Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Whisky, cigares et bon goût. Ou pas.
de Drayker

                   



Si vous trouvez un contenu choquant, vous pouvez contacter la modération via le formulaire de contact en PRECISANT le pseudo de l'auteur du blog et le lien vers le blog !

» Retour au blog

[Ecriture] Pourquoi "évitez les clichés" est le pire conseil qu'on puisse vous donner
putaclic much ?

Récemment, j’ai pas mal discuté des clichés, de leur nature et de comment les traiter, et je me suis rendu compte de quelque chose : l’énorme majorité des conseils aux auteurs, débutants ou non, vous diront d’éviter les stéréotypes à tout prix (comme la peste, diront-ils, aha, très drôle, jpp).

Et bien, pour moi, c’est l’un des pires conseils que l’on puisse donner. Et voir tous ces sites se délecter avec suffisance de leur profoooonde lucidité quant à la nature des clichés, voir tous ces auteurs se féliciter d’avoir réussi à les éviter, et voir ces critiques s’autocongratuler quand ils trouvent des clichés dans une fiction, ça m’énerve.

Du coup, j’ai décidé de faire un petit article de blog à ce sujet. Je n’ai pas la prétention d’avoir la science infuse, et si vous n’êtes pas d’accord avec ce billet, n’hésitez pas à vous manifester dans les commentaires !

Qu’est-ce qu’un cliché ?


Parce que oui, il faut bien commencer quelque part.

La définition pure et simple, j’imagine que tout le monde ou presque la connaît. On peut la formuler ainsi : un cliché est un concept qui a perdu de sa vitalité à force de répétition, jusqu’à devenir un lieu commun. Il peut s’agir d’une expression (cf l’introduction de cet article), d’un archétype de personnage, voire d’une structure narrative toute entière.

Quelques exemples ? Bien sûr. On va même essayer d’en prendre des plus originaux que « les orphelins mal traités par leurs garants qui se découvrent une destinée/un superpouvoir unique ».

Dialogue cliché :


« Mais qui es-tu ?
- Ton pire cauchemar. »


Je crois que cette réplique a été utilisée tellement de fois qui si un braqueur essayait de l’utiliser dans la rue, sa victime éclaterait de rire.

Bon, sauf si ledit braqueur a un flingue. Ou un couteau.

Personnage cliché :


La princesse rebelle, souvent insolente et pleine de fougue, qui s’échappe régulièrement du château pour côtoyer incognito la populace et essayer d’oublier le mariage arrangé qui l’attend.

Structure narrative clichée


Le Five-Man Band.


Mais si, vous savez. Ces histoires où l’équipe de protagonistes est composée du héros au cœur noble (leader), de son bras droit un peu plus anti-héros (lancer), d’un grand gaillard costaud (big guy) et pas toujours finaud, d’un sidekick frêle mais malin (smart guy), et évidemment, d’une présence féminine (heart)

Non, vous ne voyez pas ? Et si je vous dis Luke Skywalker, Han Solo, Chewbacca, R2D2 et Leïa Organa, ça ne vous rappelle rien ?

Il y en a énormément d’autres, bien sûr. Les triangles amoureux, les « On ne laisse personne derrière ! », les prophéties… Il en existe des centaines, et je ne saurai que vous recommander le site tvtropes.org, qui en recense une multitude avec une précision sans failles, et ce dans différents médias : littérature, films, anime, fanfiction. Attention, c’est en anglais (mais de toute façon, si vous vous intéressez à la théorie de l’écriture et que vous êtes allergique à l’anglais, je vous souhaite bien du courage, l’Internet français étant très pauvre dans ce domaine).

Pourquoi cliché est-il devenu synonyme de mauvais ?


Bah oui, parce qu’après tout, si tout le monde le dit, c’est qu’il y a bien une raison, non ? Un cliché, c’est mal !

Aujourd’hui, le cliché est devenu une preuve que l’histoire est mauvaise. C’est un défaut, un écueil qu’il faut éviter à tout prix. En identifier un dans une fiction, c’est en quelque sorte prouver que l’œuvre est mauvaise.

Mais d’où ça vient ?

Petit instant universitaire :

Dans une de ses thèses dont je n’arrive pas à traduire le nom de manière satisfaisante, Ryan J. Stark postule que si les créateurs détestent autant les clichés, c’est parce qu’ils démontrent que nous, auteurs, ne sommes pas vraiment les génies créatifs et innovants que nous nous imaginons parfois être. C’est une conception de l’écriture encore inspirée du romantisme qui nous dicte notre haine pour les clichés, car on les voit comme un manque d’originalité – or un auteur se DOIT d’être original, non ? (spoiler : non.)

Mais ce n’est pas pour ça qu’un cliché est dangereux. Au diable la créativité, on s’inspire tous de quelque chose (mais j’y reviendrai). Ce n’est pas ça, l’écueil qu’il faut éviter. Non, là où un cliché dessert l’histoire, c’est quand il en expulse le lecteur.

Un cliché, par essence, c’est quelque chose de surutilisé, et de prévisible – un rouage un peu trop voyant dans la mécanique de notre histoire, qui catapultera le lecteur hors de l’immersion si ce dernier le remarque. Les critiques professionnels, par métier, s’entraînent à identifier les rouages au sein d’une histoire, d’où les écarts de notation entre organismes pro et grand public. Du moins ça, c’était vrai avant. Mais aujourd’hui, à l’ère d’Internet et de la démocratisation du cinéma, à l’ère de SensCritique et AlloCiné, le lecteur moyen n’a jamais été aussi doué pour disséquer les histoires et en identifier les ficelles.

Est-ce que ça veut dire qu’il faut éviter à tous prix les clichés ? Est-ce que ça veut dire que si vous en identifiez un dans votre histoire, il vaut mieux la jeter à la poubelle ?

Diantre non ! Mais avant de répondre plus en détails à ces questions, je vais devoir faire un petit détour.

Comment en vient-on à utiliser un cliché dans son histoire ?


“La raison pour laquelle les clichés deviennent clichés, c’est qu’ils sont les marteaux et tournevis de la boîte à outils de la communication.” – Terry Pratchett.

Un cliché, avant tout, c’est une expression, un personnage ou une structure qui a fait ses preuves. C’est un moyen efficace de convoyer une idée ou un concept.

Votre personnage veut organiser une recherche minutieuse d’une surface définie où il suspecte que se trouve un objet/individu qu’il souhaite absolument récupérer, quitte à perdre du temps ? Eh bien il peut le dire comme ça à ses sous-fifres, ou alors il peut leur ordonner de « passer la zone au peigne fin ». L’idée est la même, mais la phrase clichée la communique en bien moins de mots.

Si on reprend nos exemples du début :

- Pourquoi un auteur utiliserait la phrase « ton pire cauchemar » ? Pour poser le personnage en némésis du héros. Pour instaurer un rapport de force, d’intimidation, voire même d’obstination (l’antagoniste VIT pour contrecarrer le héros, et VEUT lui faire peur à tout prix). Pour introduire un badass, ou au contraire, si utilisé de manière parodique, pour introduire un comic relief ou un perso un peu nerd qui s’exprime uniquement par phrases cultes. Dans tous les cas, en une seule phrase, le lecteur se fait déjà une idée du personnage.

- Pourquoi un auteur utiliserait une princesse rebelle ? Parce que c’est un excellent moyen de tenir une réflexion sur la pression verticale descendante, sur la structure stratifiée de la société. Ça fait aussi, il faut bien l’avouer, un bon socle pour une romance avec un héros vagabond de passage par là (Jasmine et Aladdin, anyone ?). Dans tous les cas, en un seul personnage, le lecteur se fait déjà une idée des thèmes de l’histoire.

- Pourquoi un auteur utiliserait un Five-Man Band ? Parce que c’est efficace, pardieu ! Ce sont 5 personnages complémentaires, qui fonctionnent bien ensemble et offrent plusieurs synergies (opposition leader/lancer au sujet du pragmatisme, opposition big guy/smart guy au sujet de la ruse… ainsi que l’évident love interest leader/heart ou lancer/heart), offrent un grand panel de compétences et de personnalités qui permettent une grande variété des situations et des obstacles à résoudre ! J’ai donné l’exemple de Star Wars, mais il y en a bien d’autres.

Se priver des clichés en les évitant à tout prix, c’est se priver de ces outils de communication fondamentaux. Et en plus, c’est impossible. Chaque œuvre est inspirée de ses prédécesseurs, et chaque créateur (auteur, scénariste, réalisateur, whatever) fera inconsciemment appel à ses influences dans son processus créatif, ce qui se retrouvera dans l’histoire.

Au lieu de vous faire perdre votre temps à vous dire d’éviter les clichés, les conseils d’écriture devraient plutôt chercher à vous apprendre comment les utiliser correctement !

Comment employer un cliché ?


EH BIEN FRED, C’EST TRÈS SIMPLE !

… Bon, je n’ai pas de maquette, mais j’ai un schéma.


Etape 1 : identifier le cliché


Ah bah oui. Parce que si vous l’utilisez sans même vous en rendre compte, y’a de bonnes chances que vous le fassiez sans vous poser la question ultime : « Est-ce que le lecteur va s’y attendre ? ».

Et comment donc qu’on fait-y pour identifier un cliché ? Eh bien déjà, en travaillant sa connaissance du genre dans lequel on écrit. Pas de secret, pour être conscient des clichés et des ressorts scénaristiques couramment employés, il faut lire. Mais pas que : il faut aussi s’entraîner à disséquer les histoires, leurs personnages, leurs structures.

Parfois (souvent, même, dans notre cas d’auteurs amateurs), les lecteurs sont plus forts que nous à ce petit jeu, et ils vous pointeront d’eux-mêmes les clichés évidents. Ou parfois, c’est un autre auteur plus expérimenté qui le fera. Dans tous les cas, il convient de prendre en compte la remarque !

Etape 2 : qu’est-ce que j’ai voulu communiquer avec ce cliché ?


Est-ce que ce cliché m’est utile ? Chaque scène doit servir l’histoire. Si la situation clichée ou le personnage cliché est useless, virez-le.

A quoi sert le cliché ? Qu’ai-je voulu faire avec ? Est-ce qu’il sert à introduire/caractériser un personnage ? Est-ce qu’il sert plutôt de vecteur à l’histoire et à ses thèmes ? Est-ce qu’il sert de socle au déroulement des événements ?

Etape 3 : qu’est-ce que je dois faire du cliché ?


S’il est inutile ou non-essentiel, virez-le, ou remplacez-le par quelque chose qui communique mieux ce que vous voulez exprimer.

S’il est utile, mais risque de rendre l’histoire prévisible : retournez les attentes des spectateurs contre eux ! Il n’y a rien de plus facile à surprendre qu’un lecteur qui pense avoir deviné la suite de l’histoire. Soyez subversif !

Quelques exemples de subversion qui partent de clichés surexploités (écrits en quelques minutes, hein, ça reste largement améliorable) :

- Votre héros est un orphelin paysan, qui du jour au lendemain, apprend qu’il est l’objet d’une prophétie et qu’il doit vaincre le seigneur des Ténèbres. Bouh, c’est chiant. Et si la prophétie était un mensonge ? Si elle était vraie, mais que le héros n’en était pas l’objet, et qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre ? Si le héros échouait lors de la confrontation finale, et que c’était son sidekick qui prenait sa place et terminait sa quête ? Si le héros refusait carrément d’accomplir la prophétie ?
Exemples d’œuvres qui sortent du cliché : Anakin Skywalker dans Star Wars (qui devient carrément le bad guy avant d’accomplir la prophétie), le Nérévarine dans Morrowind (qui est loin d’être le seul candidat à la prophétie à la base, et qui doit travailler dur pour prouver que c’est bien lui qu’elle concerne)

- Votre héroïne est une princesse adolescente rebelle, promise à un mariage forcé, qui rêve de s’échapper et de caracoler avec la plèbe. Jusqu’au jour où paf, le romantique vagabond des classes inférieures arrive, et c’est parti pour une réinterprétation de Roméo & Juliette. Ou alors… ou alors, le love interest de votre héroïne la kidnappe, et elle se rend compte que la réalité des bas-fonds est bien moins glamour que ce qu’elle avait espéré, et elle doit survivre et s’échapper à la dure, ce qui donnerait une bonne histoire de passage à l’âge adulte. Ou alors, au lieu d’être une sale teigne ingrate, votre princesse apprend petit à petit à se conformer à son rôle, tout en jouant de la diplomatie et de son statut pour arriver à ses fins.
Exemples d’œuvres qui sortent du cliché : Zelda dans Breath of the Wild, Arya Stark (pour le côté « je veux vivre dans la rue » qui dégénère très rapidement. Sansa Stark ou Aryane Martell peuvent également être citées)

- Le grand méchant est méchant, et le monde est en danger. Son plan est sur le point de se concrétiser, et vos héros se lancent à l’assaut de la forteresse pour empêcher son triomphe imminent. Blabla, confrontation finale, arrivée in extremis, discours suffisant du méchant qui pense avoir gagné. Ou alors… vos héros arrivent trop tard, et le grand méchant, qui n’est pas un méchant de James Bond, a lancé les missiles/libéré le virus/lancé l’ordre 66 il y a plusieurs heures. Ou alors, le méchant n’est pas là – il a gagné, pourquoi devrait-il prendre le risque de rester là où on s’attend à ce qu’il soit, sachant que vos héros arrivent ?
Exemples d’œuvres qui sortent du cliché : Watchmen… Bon, j’en dis pas trop, ça spoile.)

Déconstruction & Suspension volontaire de l’incrédulité


Il existe une quatrième solution : conserver le cliché tel quel. Bah oui. Parfois, il arrive qu’un cliché soit le meilleur moyen d’arriver à vos fins, et tant pis si certains lecteurs devinent ce qui va se passer. Ça arrive, et comme dit plus haut, toutes les histoires ont leurs clichés. L’important est de ne pas briser l’immersion, et de ne pas devenir prévisible.

Si vous cherchez systématiquement à retourner les clichés, à les éviter ou à les retourner contre vos lecteurs, ceux-ci vont vite s’adapter, surtout s’ils sont malins. Une histoire qui désamorce en permanence ses clichés pour dire « Ahaha regardez, je suis conscient de mes propres clichés et je les désamorce, rigolons ensemble ! » va devenir vite répétitive et prévisible, au même titre qu’une histoire qui ne déconstruit jamais ses clichés. Le Fossoyeur de Films ayant récemment fait une vidéo sur ce sujet, je vous enjoins à y jeter un œil et ne m’étendrai pas plus que ça dessus. Même chose pour la subversion : retourner un cliché et jouer avec les attentes du spectateur ne fait pas nécessairement de vous quelqu’un de malin et d’intelligent, surtout si vous faites le coup à chaque fois !

Une dernière chose. Une excellente manière de réaliser une subversion est de ramener le principe de réalité au sein du cliché (par exemple, envisager un cliché romantique sous un aspect réaliste, comme avec la princesse enfermée qui rêve d’aventure, et qui regrette amèrement sa décision lorsqu’elle comprend la cruelle réalité de la rue).

Cependant, réaliste n’est pas toujours synonyme de bon. Un héros qui prend une balle dans l’épaule et qui ne reçoit pas de soins immédiats se vide de son sang, meurt, échoue sa quête et le monde est condamné, fin de l’histoire. C’est réaliste, c’est cru, mais bon sang, bon courage pour ne pas dégoûter vos lecteurs avec ça.

Ecrire une fiction, c’est passer un contrat avec vos lecteurs : ils acceptent de ne pas relever chaque entorse à la réalité, tant que l’histoire qu’on leur sert reste cohérente et crédible. C’est ce qu’on appelle la suspension volontaire de l’incrédulité (WSOD en anglais) : les lecteurs sont prêts à avaler que le vaisseau spatial des méchants a la technologie pour se rendre invisible sans rendre ses capteurs inutiles ; ils peuvent accepter que le magicien soit capable de se téléporter. Par contre, bon courage pour leur faire accepter que le lieutenant du méchant meurt d’une crise cardiaque au moment où il allait achever le héros.

Mais tout ça fera probablement l’objet d’un futur article dédié à la construction d’une histoire. Pour ce qui est des clichés, je pense avoir fait le tour. J’aurai aimé vous noyer sous les exemples, parler du Monomythe de Campbell et autres structures suremployées, mais cet article est déjà bien assez long.

J’espère qu’il vous aura plu, qu’il vous aura été utile et vous aura appris quelque chose, ou qu’à défaut, il vous aura fait réfléchir ! N’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez dans les commentaires, je reste tout à fait ouvert au débat.

Article ajouté le Lundi 11 Décembre 2017 à 19h52 | |

Commentaires

Chargement...