surgi de nulle part, soit je ne l'avais pas vue arriver à cause de la brume. Ce qui était sûr, c'est qu'elle faisait peur à voir. Vêtue de vêtements très amples, elle tenait un bâton gris avec des grelots qui tintinnabulaient au moindre de ses mouvements, et - détail inquiétant -, ses yeux étaient entièrement blancs et dépourvus de pupilles.

- Ton... sang... répéta-t-elle.

J'hésitai. M'enfuir en courant ou m'enfuir en courant ? Quelle diversité dans mes choix... Je reculai, prête à prendre mes jambes à mon coup, quand la femme brandit une Pokéball et relâcha un Fantominus. Ah. Là je me trouvais en territoire connu. Enfin... plus ou moins. Le Pokémon émit un rire sinistre et flotta jusqu'à Salade, puis sortit une langue mauve de trois mètres de long et lui donna un violent coup de langue sur le museau. Mon pauvre Herbizarre poussa un couinement apeuré et ne répliqua même pas, paralysé de terreur.

À moins que...

J'ôtai mes lunettes et constatai que sans elles, le Fantominus demeurait invisible. Ah. Ça allait compliquer les choses, ça.

- Tranch'herbe sur ta droite, un peu au-dessus de ta tête, Salade !

Il sursauta et cligna des yeux comme s'il émergeait d'un rêve éveillé, puis m'obéit. La nuée de feuilles tranchantes toucha le Fantominus, creusant de larges tranchées dans son corps vaporeux. Des filaments de son aura brumeuse s'échappèrent et disparurent tandis le Pokémon spectre rétrécissait.

- Coolooossiinnngggeeee ! beugla Teigne.

Elle chargea, le poing en avant, visant plus ou moins l'endroit où les feuilles étaient passées. Je la vis traverser le Fantominus sans lui infliger le moindre dommage, lequel ricana de plus belle et s'empressa de contre-attaquer par une léchouille. Les poils de Teigne se dressèrent comme sous l'effet de l'électricité statique.

- Désolée ma grande, mais on dirait que tu n'es pas conçue pour te frotter aux spectres.

- Singe... bougonna-t-elle, déçue de ne pouvoir participer à la baston.

Entre-temps, le Fantominus avait récupéré et ses yeux brillaient tandis qu'il fixait Salade de son regard de serial-killer.

- Ok, Salade, ferme les yeux et en avant les Tranch'herbes !

- Herbizarre ! acquiesça-t-il.

Je continuai à lui révéler la position du Fantominus, lui indiquant la direction à chaque fois, et tous ses coups firent mouche. Teigne observait le duel, les yeux plissés - enfin, observait Salade, vu qu'elle ne pouvait pas voir le Fantominus. Le Pokémon spectre se révéla un adversaire coriace, sans cesse en train de se déplacer pour essayer de nous prendre par surprise, mais au bout de quelques minutes de combat acharné, il s'avoua vaincu après un dernier Tranch'herbe, et s'évanouit, tel de la fumée dispersée par le vent.

À cet instant, la femme qui m'avait défiée hoqueta et s'effondra. Je la rattrapai maladroitement.

- Ouf... merci, jeune fille, souffla-t-elle en m'agrippant l'avant-bras.

- Euh, de rien. Vous allez bien ?

Elle releva la tête, et je m'aperçus que ses yeux avaient retrouvé un aspect normal : pupilles noires, iris bleus.

- J'étais possédée par ce Fantominus, répondit-elle en se relevant. En le mettant KO, tu m'as libérée.

- Ah.

C'était la seule chose qui me venait à l'esprit.

- Mais ça arrive souvent, ce genre de trucs ? demandai-je.

Parce que je ne tenais vraiment pas à jouer les hôtels pour Pokémon spectres. La femme dût lire dans mes pensées, ou alors elle avait comprit mes craintes, car elle me rassura :

- Non, on ne s'ouvre à la possession que si l'on tente de les apaiser comme nous l'avons fait. Il est fréquent que des esprits en peine hantent cette tour, et d'ordinaire nous parvenons à communiquer avec eux et à comprendre ce qui les retient ici. Mais cette fois-ci, c'est différent... Cet esprit refuse toute communication, et il semblerait bien que sa seule présence affecte également les autres Pokémon spectres.

Je jetai un coup d'œil inquiet autour de moi. De mieux en mieux.

- Sois prudente, me conseilla-t-elle. Nombre de mes collègues sont sans doute également sous l'emprise des spectres.

Sur ces mots, elle me laissa seule, se dirigeant vers l'escalier. Quant à moi, je pris mon courage à deux mains et me lançai à l'assaut du troisième étage. Léa la warrior. Rien n'allait m'arrêter !

C'est dans cet esprit là que j'affrontai la seconde personne possédée que je rencontrais sur mon chemin. Et la deuxième. Et la troisième. Il y en avait vraiment pas mal. Une véritable cohorte d'exorcistes qui s'étaient tous donnés rendez-vous ici. Salade et Teigne formaient un duo de choc et s'occupèrent ensemble des Fantominus et des Spectrum qui pullulaient. Après avoir découvert que les attaques normales n'avaient aucun effet contre les Pokémon de type spectre, j'avais finalement autorisé Teigne à participer aux bagarres avec son Tomberoche, à la condition qu'elle n'emploie qu'un seul rocher à la fois : je voulais éviter d'endommager les pierres tombales.

Au bout de deux longues heures ponctuées de combats, je m'apprêtai enfin à gravir l'escalier menant au septième et ultime étage de la tour. Qui sait ce que j'allais trouver là-haut... Peut-être rien du tout. J'étais bien présomptueuse de m'imaginer que je pouvais régler le problème juste en ramenant ma fraise dans les parages. Pour être franche, je ne savais même pas ce que j'étais venue faire ici. Tout ce que je savais, c'était que je voulais aider.

Les paroles de Giovanni me revinrent en mémoire. Fourre son nez dans tout ce qui ne la regarde pas... Syndrome du héros... Il avait raison, en fin de compte. Je l'avais trouvé arrogant, mais je l'étais au moins autant que lui, avec mes préjugés et mon orgueil.

À noter qu'une autre de mes caractéristiques, c'était de toujours finir ce que j'avais commencé. J'avançai donc vers l'escalier, résolue à entamer l'ascension. Tout à coup, l'air parut se solidifier autour de moi. Des cristaux de glace se formèrent instantanément sur mes vêtements et dans mes cheveux, et un petit nuage de buée sortit de ma bouche lorsque j'expirai. Une bourrasque glacée faillit me déséquilibrer et je me rattrapai de justesse à la première chose à portée, à savoir les oreilles de Teigne.

Un clignement d'œil plus tard, je fus assaillie par des visions d'horreur.

Une mare de sang qui s'étend au sol... rouge, rouge, rouge, et un éclat d'os blanc, obscène, forçant le contraste avec la couleur si vive...

Os et chair déchirés, larmes et rêves brisés...

Le cri déchirant d'un Pokémon à l'agonie, les pleurs d'un enfant...

Les images refluèrent aussi vite qu'elles étaient venues. Je restai sonnée, incapable de réagir. Ma tête bourdonnait et j'avais l'impression qu'une lance de douleur me transperçait le crâne. Teigne se secoua avec un grognement, ce qui me fit prendre conscience que je lui tenais toujours les oreilles. J'obligeai mes mains à se décrisper, voulus m'excuser, mais ne trouvai pas ma voix.

Et pour cause. Quelque chose me faisait face, bloquant l'accès à l'escalier. On devinait qu'il avait dû s'agir d'un Pokémon dans un passé lointain, mais tout juste. Debout sur ses deux pattes arrière, il exhibait un ventre blanc qui contrastait avec sa fourrure marron - et la partie normale s'arrêtait là. Le reste relevait du pur cauchemar. Des plaies béaient partout sur son corps ; elles gouttaient d'un sang fantomatique qui s'évanouissait dans les airs avant de toucher le sol. Griffures, coupures, lacérations, bleus, hématomes : pas un seul centimètre carré de sa peau n'était épargné. Sa tête était recouverte pour je ne sais quelle raison d'un masque en os triangulaire, un crâne cauchemardesque maculé de sang et fendu sur toute la longueur. Une aura rouge et noire l'enveloppait, lui conférant un air démoniaque. Enfin, il brandissait un long os jaunâtre en guise d'arme et me fixait de ses yeux noirs au fond duquel brillait une lueur de rage.

Vengeance... fit une voix dans ma tête, une voix froide et implacable.

Figée de terreur, je n'esquissai pas le moindre geste. Salade et Teigne, plus courageux, se placèrent devant moi, faisant rempart de leurs corps. Ils s'exprimèrent en même temps, signifiant clairement à l'apparition que j'étais sous leur protection :

- Zarre !

- Singe !

Et c'est alors qu'une troisième voix se joignit à la leur, une voix que je ne pensais ne plus jamais entendre.

- Papilusion !

***

C'est pas vraiment un cliffhanger, ça. :p M'enfin ça me paraît un bon endroit pour couper. Beaucoup d'action dans ce chapitre (ça se voit que c'est ça que je préfère écrire ? ça et les moments où Léa s'amuse avec ses Pokémon). Le prochain sera nettement moins chargé.

Équipe actuelle :
SaladeTeigneSourisGrignottePloufTouffu

Cimetière :
Ficelle