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Une Vie Mouvementée  de Bleu2MéthylN



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Evaluation de Ramius

Expression


Suffisante, mais assez monolithique, utilisant très souvent l’imparfait. Tu te concentres sur la description, et cela limite ton récit.

Ta fic est extrêmement descriptive, avec très peu de dialogues. Ton personnage raconte son histoire, mais d’une façon assez froide : on apprécierait qu’il crée plus de lien avec le lecteur (ou avec son auditoire ?). Dans le chapitre 1, il y a par exemple un « On y reviendra… » assez joliment exploité… et malheureusement, assez anecdotique : lui et un autre passage sont seuls à vraiment impliquer le lecteur. Le reste de la fic semble faire un rapport à un supérieur, en se permettant donc peu d’écarts, et ne s’adresse qu’indirectement. Quitte à dépeindre Travis racontant sa vie, il aurait fallu aller au bout de ton parti-pris et le rendre plus charismatique, plus agréable à écouter, en émaillant son récit d’adresses directes au lecteur. De même, dès le résumé, Travis aurait pu être narrateur. On n’obtient quelques éléments sur cette narration qu’à la fin, dans le tout dernier paragraphe ; et même cela fait très peu. Pourquoi Travis raconte-t-il sa vie ? À qui ? Tant qu’on y est, où ?

Tu maîtrises suffisamment ce style descriptif pour garder ton lecteur réveillé, et c’est un vrai point positif ; néanmoins, sortir de cette zone de confort pour améliorer tes points faibles ne pourra faire que du bien à tes textes. Je pense surtout aux dialogues. Le premier que l’on voit, celui de Mme Reyes, est presque caricatural par ses intonations très éloignées de l’oral, même pour une personne stupéfiée. Elle ne semble pas reprendre son souffle une seule fois malgré sa surprise trop marquée (on essaie en général de se contenter d’un seul signe de ponctuation et on réserve les majuscules aux situations vraiment exceptionnelles, ce qui fait que son « QUOI ?? » de surprise sera généralement orthographié « Quoi ! »). De plus, elle semble surmonter bien vite cette surprise, puisqu’elle embraie immédiatement sur une explication, sans prendre le temps d’assimiler cette information pourtant choquante pour elle.

C’est aussi dommage de ne pas décrire madame Reyes autrement que par un « look assez osé ». C’est un détail, mais on aimerait savoir ce qui a provoqué l’ironie de Travis. Est-il incapable de comprendre comment la coupe de cheveux tient en un seul morceau ? Qu’est-ce qu’un look assez osé pour quelqu’un qui porte le rose le plus agressif de toute la région ? Même deux ou trois mots suffiraient : une fois encore, Travis ressemble beaucoup à un conteur, qui délaisse un peu trop son auditoire. Le format ne se prête pas à des descriptions importantes, mais il permettrait de rendre de courtes descriptions presque conviviales, si le narrateur se présentait en ami du lecteur.

Pour en revenir à la forme, ton texte manque parfois de ponctuation. Rien de bien grave globalement, mais c’est particulièrement important pour un personnage racontant son histoire : comme il fait très oral, il doit pouvoir reprendre son souffle. Des phrases rapides, peu ponctuées, serviraient à représenter une action rapide. À ce titre, le passage dans la Tour en ruines n’a aucun impact sur le lecteur. Tu aurais pu faire monter la tension soit en te servant de la narration de Travis pour jouer sur son auditoire (s’il a assez vieilli et mûri pour avoir surmonté cette peur d’enfance), soit en te servant des clichés d’histoires de fantômes. Suggérer que le lieu est anormal, oppressant, mais sans rien dire, faire monter l’attente chez le lecteur, et le prendre par surprise quand il n’attend plus le fantôme : ces techniques ne sont pas très adaptées à la narration par Travis, mais il peut les imiter.

En passant, l’émotion du narrateur est gérée étrangement : on peut avoir de brusques sautes d’enthousiasme, lorsqu’il raconte ses souvenirs ou vante les mérites du type Fée. Si Travis narre son histoire des années après, on s’attend au contraire à plus de calme — déjà qu’il n’est pas très extraverti dans les jeux…

Histoire


C’est une biographie, et assez allongée dans le temps pour ses huit chapitres. Ton expression te permet cependant d’éviter d’endormir ton lecteur en quelques lignes, ce qui est le plus grand danger de ce format. Néanmoins, on sent tout de même une certaine pauvreté.

La fic contient beaucoup d’événements, mais n’en développe qu’assez peu (contrairement à ses personnages). À vue de nez, accorder un peu de temps à chacun d’eux et l’exposer au lecteur aurait pu doubler ou tripler la taille du texte. C’est bien sûr inenvisageable dans le cadre d’un concours ; néanmoins, si jamais tu écris un texte sans cette contrainte, je t’encourage à ne pas hésiter à t’attarder sur ces éléments un peu laissés de côté, quitte à remplir un chapitre entier avec une seule journée plutôt qu’un an. C’est un conseil un peu dangereux, à prendre avec des pincettes, car tu dois aussi faire attention à ne pas lasser ton lecteur à force de lui exposer en long, en large et en travers les déboires d’un personnage n’ayant aucun rapport avec l’histoire. Je pense plutôt aux relations de Travis avec ses connaissances : Édouard, Théodora, etc. Comment s’est-il lié d’amitié avec le cuisinier ? A-t-il pris l’habitude de le complimenter sur son travail après chaque repas, ou bien de l’aider à ranger son plan de travail ? Et comment ses relations avec Théodora sont elles devenues moins froides qu’à leur rencontre ? Ces quelques éléments promettent déjà de prendre beaucoup de place, et d’enrichir une fic. C’est d’ailleurs parce que très peu sont traités que ta fic est finalement plutôt pauvre, malgré de bonnes idées scénaristiques (une adaptation comme la Poké-Vision est assez classique, mais reste amusante dans son traitement).

Tu as parfois tendance à exposer des contradictions de façon rapprochée. Je pense par exemple à l’attaque du Corvaillus par les Goélise : au paragraphe suivant, Travis affirme avoir été en colère mais aussi avoir accepté la mort de ses parents, sans transition. Cela passerait mieux avec un mot ou deux pour évoquer le passage du temps. En soi, ce n’est pas forcément grave que le texte tire dans un sens puis dans l’autre : cela permet d’un peu mieux ressentir la complexité du sujet pour Travis, et de façon plus générale cela note que tu t’efforce d’éviter d’être trop manichéen. Mais attention à rester aussi cohérent que possible quand tu présentes un événement inhabituel (la horde de Goélise), pour qu’il n’ait pas simplement l’air d’un outil scénaristique.

Tu traites l’ensemble de l’histoire d’Épée et Bouclier en un seul passage, au motif qu’on la connaît déjà. Mais justement, on ne la connaît pas ! Pas du point de vue de Travis. Le lecteur est plus ou moins placé dans la position du joueur : il a donc vu Travis le défier avec son air méprisant, s’attaquer à la fresque d’Old Chister, il l’a vu être presque répudié par Sherhoz et adopté par Sally. Et ce qu’on attend de ton histoire en lisant le résumé, c’est donc précisément de savoir comment il en est arrivé là (ce qui est plus suggéré que dit), comment il s’est senti pendant ces événements (ce qui est passé sous silence), comment il a surmonté la déception que cela a dû lui causer… Travis balaie tout cela d’un revers de la main, alors que c’est ce qui incite le lecteur à lire ton histoire. Cela peut être bon de proposer au lecteur totalement autre chose que ce qu’on suggère, mais n’oublie pas de lui donner également ce pourquoi il est venu ! De plus, l’attitude désinvolte de Travis est très surprenante pour une autre raison : on aimerait savoir, c’est-à-dire mieux que dans les jeux, comment il justifie d’avoir détruit cette fresque pourtant apparemment de grande valeur. C’est un acte grave, mais auquel il n’accorde aucun intérêt. Tous ces points sont assez difficiles à traiter dans la forme à moitié biographique et à moitié contée qu’a prise ton récit, et bien sûr après trois chapitres cela peut être décourageant de devoir changer cette dernière. Mais cela fait partie des points qu’il faut prévoir dès le départ.

Personnages


Il est surprenant (et plaisant) de constater que malgré le format de biographie, tu as prêté attention à tous tes personnages principaux et as développé chacun d’eux. Cependant, ce développement est encore souvent relativement simple, et ne prend son temps que pour Travis.

Une chose très dérangeante est que tu ne présentes Travis que dans le résumé. Il faudrait également le faire dans le texte — on n’imagine pas un conteur raconter son histoire sans commencer par se présenter, y compris à des gens qui le connaissent déjà : ce serait justement l’occasion de montrer son origine sous un nouveau jour décalé ! Lequel pourrait être pensé pour pousser le lecteur à poursuivre le récit. De la même façon, si on part du principe que l’histoire est racontée un bon moment après les jeux, Travis aurait pu présenter rapidement Sherhoz et Liv quand ces derniers apparaissent.

Pour en revenir à Travis, pourquoi un Nucléos chromatique ? La question est très peu diplomate, mais doit être posée. Je conçois que le thème du concours soit en partie d’approfondir les personnages, mais ce Nucléos n’est pas canon, et mieux vaudrait donc expliquer pourquoi on ne le croise pas dans l’aventure — surtout s’il n’a pas d’intérêt scénaristique particulier et a juste été ajouté pour démarquer Travis des autres orphelins. Ce qui, malheureusement, est le cas. En soi, ce n’est pas forcément une mauvaise chose d’ajouter quelques attributs particuliers à un personnage simplement parce qu’on l’aime bien ; ce sur quoi je veux attirer ton attention est qu’il faut toujours prendre garde à ne pas en abuser. Les lecteurs ne partagent pas forcément ton avis sur Travis — personnellement, j’ai même tendance à m’intéresser plus facilement aux textes qui vont contre ce que je pense ! Pour leur faire apprécier ce personnage, tu dois donc les convaincre, les pousser à s’attacher à lui… C’est là que des petits ajouts, par exemple ce Nucléos chromatique, peuvent être dangereux : s’il y en a trop, la plupart des lecteurs réagiront de façon assez négative envers ce personnage auquel la vie sourit, et auquel on voudrait les faire sourire. La forme la plus extrême de cette réaction (dont je dirais qu’elle n’est pas atteinte ici) est un personnage appelé Mary-Sue ou Gary-Stu, doté(e) de toutes les qualités et que les lecteurs ont tendance à détester.

La métamorphose de Travis d’un gamin enjoué en… eh bien, en Travis, est gérée un peu malhabilement. On a une cause (la mort de ses parents), un effet (le repli sur soi et le mépris des autres enfants), et même si le lien est logique, il est loin d’être le seul possible. Le fait que Travis ait grandi entouré de très peu d’enfants peut avoir joué sur sa capacité (apparemment pas très bonne) à supporter d’autres gamins, et l’orphelinat (apparaissant comme un enfer ou une prison après la mort de ses parents) l’aurait conduit à se refermer sur lui-même comme décrit. Au moment où il perd ses parents, tu affirmes qu’il veut rester fort et en montrer aucune faiblesse, mais comme il a toujours vécu à l’écart de la compétition et du contact social, c’est un trait d’esprit qu’il ne peut acquérir qu’à l’orphelinat (éventuellement après des moqueries, si diaboliser les autres enfants peut faire de Travis un enfant de chœur). Bon, ces idées relèvent du pinaillage et les trouver pendant qu’on écrit demande du travail et de l’expérience, mais dans le cas de ce qui est peut-être le premier point central de l’intrigue (pourquoi Travis est-il si insupportable dans les jeux), on aurait apprécié qu’elles soient creusées.

De même, on ne voit pas Travis redevenir plus ouvert d’esprit et moins méprisant. Il le fait pendant la fic, comme suggéré dans le résumé, et les causes probables en sont données — la gestion de l’Arène — mais… Rien n’est explicité. Non seulement on pourrait imaginer diverses raisons à ce changement de caractère perceptible surtout dans la narration ; par exemple le fait de travailler avec d’autres Dresseuses, de défendre son titre, d’assister aux derniers jours de Raymonde… Mais en plus, les quelques idées évoquées pourraient être interprétées différemment par différents lecteurs. La fic délaisse trop cet aspect, qu’elle est pourtant idéale pour creuser.

Les autres personnages sont plus anecdotiques, on a parfois l’impression qu’ils ne font que passer. Tu les définis souvent par leurs Pokémon (Raymonde, les jumelles…). Cela a beau être important dans un monde de Pokémon, c’est très incomplet et surtout cela pourrait être plus exploité. Si tu fais résonner le caractère d’un personnage avec ses Pokémon, non seulement tu présentes l’équipe au cas où il faudrait la faire combattre, mais en plus on peut se faire facilement une idée rapide du personnage. Ainsi l’équipe dangereuse de Théodora laisse penser qu’elle comptait prendre la suite de Sally, et elle aurait donc d’excellentes raisons de jalouser Travis. Lesquelles sont malheureusement laissées de côté dans ta fic, et remplacées par une inimitié qu’aucun argument ne semble soutenir, et qui est d’ailleurs vite oubliée.

Attention aussi à ton traitement du personnage de Liv : même si ton narrateur est évidemment subjectif, il y a plus d’un pas entre des émotions instables et la folie. On aurait apprécié un peu plus de nuance, ou même un peu plus de subjectivité justement : on serait bien plus disposé à considérer Liv négativement (car ce n’est pas forcément le cas de tous les lecteurs) si Travis citait par exemple « Édouard avait beau dire que c’était un sujet grave, pour moi elle était complètement folle ». De fait, l’usage que fait Raymonde du dossier médical de sa propre fille est, objectivement, très peu maternel. Deux remarques au passage. D’abord, briser le secret médical est une fois de plus un acte grave que Travis expose pourtant à son auditoire sans la moindre gêne. Ensuite, on a du mal à comprendre que le dossier médical complet de Liv soit présent sur l’ordinateur de sa mère : ce genre de choses est censé rester entre un médecin et son patient, sauf exception qu’on aurait aimé voir signaler.

Avis


Je suis assez mitigé quant à cette fic. Je crois deviner que tu as pris plaisir à l’écrire, et j’aurais tendance à affirmer que c’est sa force ; cependant, en tant que lecteur, je reste sur ma faim sur de nombreux aspects. Ce qui rend sans doute cette évaluation sèche, à force de relever des points négatifs... Mais c’est en faisant des erreurs qu’on apprend à les voir. Ta fic a aussi des qualités que j’omets souvent, et je voudrais donc conclure cette évaluation en t’encourageant à continuer à écrire si cela te plaît. C’est un art difficile, alors je te souhaite bon courage !

8 chapitres lus, évalué en 10/2020

Note : 9.2 / 20