Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Echos Infinis de Icej



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 13/08/2019 à 03:02
» Dernière mise à jour le 20/09/2019 à 19:10

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Épisode 42 : De Profundis
Ndlr

Cela fait juste trois mois que je veux publier ce chapitre. J’en ai bavé. Franchement, j'ai galéré. J'ai écrit, réécrit et supprimé des scènes (en tout, une quinzaine de pages). Elles resteront sur mon ordinateur si je n'arrive pas à les recaser ailleurs.

Je ne suis pas satisfaite de la plupart des scènes de ce chapitre, mais je les ai déjà assez retravaillées. Je n'arriverai pas à en être contente. Je crois qu'il faut que je laisse les choses se faire quelque part dans mon inconscient. Je repasserai dessus dans quelques semaines.

Malgré tous ces avertissements... je vous souhaite une bonne lecture.

De Profundis est une lettre qu'a écrit Oscar Wilde depuis la prison.


(Cinq ans plus tard)

Les jambes de Syd cédèrent sous le choc de l’atterrissage et il fit une roulade en avant.

Le lino gris du hangar était couvert de poussière—il toussa, passant une main sur sa bouche ensanglantée, avant de se relever tant bien que mal. Des éclairs distants déchiraient la pénombre du couloir et des explosions secouaient tout l’immeuble. Le trou dans le plafond, par lequel il s’était échappé, se fissura davantage sous le choc des combats. Quelques morceaux de plâtres tombèrent derrière lui et il s’éloigna davantage, titubant.

Riolu sauta devant lui, ses poings nimbés de bleu.

Elle grogna et il siffla de douleur, se tâtant la lèvre. Il était crevé et il ne résistait pas aussi bien à la douleur qu’il l’aurait voulu. Cela faisait trois jours qu’ils observaient cette base jour et nuit depuis le toit d’un immeuble voisin… et ils avaient finalement reçut l’ordre d’attaquer en pleine nuit. Syd n’avait dormi que cinq petites heures depuis son dernier tour de garde.

Sa chienne bleue tira sur son pantalon, leva le regard. Il l’imita, et vit des baskets hors de prix apparaître, avant qu’un grand dadais ne dégringole à ses côtés en un « WOUARPS » étranglé. Le nouveau venu manqua de lâcher le sac de Pokéball qu’il tenait et Syd se précipita dessus, mais n’eut finalement pas à rattraper les balles et se redressa, tentant de reprendre son souffle.

Le dresseur lui jeta un regard éperdu. Syd inspira, cherchant des blessures sur le corps de son camarade, des plaies sous ses cheveux raz, autour des épaules carrées, des sillons rouges contre sa peau mate... mais il ne trouva que d’anciennes cicatrices sur le corps d’Oscar ; d’anciennes cicatrices, et un nez cabossé.

Constatant que son ami allait bien, Syd se tourna vers le trou dans le plafond, appuyant plus fort sur sa lèvre blessée. Leur mission était censée être facile, peu dangereuse. Des Sbires pouvaient tout de même surgir à n’importe quel moment. Ils en avaient assommé et téléporté quatre grâce aux Lewor de la Ligue, mais il en restait certainement quelques-uns dans la base.

— Elle en est où ? demanda-t-il à Oscar, tendu.
— Je n’sais pas, répliqua le brun, tentant toujours de reprendre son souffle. ‘fin je crois qu’Electrode est en place—dis, tu t’es fait quoi à la lèvre ?
— Une Sbire m’a donné un coup de poing.
— Ah. C’est R.U.D.E.

Une explosion distante résonna dans les murs et le sol et jusque dans leurs os. Puis une autre. Du plâtre tomba autour d’eux, et les néons de l’étage supérieur grésillèrent. Oscar et Syd échangèrent un regard et Syd rappela Riolu sans dire un mot. Un Lewsor de la Ligue apparut au détour du couloir. Il les informa silencieusement qu’il avait assommé et téléporté une autre Sbire Plasma.

— C’est sûr, elle sera là d’une seconde à l’autre, souffla Oscar—

et une silhouette atterrit entre eux deux. La fille se redressa, sa tignasse brune volant autour de son gros casque anti-son. Elle leur darda un regard à travers sa frange ; ses yeux s’attardèrent sur la lèvre ouverte de Syd. Entre les doigts tendus de sa main droite, elle avait calé les trois Superball améliorées.

— Bon les garçons, vous êtes prêts ? lança-t-elle, concentrée.
— Attends, Nour !

La dresseuse se figea. Les micropuces derrière leurs oreilles grésillèrent et Syd se surprit à poser un doigt rougi dessus, même s’il savait ce geste inutile. La voix de Jean faiblit et puis grossit dans le silence du couloir. Sans doute que les Plasma avaient installé un brouilleur quelque part.

— … est, les Sbires se sont tous enfuis, la base est vide.
— Ok chef ! répliqua Nour, levant le bras—
Attends !

Elle resta immobile, le bras en l’air, arrachant un rictus à Syd.

— Avez-vous bien fouillé toutes les salles ? insista la voix désincarnée de Jean.
— … Ce n’est jamais qu’un immeuble de deux étages dans la banlieue de Flocombe… hasarda Oscar. Un soupir résonna dans leurs micropuces.
— Bon, si vous êtes sûrs de vous, je vous donne mon feu vert.

Et Nour abattit son bras.

— GO !

Un gros « BAOUM » secoua l’immeuble et ils entendirent le fracas d’un plafond qui s’écroulait. Syd sentit une goutte de sueur froide couler le long de sa gorge. Échangeant un regard effrayé avec Oscar, il prit ses jambes à son cou et se rua vers la sortie tandis que d’autres explosions détruisaient les murs porteurs du bâtiment, un à un.

Les habitants du quartier sautèrent de leurs lits et se précipitèrent vers leurs fenêtres. Certains poussèrent des cris d’effrois en voyant une conflagration entamer le rez-de-chaussée de l’immeuble au coin de la rue. D’autres sortirent leurs téléphones portables et se mirent à filmer, fort intéressés. Heureusement, les trois adolescents qui avaient détruit l’édifice avaient déjà disparus, emportés par un Lewsor de la Ligue.


(La fleur au fusil)
Élin sourit et plongea ses doigts dans le sol. Le lino chanta autour de sa main et elle tira—elle tira—ses muscles crièrent sous l’effort mais une volée de contreplaqué et de ciment s’éleva autour d’elle. Le Sbire et le Baggiguane qui leur barraient la route clignèrent des yeux. Élin fit pleuvoir le ciment sur son adversaire, et Baggy acheva le Pokémon ennemi d’un coup de poing bien placé.

— MAIS HEIN ? objecta le Sbire avant de s’effondrer.

Il sombra dans l’inconscience aux côtés de son Pokémon. Et le dernier néon de la base disjoncta.

Élin rigola encore. Ses yeux brillèrent pour s’ajuster aux ténèbres. Elle avait chaud—elle avait l’impression d’avoir sifflé trop de vodka et avait envie de sourire, de rire. Elle s’approcha de l’homme inconscient, lui donna un petit coup de pied dans les parties sensibles, juste pour la forme. Il gémit. Pauvre homme—il allait se réveiller avec un sacré mal de crâne… et avec des douleurs dans d’autres zones stratégiques.

— C’est putain de R.U.D.E., remarqua Baggy.
— Si t’es pas content, il ne fallait pas t’embêter à venir, rétorqua Élin, malicieuse.

Baggy siffla d’un air mauvais.
Elle savait qu’il venait toujours. Elle savait qu’il refusait de la laisser.

La jeune femme s’avança vers le bureau que le Sbire avait tenté de défendre et il se dépêcha de la suivre. Tandis que Baggy montait la garde, Élin contourna le meuble en bois, laissant traîner ses doigts griffus sur ses rebords juste pour le plaisir de ruiner du matériel. Elle dégagea tous les bibelots qui se trouvaient dessus, empocha la paperasse entassée dans un coin du meuble en bois, et s’attaqua aux tiroirs. Ils étaient tous fermés à clefs, mais il lui suffisait de planter ses doigts dans le vieux bois et de tirer pour qu’ils cèdent, les uns après les autres. Dans la pénombre, sa main s’embrasait.

La blonde dut enfourner plein d’autres papiers et formulaires dans son gros sac à dos, ainsi que des téléphones—tous identiques et éteints—mais finalement, elle trouva ce qu’elle était venue chercher… un ordinateur et une clé USB en forme de Méïos.

Jackpot.

Souriant de toutes ses dents, elle fit signe à Baggy. Ils remontèrent tout le couloir éventré, où gisaient plein de Sbires tels des pantins désarticulés, et quittèrent l’immeuble. Les embruns frais de Papéloa caressèrent leur peau… puis Baggy donna un grand coup de pied dans une cannette vide.

Élin rigola. Elle tournoya, ses yeux brillants fouillant les ombres des hangars abandonnés autour d’eux. Elle avait le cœur léger, elle était ivre de ses pouvoirs, et le feu dans son estomac brûlait fort. Elle aurait pu nicker au moins trois bases Plasma de plus tellement elle se sentait bien ! Mais… des mots à moitié oubliés tintinnabulaient au fond de sa conscience—des obligations gavantes…

—Yo, la folle, on doit rentrer, signala Baggy.
— Merci, mon fidèle destrier, répliqua Élin en levant les yeux au ciel.

Elle s’immobilisa et se concentra, tenta de se concentrer. Il lui semblait qu’elle devait se téléporter… n’est-ce pas ? Élin prit la main de son Starter et disparut avec lui dans la nuit.


(Debriefing)

— T’as dégommé combien de Sbires ?
— Huit, répliqua Élin, ravie.

Nour fit la moue.

— Rah. Il n’y avait que six Sbires dans le repaire où l’on est descendus… comment tu fais pour en dégommer autant à chaque fois…? répondit-elle, jalouse.

Élin haussa les épaules avec un sourire nonchalant. La gamine se tourna vers Oscar et son gros sac de Pokéball, le regarda de haut en bas, et poussa un ricanement moqueur.

— Tu t’es encore tâché les pompes !
— Oh non… gémit Oscar.

Syd leva les yeux au ciel—et capta le regard de Nour. La jeune fille rougit, se redressa, semblant prête pour un combat intense au corps à corps. L’expression de Syd se déforma sous la peur.

— Tu t’es fait quoi à la lèvre ? balbutia Nour.
— Je-me-suis-pris-un-coup-de-poing, répondit-t-il d’une traite.
— Est-ce que tu veux que j’aille chercher Rosa ? demanda Nour.
— Ça-ira-merci.
— D’accord d’accord !

Ils expirèrent tous les deux d’un air soulagé sous les regards amusés d’Oscar et Élin. Décidément, leur gêne mutuelle faisait rire tout le monde, sauf eux.

— Alleeeez embrassez-vous ! ordonna Élin, malicieuse.
— Élin ! Je te déteste ! s’étrangla Nour.
— Ta gueule, rétorqua plus succinctement Syd.

Les deux amoureux se regardèrent en chiens de faïence.

Oscar s’esclaffa.


(Can I Wake You Up, Can I Wake You Up?)

Le soleil se levait derrière le Mont Renenvers. Les contours de la mesa s’éclairaient, comme si une grande lampe avait été allumée derrière la roche. Partout le noir de la nuit devenait gris. Sur les surfaces plates des plateaux, les yucca projetaient leurs épines en de longues ombres bleues. L’air était froid. Un grand vent balayait la terre rouge. Les buissons de sauge, les genévriers maigres qui poussaient çà et là tremblaient comme des squelettes.

Élin s’élança, talonnée par ses Pokémon, et poussa un cri joyeux.


(Une prière)

Le matin du trois juin trois-mille-cinq, presque tous les habitants de la base se retrouvèrent pour un grand petit-déjeuner préparé par Syd et Rosa. Elsa n’était pas là, mais ce n’était pas inhabituel ; Mélis dormait, comme toujours ; et Matis était détaché auprès de la Maîtresse de la Ligue, ce qui était souvent arrivé au cours des derniers mois. Personne ne se posa de question. Ils s’attablèrent joyeusement autour d’une montagne de crêpes plus ou moins réussies, de fruits du marché d’Amaillide, d’œufs brouillés, de bacon, de pains au chocolat et de baguettes. On se battit pour avoir accès au thé, au café, au lait et au jus d’orange ; certains voulurent s’emparer du miel ou du sirop d’érable de Flocombe ; d’autres se contentèrent de sucre.

Leafer et Nour et Guajava se jouèrent des tours ; Élin, qui ne s’était pas douchée après son jogging matinal, piqua des crêpes dans l’assiette d’un Oscar inattentif jusqu’à ce qu’il se pose sérieusement des questions ; Éléonore et Jean se firent les yeux doux ; Rosa et Syd surveillèrent l’empilement des assiettes et firent des allers-retours en cuisine sans qu’on le leur demande pour faire de la place sur la table.

Autour du grand buffet en bois, certains Pokémon s’amusaient à faire léviter des bouts de nourriture, se chamaillaient pour des croquettes « gourmet—le meilleur des croquettes » et sautaient pour éviter les attaques de leurs congénères. On rabroua les bêtes farceuses, on esquiva soi-même des attaques mal ciblées, et on n’hésita pas à ébouriffer la fourrure de ses compagnons.

On discuta de tout : des deux missions qui venaient de se finir, des « high scores » d’Élin et de Nour en matière d’élimination de Sbires, du fait qu’éliminer des Sbires n’était pas un jeu ; et puis de politique, d’économie, et de toutes ces joyeusetés dont les adolescents prenaient lentement conscience. Il y eut un grand débat sur les mérites respectifs des crêpes et des pancakes. Guajava prétendit que cette controverse n’avait pas de sens sans considérer que les qualités des gaufres en plus du reste. On manqua de causer une guerre civile, mais finalement, la discussion houleuse se résorba quand chacun eut la bouche pleine—Éléonore s’insurgea contre ceux qui osaient continuer de parler avec de la nourriture dans la bouche.

Le soleil inondait la pièce ouverte, chauffant la roche ocre à leurs pieds. Pas un nuage ne planait dans le ciel… Monsieur météo avait annoncé vingt-six degrés à Amaillide la veille. Ils passeraient certainement leur matinée à se reposer, à cuisiner, faire des matchs amicaux, ou même se balader sur les grands plateaux des Monts Renenvers.

C’était une belle journée.

Elsa débarqua un instant avant que la Professeure Keteleeria ne se téléporte. Elle avait de grandes cernes, les joues rouges, le souffle court. Ses yeux hagards fouillèrent l’assistance, cherchant… Éléonore se raidit. Jean lui posa une question qu’elle ne comprit pas ; Guajava se leva, contourna la table pour s’approcher d’elle—

— Le père de la Professeure Keteleeria—démarra Elsa,

et l’éclat d’un téléport inonda la pièce de terre cuite. Tous les dresseurs mirent la main sur leurs Pokéball, et tous les Pokémon tendirent l’oreille. Il y eut un instant d’immobilité absolue. Puis la lumière se résorba. La Professeure Keteleeria apparut et tituba contre la table. Guajava la rattrapa, la soutint, et sa main vint accidentellement se poser sur son ventre rond. Il cligna des yeux, surpris, et déglutit. Tous purent constater ce qu’il avait senti : la scientifique était enceinte.

La Professeure Keteleeria respirait par à-coups. Son chignon était défait et son rouge-à-lèvre bavait. Ses yeux verts étaient brillants—elle scruta fébrilement les jeunes attablés, et Éléonore crut être l’interlocutrice désirée parce qu’elle était cheffe de station. Mais le regard de la scientifique passa sur elle sans s’arrêter. Keteleeria lâcha le bras de Guajava et vint s’agenouiller devant Élin.

La jeune fille écarquilla les yeux. Elle grimaça, ne saisissant pas pourquoi la professeure venait la voir, elle… La femme lui prit les mains, ses grands doigts blancs enserrant sa peau calleuse, et planta ses yeux dans les siens.

— Élineera, mon père a été kidnappé par la Team Plasma—je te supplie de le retrouver, je te supplie—tu es la seule qui as une chance—

Gijinka.

Tout se bouscula autour d’elles. Elsa posa sa main sur l’épaule d’Élin et Élin la chassa d’un coup. Éléonore demanda à la professeure si Iris était au courant—oui, Iris était au courant de tout, toutes les procédures standards avaient été suivies—Rosa proposa à la femme de s’asseoir, de boire un verre d’eau—on voulut tout savoir sur l’enlèvement du professeur Keteleeria, père—mais un message d’Iris leur apporta toutes les informations essentielles—une équipe fut constituée—et Guajava demanda à Élin si elle souhaitait vraiment venir, lui dit que ce n’était pas grave, si elle avait peur.

Élin se leva. Peur ? elle n’avait pas peur, elle avait des super pouvoirs !

La gamine sourit à Keteleeria. Elle poussa le brasier qui rugissait dans ses entrailles jusqu’au bout de ses doigts pour réchauffer les doigts blancs de la femme.

— Je vais sauver votre père.


(Il faut sauver le professeur)

Un Lewsor de la Ligue les téléporta à l’arrière d’un petit immeuble de briques rouges. Le laboratoire d’Oryse était à quelques rues, mais ils ne s’arrêtèrent pas ; ils devaient rester anonymes. Mélis enfonça une casquette et se para de lunettes de soleil. Guajava cacha sa tignasse dans un sweatshirt à capuche. Éléonore et Élineera partirent devant, repérant le chemin vers les Vestiges de Rêves grâce à une Pokémontre sécurisée par les techniciens de R.U.D.E.

Guajava chantonnait. Il avait une belle voix, et il adorait le rock, alors il était toujours à siffloter une mélodie. Cela l’aidait à vider son esprit—il cherchait à trouver le calme avant de partir en mission. C’est Year of the cat qu’il fredonnait tandis que le groupe s’approchait des Vestiges des Rêves, les yeux fixés sur la nuque fine d’Éléonore.

La voix de Guajava se tut quand ils se arrivèrent au pied des murs lézardés à l’arrière des Vestiges. Élineera les téléporta de l’autre côté avec un grand sourire, exécutant un petite courbette une fois qu’ils furent à l’intérieur des terrains vagues.

Les dresseurs se retrouvèrent entre le mur d’enceinte et de gros pins, qui les dissimulaient efficacement des yeux des sentinelles Plasma. L’équipée se faufila à travers les branches des conifères pour mieux observer le terrain, concentrée malgré les piqûres des épines. Le soleil coulait aux travers des trous dans les toit défoncés des vieux hangars, éclairant des dalles de béton craquelées et des herbes folles. Çà et là, des bidons rouillés traînaient, marqués de têtes de mort et de coups de griffes. Les anciens terrains industriels avaient été interdits au public plus de dix ans auparavant. De jeunes gamins en quête d’aventure, des artistes graffeurs, des squatteurs et des réfugiés désespérées venaient cependant encore traîner dans les parages… jusqu’à ce que la Team Plasma ne les chasse définitivement.

Guajava inspira. Éléonore appuya légèrement sur la puce implantée derrière son oreille, grimaçant, concentrée. Une boucle rousse échappait à sa queue-de-Ponyta. Il combattit l’envie de la replacer correctement.

— Élineera, demanda un voix dans leur oreillette—Jean—peux-tu nous confirmer le nombre de Sbires dans la base et trouver la localisation du professeur Keteleeria ?
— Bah bien sûr, sinon je servirais à quoi ? blagua-t-elle.

Mais personne ne rigola, alors elle serra les poings et ferma les yeux. Où était Oscar pour déconner quand on avait besoin de lui ? se demanda-t-elle un instant, amère. Puis elle inspira et chercha le feu de Reshiram dans ses entrailles. Elle n’avait pas le temps de se plaindre—on comptait sur elle pour mener cette mission à bien.

Extrasenseur.

Sa conscience se déploya dans l’espace et dans le temps.

À ses côtés, elle pouvait sentir les auras de ses compagnons. Guajava. Une flamme rouge, orange, vivante. Éléonore. Des flammèches grises. Mélis. Un feu sombre aux nuances outremer.

Son propre feu était bien plus chaud et brûlant, plus gros et grand que les pins. Si elle s’analysait via l’Extrasenseur, elle pouvait bien voir que sa propre conscience—la conscience d’Élineera Hei—existait toujours, occupant une petite place au sein de son corps. Mais le brasier de Reshiram enveloppait complètement l’esprit humain. À chaque fois qu’elle utilisait ses pouvoirs, le feu divin brillait un peu plus fort, consumant un peu plus l’âme d’Élineera Hei.

Ne s’autorisant pas à s’apitoyer, Élin tourna ses pensées vers les Vestiges des Rêves. Elle laissa ses sens courir le long des ruines, sondant les sous-sols et planant au-dessus des étages de béton. Elle pouvait capter les ondes diffuses du passé et du futur, frôler les spectres des temps révolus et percevoir les actes à venir. Avec plus d’entraînement, elle pourrait arriver à discerner des événement précis. Mais pour cette mission, il lui suffisait de détecter les auras des agents Plasma.

— Il y en a dix-huit, dit-t-elle à Mélis, qui répéta l’information à Jean, dans son écouteur.

Et puis elle chercha plus loin, fouillant toutes les petites cellules du troisième sous-sol. Mais elle ne trouva pas le professeur Keteleeria. Fronçant les sourcils, elle réessaya à nouveau, parcourant toutes les pièces, aiguillant ses sens à travers les salles de réunion et les dortoirs des autres étages. Rien.

Élin rouvrit les yeux.

— Je ne le trouve pas via Extrasenseur, dit-elle simplement.

Mélis serra les dents. Il observa la gamine, plissant ses yeux pour mieux distinguer ses traits parmi les ombres brisées des pins. Il ne savait pas exactement comment ses pouvoirs marchaient, mais il supposait qu’avec la puissance d’un Pokémon légendaire, elle pourrait retrouver le professeur Keteleeria dans cette base.

— Est-ce que tu es bien certain des informations données par Iris ? interpella-t-il Jean. Élin n’arrive pas à localiser le professeur.
— Oui, j’en suis sûr, répliqua le veilleur avec un calme forcé.
— Il aurait pu être déplacé ailleurs, non ? répliqua Mélis, adoptant le même ton.
— Non. Je suis certain de l’exactitude des informations d’Iris.

Il y eut un silence tendu. Éléonore serra les dents. Guajava sifflota. Mais Mélis refusa de baisser le regard.

— Bon, on fait quoi ? demanda nonchalamment Élin, dégonflant la tension d’un coup, comme une aiguille sur un ballon de baudruche. Elle fourra ses mains dans ses poches.
— Vous faites comme prévu, répondit Jean.

Il y eut un silence de quelques secondes, interrompu par le statique de leurs oreillettes. Puis Mélis marmonna son assentiment, le regard sombre. Il resta en arrière avec Élineera, attendant son tour, tandis qu’Éléonore et Guajava se dégagèrent des conifères, suivant les instructions que Jean leur soufflait à l’oreille.

Les jeunes adultes s’approchèrent d’un vieil escalier en bitume, usé au point qu’ils pouvaient en voir les armatures noires sous leurs pieds, et le montèrent prudemment. Guajava avait les yeux fixés sur les mollets d’Éléonore, tentait de calquer ses grands pas sur le rythme de ses petites enjambées.

Les jeunes dresseurs avaient réalisé leur voyage initiatique ensemble. Ils se connaissaient intimement. Ils savaient comment l’un et l’autre bougeait, respirait. Le duo était tout désigné pour la tâche.

Éléonore s’arrêta au bord de la dernière marche. Guajava leva les yeux. Il y avait une femme en uniforme Plasma, debout sur le toit, qui leur tournait le dos. Elle avait le dos voûté, et une de ses chaussures avait été grossièrement découpée au niveau du petit orteil, comme si elle souffrait et avait eu besoin de soulager la pression du carcan de ses baskets. En d’autres circonstances, Guajava se serait sans doute inquiété pour cette femme, lui aurait proposé de l’aide pour porter ses courses ou traverser la rue.

Éléonore se décala, et il appela Arkeapti. L’oiseau atterrit sur le ciment du toit en un petit cliquetis de griffes et de serres. Il donna un bref coup d’aile et un Jet-Pierre.

La femme s’écroula. Guajava soupira. Éléonore serra les lèvres.

La boucle rousse qui s’était échappée de sa coiffure stricte se soulevait dans le vent, se courbant au-dessus de sa petite oreille, comme un petit ressort rouge.

— Suivez la rampe en béton et sautez vers le deuxième étage du prochain bâtiment, ordonna Jean. Vous y trouverez une autre sentinelle.

Guajava sursauta—Éléonore repartit sans attendre, sa queue-de-Ponyta oscillant derrière elle comme de la soie. À l’instant où elle dépassa le corps de la criminelle, elle invoqua un Lewsor de la Ligue et lui fit signe de s’occuper du corps incons—de la femme.

Guajava déglutit.

Élineera et Mélis étaient restés seuls dans les pins, attendant sans un mot les ordres de Jean. Il leur indiqua quels escaliers emprunter après quelques longues minutes.

Mélis obéit à contrecœur. Argumenter faisait perdre du temps à l’équipe. Argumenter les mettrait en danger. Il s’avança la tête basse, se retrouva devant une volée de marche qui descendait vers les niveaux inférieurs de la base. Élin était à ses côtés. Leurs chemins se sépareraient quand ils seraient au sein du repaire.

Ils échangèrent un regard. Une fois, il y a presque six ans, dans le Désert Délassant—ils avaient hésité au sommet d’une autre volée de marche, d’un escalier de pierres polies par le temps. Élin avait douze ans et rêvait d’être la meilleure dresseuse d’Unys pour battre son père, parce que c’était la chose la plus importante au monde. Mélis œuvrait pour la protéger, croyait encore pouvoir protéger les enfants de la Team Plasma.

Il l’avait poussée depuis le haut des marches du château enfoui et elle avait chuté la tête la première dans les ruines. Cette fois, il cilla sous son regard brûlant et descendit en premier, acceptant qu’elle ferme la marche. Il avait appris récemment, horrifié, qu’elle pouvait voir dans le noir.

— On se voit bientôt, lui sourit-elle. Puis elle prit la prochaine volée de marches et disparut de son champ de vision.

Élineera s’enfonça dans la base, le pas vif. Elle tapota la Pokéball à sa ceinture et appela Baggy, qui atterrit silencieusement sur le bitume et lui emboita le pas. La gamine leva un bras et poussa le feu divin de Reshiram vers le bout de ses doigts, laissant sa main s’embraser. Elle arracha la porte de la première cellule qu’elle trouva. Personne.

Déterminée, elle jura et se rua vers la prochaine porte. Il y avait vingt-et-une cellule aménagées dans les niveaux inférieurs des terrains vagues, vingt-et-une cellules vides—elle en était certaine—mais qui devaient néanmoins être fouillées pour recueillir la moindre trace du professeur. La tâche était ardue, mais Élin n’avait pas peur. Six ans auparavant, quand elle était jeune et qu’elle découvrait encore le monde, elle aurait été effrayée. Mais elle avait du mal à ressentir de crainte quand elle utilisait ses pouvoirs—elle devait même combattre un sentiment d’invincibilité qui lui donnait le vertige !

À ses côtés, Baggy ricana. Élineera leva les yeux. Un Sbire se profilait au bout du couloir, tâtonnant, à la recherche de l’interrupteur qui allumerait tous les néons du couloir. Il ne savait pas qu’une prédatrice rôdait dans le noir.

— Tu le prends ou c’est moi qui lui casse la gueule ? demanda-t-elle paresseusement à Baggy, regardant le criminel se figer sous l’effet de la peur.
— Moi ! répliqua tout de suite le Baggaïd, croisant les bras et agitant sa crête rouge.

En deux secondes, l’agent Plasma s’écroula par terre, assommé d’un élégant Fracass’Tête. Élin sourit de toutes ses dents. Comment pouvait-elle avoir peur si elle avait Zinédine Zidane à ses côtés ? Elle ne sentait certes pas le professeur Keteleeria dans la base, mais elle finirait par le trouver ! Elle en était sûre ! Tout se passerait—

— … bien, bien, bien… murmura Mélis, soulagé.

Il avait appuyé sur un bouton au hasard—le gros bouton rouge—pour désactiver le brouilleur de téléports. D’habitude, il comptait sur les instructions de Jean quand il était confronté à de la mécanique. Mais la communication passait mal au deuxième sous-sol. Le veilleur avait tenté de lui communiquer des infos quelques minutes auparavant, mais Mélis n’avait entendu qu’une vague de statique entrecoupée de syllabes—les pièces d’un puzzle, sans même l’idée de ce qu’elles devaient représenter.

Mélis fit un pas en arrière, trébuchant presque sur le Sbire qu’il venait de neutraliser. D’un geste agacé de la main, il ordonna au Lewsor de la Ligue de téléporter le criminel vers les geôles d’Iris. Pour l’instant, la mission se déroulait très bien. L’entrée dans la base s’était déroulée sans accroc, et il avait trouvé le brouilleur à éteindre en moins de dix minutes, rencontrant deux agents (un tout petit peu choqués de le voir le légendaire Mélis Gray débarouler dans leur repaire de banlieue) au passage. Élin aurait bientôt terminé de fouiller les cellules, et ils pourraient tous les deux rejoindre leurs camarades sur les toits du terrain vague.

Le dresseur fronça les sourcils, se demandant s’il devait tenter de retrouver la gamine. Cela le mettait mal à l’aise, de la laisser seule comme ça, qu’elle ait ou non des superpouvoirs.

— Jean ? demanda-t-il à tout hasard, appuyant sur la micropuce derrière son oreille.

Un crépitement sourd lui parvint. Mélis serra les lèvres. Il chercha une cible autour de lui, dans le couloir vide, se dirigea vers les marches qui devaient le ramener au premier sous-sol. Tout était calme.

Comment se faisait-il qu’il y avait aussi peu de Sbire aux niveaux inférieurs des Vestiges ?

— Un patrouille de onze Sbires va apparaître par la grande porte en-dessous de vous dans quarante, trente-neuf, trente-huit secondes…

Éléonore reprit son souffle, les joues rouges. Sans attendre, elle libéra le reste de son équipe—Manternelle, Déflaisan et Polagriffe vinrent rejoindre Shaofouine et Lakmécigne en un éclair rouge. Haydaim, un Pokémon offert par Jean, vint frotter son encolure contre l’épaule de sa dresseuse, et Éléonore le caressa doucement, les lèvres serrées. Elle observa Guajava, qui murmurait doucement à ses propres compagnons.

Ils convinrent de laisser leurs Pokémon volant attaquer d’abord et de privilégier les attaques de Type Eau, Sol et Roche, afin d’immobiliser et d’assommer la patrouille avant qu’ils ne dégainent.

— … vingt-quatre, vingt-trois…

Elle se pencha vers le bord du toit, la main de Guajava se posant sur son dos pour lui offrir un peu de stabilité. Ils se trouvaient sur ce qui avait dû être un entrepôt de voitures Reneau. La vague de désindustrialisation qui avait frappé Unys avait coupé court à la production d’automobiles plusieurs décennies auparavant. Il y avait maintenant des trous dans la toiture qui donnaient sur des chaînes d’assemblage crades, immobiles et vides, sur des bouts de plomberie et de vieux déchets. Éléonore pouvait aussi voir les portes de l’entrepôt, là où les Sbires allaient apparaître, en se penchant un peu plus. Quelqu’un avait taggué « LES MAINS D’OR » en énorme sur la vieille peinture bleue.

— … neuf, huit, sept…

Guajava posa une main sur son épaule, tira doucement. Elle se laissa faire, se redressa. À une dizaine de mètres, là où le ciment s’arrêtait, de grands marronniers avaient planté leurs racines. Leurs fleurs blanches semblaient comme de petits flocons contre leurs grandes feuilles sombres.

— … quatre, trois…

Le cœur battant, Éléonore se pencha à nouveau, fixant le graffiti des « MAINS D’OR ».

— … deux, un…

Comment se faisait-il qu’ils avaient rencontré aussi peu de Sbires aux étages supérieurs du repaire ?

— … zéro.

Une grande lumière blanche inonda le toit derrière elle et Guajava cria. Éléonore plongea—heurta le ciment et roula—un Coud’Boue assez puissant pour défoncer sa boîte crânienne fusa là où elle se tenait l’instant d’avant.

Onze Sbires Plasma lui souriaient et Guajava était prostré, tenant son épaule et pleurant de douleur.

[…]

L’oreillette de Mélis se remit en marche dès qu’il émergea à la surface.

[…]

Un carnage.

Un Lakmécigne traînait à même le bitume, son long cou fléchi, une aile en sang. Le Pyrax de Guajava semblait une fleur aux pétales déchirés. Le Haydaim d’Éléonore la protégeait encore vaillamment, les bois baissés vers l’ennemi, une patte repliée douloureusement—Guajava était recroquevillée derrière la cheffe de section, le teint livide—des bulles de sang pétillaient entre ses lèvres.

Des Escroco et des Léopardus et des Scalproie les entouraient—

Mélis, en haut des escaliers de béton qui menaient au toit, ne se fit pas tout de suite remarquer par les six Sbires qui avaient piégé ses camarades. Il oscilla un instant sous le soleil d’été. Ses yeux bleus évaluèrent la scène. Dans son oreille crépitaient les ordres affolés de Jean mais Mélis n’écoutait pas, il réfléchissait à toute vitesse, il respirait de plus en plus vite il—libéra son équipe—

— Eoko, place toi à côté d’Éléonore, Abri, Vibrasoin, Glas de soin !

Ses Pokémon se matérialisèrent en un éclair rouge et les Sbires firent volte-face, Mélis fronça les sourcils et s’avança vers eux, passa une main dans ses cheveux—

Mélis était devenu un dresseur d’exception à force d’éviter les confrontations directes, les disputes avec ses amis, les blessures sur le terrain, les défaites qui étaient autant d’affronts pour ses parents. Il avait été poussé vers le dressage Pokémon à reculons par une famille ambitieuse. Il avait d’abord combattu sans vraiment vouloir combattre, n’ayant pas le cœur à l’effort. Il avait mis du temps à aimer les matchs et leur adrénaline, à s’intéresser à la stratégie des affrontements entre dresseurs. Matis et Écho et tous ses adversaires d’antan lui en avaient voulu, pour cette nonchalance. Pourquoi Mélis Gray gagnait-il toujours sans même le vouloir—pourquoi enchaînait-il victoire après victoire alors que d’autres se tuaient à la tâche, méritaient bien plus que lui de gagner ?

Mais voilà, Mélis avait du talent, et son talent était de rediriger la force de ses adversaires contre eux. Il s’adaptait à la stratégie des opposants, semblait y détecter la moindre faille. Il se coulait entre les attaques adverses comme l’eau, l’élément de son starter, Clamiral.

— COUD’BOUE ! hurlèrent les Sbires. Vive Attaque ! Tranche’Nuit !

Mélis se baissa.

— Vive Attaque et Frotte-Frimousse, ordonna-t-il à son Émolga.

L’écureuil bondit sur les adversaires qui couraient vers Mélis, les paralysant un à un. Deux Leopardus tombèrent à terre—un Scalproie trembla, ses lames crissant contre le toit, scintillant à la lumière.

— Vibraqua, dit-il à Clamiral, et le Pokémon redirigea les Coud’Boue vers les envoyeurs grâce à une trombe d’eau bien placée.

Pashmilla se chargea de nettoyer le terrain. Feuilloutan l’acrobate assomma les Sbires. Mélis et ses camarades n’avaient jamais été en danger—le niveau des agents d’Ogoesse était faible, médiocre. Non, les agents de R.U.D.E. n'étaient pas en danger—mais Guajava avait pris un coup dans la cage thoracique et crachait du sang parce que Jean ne leur avait pas donné les bonnes instructions et que les caméras qu’il avait hacké ne fonctionnaient pas correctement. Et où était Élin ?


(Lueurs)

Là-bas, aux les contreforts des Mont Renenvers, s’amoncelaient des nuages. Il y en avait un énorme, un cumulonimbus. Tout en haut dans le ciel, les rayons du soleil inondaient ses boucles d’or. Des centaines de kilomètres plus bas, le nuage devenait rouge et pourpre comme un visage boursouflé, et enfin, cette cascade de couleurs s'assombrissait. La base du cumulonimbus était noire d’orage.

La professeure Keteleeria regardait le nuage s’amasser contre les montagnes rouges. Elle attendait l’orage.

— Est-ce que vous voulez de l’eau ? lui murmura-t-on d’une voix douce.

Keteleera tourna ses grands yeux verts vers celle qui venait de parler. Une jeune femme mince en tenue d’infirmière. Un Guérilande. À sa taille. Rosa Redding-Park. La nièce d’Aloé… peut-être. Non ? Il lui semblait qu’elle connaissait cette jeune femme. Peut-être.

— Est-ce que vous voulez de l’eau ?
— Je—oui. Oui.

Mais quand la jeune femme revint, elle ne portait ni un verre, ni une carafe d’eau. Ses doigts fins tenaient une lettre.


(Cendres)

Baggy s’occupait du Sbire de la vingtième cellule parce qu’Élin avait assommé le précédent. Il prenait son temps, donnant des petits coups de poing dans la cage thoracique et les tibias du criminel sans livrer le coup de grâce. Ça la gonflait qu’il s’amuse comme ça—qu’il s’amuse sans elle—alors qu’ils avaient une mission sérieuse à mener à bien. Tant pis, elle ouvrirait les deux dernières cellules seule ! Et comme ça c’est elle qui aurait toute la gloire !

Les yeux de la professeure Keteleeria et la sensation fantôme des mains froides de la scientifique lui revinrent tout à coup. Élin secoua la tête. Il n’était pas question de jeux ou de gloire. Elle devait secourir le père Keteleeria. Elle ne l’avait jamais connu, mais elle savait ce que c’était d’avoir un—

Élin s’approcha de l’avant dernière cellule du couloir, ses yeux étincelant. Puis elle souffla. Se révolta contre l’ordre établi. Et se tourna vers la toute dernière porte.

Une de ses baskets s’était désemmêlée, laissant sa vieille chaussette Pikachu en contact direct avec le sol crade. La lumière lointaine du jour coulait à travers la volée de marche du bout du couloir. Il y avait un graffiti sur la porte vers laquelle elle se dirigeait : « MORT AUX CONS ». En dessous du gribouillis, quelqu’un avait noté « vaste programme ».

Franchement, elle doutait de trouver le scientifique dans cette cellule, ce serait con. À vrai dire, elle doutait de le trouver depuis le début de la mission de sauvetage. Si elle ne l’avait pas senti via l’Extrasenseur, c’est qu’il n’était pas là. Elle n’avait aucune idée de ce qu’ils diraient à la professeure Keteleeria… comment pouvaient-ils lui annoncer que…

La jeune femme posa une main sur la porte en métal, la mort dans l’âme. Puis elle arracha la porte d’un coup, sans même vérifier qu’elle était verrouillée. Les doigts enfoncés dans le métal, elle grogna, banda les muscles, et tira—la porte sortit de ses gonds—Élin la balança sur le côté, essoufflée. Elle se pencha dans la cellule sombre.

Une odeur de pisse et deux cafards.

Écœurée, la gamine fit volte-face et fonça vers la porte qu’elle avait ignoré quelques secondes plus tôt, voulant en finir avec cette mission. Une fois la dernière cellule retournée, elle lancerait un nouvel Extrasenseur pour localiser ses compagnons et puis elle téléporterait tout ce beau monde loin des Vestiges des Rêves. Ou peut-être un Lewsor s’en chargerait-il—Mélis avait certainement trouvé et détruit la machine anti-téléport, depuis le temps.

Elle était fatiguée.

Elle arracha la dernière porte sans réfléchir, la jetant dans le couloir. Dégageant ses doigts du métal chaud, elle se pencha dans la pièce.

Il était là.

Élineera s’avança. Sa basket claqua dans une flaque visqueuse, et puis sa chaussette épongea le liquide froid. La gamine tituba, les mains levées devant elle.

Il n’y avait pas de traces de lutte. Juste du sang.

Elle s’agenouilla sur le bitume. Ses genoux nus touchaient le sol crade et la chemise à la texture rêche du professeur, ça piquait, ça—

Il ne respirait pas. Son corps était très blanc, et toujours très bien habillé. Il était dégarni. Tous ses cheveux étaient blancs. En fait, il était vieux. Sa gorge avait été entaillée, et une bouillie rouge s’était répandue autour de la plaie. La trachée du chercheur était visible au sein de la peau et des muscles de sa gorge.

Il ne respirait pas.


(De Profundis)

De l’art d’être loufoque

Lettre à mes petits enfants

Être loufoque était une chose très importante pour moi. Je dirais même que j’ai essayé d’élever ta mère en étant le plus loufoque possible. Évidemment, il y a bien des manières d’être rigolo.

Quand votre mère était petite, je l’amenais en voiture à l’école tous les matins avec ses amies (oui, il y avait beaucoup plus de voitures à l’époque de votre papi). Donc, chaque matin, nous empruntions une route avec de grands marronniers pour aller à l’école, et je faisais semblant que des dinosaures nous sautaient dessus (des Rexillius, des Carchacrok (n’oubliez pas de demander à votre mère de tous les voir au musée d’Amaillide (et saluez Aloé))). Je conduisais à environ 10 ou 15 kilomètres heure, et quand un dinosaure « sautait » sur la voiture, je freinais brusquement. Je conduisais assez lentement pour que personne ne risque d’avoir des problèmes de cou (du mois je l’espère), mais je freinais assez fort pour que le danger paraisse réaliste. Ta mère et ses amies adoraient ce jeu. On rigolait bien le matin. C’était un jeu très participatif—ta mère et ses amies hurlaient souvent : « Oh, il y a un dinosaure ! » pour me faire freiner.

Il y avait aussi une autre blague que j’aimais bien faire, que votre mère appelait « la blague du troubadour ». Quand j’invitais du monde à la maison, je glissais le couvercle d'une casserole sous mon t-shirt et je prenais une cuillère en bois pour me frapper sur le ventre. La cuillère contre la casserole faisait un « CLANG ! » et tous les enfants des invités rigolaient (bien plus que leurs parents). Je faisais tout le temps cette blague quand les convives attablés (convives, les invités) s’y attendaient le moins, par exemple quand un adulte parlait depuis très longtemps de quelque chose de très sérieux et très ennuyant. Et là, « CLANG ! ».

Mais je dirais que la chose la plus importante dans La Vie d’Un Loufoque, c’est de raconter des histoires drôles. Quand votre mère était petite, je lui racontais souvent Les Histoires d’Un Loup-phoque. C’étaient des histoires que j’inventais moi-même. Tant que l’on a un élément narratif (c’est un terme un peu compliqué, votre mère vous expliquera) qui revient, on peut facilement raconter des histoires. Par exemple, la particularité du Loup-phoque, c’était qu’il n’avait aucun pouvoir de Pokémon normal, sauf l’attaque Surf. Donc chaque soir, je racontais à votre mère que le Loup-phoque avait un souci (il avait été chassé de sa maison par un autre Pokémon, ou alors un de ses amis avait besoin d’aide) et moi et votre mère, on imaginait comment il pouvait résoudre la situation avec Surf. Votre mère avait des solutions très inventives, et on riait beaucoup.

C'est ça, être loufoque.

On peut appeler les rigolos des zigotos, mais ce serait mal les juger. Être loufoque, cela veut dire que l’on rit du sérieux de la condition humaine. On adopte une perspective qui nous permet de rendre notre vie amusante, et qui nous permet d’échapper aux les obligations du travail et de la société. S’échapper est un besoin humain. Pour moi, être loufoque a répondu à ce besoin.

En réalité, je prends la vie très au sérieux. J’ai consacré ma carrière à la recherche sur l’impact de l’utilisation des Pokéball sur la santé des Pokémon. J’ai assisté de nombreux étudiantes et étudiants dans leurs thèses. J’ai aussi tout donné pour un être un père aimant et présent. J’ai milité pour la justice sociale de nombreuses années. Comme ça, vous voyez, je me suis attelé à des choses importantes et sérieuses. Mais la vie est très difficile et injuste pour beaucoup de gens. À mesure que j’ai vieilli, j’ai de plus en plus pris conscience de ça, de combien la vie et dure. Voilà pourquoi j’ai décidé d’être loufoque.

Être loufoque ne veut pas dire « ne soyez pas si sérieux ! ». Être loufoque, c’est savoir sourire malgré la difficulté des choses, tout en gardant en tête ce qu’il y a de plus important.

Je me rends compte que je ne peux pas vraiment vous dire ce qui a importé dans ma vie sans rien vous expliquer à propos de la politique. Nous allons donc faire une pause—et revenir plus tard à l’art d’être loufoque—pour parler de politique.

Les grands-parents de la famille de ma mère — vos arrière-arrière-grands-parents — étaient des immigrants Kalosiens arrivés à Unys lors de la grande vague d’immigration au début du siècle dernier. Ils étaient tous deux très politiquement de gauche et ont longtemps milité dans des organisations antiroyalistes. Ils étaient certainement socialistes et, je pense, étroitement liés au Parti communiste. Ils allaient parfois à Janusia (la Janusia d’alors, toute faite de marbre et de vieux bâtiments) pour des réunions de « La Guilde Littéraire », qui était sans doute une organisation « de front » du Parti communiste. Vous ne connaissez probablement pas l’histoire de cette période, l’ère de la révolution contre la famille royale d’Unys. C'est un sujet compliqué. Ce que je veux faire maintenant, c'est vous donner une très brève leçon de politique et ensuite vous raconter comment cela s'est déroulé dans les années 2850. Oui: je vais vous donner une leçon. Rappelez-vous que je suis professeur et que cela fait partie de ce que font les professeurs — donner des leçons aux étudiants.

Pour commencer, réfléchissons : qu’est-ce que la politique ?

Pensez à la ville dans laquelle vous vivez avec votre mère. Il y a toutes sortes de choses qui rendent une ville agréable : de beaux parcs, des Centre Pokémon, de bonnes écoles, des quartiers sûrs, des logements correct, abordables… et bien d'autres choses auxquelles vous n’avez sans doute pas pensé, comme un bon système d’égouts et de l’eau saine. La municipalité, c’est-à-dire le maire ou la mairesse, est celle qui fournit la plupart de ces services aux habitants de la ville. Pour avoir assez d’argent pour tout entretenir, la municipalité doit lever des taxes, puis dépenser cet argent pour le bien public.

Bon. Dans une ville, il y a non seulement de beaux parcs, mais aussi tout plein de gens différents : des riches, des pauvres, et tous ceux qui sont un peu entre les deux. Parfois, la différence entre riches et pauvres est énorme : les riches vivent dans des manoirs magnifiques ou des appartements de luxe, tandis que les pauvres vivent dans des immeubles délabrés dans des quartiers peu sûrs. Parfois, l’écart entre les riches et les pauvres n’est pas si apparent. Par exemple, quand le gouvernement fournit des logements corrects à loyers modérés, même les pauvres peuvent vivre dans de bons immeubles.

Supposons maintenant que vous vivez dans une ville où il y a beaucoup d’inégalités, c’est-à-dire qu’il y a une grande différence entre riches et pauvres. Vous pouvez remarquer que dans les quartiers riches, il y a de bonnes écoles, qui ont leur propre piscine, du beau matériel pour la SVT et la physique chimie, de beaux terrains de jeu et des terrains de sport bien entretenus. Dans les quartiers pauvres, les écoles sont vétustes (par exemple, les toits fuient), il n'y a pas beaucoup de matériel, et les terrains de sport sont mal entretenus. Un autre exemple : dans les quartiers riches, les Centre Pokémon sont neufs et sophistiqués. Dans les quartiers pauvres, les Centre Pokémon sont surchargés et manquent de personnel.

Vous constatez tout cela, et vous estimez que ce n’est pas juste. Avec d’autres personnes qui partagent votre point de vue, vous voulez changer les choses. Vous essayez donc de modifier la façon dont la ville dépense son argent en protestant, en parlant aux politiciens, en votant aux élections, ou même en vous présentant aux élections !

Bravo, vous faites de la politique !

Ce que vous découvrez, c'est que pour améliorer de manière significative toutes ces choses, il faudrait une augmentation massive des impôts. Comme les pauvres n’ont pas beaucoup d’argent, ils ne paient déjà pas beaucoup d’impôts (même si, en réalité, le fardeau fiscal des pauvres peut parfois être assez lourd). Cela signifie que pour augmenter les impôts de manière significative, il faut augmenter les impôts de ceux qui ont un revenu suffisant pour payer plus d’impôts, c’est-à-dire augmenter les impôts sur les riches. Mais les riches ont déjà de belles écoles, des rues bien pavées, de beaux parcs. Ils ont aussi des clubs de loisirs privés avec de superbes piscines et de fantastiques écoles privées pour leurs enfants s’ils le souhaitent. Les riches s'opposent donc à la levée de plus d’impôts.

Et alors, pourriez-vous penser ? Les riches ne représentent qu’une petite minorité, et empêchent la majorité des habitants de bénéficier des services et rénovations offerts par des taxes plus élevées. Vous vous dites que la municipalité devrait faire ce qui bénéficie à la majorité des gens, c’est-à-dire lever plus d’impôts malgré les protestations de la manorité de riches. Le problème, c’est que les riches sont peut-être peu nombreux, mais ils sont puissants. Ils financent les campagnes électorales des politiciens. Et ils peuvent toujours déménager en banlieue pour éviter des taxes plus élevées.

En somme, les personnes qui bénéficient le plus du statu quo — c’est un mot sophistiqué pour « la situation actuelle » — sont également les plus puissantes et les plus jalouses de leurs privilège.

Ce n'est décidément pas juste ! C’est même terriblement frustrant. Pourquoi un enfant né pauvre devrait-il vivre dans un vieil appartement craignos et aller à une école pourrie où il n’y a pas assez de professeurs ? C’est nul que les riches usent de leur influence pour se soustraire à l’impôt. Quel système pourri ! Comment faire ?

Je n’ai évoqué que l’échelle municipale, mais ces problèmes d’inégalité sont présents au niveau national aussi. Ils sont présents à toutes les échelles, et impactent la vie de tous les Unyssiens, et donc il y a beaucoup de gens qui ont peur ou qui sont mécontents. Ils réfléchissent entre eux, et ils essaient d’agir, mais parfois (souvent) le gouvernement ne les écoute pas, parce que le gouvernement se laisse influencer par les riches. Alors certains abandonnent. Les plus courageux continuent de défendre l’intérêt commun.

Mais il y a aussi une petite partie de gens qui se tournent vers des organisations qui les exploitent (qui les utilisent). En effet, là où il y a de la misère, il y a souvent des organisations qui veulent utiliser les plus désespérés pour leur propre intérêt.

C’est le cas de la Team Plasma. Quand je vous ai parlé de vos arrière-grands-parents, je vous ai dit que toute leur vie, ils ont lutté contre la famille royale d’Unys, qui est une famille très riche et très puissante qui a longtemps été à la tête d’Unys. La famille royale avait des amis dans l’armée, et beaucoup d’amis investisseurs ou entrepreneurs, et jusqu’à l’époque de vos arrière-grands-parents, tous les Unyssiens devaient payer des taxes pour entretenir leurs palais. Tous ces privilèges ont été abolis en 2898, un an avant ma naissance. Cela peut vous paraître loin, mais en réalité, c’est très récent !

De nos jours, la famille royale n’a plus beaucoup de pouvoirs. Le dernier prince est mort il y a cinquante ans, sans avoir d’enfants. Malheureusement, une organisation criminelle s’est constituée à Unys et prétend « restaurer » cette famille royale. L’homme qui a créé cette Team, Ghétis, est un lointain cousin du dernier prince et veut maintenant prendre le trône à sa place. Les hauts-gradés de la Team, les « sages », sont tous issus de familles nobles d’Unys, et ont eux aussi leurs amis dans l’armée, les partis politiques, et chez les entrepreneurs. Par exemple, le chef du Luxxman, qui est le groupe qui produit tous les aspirateurs et les autres appareils électroménagers d’Unys, a des sympathies royalistes et finance la Team Plasma. Le problème, c’est que le fisc n’a jamais réussi ou voulu démasquer ces « financements occultes ».

La police n’a jamais réussi à arrêter la Team Plasma, et l’organisation a recruté beaucoup, beaucoup de gens mécontents ou désespérés. Son message central peut sembler beau et juste, parce que la Team prétend vouloir « libérer » les Pokémon des Pokéball. En réalité, son seul but et de prendre le pouvoir à Unys, soit par des élections, soit par la force. Ghétis va gagner beaucoup d’argent s’il arrive au gouvernement, comme tous ses amis, et ils pourront imposer leurs idées à tout le monde. Ils formeront un gouvernement autoritaire, un gouvernement fasciste. Une société fasciste, c’est une société où tout le monde doit faire et penser comme les chefs, sans pouvoir protester, sous peine de se faire tuer. Ce serait une catastrophe.

C’est à vous et vos amis d’empêcher l’avènement d’une telle société. C’est une très lourde tâche, et ce sera difficile, et il faut lutter à votre échelle, mais je crois en vous et votre mère aussi.

Vous devez toujours garder en tête que les Pokémon doivent être aux côtés des humains. Les Pokéball sont un outil qui leur permet de se reposer et d’être soignés à tout moment, pas une prison. Vous savez que les Pokéball s’ouvrent automatiquement deux heures après la fermeture, pour qu’un Pokémon puisse toujours échapper à un traitement cruel. Vous savez aussi que les Pokémon ont des droits garantis sous la constitution d’Unys et le code du travail. Grâce aux humains, les Pokémon ont accès à de la meilleure nourriture sans être victimes de prédateurs, ont accès à des soins sophistiqués, et développent des relations d’amitié avec leurs compagnons. C’est cela, l’harmonie entre Pokémon et humain : du donnant-donnant.

N’oubliez jamais que le plus grand acte d’amour est de combattre aux côtés des Pokémon pour une société plus juste, pour tout le monde.