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Tout ça pour mourir de Asako



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Informations

» Auteur : Asako - Voir le profil
» Créé le 01/05/2010 à 23:49
» Dernière mise à jour le 01/05/2010 à 23:59

» Mots-clés :   Romance   Science fiction   Suspense

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1-6 : Matt Keyes
David retrouva Matt Keyes dans la cour, assis sur un banc, les yeux vides et des larmes accrochées aux quelques poils noirs et courts qui ornaient ses joues creuses. Le jeune garçon se plaça à côté de lui, bien décidé à le secouer, mais il ne savait pas comment commencer. Il contempla le ciel obscur où scintillaient quelques étoiles, comme des perles jetées dans le vide par une main géante et invisible, pensif. Elles assiégeaient la lune, belle et veloutée, dont les lueurs enveloppaient la mer lointaine de ramures argentées.

-Belle vue, d'ici, hein ? marmonna Matt.

-Vous allez être viré.

Matt sursauta, comme s'il venait de recevoir une décharge électrique. David continua, imperturbable et priant pour qu'il ne se remette pas à pleurer :

-J'ai entendu cet homme, Wilfried Harper, dire des choses que je n'aurais pas dû savoir. Normalement, vous auriez dû rester avec moi, m'empêcher de m'approcher de lui. Le Dr Jackson vous en veut à mort et va vous virer.

-Et toi, tu m'en veux ?

David, pris au dépourvu, hésita puis murmura :

-Non.

Matt sourit dans l'obscurité. Visiblement, la nouvelle ne le bouleversait pas tant que cela. Comme s'il s'y attendait. Enhardi, David ajouta :

-D'après le Dr Jackson, vous auriez pu être de mèche avec ce Harper. Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ? Vous vous connaissez ? Après tout, il connaît aussi le Dr Warren…

-Je le connais de nom, murmura Matt. En fait, nous ne nous étions jamais rencontrés avant ce soir, et pourtant, nous avons tous les deux vécu la même expérience, il y a des années de cela. Tu veux vraiment m'entendre raconter cela ? Mes collègues seraient fous de rage en l'apprenant.

-Je sais déjà qu'il y a eu d'autres cobayes avant moi, et qu'ils sont morts… C'est… vrai ?

-Oui. Et ça à un rapport avec mon histoire. Après tout, je ne risque plus rien en te déballant tout, vu que je ne travaille plus à Saigo. Et tu as le droit de savoir, hein ?

David acquiesça. Son cœur battait vigoureusement dans sa poitrine ; la curiosité le démangeait. Alors Matt commença son récit, fixant un point invisible à l'horizon, ses yeux charbonneux plus amers que jamais. David ramena les jambes contre sa poitrine et l'écouta, captivé.

-C'était il y a six ou sept ans. J'étais jeune, un gars un peu timide plongé dans des études de médecine. Je souhaitais plus que tout passer ma vie à soigner des Pokémons. J'avais rencontré une fille à la fac… oui, moi, Matt Keyes, j'étais amoureux. C'était tellement cliché, n'est-ce pas ? C'était une fille géniale, tu t'en doutes. Elle voulait devenir chercheuse. Elle s'appelait Alice, elle était ambitieuse mais tellement gentille, tellement volontaire, tellement pleine de vie… et elle était déterminée à marquer l'histoire de la science. Apparemment, je lui plaisais. Après quelques rendez-vous bien guimauves que je vais t'épargner, nous avons fini par nous fiancer. Nous vivions heureux ici, à Poivressel, elle et moi dans notre appartement près de la mer. Elle était si drôle, si gaie, et elle me taquinait souvent en me disant que j'étais un grand timide mais qu'elle me soignerait, comme moi je soignerai des Pokémons… enfin bref, toutes ces histoires à l'eau de rose doivent t'ennuyer.

« Je travaillais dur pour ouvrir mon Centre Pokémon et Alice, elle, bossait comme une malade pour se trouver un poste où, disait-elle, elle pourrait occuper une bonne place et changer les choses dans le monde de la science. Et puis un jour, elle a déboulé dans notre appartement comme une tornade, les yeux brillants, et m'a annoncé qu'elle allait travailler avec une équipe de scientifique dans un lieu étrange nommé Saigo… elle n'en disait pas plus, mais elle était follement excitée. J'aurais dû m'y intéresser de plus près, si je lui avais posé plus de questions, j'aurais pu la protéger, l'empêcher de faire ce qu'elle a fait… si seulement je m'étais un peu plus penché sur son « boulot », j'aurais compris que non, dans cette expérience hors du commun, elle n'était pas la scientifique mais le cobaye… Tu devines la suite, hein ?

« Elle m'avait promis de passer de temps en temps à l'appart, mais sinon elle devait rester à Saigo. Au début, elle semblait folle de joie, puis, peu à peu, j'ai remarqué qu'elle changeait. Elle n'était plus aussi radieuse, elle semblait fatiguée, ses sourires étaient forcés... J'ai senti que quelque chose n'allait pas, mais je n'ai pas cherché à voir plus loin. Quel con, le roi des cons. Et puis un jour, c'est une autre femme qui a sonné chez moi. Grande, brune, l'air sévère... Oui, c'était Johanna Warren, qui travaillait déjà à Saigo à l'époque. Elle m'a annoncé de but en blanc qu'Alice ne reviendrait plus. Jamais. Elle était morte suite aux expériences. Son corps n'avait pas supporté les gènes de Charmillon.

« J'ai compris. La vérité m'écrasait sous son poids implacable. Alice n'avait été qu'un cobaye, qu'un jouet entre les mains des scientifiques… J'étais effondré. Je suis resté chez moi à ne rien faire, à vivre sur les économies de mes parents, effondré, mou, n'ayant plus goût à rien. J'étais déjà un peu effacé avant de rencontrer Alice. A sa mort, j'étais devenu un fantôme. Je m'en voulais, je ressassais sans arrêt le passé.
Puis les années ont passé, l'argent a manqué, et, sans savoir pourquoi, j'ai contacté Johanna. Je lui ai dit que j'avais fait des études de médecine et je lui ai demandé si cela pouvait se montrer utile pour travailler à Saigo, même si ma médecine était spécialisée pour les Pokémons. Elle semblait surprise, mais également soulagée, car les scientifiques démissionnaient en masse, déçus par l'absence de résultats, et elle se retrouvait toute seule avec Stieg Jackson et un nouveau qu'elle ne connaissait pas, Sébastien Valéry. J'ai voulu travailler à Saigo non par passion, mais pour éviter, à tout prix, qu'un autre cobaye meurt suite aux expériences. Je ne voulais pas que d'autres vies soient brisées à cause de cette histoire de transformer les humains en hybrides.
J'étais étonné en apprenant que les six cobayes qui t'ont précédé étaient tous très différents, mais tous avaient un rapport avec le monde scientifique. Il y a eu Alice, qui étais une jeune fille voulant devenir chercheuse, mais aussi des scientifiques confirmés, ou encore, et c'est bien là le drame, des enfants de scientifiques qui n'avaient rien demandé… et, parmi eux, un adolescent de quinze ans qui, comme Alice, n'a pas supporté les gènes de Pokémon. Il s'appelait Alex… Alex Harper.

« Voilà. Maintenant, j'espère que tu comprends. Wilfried Harper avait livré son propre fils à Saigo, fils qui est décédé en partie par sa faute. A cause de ça, il ne pouvait pas faire un procès à Saigo, mais visiblement il a préféré agir en douce, lors de ce congrès scientifique qui, tout le monde le sait, est très important pour notre carrière.

« Tu comprends, maintenant. Je suis… désolé pour tout ce qui t'arrive. J'espère que… que toi, tu…

-Survivras, acheva David.

Matt se tut et baissa les yeux, écrasé par une tristesse infinie. Jamais David n'avait vu une telle mélancolie se peindre sur un visage, se refléter dans un regard, dans un soupir. Il avait écouté scrupuleusement, mais la fin de l'histoire le laissait perplexe.

-Dr Keyes… euh… Matt ? murmura-t-il, mal à l'aise.

Matt Keyes eut un pâle sourire à l'évocation de son prénom qui encouragea David à continuer.

-Pourquoi… pourquoi moi ? Ma famille n'est pas scientifique…

-Tu as deux frères, n'est-ce pas ?

David sentit une sueur glacée courir sur son dos. Ses frères avaient toujours été des étrangers pour lui, deux êtres qui vivaient sous son toit, respiraient le même air et avaient les mêmes parents, mais sinon, aucun lien de les rattachait. Il se mordit la lèvre.

-Oui, souffla-t-il. Gaspard et Michael.

-Ils n'étaient pas chez toi pour Noël, remarqua Matt.

-Non. Je ne les vois quasiment jamais. Je sais que l'un a un travail, mais il a fui les maison dès qu'il a reçu de l'argent. L'autre, Michael, je ne sais pas trop où il vit.

-Tu ne sais pas quel est le travail de Gaspard Hunter ?

-N-Non…

-Secrétaire pour un scientifique débordé de travail. Un scientifique qui fut mon patron, mais qui m'a viré il y a peu.

-Gaspard travaillait pour Stieg Jackson ? s'effara David.

Matt fit un signe affirmatif de la tête. Le garçon et l'ancien scientifique se turent, écoutant le tumulte étouffé du grand salon qui leur parvenait derrière la porte et le chant houleux des vagues lointaines qui caressaient sur la plage. David éprouvait une sourde haine, comme une piqûre au cœur, envers son frère aîné, mais il décida de ne pas se complaire dans de la rancune. Il se vengerait plus tard. Pour se dégager l'esprit, il tenta d'imaginer Alice. Il se la représentait plutôt séduisante, le visage baigné de joie, déposant de petits baisers délicats sur les joues d'un Matt dont les yeux gris n'avaient pas encore cette lueur de chagrin qui ne les quittait jamais et qui souriait avec sincérité.
On lui saisit brusquement la main. Il leva les yeux, intrigué, pour voir Matt y glisser une Poké Ball et lui adresser un clin d'œil.

-C'est mon Capumain. Je crois qu'il t'aime bien, tu sais. Tu verras, il est très utile. Moi, je n'en aurais plus besoin, mais toi, si.

-Je vais en avoir besoin ? répéta David, contemplant la Ball, à la fois émerveillé et confus. Mais c'est votre Pokémon !

-Ne t'inquiète pas, on se retrouvera, il saura toujours où je suis. Je me répète, mais tu vas en avoir besoin. Tu vas vite comprendre… Ah, et aussi…

Il fouilla frénétiquement dans la poche de sa veste et en sortit un bout de papier chiffonné et un vieux crayon. Il écrivit quelque chose sur le papier puis il le lui donna. Le garçon, cramponné à la Poké Ball du Capumain, l'attrapa du bout des doigts et plissa les yeux, tentant de déchiffrer l'écriture en pattes de mouches.

-Trouve-la, supplia Matt. Elle seule pourra t'aider, maintenant que je ne serai plus là.

-Maintenant que vous ne serez…

-Ecoute-moi, David : tu ne peux pas rester à Saigo. Cette histoire, c'est de la folie. Certes, changer les humains en hybrides semble très alléchant, compte tenu de la situation…

-La situation ?

-Ne m'interromps pas, s'il te plaît, David. Changer les humains en Pokémons pour éviter le futur qui nous menace, c'est peut-être une idée, mais pas la bonne. Je ne veux pas que tu finisses comme Alice ou comme ce pauvre Alex. Je t'ai noté une adresse ; vas-y, il le faut, tu rencontreras…

C'est alors que la salle où devait avoir lieu le congrès explosa.