Pokémons, Sucre et Rock'n'Roll de Cheshire-cat

"Vraiment, je ne vois pas de quoi tu te plains. Ça te va bien...
-Ta gueule."

Yasha souligna ses yeux d'un trait de khôl, tentant de ne pas grimacer de déplaisir, sous peine de devoir tout recommencer. Déjà que sa perruque la grattait comme pas permis... Franchement. On aurait pu difficilement imaginer une couverture plus ridicule, plus clichée. La lycéenne chaudasse dans toute sa splendeur. Toute la panoplie. Longs cheveux noirs tombant librement sur ses reins et mini-jupe bleu marine trop courte inclus. Et elle était maquillée comme une voiture volée. Son sac en toile bien aimé avait été remplacé par une horreur synthétique rose et noire, imitant tant bien que mal un panda. Un véritable hôtel de luxe pour acariens, elle en était sûre...

"Non sincèrement... lui susurra Lysandre d'un ton doucereux. Tu fais très... comment dire ? Actrice de...
-Ouvre grand tes oreilles et écoute moi bien. Mes pieds sont à présent équipés de talons acérés mesurant chacun dix centimètres. Alors, si tu comptes avoir une descendance dans le futur... Tu ne finiras pas cette phrase."

Le silence retomba dans les toilettes publiques où ils s'étaient installés. Personne ne viendrait les déranger là. Pas avec le panneau "inondation" placé devant la porte. Yasha jeta un dernier coup d'œil à la croûte de fond de teint qui lui tenait lieu de visage. Elle ressemblait à une bizarre hybridation entre une Geisha et Paris Hilton. Elle était méconnaissable. Et c'était bien là le seul point positif à la situation, franchement.

"Passe moi ton rat.
-Abadon.
-Abadon, si tu veux. Passe le moi, il faut que j'installe la caméra..."

A contre cœur, Yasha libéra son rattata de sa pokéball. Elle n'aimait pas que Lysandre colle ses sales pattes sur son compagnon, et elle aimait encore moins qu'il soit mêlé à ce business pourri. Manque de bol, elle n'avait pas le choix. Sur ce point pas plus que sur pas mal d'autres. Elle était sous contrat. Il fallait suivre les ordres, sans discuter. Lysandre se ferait une joie de la dénoncer si elle dépassait la ligne autorisée, si elle tirait un peu trop sur sa laisse. Et là, elle serait vraiment dans la merde.

"Fini. Tu peux le récupérer."

Abadon arborait à présent un collier couvert de strass du plus mauvais goût. La caméra était dissimulée parmi eux, indécelable. Elle l'appela et en un éclair, le petit pokémon s'était réfugié sur son épaule, timidement blottit contre son cou. Elle le caressa du bout des doigts, doucement. Quand elle l'avait recueilli, Abadon était sale, famélique, incapable de survivre par ses propres moyens... Malgré ses soins, il demeurait maladivement craintif. Et elle doutait que cela change jamais.

"Essaye de t'en tenir au plan cette fois...
-Je ferais ce que j'ai à faire, si tu fais ce que tu as à faire.
-Ton oreillette, met-la."

Avec un sifflement agacé, Yasha glissa la petite boule couleur chair au creux de son oreille. Ce truc ne lui servait à RIEN. Il était systématiquement tombé en panne à chaque fois qu'elle en avait eu besoin. Saloperie. Et ça lui envoyait des sifflements stridents directement dans le tympan dès qu'elle passait à côté du moindre micro-onde minable. Et on s'obstinait à vouloir lui faire porter un de ces gadgets inutiles à chaque fois. Si c'était seulement pour écouter les commentaires sarcastiques de son partenaire, elle s'en serait bien volontiers passée.

"Tu as mémorisé la disposition des lieux, Sugarbabe ?
-Ouais. T'aurais pas un chewing-gum ?
-Pourquoi faire ?
-A ton avis ?"

Il lui tendit son paquet en soupirant. Après l'amertume de la cigarette, le goût de fraise artificiel lui emplit la bouche d'un coup, comme une vague sucrée. Elle se sentait mieux. Calmée. Elle fit une grosse bulle qui explosa avec un petit "pof", sourit.

"Ça complète pas mal le costume je trouve.
-Ouais. Une vraie grognasse. Je t'attendrais à l'arrière, avec le camion.
-Ok. C'est parti..."

Ils sortirent des toilettes l'un après l'autre, lui d'abord, elle ensuite. Il valait mieux éviter qu'on les voit ensemble à présent. Comparée à la pénombre dans laquelle elle avait été baignée jusque là, la lumière de l'extérieur lui semblait encore plus éblouissante que tout à l'heure. Nouvelle bulle de chewing-gum, elle s'assit sur le banc de l'arrêt de bus, et joua avec la fourrure de son rattata en attendant. Tout se passerait bien cette fois.

C'était une belle journée pour les criminels.