Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Echos Infinis de Icej



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 02/02/2019 à 23:45
» Dernière mise à jour le 11/02/2020 à 02:02

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Épisode 41 : Embrigadés (R.U.D.E.)
Épisode 41 : Embrigadés (R.U.D.E.)

(Bienvenue chez toi, bienvenue !)
Ils tombèrent tous à terre et roulèrent dans la neige, se débattant comiquement. La poudreuse vola et ils se retrouvèrent dans un nuage blanc avec zéro visibilité, ce qui eut bien sûr des conséquences tragiques. Le pied d’Élin faucha un Syd qui essayait dignement de se relever, Oscar se prit le coude de Leafer dans un endroit inavouable, Mélis et Matis se retrouvèrent à lutter comme des catcheurs, et la tête de Rosa atterrit sur les genoux d’Elsa. La sœur de Syd glapit devant l’expression glaciale de la brune.

Quand la poussière de flocons se dissipa, ils se relevèrent. Ils se trouvaient sur une étendue enneigée qui plongeait brusquement vers Arpentières, à quelques centaines de mètres. Çà et là, des yucca épineux perçaient la neige, et des buissons de sauge se blottissaient contre eux. Seuls quelques pins sombres et trembles squelettiques poussaient à cette attitude ; silhouettes de charbon sur fond de grand ciel bleu. Derrière eux et partout à l’horizon, les parois des montagnes étaient si abruptes que la neige ne pouvait s’y accrocher, laissant éclater le rouge ocre de la roche. Le Mont Renenvers resplendissait.

Loin là-haut, une Vaututrice traçait des ellipses dans le ciel.

Après quelques instants de solennité, les enfants se rendirent compte que Mélis et Matis n’avaient pas cesser de se battre et que Matis était sur le point d’étrangler Mélis. Ils observèrent leur gardien lutter pour respirer, sa langue pendant et ses yeux exorbités.

— R.U.D.E… marmonna Élin.

Rosa jeta un regard à son frère, voulant savoir si elle devenait intervenir pour empêcher la tentative de meurtre, mais il fixait ses pieds, se tenant le plus loin possible d’Elsa. Elle soupira.

— Leveinard, Torgnoles.

Elle avait vu bien pire durant ses études d’infirmière. Le problème fut donc réglé en trois coups de cuillère à pot, et les deux hommes se retrouvèrent à frotter leurs joues d’un air mauvais devant une Leveinard très satisfaite.

— Waouh…

Le groupe fit volteface et se retrouva face à un jeune homme souriant, assis sur un Zeblitz, un grand chapeau de paille planté sur ses boucles brunes. Il y eut un moment de silence.

— V-Vous ! s’étrangla Leafer. Vous étiez au procès ! Mais je ne vous ai pas vu vous engager ! Et je croyais que vous étiez en fauteuil roulant !

L’inconnu les étudia sans perdre son sourire, évaluant le danger que chacun pouvait représenter, puis caressa la crinière de son Zeblitz. Mélis et Matis plissèrent les yeux, suspicieux de la manœuvre. Ce jeune homme avait peut-être l’air détendu, mais il était sans doute redoutable.

— J’ai été recruté par Watson quelques mois avant le procès, expliqua-t-il en haussant les épaules. Et je suis paraplégique, mais Zeblitz a une selle spéciale qui me permet de me déplacer sur son dos sans souci. Ah, et, tu peux me tutoyer, tu sais.

Il leur fit coucou.

— Je me présente : Jean Ganguly.

Ils firent rapidement le tour des présentations, lui serrant la main. L’énergie statique de son Zeblitz hérissait les poils de leurs bras et les transperçait de petites décharges, ce qui fut quelque peu gênant, mais ils s’en sortirent avec des bégaiements et quelques sourires crispés.

— Bien ! sourit Jean. Vous devez être impatient de voir la maison… suivez-moi !

Ils se dirigèrent sans un mot de plus vers le flanc de la montagne, certains portant des sacs, d’autres tirant des valises. Rosa agrippa sans un mot une des lanières de la grosse sacoche de Syd, tandis qu’Élin se saisissait des bagages d’Oscar et de Leafer, qui pâlirent. Matis ouvrait la marche, posant des questions à Jean d’une voix un peu trop forte, et Mélis traînait à l’arrière du groupe, grimaçant.

Plus ils s’approchaient du flanc de la montagne, puis il leur semblait que celle-ci était… trouée. On aurait dit qu’un peuple ancien avait creusé la roche pour établir sa citée. Il leur semblait pouvoir encore distinguer les silhouettes de guerriers avançant sur le plateau enneigé depuis les entrailles rouges de la montagne.

Une sorte d’excroissance plus moderne avait été greffée sur l’ancienne cité. Elle comportait un toit supporté par des poutres en béton armé, et un sol plat, mais personne n’avait pensé à ériger plus de deux murs. Il leur semblait faire face à une arène extérieure, un garage, une pièce abandonnée ou un mélange bizarre de tout cela. Plusieurs portent fermées avaient été peintes en un bleu-gris étrange et menaient vers l’intérieur de la montagne.

Quand ils pénétrèrent dans la pièce et regardèrent autour d’eux, ils réalisèrent qu’il n’y avait aucun meuble à part une grosse jarre en terre cuite, et que des crochets en acier pendaient du plafond.

Leafer frissonna.

— Bon… je vous fais le tour du propriétaire ? annonça Jean d’un ton badin.

Leafer se rendit compte que la maison ressemblait moins à un donjon BDSM qu’à une Fermitière. À part la grande salle dans laquelle ils se situaient, le rez-de-chaussée était un labyrinthe de tunnels creusés dans la roche rouge et de petites pièces illuminées par des braseros. De grands tapis tressés décoraient les couloirs sans fin où des Aflamanoir jouaient, réchauffant le dédale. Parfois, un des corridors se terminait abruptement, et certains cul-de-sacs débouchaient sur du vide, laissant voir le panorama époustouflant des hauteurs enneigées. Certaines pièces semblaient avoir pour unique fonction d’entreposer des vases, ou servaient à contenir des caisses solitaires sur lesquelles on avait pris la peine de marquer « EXPLOSIFS, ne pas laisser les Aflamanoir en manger ! ». Des escaliers interrompaient leurs pèlerinages à des moments bizarres, bloquant parfois l’accès à une pièce ou à un corridor. Jean les mena vers la surface de la montagne, à travers un couloir éclairé par de petites fenêtres rondes. Un large escalier surplombé par une mezzanine semblait mener vers le toit, l’air libre.

Ils se rendirent compte qu’ils n’accédaient pas au toit, mais à la pièce centrale du second étage, qui était tout aussi grande que le hangar du rez-de-chaussée. Elle ne possédait pas de plafond et était complètement enneigée, ce qui lui donnait un charme étrange. Des allées couvertes, dissimulées par des draperies aux couleurs flamboyantes, bordaient la cours carrée. Ils les explorèrent toutes, tandis que Jean leur expliquait que la cité avait été construite de façon tellement étrange que certaines pièces du rez-de-chaussée étaient seulement accessibles par des escaliers partant du second étage et vice-versa. Ils conclurent leur visite sur le toit, auquel on accédait par une petite échelle. Quand le Mushana de Jean l’eut fait léviter jusqu’au groupe qui étudiait le paysage, émerveillé, il leur expliqua qu’un escalier à leur gauche menait jusqu’à la cave semi-enterrée où ils entreposaient la plupart de la nourriture. Mélis pâlit, s’imaginant monter jusqu’au toit et descendre trois étages rien que pour chourrer du chocolat. Tout le groupe soupira avec soulagement en apprenant qu’il existait d’autres accès… ainsi qu’un passage secret traversant la montagne de part en part au cas où ils auraient besoin de s’enfuir de cet enfer.

Ils refirent tout le trajet à l’envers pour retrouver la grande pièce du rez-de-chaussée, où ils avaient laissé leurs valises.

Et ils tombèrent nez à nez avec deux autres agents de la Contre-Team.

Ironiquement, la seule similitude entre les deux jeunes gens était qu’ils avaient des tignasses flamboyantes. La première agente était sans doute la plus belle femme que les enfants avaient vu dans leur courte vie… peut-être encore plus belle qu’Inezia. Elle était fine, gracieuse, et possédait des traits harmonieux, avec des petites lèvres et un petit nez et des grands yeux verts. Son teint était comme de la porcelaine, et même son corps prenait cette qualité fragile ; on avait l’impression de pouvoir la briser en l’enlaçant. Ses cheveux étaient ondulés, luisant d’un roux foncé.

À ses côtés, l’autre agent avait le corps musclé, la peau mate, une grande bouche avec un grand sourire et un nez rond ; il ne semblait pas pouvoir tenir un place, trifouillant avec sa ceinture de Pokéball comme s’il avait envie de défier l’assistance. Ses épis roux formaient une véritable crinière qui allait jusqu’à chatouiller le bas de son dos ; sous sa frange anarchique, il scrutait le public de ses yeux noirs.

— Salut les gars ! lança-t-il d’une voix tonitruante. Bienvenue !
— Guajava ?!

Élin se rua vers lui et sauta dans ses bras, suivie de près par Mélis et Matis, qui voulaient saluer un rival d’antan. Ils échangèrent tous rapidement des nouvelles, riants, tandis que le reste observait en silence. Et puis Guajava lança Élin en l'air—elle atterrit, roula, et se plaignit très fort qu’elle était tombée sur son coccyx. Guajava l'ignora et présenta sa coéquipière.

— Je vous présente Éléonore. J’ai fait mon voyage initiatique avec elle, il y a quelques années.
— Enchantée, fit la rousse d’une voix posée.

Les enfants prirent soudain pleinement conscience qu’ils étaient les plus jeunes de la maison. Mélis et Matis avaient presque vingt-cinq ans ; Jean, Éléonore, Guajava et Rosa avaient déjà la vingtaine, et eux… ils étaient tous petits. Heureusement, leur frayeur fut dissipée quand Guajava appela fortement :

— C’est bon ! Tu peux sortir de ta cachette !

Sa voix résonna un instant sans réponse. Et puis une jeune fille tomba du plafond. Ils sursautèrent tous, et certains crièrent même d’une petite voix—Leafer jura que ce n’était pas lui—quand ils se rendirent compte qu’un Noacier s’était installé entre deux crochets métalliques et les observait silencieusement. La jeune fille était sans doute restée perchée sur lui un bon moment.

Elle se redressa, ne prenant pas la peine de se dépoussiérer, et éructa…

— Salut-moi-c’est-Nour-ravie-de-vous-connaître !

… avant de s’enfuir en sprintant. L’assistance cligna des yeux, quelque peu étonnée, tandis que la fille s’enfuyait par une des portes qui partaient du hangar. Guajava la regarda partir puis ricana, un peu gêné.

— Pardon, Nour est un peu timide.
— T’inquiète on a connu pire… affirma Élin avec un grand sourire, donnant un coup de coude à Syd.

La blague tomba à plat, la plupart étant tout simplement fatigués, certains refusant de rire, et d’autres n’osant même pas sourire. La blonde souffla, dégoûtée, et se mit à tracer des formes dans la poussière du bout de ses pieds, tandis que Syd frottait ses côtes, agacé. Jean et Éléonore échangèrent un regard tandis que Guajava s’éclaircissait la gorge, de nouveau gêné.

— En tout cas, bienvenue à la base d’Arpentières… Bienvenue chez nous. Je crois que Jean vous a déjà fait faire le tour des lieux. Nous n’avons pas encore reçu de mission de la Ligue ; ils sont encore en train de monter d’autres unités dans d’autres villes… donc vous avez du temps devant vous pour vous installer. Et au fait, joyeux Noël !

Ils lui murmurèrent tous leurs meilleurs vœux en retour. Noël avait eu lieu deux jours auparavant. La plupart avait pu le passer avec leurs familles. Même Syd avait eu une permission spéciale—il était sorti de sa « chambre » sans fenêtre à la Ligue, sa famille était venue jusqu’à lui, et ils avaient eu le droit d’occuper une suite au premier étage pour deux nuits. Revoir sa famille avait été compliqué… Le cadre luxueux de la Ligue ne leur correspondait absolument pas et la voix de sa mère semblait trop forte parmi les dorures et le cristal. Syd, lui, était devenu presque muet. Quelque chose s’était éteint en lui, et il portait son silence comme un voile mortuaire.

Certains, comme Oscar et Élin, avaient choisi de passer Noël sans leurs parents. Ils s’étaient retrouvés un peu perdus, hésitant à traîner dans le parc d’attraction de Méanville pour la soirée, envisageant peut-être de se payer un restaurant avec leurs quelques économies… mais finalement, ils avaient été invités chez Leafer dès que le brun avait su qu’ils étaient seuls et ils s’étaient gavés de friandises.

Les deux mois qui s’étaient écoulés depuis le procès avaient été difficiles. Élineera avait dû affronter les questions d’Iris, de la Ligue et de ses amis sur sa nature de Gijinka. Elle leur avait menti avec un grand sourire. Mais la gamine savait bien qu’Iris ne croyait pas à sa fausse bonne humeur. Les grands yeux violets de la Maîtresse de la Ligue étaient tristes quand ils se posaient sur elle.

Oscar avait un peu vagabondé, restant quelques temps à la Ligue, mais passant très souvent à Volucité voir Shazaa. Ils se perchaient sur le toit de son immeuble et fumaient, leurs regards se perdant dans les néons de la ville. La Rhodesienne ne cessait de lui poser des questions sur la Contre-Team mais, sans même écouter ses réponses, elle enchaînait sur des invectives et des mises en garde, insistant qu’il venait de vendre toute sa liberté au gouvernement et que s’il était agent au noir, ses supérieurs pourraient l’abandonner au premier coup dur.

Elsa avait opté de poursuivre ses études. Il était impensable pour elle d’en rester au brevet. Grâce à l’appui d’Oryse et de Bianca, elle avait trouvé un programme d’études accélérées à distance et étudiait presque dix heures par jour. Elle prévoyait d’avoir son bac en un an et demi, peut-être deux ans, et d’entamer une license en biologie et Pokémonologie à l’université de Janusia. La Contre-Team ne l’avait pas recrutée pour ses capacités de dresseuse. Elle voulait être scientifique.

Syd était resté en détention. Même s’il pouvait recevoir des visites de ses amis et de sa famille, il restait surveillé par des gardes et dormait dans une chambre sans fenêtre... Ce n’était pas bon pour le moral.

Toutes les nouvelles recrues de la « Résistance unyssienne des dresseurs engagés » avaient aussi subi un entraînement intensif pour que leurs Pokémon connaissent des capacités utiles, comme Téléport, Feinte, Soin… les humains aussi avaient dû apprendre des techniques d’autodéfense, « au cas où ».

— Ouais, Joyeux Noël… marmonna Mélis.

Le groupe se sépara, chacun tirant ses valises vers une porte différente. Mélis, titubant sous le poids de ses sacs, grommela et sortit Feuilloutan pour enfin bénéficier d’un peu de solidarité dans ce bas monde ! Il parvint à trouver une petite chambre illuminée d’un brasero et protégée par de magnifiques tapisseries, qui se trouvait près de la cave (et donc de la réserve de nourriture) mais aussi de la montagne proprement dite (et donc du tunnel secret qui pouvait lui permettre de s’enfuir en cas de pépin !). Sitôt installé, il entreprit de dissimuler la porte de la pièce sous une tapisserie pour que personne n’ait l’idée de le déranger. Il ne le savait pas encore, mais son plan fonctionnerait presque trop bien. Durant toutes les années que le groupe allait passer à la base numéro trois, jamais un seul des autres occupants ne comprendrait où dormait véritablement Mélis… cela lui coûta presque la vie, une semaine où il ne parvint pas à se réveiller, et mourut presque de faim.

Elsa se trouva une jolie chambre au deuxième étage. La pièce possédait deux fenêtres rondes, qui dévoilaient les montagnes rouges et les plateaux enneigés, mais avaient surtout l’avantage d’être pourvues de triple-vitrage.

La brune posa sa belle valise bleue à côté d’une petite commode en bois et s’assit sur le lit simple, observant la grande tapisserie qui ornait le mur du fond. Les peuples indigènes d’Arpentières filaient encore de grands tapis et tressaient des paniers très prisés dans tout Unys… La Ligue devait avoir un gros budget pour que leurs objets d’art se retrouvent ici.

Elle souffla et sortit Amaryllis pour lui gratouiller la tête, songeuse.

Pendant ce temps, Leafer et un Aflamanoir se disputaient pour une chambre avec un lit double et une belle malle sculptée. L’Aflamanoir gagna le combat. Geignant comme une victime, Leafer traîna ses lourdes valises plus loin, maudissant l’incapacité de son Spinda et de ses Bargantua à porter des bagages. Il se retrouva dans une pièce sombre et exigüe dans laquelle rentraient à peine ses affaires, et soupira.

Oscar se fit aimer des Aflamanoir et ils le guidèrent vers une suite digne d’un roi. Après que les Pokémon aient défait ses bagages et plié son linge, ils se mirent à dépoussiérer la commode et les tapisseries. Aux anges, Oscar leur promit des Fermite grillées. Puis, lui et les Aflamanoirs descendirent vers le désert froid des hauteurs, léchant les murs et crachant des flammes. Leur étrange cortège croisa la silhouette gracile de Rosa, qui cherchait son frère. Ses grands yeux bleus laissèrent une impression dans leur cœur. Puis, à mesure que les langues élastiques des tapirs trouvaient des fourmis, la parade se désagrégea et Oscar se retrouva seul.

Il erra quelques temps sans savoir que faire.
Puis le sourire d’Élin vint à son esprit.

Il la chercha longtemps dans le dédale de terre cuite. Entre le silence et les jeux de lumière, des inquiétudes qu’il avait longtemps refoulées éclataient à l’air libre. Il ne ressentait plus cette bouffée de courage qui l’avait amené à s’engager auprès de la Contre-Team, et se demandait quelles missions il serait amené à effectuer pour le bien d’Unys. Et puis le soleil se couchait, s’alanguissant d’abord puis chutant très vite vers la nuit d’hiver, inondant les étendues enneigées de sang. Ce raz-de-marée vermeil ne lui semblait pas de bonne augure.

Il la trouva perchée au-dessus de l’escalier qui menait au second étage. Elle avait choppé une échelle quelque part et grimpé sur la mezzanine en bois qui surplombait les marches, d’où elle pouvait voir le soleil s’endormir. Les rayons de l’étoile mourante frappaient ses yeux si bien que, pendant un instant, Oscar crut y déceler des oriflammes.

— Hey, la salua-t-il maladroitement. Je peux monter ?
Elle lui sourit.
— Vas-y mon pote.

Il se saisit du bois rêche de l’échelle, le cœur battant. Élin se pencha, sa tignasse dorée coulant vers lui et il sauta vers elle, grognant, s’attendant à ce qu’elle glapisse comme une fille et pas à ce qu’elle grogne plus fort. Il avait oublié, mais l’échelle grinçante lui rappela tandis qu’il se hissait jusqu’à son amie… Élin était encore plus féroce que lui.

Elle recula pour qu’il puisse s’asseoir à ses côtés et lui prit la main sans façon.

La gamine avait bien aménagé sa cachette. En quelques heures, elle y avait traîné des couvertures et des oreillers qu’elle avait volé dans plusieurs chambres, et avait aménagé un véritable nid au fond de l’antre. Une tapisserie épaisse qui dépeignait des Aflamanoir allait lui servir de rideau pour qu’elle puisse véritablement se couper du monde. Sinon, elle avait chipé quelques paniers tressés dans une salle dont l’objet unique semblait être d’entreposer des paniers tressés, et y avait fourré ses quelques affaires.

Oscar réalisa qu’elle n’avait pas amené de valises—seulement un sac-à-dos. Il la fixa, réfléchissant à toute allure car—elle haussa les sourcils et il se sentit gêné, s’éclaircit la gorge, chercha quelque chose à dire.

— Pourquoi t’as pas pris une chambre normale ?

Il se sentit tout de suite bête d’avoir posé cette question. Elle n’avait pas pris une chambre normale parce qu’elle n’en avait pas envie, c’était Élin, c’est tout.

Elle se laissa tomber en arrière, la tête sur les mains, les pieds se balançant dans le vide. Depuis le bas des escaliers, on ne pouvait voir que ses jambes qui pendaient, comme si elles s’étaient détachées de son corps et déclaraient leur indépendance.

— Tu sais que c’est grâce à ta Lumiperle que j’ai pu me téléporter dans la Ligue ? Sinon ces saletés de Neitram m’auraient bloquée.

Oscar mit quelques instants à voir où elle voulait en venir, fouillant son esprit. Puis il se souvint du cadeau qu’il lui avait fait cet été à Port-Yoneuve, avant que tout leur monde ne s’écroule… Un objet très à la mode dans les arènes souterraines de Volucité, qui permettait d’outrepasser Protection et Mur Lumière.

Il s’allongea à côté d’elle, étonné. Comment aurait-il pu penser qu’un si petit cadeau aurait de telles conséquences ?

Waouh.

Les souvenirs qu’il gardait de leur fol été étaient flous, filaient comme des gouttes sur sa peau. La découverte de ses Pokémon, les combats et les jours de marches ; la barque dont ils avaient perdu le contrôle et qui s’était écrasée dans le Pokéwood… Tous ces souvenirs se brouillaient et se superposaient, se rejouaient comme un vieux film sépia à l’arrière de son esprit. Certains moments avaient été capturés le vieil appareil photo que Leafer lui avait confié… Mais il avait dû donner sa caméra à un clerc de la Ligue, et l’appareil avait été rangé dans une étagère grise parmi mille étagères grises dans un couloir sans fenêtre.

Il tourna la tête et vit qu’Élin le fixait déjà. Elle souriait, elle respirait.
Le temps s’attarda ; l’air s’endormit parmi les poussières voltigeuses.

— Pourquoi t’es une Gijinka ?

La question partit comme une fusée dans la nuit de ses grands yeux noirs. Elle voulut rire et avala une de ses mèches blondes.

— Je sais pas moi ! répliqua-t-elle. Pourquoi t’as la peau plus foncée que moi ?
— Je sais pas.

Élin hocha gravement de la tête.

— Même les racistes ils savent même pas pourquoi ils ont la peau claire, mais ils crânent quand même.
— Oui mais eux ils sont bêtes.
— Et sexistes.
— Et homophobes.
— De quoi on parle déjà ?

Ils roulèrent l’un vers l’autre, leurs jambes picotées par des milliards de fourmis, et Élin attaqua son épaule libre avec son index. Elle semblait hautement concentrée sur sa tâche. Il grimaça.

— Mais ça veut dire quoi, d’être Gijinka ? T’as des super-pouvoirs ?
— Bah oui et c’est cool.
— Élin…

Elle vit sa grimace et lui rendit la même, retroussant son nez, exagérant le pli de ses lèvres. Quand elle agissait comme ça, Oscar avait l’impression de se retrouver face à un bébé Pokémon. C’était mignon, mais il voulait qu’elle lui réponde sérieusement. Cela faisait deux mois qu’elle évitait le sujet.

— Dis-moi tout ce que tu sais. S’il-te-plaît.

Sa supplication résonna un instant dans le silence, et puis Élin roula vers le mur, se redressa avec l’aide de ses coudes. Il s’assit lui aussi, posant un regard lourd sur les épaules de la blonde. Et elle détourna le regard, traçant des formes absurdes dans la poussière sur le plancher… Puis elle vint chercher ses yeux avec tendresse.

— Être une Gijinka, ça veut dire que j’ai des supers pouvoirs. Je suis aussi forte que Réshiram et je connais toutes ses capacités. Je peux courir vite et soulever des meubles et je n’aurai jamais froid. Comme ça je peux vous aider dans vos missions, je peux vous protéger, et je serai votre botte secrète. Si Syd était de nouveau emprisonné sous le Mont Foré, je pourrais me téléporter et le sortir de là en un instant. Et puis, quand la Team Plasma invoquera Réshiram, je les en empêcherai comme les héros des légendes et parlant avec lui. Donc tu vois, tu n’as pas à t’inquiéter.

Elle lui sourit avec enthousiasme, avec fierté… et Oscar ne comprit pas, pas vraiment, que tout ce qu’elle venait de lui conter était un tissu de mensonges. Il vint se blottir contre elle, se déplaçant à quatre pattes sur le bois sombre de sa mezzanine, les planches glissant sous ses paumes. L’air ambré enflammait les Aflamanoir de ses tapisseries, rendant chaque détail cousus dans ses oreillers et couvertures plus saisissant. Élin lui chatouilla les côtes et il protesta mollement. Elle rit puis hoqueta, et il ne vit pas son visage se contorsionner, ses lèvres frémir tandis qu’elle se forçait à élargir son sourire.

— Dis, tu penses qu’on va être heureux, ici ? lui demanda-t-elle, chuchotant, parce que si elle parlait plus fort, sa voix casserait.

Il n’avait pas de réponse.

Et puis une vieille radio s’alluma. Ils mirent un temps à la localiser, et la trouvèrent dans un des paniers tressés. Élin ne savait même pas où elle avait trouvé cette corbeille. Elle retourna l’osier et traîna l’appareil, qui bourdonnait, vers le centre de la mezzanine. C’était un transistor plaqué de bois, avec une petite lanière en cuir et une enceinte un peu déglinguée. On avait gravé « j v pr toujrs » sur la surface de bois, mais les égratignures étaient peu profondes et les initiales des amoureux étaient illisibles. Qui avait bien pu le laisser là ?

Les enfants haussèrent les sourcils, se redressant et

« Chers Unyssiens… Unyssiennes… Pourquoi les gouvernements successifs ont-ils ruiné notre éducation nationale ? »

Oscar sursauta—Élin souffla longuement, fit semblant d’être agacée—mais les poils sur leurs bras et leurs jambes et leur nuque se hérissèrent, leur corps fut parcouru d’un frisson.

« Pourquoi saborder l’éducation de nos enfants à coup de coupes budgétaires ? Comment justifier la mise en compétition de nos écoles ? Pourquoi surenchérir avec les suppressions de postes de fonctionnaires lors des campagnes électorales ? »

La voix de Ghétis rebondit sur les escaliers de terre cuite comme l’écho d’un esprit malfaisant.

« Comment annoncer aux Unyssiens qu’il n’y a pas assez de place pour eux à l’université après des décennies de restrictions budgétaires, et en même temps les accuser de détester le succès, de ne pas faire d’efforts ? Unys est le pays qui paie le mieux ses actionnaires et ses assistantes parlementaires… »

Les enfants ne savaient pas précisément à quelles affaires ou politiques gouvernementales Ghétis faisait référence. Ils étaient trop jeunes pour avoir connu les bonnes écoles publiques, et venaient de familles assez privilégiées pour ne pas avoir traversé la dégradation progressive du système. Et puis, ils ne s’intéressaient pas à la politiques, trouvaient ça idiot, la politique… Malheureusement pour eux, le retour de la Team Plasma ne leur laissait pas le choix.

Ils ne se doutaient pas encore qu’il ne suffisait pas de haïr et combattre la Team frontalement pour s’en débarrasser. Ils ne savaient pas que les mouvements extrêmes émergeaient seulement quand les institutions faillaient ; que des décennies de politiques libérales faisaient le jeu de groupuscules.

« La mise en compétition de nos enfants a atteint son apogée dans le système des Académies Pokémon, ces instituts si chers que… »

Oscar secoua la tête et Élin éteint le transistor, réellement agacée. Ça l’énervait que Ghétis lui fasse peur et puis il était chiant, il parlait de trucs qu’elle ne comprenait pas et de toute manière il était méchant, elle le savait.

Le silence les submergea, doux comme du baume. Le soleil avait presque disparut à l’horizon, ne laissant qu’une mince traînée de charbons ardents sur le plateau.

Ils échangèrent un regard hésitant.

Les ombres s’étiraient sur les marches en-dessous d’eux, les zébrant d’obscurité, et grandissaient dans les couloirs. Les cliquetis des Fermite et les couinement des Aflamanoir semblaient plus distants tandis les braseros crépitaient. L’air chaud montait vers les cieux, laissant le froid.

Sans un mot, les enfants se traînèrent vers le nid de couvertures au fond de la mezzanine, empilant les édredons brodés jusqu’à être complètement ensevelis. Ils se blottirent l’un contre l’autre, rassurés. De la poussière d’étoile dansait autour de leur château de couettes. Rêvant de lune, ils fermèrent les yeux.


(La nuit)
Rosa posa son stéthoscope dans le coffre qu’elle dédiait à son matériel médical. Sa chambre prenait des teintes violettes. Les détails du grand tapis se brouillaient, comme si de l’encre renversé engloutissait les broderies.

Mélodelfe et Grosdoudou s’affairaient dans la pièce, repliant des chemises et rangeant des pulls dans l’armoire, l’une avec une démarche légère et gracieuse, l’autre faisant grincer le plancher de ses pas lourds et se cognant contre le coin du coffre à chaque aller-retour. Les créatures s’arrêtaient parfois pour se lécher la tête et les oreilles de leurs petites langues roses, gazouillants. Rosa leur sourit et vint gratouiller la tête du Grosdoudou, lui murmurant un merci.

Elle scanna la pièce avec des yeux pensifs.

Son regard tomba sur Leveinard, qui faisant l’ange sur le lit rond, gloussant, ses tous petits pieds et ses toutes petites mains s’agitant furieusement. Elle était au paradis car Rosa avait réussi à trouver une chambre ovale, ce qui lui rappelait évidemment la forme d’un œuf. La vie de Leveinard tournait autour du concept d’œuf.

Au bord du lit, Nanméoui la fixait avec de grands yeux inquiets, retenant son souffle.

— Viens là, lui murmura-t-elle doucement, avec un petit geste de la main. Elle caressa sa fourrure lisse et chatouilla la base de son coup, l’attirant contre ses hanches.

Des affaires traînaient encore un peu partout dans la pièce. Un ordinateur attendait d’être branché sur sa batterie portable, des livres étaient posés en piles contre un mur, et quelques décorations colorées patientaient sur une commode. Une bouteille d’huile de coco avait été ouverte, puis refermée, et un mince filet blanc s’en écoulait.

Soupirant, Rosa se pencha vers le petit Corayon qui barbotait dans une bassine d’eau d’un air paisible.

— Surveille-les, s’il-te-plaît, lui demanda-t-elle. Pas de bêtises !

Elle quitta sa chambre et s’aventura dans les couloirs sombres de la cité, s’orientant grâce aux halos fantasques de braseros. Elle n’entendait que le bruit de ses pas et le cliquetis distant de Fermite. Dehors, la neige et le ciel étaient devenus violets. Les premières étoiles naissaient à l’horizon.

Il avait laissé sa porte entrouverte… un mince filet de lumière s’échappait par l’embrasure, traçant une ligne de démarcation dans le noir.

— Syd ?

Elle toqua à la porte. Après quelques secondes, il se profila dans l’entrebâillement, sa silhouette à contrejour.

Il lui fit signe d’entrer, et elle vint s’asseoir sur son lit, l’observant ranger ses tee-shirt un à un en une pile soigneuse au fond de sa commode. Aucun de ses Pokémon n’était sorti. Aucun ornement, aucun souvenir ne décorait la chambre.

— Syd…
Il se retourna, un tee-shirt plié à la main.
— Pourquoi il n’y a pas d’oreillers et de draps dans ta chambre ?

Un ange passa.

— Je crois que quelqu’un me les a volé, marmonna-t-il.

Les lèvres de Rosa se tordirent, comme si elle retenait un rire. Mais elle ne se laissa pas aller. Un silence s’installa. Les ténèbres se traînèrent lentement vers leurs petites figures. Et puis Syd n’eut plus de tee-shirt à ranger, plus d’affaires autour desquelles s’affairer. Il referma son sac et le poussa sous la petite table de nuit, et il n’eut rien à faire, les bras ballants, mais il refusa toujours de rencontrer son regard.

Rosa déglutit.

— Tu veux qu’on aille te trouver des draps ?

Ils fouillèrent les chambres alentours, mais ne trouvèrent aucune couette. Ils durent élargir le champ de leurs recherches, marchant doucement dans l’enfilade de couloirs. Les ombres dansaient. La nuit semblait suivre une géométrie étrange.

Et puis ils entendirent un faible murmure. Pendant un instant, ils eurent l’impression que les bâtisseurs de la cité antique chuchotaient entre eux, continuant une conversion millénaire. Mais un grésillement bien plus moderne se joint aux éclats de voix.

« … ces instituts si chers que seuls les plus aisés peuvent se permettre d’y envoyer leurs enfants ? »

La voix spectrale pris soudain des accents démoniaques.

Rosa accéléra le pas. Le timbre de Ghétis semblait venir de la cave. Elle dévala la première volée de marches qu’elle trouva, fonçant dans le noir, mais buta contre un mur. L’escalier ne menait à rien. Tout sentait la poussière.

« Comment les élites ont-elles pu vous mentir durant toutes ces années ? »

Elle fit volte-face et gravit les marches, enjambant les brisures dangereuses. La silhouette de Syd l’attendait en-haut ; il lui prit la main. Leurs yeux dissemblables se croisèrent.

— Tu as une idée d’où vient ce bruit ? murmura-t-il, effrayé.
— C’est forcément une radio.

« Comment la casse de notre système sociale a-t-elle pu aller aussi loin ? »

Ils cherchèrent, suivant les échos de la voix de Ghétis. Mais ils se perdirent dans le labyrinthe des pièces étranges, des passages qui ne menaient nulle part ou alors vers les milliards d’étoiles de la voie lactée. Rosa s’arrêta, la gorge serrée.

Elle passa une main à sa taille, là où reposait une belle ceinture de fleurs tressées, et caressa doucement les pétales chatoyants.

— Guérilande, Écho.

Les yeux de Syd s’écarquillèrent quand la ceinture de Rosa se déplia, tournoya en l’air, et poussa soudain un cri multicolore. La voix du Pokémon étrange, inaudible à l’oreille humaine, se déploya pourtant comme un arc en ciel et rebondit sur tous les murs. Elle étincela dans les ténèbres… et leur rapporta les paroles menaçantes de Ghétis.

« Ce message fait partie d’une longue série. À chaque fois que je m’adresse à vous, je pose les questions auxquelles nos gouvernements ne savent pas répondre. »

Guérilande les mena vers une salle sans fenêtre et piailla, heureuse. Mais ils n’y voyaient rien. Syd fit un pas un avant et sembla renverser une caisse entière de casseroles. Alors Rosa demanda à Guérilande, chuchotant, d’utiliser Feuille Magik.

Des jeunes pousses, de gracieuses frondaisons, des pétales voltigèrent au plafond, brillant faiblement. Et dans la pénombre irisée de rose et de violet, Syd trouva le transistor. Il l’éteint d’un coup précipité, le cœur battant. Mais pas avant d’entendre la fin du message de la Team Plasma.

« Nous serons de retour. »


(Quitter la nuit pour admirer le ciel)
Quand Oscar s’éveilla dans le jour doré, Élin avait disparu. Il ne s’en rendit pas tout de suite compte. Pendant quelques secondes, il cligna simplement des yeux, fixant le mur. De la poussière voltigeait dès qu’il expirait. Puis il tâta les draps brodés autour de lui, fronçant les sourcils, et ne rencontra aucune résistance. Il était seul sur la mezzanine.

Élin courait.

Elle fonçait vers le soleil levant. Le monde était gelé et silencieux, et il faisait si froid que l’air brûlait ses yeux et ses bronches. Sous ses pieds, à chaque impact, elle pouvait sentir la neige craqueler et révéler la terre rouge. À ses talons, Lucky et Hope jappaient et se mordillaient, faisant voler la poudreuse. Trucmuche battait des ailes comme un petit fou, essayant de tenir le rythme, grouinant et suant.

Elle leva les yeux. Le Mont Renenvers s’élevait devant elle, majestueux. La nuit s’attardait dans ses crevasses, l’aube caressait ses saillies. Son pic enneigé rosissait sous les rayons du soleil. Et l’astre du jour se profilait derrière la montagne, sa circonférence enflammée engloutissant les contours de la roches.

Les jambes d’Élin flageolaient et le souffle lui manquait mais ô, combien elle voulait gravir la montagne…

Des heures plus tard, elle s’écroula contre un rocher, en sueur, le cœur battant, son sang déferlant contre ses tempes et dans sa bouche, son corps criant contre la souffrance qu’elle venait de lui infliger, ses yeux piquant, inhalant de la poussière et hoquetant. Mais elle leva le regard vers le soleil et vit qu’elle avait atteint le pied du Mont Renenvers. La roche rouge était aveuglante sous le soleil.

Elle…
Si elle faisait quelques pas de plus elle…
… verrait la mer.

Lucky aboya de son timbre grave et lui lécha la nuque, attrapant une bonne touffe de cheveux avec sa langue gluante. Trucmuche se posa ensuite sur sa tête, tournant un peu pour mieux s’installer, ajoutant à l’état déplorable de ses cheveux et—Hope sauta dans ses bras, l’écrasant avec ses petites pattes, ses yeux brillant de bonheur.

Élin se secoua et se releva difficilement, s’appuya contre la roche, haletant. Elle voyait trouble. Elle ne savait pas si elle pouvait marcher encore.

Lucky aboya de nouveau. Il vint se placer contre son épaule, lui lançant un regard suppliant, et doucement s’interposa entre la gamine et la roche. Elle avait compris. Le gros chien voulait qu’elle s’appuie sur lui.

Lentement, ils clopinèrent vers le haut de la petite côte où elle s’était écroulée.
Un vent frais les balaya.
Ils toussèrent, respirant, pour la première fois depuis longtemps, les embruns de la mer.

Devant eux s’étendait un paradis verdoyant qui menait jusqu’aux plages de Vaguelone et au-delà, à l’océan. Des arbres magnifiques poussaient sur ce côté du Mont Renenvers, abreuvés par tous les nuages qui se condensaient au-dessus de l’océan et s’écrasaient contre la montagne, déversant pluies et orages. Au-delà, la mer pétillait, des récifs de coraux se dessinant dans les eaux peu profondes.

Baggy apparut soudain au bas de la côte, plus rouge que orange, haletant, l’air furieux. Il se traîna jusqu’à eux difficilement ; il resta interdit devant la beauté de l’est.

Élin tomba à genoux.


(Bonne année, bonne santé !)
Syd toqua à la porte, appréhensif. Une voix chaleureuse l’invita à ouvrir et rentrer et il s’exécuta, plissant ses yeux pour s’habituer à la pénombre. Il se trouvait dans la salle des ordinateurs, une pièce recouverte de câbles et d’écrans et de boutons clignotants. Des téléphones portables, tous identiques, attendaient dans un bac en plastique bleu.

Jean était au milieu de la pièce, à côté d’un ordinateur qui semblait afficher son CV. Une petite photo d’un petit Jean souriait depuis l’écran.

— Bonsoir Syd, s’exclama le jeune adulte, enjoué.

Syd le salua aussi, toujours debout dans l’entrebâillement de la porte. Il alla s’asseoir sur une chaise à roulettes quand on le lui suggéra puis regarda ses pieds, mal à l’aise. La lumière bleue des ordinateurs donnait à sa peau noire un teint gris étrange.

Jean ne releva pas son trouble, compréhensif.

— Je suis désolé de te tirer des préparations du nouvel an, fit-il plus doucement, mais on ne peut pas retarder cette discussion plus longtemps. Maintenant que tu es bien installé, je vais t’expliquer le fonctionnement de notre petite équipe.

Jean marqua une pause, attendit que le gamin hoche la tête, et continua.

— Je suis ce qu’on appelle un « veilleur ». Je vais vous assister à distance durant chacune de vos missions, en vous apportant de l’information, en vous envoyant du renfort en cas d’urgence, et ainsi de suite. Mon handicap m’empêche d’effectuer des missions dangereuses, mais je suis très bon en informatique et j’ai fait des études de Stratégie Pokémon, donc je suis tout désigné pour vous aider et coordonner l’équipe.

Jean s’arrêta de nouveau et Syd hocha de la tête docilement, sentant que c’est ce qu’on attendait de lui. Son « veilleur » serra les dents, inquiet. C’était triste de voir le gamin si placide… n’avait-il pas envie de poser des questions ? de savoir plus précisément quelles missions l’attendaient ?

— Tes premières missions seront faciles et peu dangereuses. Je crois savoir qu’on t’enverra faire de la reconnaissance à Port Yoneuve… tu assisteras sans doute Bardane. Comme ça tu t’habitueras aux types de tâches qu’on te demandera d’effectuer, tu apprendras les procédure de précaution, et tu apprendras à communiquer avec moi au cours de ta mission… L’idéal serait que tu possèdes un Pokémon de Type Psy qui puisse échanger avec mon Mushana…

Jean vit que Syd trifouillait avec les roulettes de sa chaise d’un pied. Le mouvement était très léger et le bruit de sa chaussure contre la petite roue très inaudible, mais…

— … pour tes premières missions, tu peux toujours porter une oreillette…

Au moins n’était-il pas complètement stoïque, au moins jouait-il avec les roulettes de sa chaise comme un vrai gamin devant un discours ennuyant. Cela rassurait Jean.

— … tu as des questions ?

L’ado secoua de la tête tout de suite, levant rapidement les yeux pour évaluer l’expression sur le visage de Jean, pour savoir s’il était obligé de poser des questions ou s’il avait véritablement le choix. Et il réalisa que son aîné souriait. Il souriait. Il était sympa. Comment…

À cet instant, la fille qui s’était enfuie lors de leur première rencontre, Nour, fit irruption dans la pièce. Au cours des derniers jours, Syd l’avait croisée quelques fois, mais elle ne faisait que lui marmonner des bonjours à la va-vite avant de décamper à rencontre. Sans doute refusait-elle de lui parler parce qu’il était un sale traitre.

— On vous veut pour aider aux préparatifs ! s’exclama-t-elle précipitamment avant de disparaître dans l’encadrement, laissant une impression fugace sur leurs pupilles.

Syd lança un nouveau regard à son « veilleur », se demandant ce qu’il devait faire, et celui-ci lui fit immédiatement signe d’aller s’amuser, de rejoindre les autres. Il ajouta qu’il le rattraperait plus tard, qu’il avait quelques détails à régler avant le réveillon. Et Syd se leva, le salua. Quand il referma la porte, il réalisa que Jean lui souriait toujours.

Les autres avaient déjà accrochés tout plein de guirlandes dans la cour du deuxième étage, où ils allaient tous fêter le nouvel an. Les lueur des ornements se reflétaient dans l’Abri qui avait été lancé pour les protéger des caprices du ciel… Monsieur Météo avait annoncé de la neige, et beaucoup de neige.

Syd butta, surpris, contre un Aflamanoir brûlant et réalisa qu’il y avait une dizaine de ces bêtes réparties dans la cour, mâchonnant avec bonheur des Pokébloc. De la chaleur ondoyait depuis leur fourrure rayée, et ils crachaient quelque fois des flammes, liquéfiant immédiatement la neige autour d’eux.

— Hey, t’as vu, c’est génial ! On a une équipe de « déneigeage » ! l’interpella Élin, ravie.
— Je ne suis pas sûr que ce mot existe… marmonna-t-il sans réfléchir, avant de se taire, gêné. Mais la blonde ne fit que rigoler de bon cœur.

Oscar était perché sur une échelle en métal, étirant ses bras pour accrocher une dernière guirlande au-dessus des arcades. Leafer le regardait faire avec une expression dubitative et même Matis s’était interrompu, des assiettes à la main, pour regarder le grand brun en quête d’équilibre. Il s’affolait à chaque fois que l’échelle grinçait et ne semblait pas avoir beaucoup de succès avec sa guirlande.

La scène arracha un sourire à Syd.

Il redescendit cependant vers le hangar avant de passer par une petite porte bleue. La pièce dans laquelle il venait de pénétrer était toute en longueur. De nombreuses armoires en bois et comptoirs en pierre la bordaient de part en part, si bien qu’il était difficile pour deux personnes de se croiser. Ce n’était pas bien pratique pour une cuisine. Au bout et à gauche de cette salle qui ressemblait presque à un couloir, on pouvait accéder à l’arrière-cuisine, une pièce parallèle aux même dimensions bizarres.

Rosa s’affairait devant un grand wok à quelques mètres de lui. Elle leva ses grands yeux pâles et le vit avant qu’il ne puisse s’enfuir.

Il sentit sa gorge se serrer.

— Je peux… je peux t’aider ?
Elle reposa sa spatule, se tourna vers lui, calmement.
— Je ne t’ai pas bien entendu, Syd.
— Je peux t’aider ?
— Bien sûr. Il faut faire du riz pour douze personnes. Je préfèrerais que tu le fasses en trois fois car leur autocuiseuse est petite. Ça te va ?

Il ne comprenait pas. Il ne comprenait pas pourquoi elle ne le détestait pas. Pourquoi n’était-elle pas en colère ? Il lui avait fait tellement de mal et il était à présent à terre… Pourquoi ne prenait-elle pas sa revanche ?

Il secoua la tête. Ses yeux se perdirent dans les reflets de l’eau amidonnée qui lui coulait des mains, suivirent les grains de riz qui filaient entre ses doigts.

Quand les Redding-Parks apportèrent les entrées à la cour carrée, le jour avait décliné. Les guirlandes brillaient, leurs lueurs se superposant en un joyeux chassé-croisé autour des arcades sombres. La coque transparente de l’Abri éclairement doucement les habitants de la cité, ainsi que l’argenterie disposée sur la grande table, qui avait été sortie pour l’occasion. De la musique jouait à fond depuis une grosse radio, trouvée dans une pièce adjacente.

Éléonore et Guajava dansaient, leurs crinières flamboyantes s’entremêlant. Le petit-fils de Goya tenait la belle jeune femme par la taille, caressant ses hanches, puis la faisait tournoyer vers les arcades, souriant. Elle revenait à lui, ses yeux verts concentrés, posant les mains sur ses épaules et suivant la cadence de la musique, valsant sur la pierre rouge de la cour. À chaque fois que la musique s’accélérait elle tournait et tournait et tournait, les mains levées vers l’Abri rutilant, ses bracelets retombant vers ses coudes en un tintamarre métallique. Guajava la guidait, émerveillé, avant de se laisser mener à son tour par sa partenaire de danse. Tous les yeux étaient fixés sur eux.

Ce moment semblait pouvoir durer toujours.

Mais la musique se termina tout de même et ils s’assirent, Matis se chargeant de déboucher le champagne qu’il était allé chercher à Arpentières un peu plus tôt. Mélis le foudroya du regard, insistant pour qu’il ne serve pas les enfants, mais les plus jeunes eurent finalement tous le droit à un demi-verre. Leur gardien grincheux en fut réduit à grommeler dans sa barbe.

Malgré les tensions et la lassitude de certains, le repas se déroula à merveille. On mangea et on but plus que raison. Les gourmands reprirent de nombreuses fois des marrons confis, volèrent de la farce à leurs voisins, et s’empiffrèrent de patates. Les enfants les plus téméraires (Oscar et Élin… !) se resservirent discrètement du champagne et, Mélis somnolant, s’engaillardirent assez pour attaquer le vin blanc. On discuta de tout et de rien, on se moqua des uns et des autres, on se rappela des résolutions non-tenues de l’année d’avant, et on lista les meilleures théories du complot qui circulaient à propos du nouvel an trois-mille. Même les plus timides ou réticents se laissèrent aller. Syd souriait à chaque fois qu’il devait éloigner les bouteilles de vin d’Élin et ripostait aimablement quand elle le taquinait ; Elsa discutait joyeusement avec Éléonore et Jean ; Nour et Guajava s’amusaient à chatouiller Mélis, qui dormait avec un sourire béat.

— … Hey, sinon, vous savez, le vrai nom de Leafer, c’est Robert, ricana Élin, un peu pompette. Robert Leafer.
Les yeux de Guajava s’écarquillèrent et il considéra le nabot.
— Mais non… c’est toi… le petit Robert ?!
— R.U.D.E. ! ricana Élin.

On parla aussi politique.

— La résistance armée est le meilleur moyen de combattre la Team Plasma, déclara Matis, d’autant plus convaincu qu’il en était à son cinquième verre de vin. Avec tous les royalistes élus au parlement, notre branche législative est paralysée.
— Mais la guerre contre le terrorisme ne répondra aux problèmes qui poussent les unyssiens à élire des députés royalistes, voire à soutenir la Team Plasma ! riposta Éléonore d’un ton coupant. Je doute que des fusils puissent résorber le déficit de notre sécurité sociale ou faire baisser la courbe du chômage… Avant de faire des coups d’éclat, il faut infléchir notre politique économique.

Matis inspira, désarçonné d’être contredit aussi directement devant une assemblée qu’il pensait sympathique à la cause de la Résistance. Il tourna ses yeux gris vers la jeune femme rousse qui le fixait et fut saisi d’une illumination.

— Comment t’appelles-tu ? l’interrogea-t-il avec aplomb.
— Éléonore.
— Ton nom de famille ?
— Éléonore d’Orth de Saint Léger.
— Tu es donc la nièce de Priscilla ! conclut Matis avec un air victorieux, comme si les liens de parentés de son interlocutrice résolvaient toutes les questions qu’elle avait soulevé.

Les yeux verts d’Éléonore s’assombrirent. Mais elle avait trop de sang-froid pour révéler son énervement, et se retourna avec une assurance tranquille vers son assiette.

— Ceux qui s’engagent auprès de la Team Plasma savent très bien ce qu’ils font, il faut arrêter de vouloir tout excuser, poursuivit Matis. La « misère sociale » ne justifie pas tout. Moi, je viens d’une famille pas très aisée, et je n’ai pas toujours eu la vie facile quand j’étais enfant, mais jamais ma mère n’aurait envisagé une seule seconde de soutenir des terroristes.
— Il n’en reste pas moins que le soutien non-négligeable envers la Team Plasma ne vient pas d’un regain d’amour soudain pour une monarchie abolie il y a plus de cinq-cent ans, répliqua calmement Éléonore. Ni d’un désir d’être séparé de ses Pokémon. Les députés royalistes et la Team sont soutenus pour leurs revendications économiques et sociales.
— Ils sont totalement hypocrites. Plaindre les pauvres alors qu’ils paient tous l’impôt sur la fortune, c’est du foutage de gueule.

Jean posa discrètement une main sur le bras d’Éléonore et—elle tourna ses grands yeux verts lui, ses yeux verts, envoûtants comme deux émeraudes. En arrière-fond, Matis poursuivit sa diatribe, répétant, sans le savoir, les plaintes et les imprécations d’un bon nombre d’unyssiens à l’égard des mandarins de leur régime parlementaire.

Et puis le compte à rebours commença. Guajava se leva, tapotant sa fourchette contre une coupe de champagne utilisée, et le silence se fit. Il leva sa montre.

— Dix…

Les invités se levèrent tous, se demandant s’ils devaient embrasser quelqu’un pour le nouvel an, leurs regards dissemblables se croisant et se recroisant avec incertitudes.

— Neuf…

Mélis se réveilla en sursaut et leva ses yeux vers l’Abri qui luisait doucement au-dessus de la cour. Il s’était mis à neiger. De petits flocons voletaient doucement dans le ciel noir, se posant muettement contre la coque translucide comme des baisers silencieux sur une joue tendre.

— Huit…

Élin chatouilla Leafer, qui éclata de rire, le son se répercutant contre les pierres rouges de la cour. Les cœurs des adultes se réchauffèrent à la vue de ces deux enfants qui jouaient, aucun souci ne venant obscurcir leurs fronts lisses.

— Sept…

Rosa prit la main de Syd et ferma les yeux, trop de souvenirs tourbillonnant derrière ses paupières tremblantes. Elle revit son petit frère crier, crier, crier dans le jardin ; elle se revit le supplier de se taire, de se calmer, de comprendre. Il revit sa grande sœur se lever, quitter la grande figure d’Otis pour venir le voir, lui, et poser la main sur son épaule. Frère et sœur partageaient des douleurs jumelles.

— Six…

Oscar se dépêcha vers les escaliers pour appeler les Pokémon qui s’empiffraient depuis longtemps en cuisine, et les créatures montèrent rejoindre les humains, curieux. Ils pensèrent tous que de voir des Emolga, Pashmilla, Roitiflam, Spinda, Zeblitz, Noacier, Guérilande, Lakmécigne, Mastouffe et Arkeapti s’élancer depuis les escalier en une explosion de couleurs avait quelque chose de magique.

— Cinq…

Les voix des habitants de la cité n’étaient pas tout à fait synchrones, pas tout à fait en harmonie, surtout que les coassements, bêlements, piaillements et chants des Pokémon se mêlaient à leur décompte en une joyeuse cacophonie.

— Quatre…

Mélis posa la main sur l’épaule d’Elsa, qui leva vivement ses yeux bleus vers lui, méfiante. Il soupira et secoua muettement de la tête… et l’expression de la jeune fille se tordit. Elle se laissa aller contre lui, cherchant un peu de protection, de répit.

— Trois…

Syd rencontra les grands yeux de Nour, qui rougit légèrement et se déplaça vers Guajava. Il toussa, gêné.

— Deux…

Matis accueillit son Flotoutan dans ses bras avec un grand sourire tandis qu’autour de la table, d’autres faisaient de même avec leurs propres Pokémon.

— Un…

Un Arkeapti se cogna contre l’Abri, coassa et tomba en plein milieu de la table, en lieu et place de la volaille qui avait été servie un peu plus tôt, faisant rire l’assemblée. Mais chacun s’interrompit, inspira un grand coup et hurla :

— JOYEUX NOUVEL AN TROIS-MILLE !

Guajava attrapa Élin pour la chatouiller ; Oscar et Leafer se firent la bise avec un sourire sarcastique ; Éléonore et Jean partagèrent un bisous chaste ; et Nour se rua vers Syd, l’embrassa en pleine bouche, puis s’enfuit.

Le garçon écarquilla les yeux. Un moment de silence se fit. Puis les observateurs éclatèrent de rire.

Dans l’après, on déboucha une nouvelle bouteille de champagne et on dansa sur des vieux tubes qui gavaient les enfants mais ravissaient les adultes, même Guajava et Éléonore, qui dansaient dessus « ironiquement ». Les Pokémon observèrent cet étrange manège, s’interrogeant sur la conception humaine du temps, mais profitant surtout de la distraction des dresseurs pour chaparder de la nourriture.

Roitiflam se posa lourdement à côté d’Amaryllis la Mateloutre, observant Elsa entamer quelques pas de danse auprès de Mélis. Les deux Pokémon n’échangèrent pas un regard, mais Amaryllis grogna légèrement.

— Votre dresseuse est fâchée contre le mien, on dirait, commenta Roitiflam.
— Votre dresseur est un traitre.
— La traitrise est une notion humaine tout à fait relative, riposta le cochon.
— Mais la peine de mon humaine n’a rien de relatif.

Il grouina avec sympathie. La peine d’un dresseur était difficile à supporter. Pour ne pas sombrer, il s’était donné des objectifs personnels : s’entraîner avec Riolu, philosopher… Il ne fallait pas que sa vie entière tourne autour d’un humain. Il fit part de ses pensées à la loutre, qui grogna de nouveau, indifférente. Elle n’était pas triste. Elle était en colère.

Plus loin, Elsa et Mélis valsaient. La brune ne savait pas bien danser et essayait de se laisser guider, mais elle ne cessait de vouloir anticiper les pas de son partenaire, trébuchait. Il avait du fil à retordre avec son corps crispé et ses pieds nerveux.

— Tu es sûre que tu veux danser ? lui demanda-t-il doucement.

Elle ne répondit pas immédiatement. Ses lèvres étaient serrées comme deux traits sanglants ; ses grands yeux cherchaient quelque chose, peut-être un fantôme, parmi les autres danseurs.

— Je ne sais pas à qui d’autre parler, avoua-t-elle, d’une petite voix, dont les échos furent avalés par la musique.
— Tu discutais avec Éléonore et Jean tout à l’heure, non ?
— Oui mais je ne peux pas discuter avec eux tout le temps…
— Et Oscar ?

Les yeux bleus d’Elsa se levèrent vers les siens, et il sut qu’elle n’irait pas saluer Oscar. Que s’était-il passé entre les deux élèves de Volucité ? Pourquoi Elsa se retrouvait-elle toute seule ? L’enfant devant lui était pourtant intelligente, droite et courageuse. Elle avait tout pour réussir, pour briller comme une étoile.

— Dans le désert… murmura-t-elle, mais elle s’arrêta.

Devait-il insister, lui faire dire tout ce qu’elle avait sur le cœur pour qu’elle se sente mieux ? Devait-il au contraire ne pas poser de question et laisser sa douleur se résorber en secret ? D’habitude, il employait des tactiques d’évitement, laissaient les autres gérer et résoudre leurs problèmes… de toute façon, il ne pouvait pas les régler à leur place, alors à quoi bon se fatiguer ? Mais cette fois…

« Chers Unyssiens… Unyssiennes… En cette nuit de réjouissances… La Team Plasma vous souhaite la bonne année. »

Ils furent pétrifiés ; la fête se figea en une pagaille immobile.

« L’année deux-mille-neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf ne nous a pas épargnés en émotions intenses de toutes natures. La Team Plasma a fait beaucoup pour le pays. Unys sort d’une longue torpeur. Mes chers compatriotes, vous êtes nombreux à vous organiser dans chaque ville du pays afin d’éveiller les consciences. »

La voix de Ghétis résonna comme un orgue dans une église, comme les imprécations d’un prophète malade.

« Les résultats ne peuvent pas être immédiats et l’impatience—que je partage—ne saurait justifier aucun renoncement. »

Il ne renoncerait pas à l’entreprise de destruction, désintégration, fission, transmutation, de mensonges et de d’injures et de rêves et de mots doux et de meurtres et d’enlèvements entamée une décennie auparavant.

« L’année passée, nous avons vécu de grands déchirements et une colère a éclaté, qui venait de loin ; colère contre les injustices, contre le cours d’une mondialisation parfois incompréhensible. »

Matis le savait : Ghétis était millionnaire. Qu’est-ce qu’un millionnaire pouvait savoir des injustices auxquelles il avait fait face ?

« Cette colère a dit une chose à mes yeux, quels que soient ses excès et ses débordements : nous ne sommes pas résignés, notre pays veut bâtir un avenir meilleur. »

Un avenir de nuit et de sang.

« C’est pourquoi mes chers compatriotes, cette année trois-mille est à mes yeux décisive et je veux former pour nous trois vœux. »

Trois vœux d’un génie malfaisant.

« D’abord un vœu de vérité. Oui, nous souhaiter en trois-mille de ne pas oublier qu’on ne bâtit rien sur des mensonges. Le plus grand mensonge de notre société, celui sur lequel repose l’ordre social des Champions, c’est qu’on peut profiter de l’esclavage des Pokémon… »

Mélis se tourna vers un Matis figé, furieux, tenant toujours Elsa dans ses bras.

— Mais réagis, éteins la radio !

Une explosion de voix se mêla à la sienne, comme si son interjection avait sorti les autres d’un malaise muet.

— Écoutons ce qu’il a à dire.
— La radio est bloquée, elle ne veut pas s’éteindre !
— C’est le nouvel an, et je refuse d’écouter Ghétis à chaque fois qu’il vient polluer les ondes !
— Bah si tu l’écoutes pas comment tu vas savoir ce qu’il prévoit ?
— Oui enfin c’est bon il ne va pas révéler les plans de son prochain attentat en direct-live à la radio, il est pas con non plus…
Éteins cette radio ! »

« Mon deuxième vœu pour la nouvelle année est un vœu de dignité. Nombre de nos concitoyens ne se sentent pas respectés, considérés. Ils sentent leur vie comme empêchée. Je pense aux mères de famille élevant seules leurs enfants et ne parvenant pas à finir le mois, je pense à nos agriculteurs qui ne veulent que vivre dignement de leur travail ou à nos retraités modestes qui aident encore leurs enfants et ont à charge leurs parents. Nous avons commencé à leur apporter des réponses et je sais leur impatience légitime, mais il faudra aller plus loin. »

— Quel menteur…
— Qu’est-ce que tu veux. Il fait son beurre sur les inquiétudes légitimes des gens.

« Cela suppose aussi de lutter contre les intérêts profonds qui parfois bloquent notre société et notre parlement, qui ne reconnaissent pas suffisamment le mérite ou qui enferment trop de nos concitoyens dans des cases ! »

Il y eut un soupir collectif de la part des adules.
— L’État profond, un classique des groupuscules…

« Enfin, je veux former un troisième et dernier vœu. Un vœu d’espoir. Espoir en nous-mêmes, comme peuple. Espoir en notre avenir commun avec les Pokémon. Espoir en notre avenir. »

— Ça atteint des niveaux d’hypocrisies jamais observés ailleurs dans la nature ça.
— Chut !
— C’est bon il ne dit rien d’important là, c’est juste du bla-bla…
— Chut !
— Mais t’as vraiment envie qu’il nous souhaite la bonne année ?

« Alors mes chers compatriotes, je vous souhaite une belle année trois-mille. Vive la sainte Unys ! »

— … Trop tard.
— Raté.

La radio grésilla un instant avant de revenir sur une chanson joyeuse, une chanson qui sonna fausse à leurs oreilles. Mélis alla s’asseoir, n’ayant plus aucune envie de danser, une boule au ventre. Matis resta debout à côté du transistor, grommelant sous sa barbe. Jean attira Nour contre lui, leva son bras pour lui ébouriffer les cheveux. Les autres ne bougèrent pas, ne dirent rien, incertains.

Mais Guajava s’avança avec un air déterminé. Les guirlandes clignotaient encore, éclaboussant ses yeux sombres de reflets étranges.

— Bon allez, on va pas se laisser faire, on va pas se laisser intimider ! Tout ce qu’il veut c’est qu’on arrête de danser, de festoyer, qu’on baisse les bras, alors on ne peut pas lui donner, affirma-t-il avec un sourire. Nour… veux-tu bien m’accorder cette danse ?

La jeune fille cligna des yeux mais quitta la chaise roulante de Jean, contre laquelle elle s’était appuyée, pour rejoindre le grand rouquin. Leurs mains se joignirent, leur peau matte semblant presque parée d’or sous les lueurs des ampoules. Ils se sourirent tandis que le premier riff de Sultans of Swings montait en crescendo dans la cour rouge.

— Je te guide, annonça fièrement Nour. Son cœur battait au rythme du rock n’ roll.
— D’accord ! rigola Guajava.

Et elle le fit tourner.

Sous une arcade sombre, en retrait de ceux qui recommençaient à danser, Éléonore s’approcha silencieusement de Jean. Elle ne le toucha pas et ne le regarda pas, mais il pivota vers elle, et il vit combien sa mine était sombre. Il posa sa main sur sa hanche fine. À son contact, elle laissa quelques larmes de frustration perler aux coins de ses yeux.

Ils s’en allèrent discrètement par un des couloirs étoffés, Mushana aidant Jean à léviter par-delà les volées de marches qui plongeaient au centre de la montagne, jusqu’aux rives d’un lac souterrain.

Le halo rose de Mushana éclairait les eaux cristallines et projetait des ombres étranges par-delà les stalactites du plafond. C’était ici que les habitants de la cité venaient se laver, à la lumière d’une lampe torche ou aidé par l’un de leurs Pokémon. Des murs de pierre avaient été érigés dans l’eau pour délimiter les bains et éviter qu’un enfant ne se noie dans les ténèbres ; sous brillance diffuse de Mushana, les pavés se paraient de teintes violettes qui se reflétaient dans le lac.

Le murmure métallique de l’eau parvenait à leurs oreilles de manière distante ; l’air lui-même semblait obscur, d’une qualité différente des vents ensoleillées de la surface.

— Je te demande pardon… murmura Éléonore. Mais l’entendre pérorer à la radio, interrompre nos célébrations, nous souhaiter la bonne année, c’est juste… insupportable.

Jean roula vers elle. Ses traits fins étaient à peine discernables dans la pénombre grise, et pourtant, elle pouvait quand même deviner son sourire compatissant. Elle était toujours en quête de ces signes de douceurs, toujours inquiète de ne plus en recevoir.

— Je comprends, dit le jeune homme.

Il ne sut pas qu’encore une fois, elle avait douté. Il laissa simplement planer un silence, observant sa Mushana s’aventurer sur les eaux du lac et y tremper ses petits pieds. Et elle, elle le regarda muettement, étudiant la manière dont ses yeux étincelaient.

— Mais tu sais, ajouta-t-il, au risque d’être cliché, ce qui compte, c’est que nous ayons tous célébré le nouvel an ensemble. On s’est beaucoup amusé. On a fait le décompte avec des personnes qui nous sont proches, et avec qui nous allons lutter dans les prochaines années. Ghétis ne peut pas nous enlever tout cela.

Jean croyait en ces paroles ; il était sincère comme cela. Mais Éléonore n’était pas de celles que l’on apaise facilement avec des mots éculés sur l’amour, et elle ne croyait pas au pouvoir de l’amitié. Enfant, les beaux contes sur le lien indestructible entre dresseurs et Pokémon ne parvenaient pas à endormir sa vigilance.

— Ghétis ne cherche pas à détruire nos amitiés en une seule intervention à la radio, répondit-elle avec amertume. Il veut tout simplement marquer nos esprits ; il veut être celui qui clôt le millénaire et annonce notre futur.
— Ce n’est pas si important, de changer de millénaire.

Elle souffla, incrédule.

— Comment peux-tu dire ça ?
— Les peuples de Zekrom pensaient que le passé se situe devant nous, tandis que le futur est derrière. Ils avaient une notion circulaire du temps : le futur de chaque seconde irréalisée est de sombrer dans le passé—à chaque instant, le futur est converti en passé par le présent…
— Je ne vois pas de rapport…
— Bah, le temps est relatif ! conclut-il avec un air naïf. Le nouvel an trois mille te semble important, mais d’autres civilisations et peuples possèdent des calendriers complètement différents, et selon leur système, l’intervention de Ghétis n’a aucune importance.

Mais Éléonore secouait la tête, un rictus ourlant ses jolies lèvres.

— Les peuples antiques sont fascinants, mais la subtilité de leur métaphysique ne change rien à notre perception actuelle du temps… Ghétis a parlé ce soir et son appel marquera les esprits. Tu ne parviendras pas à m’en dissuader.

Il haussa les épaules et—elle scruta son visage, suivant le contour de ses yeux, de sa bouche. Il lui sourit. À chaque fois qu’il lui souriait, ça lui donnait envie de se laisser aller, un peu.

— Comment fais-tu pour rester si tranquille ? lui demanda-t-elle. Comment fais-tu pour voir le bon côté des choses même quand je fais de mon mieux pour te contredire ?

Cette fois il ricana et se passa une main dans les cheveux, tirant sur quelques boucles cuivrées.

— Il y a un moment dans ma vie où j’ai pris la décision de sourire, de me forcer à sourire, dit-il. Sinon je n’aurais pas fait d’études, je n’aurais pas dressé de Pokémon, et puis, je ne serais pas ici.

Éléonore baissa les yeux.

— J’aimerais bien être aussi forte que toi.
— Là, pour le coup, ce que tu dis est super cliché… répliqua-t-il platement.

Elle frissonna.

— On te répète souvent ça quand t’as un handicap, que t’es super « fort » alors qu’en fait tu fais juste de ton mieux pour vivre avec ce que t’as, argua Jean, les échos de sa voix rebondissant entre les stalactites. Je ne pense pas être quelqu’un d’exceptionnel. Il y a beaucoup de gens qui ont des handicaps à Unys, même s’ils sont invisibilisés, et je ne suis pas plus « fort » qu’eux. Y a un moment donné, ou quand t’as traversé quelque chose de difficile, tu es obligé de le surmonter d’une certaine manière.

Elle se laissa aller contre lui, assise par terre, ses paumes posée sur les galets du lac, sentant ses tibias immobiles contre son bras, ses rotules reconstituées contre sa joue, et ferma les yeux, répétant silencieusement la tirade qu’il venait de lui livrer, se demandant ce qu’elle en pensait.

— Il me semble que certains parviennent pas à surmonter les traumatismes, chuchota-t-elle.

Jean avait douze ans quand la Team Plasma avait attaqué Janusia. Un étage de sa maison s’était effondré sur lui.

— Ça ne te fait pas mal, de te dire que tu ne marcheras plus jamais à cause de ces terroristes ? Ça ne te fait pas enrager d’entendre Ghétis nous promettre un avenir radieux alors que tu sais qu’il va recommencer à tuer ?

Elle inspira, toussa, ramena une main contre ses jambes, crispant ses doigts autour de son pantalon. Une sorte de culpabilité indéfinie écrasait ses poumons, et une chaleur douceâtre noyait sa poitrine.

— Moi… quand je les entends… j’ai envie de les faire souffrir… Je sais que c’est mal, mais j’ai envie de les souffrir, et de les tuer… Alors toi, comment tu fais ? Dis-moi… Dis-moi comment tu fais…

Il ne lui répondit pas. Pendant longtemps, il ne fit que respirer, et ne lui répondit pas. Mais enfin il parla. Sa voix ne s’éleva pas, restant proche de sa gorge, en un tout petit murmure étranglé.

— Tu crois que ça ne me fais pas mal… de te voir danser avec Guajava, et de savoir que je ne peux pas danser avec vous ?

La question mourut dans le silence.

Mais après avoir enfoui son visage contre sa cuisse, après avoir serré sa main, elle se releva. Elle se déshabilla, et il fit de même, et puis ils glissèrent muettement dans les bains, parmi les murs de pierre, là où des Aflamanoirs avaient chauffé l’eau. Il se tinrent l’un contre l’autre, amoureux, et ne dirent rien de triste pendant tout le reste de la nuit.

En haut, la fête touchait réellement à sa fin. Mélis était assoupi contre une arcade, de la salive d’étoiles s’écoulant de sa bouche noire béante. Nour était recroquevillée sur une chaise ; Leafer et Oscar dormaient enlacés ; Guajava et Matis rangeaient la vaisselle en grommelant. Elsa et Rosa étaient parties se coucher dans leurs véritables lits il y a belle lurette.

Les seuls qui étaient véritablement éveillés étaient Élin et Syd, la première débordant d’énergie, et le second contraint de la suivre car elle lui tenait le bras. Ils avaient esquivés la vaisselle.

— Tu viens ? chuchota Élin, un éclat malicieux dans le regard. Je suis sûre qu’ils ne nous retrouveront pas si on descend à la cave ! J’ai un nouveau Pokémon à te montrer.

Il jeta un œil dubitatif à Riolu, qui roupillait sur le ventre de Roitiflam, et chercha son Feuilloutan en vain ; mais un ronronnement attira son attention. Riyah était un prédateur nocturne, et elle semblait vouloir en découdre.

Ils se retrouvèrent face à face dans la cave poussiéreuse, éclairés seulement par la lune métallique qui était accrochée au ciel. Leurs traits et leurs silhouettes étaient monochromes, se confondant avec les ombres grises ; les barriques et les cartons et la pierre et les boîtes de conserve et les Pokéball à leurs ceintures semblaient faites d’argent.

Élin sourit, Syd inspira, et ils activèrent chacun une Pokéball dont l’éclair rouge déchira les ténèbres.

Il crut voir les yeux d’Élin devenir rouges.

Riyah réapparut, semblant agacé d’avoir été bourlinguée dans sa baballe, et feula. En face d’elle, un petit dragon se matérialisa et rugit. Syd cligna des yeux, étonné, observant la créature bleue qui semblait manger sa frange noire tellement elle voulait se battre. Il ne releva les yeux qu’au moment où Élin ricana, l’air très fière d’elle.

— Tu sais que je me suis battue à main nues avec lui pour qu’il accepte de me suivre, fanfaronna-t-elle, énervant son Pokémon qui cracha une flamme violette.
— Qu-Quoi ?!

Il la fixa, ahuri, se demandant si la fatigue lui jouait des tours ou si son amie délirait. Le sourire de la blonde s’élargit.

— Uno, Draco-Rage.

La gueule du petit dragon bleue s’ouvrit et déversa un torrent de flammes violacées sans effort apparent, projetant des ombres chatoyantes dans toute la pièce. Riyah esquiva sans que Syd n’eut à lui demander, n’ayant pas particulièrement envie de se prendre un torrent de feu dans la gueule. Heureusement que la chatte faisait preuve d’autonomie, car son dresseur avait lui aussi dut plonger sur le côté pour ne pas mourir. L’Attaque s’échoua contre un mur de pierre bien résistant, laissant des zébrures noires.

— Mais où est-ce que t’étais durant les deux mois où on t’a cherchée ? éructa Syd, se remettant difficilement sur pied.
Élin haussa les épaules.
— L’Antre Dragon.

Et elle indiqua à son Solochi d’utiliser Draco-Rage une nouvelle fois, pointant Syd avec un sourire sadique. Il dut plonger sur la droite et se rétama douloureusement sur une caisse.

Riyah, Assistance !

Il se retourna à temps pour la voir exécuter une Vive Attaque, se fondant dans la nuit et envoyant le Solochi rouler contre une barrique. Et en se relevant, il réalisa que c’était la première fois qu’il combattait depuis que qu’il avait… sauvé Otis. Trahi la cause de sa tante. Livré le Galet Blanc à la Team Plasma. Été emprisonné. C’était la première fois qu’il combattait depuis des mois.

C’était la première fois de sa vie qu’il combattait sans avoir pour but de s’améliorer afin de sauver la vie d’Otis.

Son palet s’assécha.

— Bah alors, tu fous quoi ? lui demanda Élin, guillerette.

Uno s’était relevé et fonçait droit sur Léopardus, ses petits pieds soulevant de petits nuages de poussière. Il allait atteindre sa cible dans quelques secondes et baissait la tête en vue de lui délivrer un Coup d’Boule.

— Riyah, Schéma Un, parvint-il à articuler.

La chatte s’éclipsa et le dragon explosa une caisse de pommes.

Son schéma marcha très bien. Aiguisage, Tourmente et Tranche-Nuit. Le Solochi qu’Élin n’avait jamais entraîné ne résista pas longtemps. Et Syd put réfléchir. Il put prendre le temps de savoir ce qu’il ressentait, de palper ses émotions muettes. Quand sa Pokémon faucha finalement le dragon, un sourire ornait ses lèvres.

Pour le premier de l’an, Élin lui avait offert un combat.

Il lui prit la main, plongeant dans ses yeux étincelants. Et puis, ils soignèrent leurs Pokémon, et gravirent les escaliers, et se ruèrent dehors, leurs pas se perdant dans la neige fraîche, le froid des hauteurs déchirant leur poumons. Seuls sur le plateau, complètement seuls dans ce monde immobile, ils levèrent les yeux.

Au-dessus de leurs têtes brillaient des milliards d’étoiles.


(Supertrooper)
Le trois janvier trois-mille, Rosa observa son petit-frère encore fragile et silencieux recevoir sa première mission de la part de Jean Ganguly. Le lendemain matin, elle lui prépara un cake à la noix de coco et un petit repas, le cœur lourd. Ils échangèrent très peu de mots. Ils échangeaient toujours si peu de mots.

Il partit pour trois jours.

Les missions se succédèrent. Oscar, Leafer, Élin et Nour et tous les autres occupants de la cité se joignirent à lui, ou partirent exécuter leurs propres obligations secrètes, toujours avec une enveloppe sellée. Aux écouteurs discrets s’ajoutèrent des micro-puces implantées derrière les oreilles, que l’organisme d’Élin faisait systématiquement disjoncter.

Les années passèrent.

Aux hivers enneigés et solitaires se succédèrent des étés torrides et toutes leurs excursions amusantes. Les ciels blancs se dissipèrent pour révéler la splendeur effrayante des nuées bleues.

Les enfants suivirent chacun des cours par correspondance pour passer leurs brevets, et furent fortement incités à pousser jusqu’au bac. Syd, Leafer et Nour persistèrent. Oscar et Élin batifolèrent. Et pendant ce temps, Elsa entamait une License, imperturbable. Les gamins affrontèrent des Champions d’Arène de passage, mais jamais Élin ne put réclamer de véritable match contre Tcheren.

Les appels radio de Ghétis ponctuèrent leur adolescence, chaque discours semblant plus menaçant que le précédent. Ils échangèrent des baisers juste pour rigoler, entre filles et entre garçons ; ils subtilisèrent leur première bouteille de mezcal pour se la siffler sur le toit ; ils débattirent des effets néfastes de la cigarette et passèrent par plein de modes de fringues. Les attentats se multiplièrent, de plus en plus tragiques, tuant parfois des humains ou des Pokémon. Mélis tenta de les protéger et de leur mentir sur la gravité des choses, dans une certaine mesure. Cela marcha tant que leurs missions se limitaient à de la reconnaissance ou du sauvetage de Pokémon. Mais un jour, Syd fut pris dans un tir croisé et toucha un cadavre.

Le trois juin trois-mille-cinq, le père de la Professeure Keteleeria fut kidnappé par des agents Plasma.




Vu qu’Unys est basée sur les États-Unys (badumtss), j’ai choisi de baser les habitants d’Arpentières sur les tribus Navajos qui vivent dans la « réserve » de Four Corners, au sud-ouest des USA. Les Navajos tissent des tapisseries, tressent des paniers, font des bijoux en turquoise… Les Anasazis, qui vivaient plus au sud, avaient creusé des citées troglodytes, si je ne m’abuse. Je vous conseille les romans policiers de
Tony Hillerman , qui se passent tous dans la réserve Navajo, avec des cops, des flics Navajos, et qui célèbrent la culture de ces tribus.

« Tony Hillerman a reconnu s'être inspiré de l'écrivain australien Arthur Upfield pour introduire l'ethnologie dans un polar, ce qui n'enlève rien à la qualité de ses romans, dont les personnages paraissent bien plus actuels et travaillés que ceux de son prédécesseur : on retrouve régulièrement dans ses ouvrages, l'importance de la tradition orale et du chant, le silence à observer sur le nom des morts, la convoitise des Blancs pour les terres indiennes, le caractère sacré des montagnes, les "peintures" de sable…”

Ah oui au fait les voeux du nouvel an de Ghétis sont très fortement inspirés de ceux de Macron, vu que les deux sont des connards.