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Shadows Avenged de Malak



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» Auteur : Malak - Voir le profil
» Créé le 07/03/2021 à 08:14
» Dernière mise à jour le 07/03/2021 à 08:14

» Mots-clés :   Action   Fantastique   Organisation criminelle   Policier   Présence de Pokémon inventés

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Chapitre 5 : Rejetée 16-2018
Clovis regardait son grand-frère Brian tenir son épouse Félie dans ses bras après qu’il leur ait annoncé la nouvelle. La mère de Kalie était totalement éplorée.

- Pas elle… Non, pas elle ! C’est impossible… Clovis…

- Je l’ai vu de mes propres yeux, Félie, soupira le gouverneur avec tristesse. Elle a invoqué trois pouvoirs devant moi. Il n’y a aucun doute. Je suis désolé…

- Qu’as-tu fait d’elle, Clovis ? Lui demanda Brian, le visage pâle. Tu ne l’as pas… tu n’aurai pas pu…

- Bien sûr que non ! S’exclama Clovis. C’est ma nièce, et je l’aime ! Elle est en chambre de confinement. Le Bureau d’Analyse va mener des recherches sur elle. Comme son cas est unique, nous devons en savoir plus…

- Des recherches ? Répéta Brian. Comme sur un rat de laboratoire ?

Clovis secoua la tête.

- Essaies de comprendre, Brian. Nous faisons face à quelque chose que l’on ne connait pas. Tu sais aussi bien que moi le danger que peut représenter un seul Rejeté classique. Alors un avec trois pouvoirs… Il faut que nous ayons des réponses avant d’envisager des solutions. Elle est bien traitée, je t’assure.

- Nous devons la voir, fit abruptement Félie. Lui dire de ne pas s’inquiéter…

- Non Félie, dit fermement Clovis.

- C’est ma fille ! Je vais la voir si je veux !

- Je ne peux pas faire des exceptions parce qu’il s’agit de ma famille. Surtout face à un cas sans précédent dont on ne sait encore rien. Kalie sera tenue à l’isolement le temps qu’on en apprenne plus sur sa nature. Je vous promet de tout faire pour la sauver, mais personne ne doit savoir à son sujet. Brian, si tu pouvais inventer une excuse pour expliquer son absence…

Son frère le dévisagea sans ciller.

- Tu promets de ne pas l’abandonner, Clovis ? Tu promets de tout tenter pour la faire redevenir comme avant, si c’est possible ?

- Tu as ma promesse. De frère, et de gouverneur de la ville.

Brian hocha la tête.

- Très bien. On pourra annoncer à la presse qu’elle couve une grave maladie et qu’elle a été admise dans un hôpital tenu secret pour son propre bien…

- Chéri ! protesta Félie. Tu ne peux pas…

- Laissons faire Clovis, dit Brian à sa femme. Nous, nous ne pouvons rien faire pour Kalie. William, veuillez amener Félie dans le salon et lui préparer une tasse de thé. Très fort.

Le vieux majordome, qui semblait tout aussi en détresse que Félie, s’inclina faiblement.

- Oui monsieur. Venez madame, venez…

La mère éplorée se laissa conduire docilement, la main crispé sur son mouchoir humide. Brian poussa un long soupir, et alla se servir un énorme verre d’un de ses alcools les plus forts. Il s’enfonça ensuite dans un fauteuil, comme si le poids du monde l’accablait sur ses épaules.

- Pourquoi ça nous arrive, Clovis ? Demanda-t-il. Pourquoi Kalie ? C’est une brave fille. Nous l’avons bien élevée. Elle voulait aider le peuple, aider la ville. Alors… pourquoi, par Arceus le Créateur ?!

Clovis posa une main compatissante sur l’épaule de son frère.

- En dépit de tout ce qu’on peut dire, de toutes les théories qu’on avance, le fait est qu’on ne sait toujours pas comment les Désignés et les Rejetés sont choisis. Ça peut être tout bêtement du hasard. Pas de jugement de Faerios. Pas de distinguo entre le bien et le mal. Seulement du hasard… Mais la suite, on la connait, ça c’est certain. Les Rejetés sont dangereux. Ils deviennent incontrôlables et brutaux. J’ignore si ce sera pareil pour Kalie, comme elle a non pas deux, mais trois pouvoirs. Mais selon toute vraisemblance, on ne peut qu’imaginer que ce soit bien pire encore.

Brian se prit le visage dans la main.

- Je le sais, figure-toi. Félie est trop affligée pour y penser, mais je le sais. Je sais qu’on ne peut pas faire d’exception parce qu’il s’agit de notre famille. Mais… Kalie est tout ce que j’ai. Ma fille unique ! Même si je sais tout ça, en tant que père, je ne peux pas l’abandonner comme une pestiférée. Cela m’est impossible !

- Je comprends. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir. S’il apparait au final qu’il n’y a aucun espoir pour elle… je ferai comme tu l’entendras, mon frère.

Brian savait quel choix lui laissait Clovis : soit tuer Kalie, soit la garder emprisonnée le restant de sa vie. Pourrait-il jamais faire un tel choix ?

- Mais nous n’en sommes pas encore là, reprit Clovis. Je vais mettre une grande partie du Bureau Analyse sur son cas. Je vais tout essayer.

Brian se leva et serra son frère contre lui.

- Merci, Clovis. Je sais que c’est dur pour toi aussi. Tu es le gouverneur. Si jamais cela venait à s’apprendre…

- Eh bien, cela s’apprendra. Je ne cacherai pas la vérité à mon peuple parce qu’il s’agit de moi.

- Mais… si Ortris apprend que son propre gouverneur a une nièce Rejetée… Cela va sans doute provoquer de sérieux troubles !

- Je gère les troubles depuis que j’occupe ce poste. C’est mon boulot. Je dois y aller, Brian. Je dois aller la rejoindre. Je lui dirai que ses parents l’aiment malgré tout, et qu’ils veulent qu’elle garde espoir.

- Oui, dit Brian en se rasseyant. Oui, garder espoir…

Clovis laissa là son frère pour revenir à la Tour Powergate. Il descendit aux sous-sols, là où le Bureau Analyse menait pour lui des recherches et expériences qu’il valait mieux que le peuple ignore. Il y avait un grand couloir, et, de droite à gauche, des dizaines de cloisons de verre, dans lesquelles se trouvaient des jeunes gens pour la plupart. Tous des Rejetés.

Le peuple d’Ortris pensait que les autorités exécutaient les Rejetés dès qu’elles les capturaient. Ce n’était pas tout à fait exact. Certes, la plupart finissaient par mourir, mais pas avant d’avoir fourni de précieuses données pour les scientifiques et généticiens au service de Clovis. Ça aurait été dommage de gâcher des ressources pareilles. Et aujourd’hui, un nouveau cobaye fascinant était tombé tel un don du ciel. Clovis s’arrêta devant la vitre de la principale chambre d’isolement.

À ses cotés, il y avait Emma Jird, la scientifique en chef du Bureau Analyse. Une femme dans la quarantaine, aux cheveux noirs coiffé en une longue queue de cheval, et qui avait pour particularité de toujours porter un monocle, et bien sûr d’avoir un bras droit totalement mécanique, de conception grossière. Elle aussi observait ce qu’il se passait dans la chambre d’isolement avec un intérêt particulier.

- Alors, ma chère Emma, fit Clovis d’un air guilleret. Que pensez-vous du nouveau jouet que je vous ai apporté ?

- C’est pour moi Noël avant l’heure, mon cher gouverneur, lui dit la scientifique en chef avec un grand sourire. Le dernier des Triple, rien de moins ! J’ai hâte de pouvoir l’examiner sous toutes les coutures ! Quelle pitié que ce soit tombé sur votre nièce, en revanche... Ou bien alors, c'était prévisible ? Un coup du destin ?

- Peut-être bien oui... Le destin...

Clovis sourit avec tristesse, observant derrière la vitre teinté le nouveau sujet d’étude du Bureau Analyse : Kalie elle-même. Elle était encore inconsciente, suite aux nombreuses drogues que les hommes du Bureau lui avait donné. Clovis s’était sincèrement senti triste quand il avait du donner Kalie à la science. Il aimait cette fille. Mais le destin, ou bien le hasard, ou bien encore l'ironie, avait parlé.

Sa pauvre nièce allait être sacrifiée, mais pour le bien d’Ortris et de ses citoyens. Pour Clovis, c’était une maigre consolation, mais une consolation tout de même. Il se sentait coupable d’avoir menti à son frère, mais… le pauvre, et Félie encore moins, n’auraient pas pu accepter la vérité : qu’il n’y avait strictement aucun espoir pour Kalie. Selon la loi, un Rejeté n'était plus un être humain. Il n'avait plus aucun droit. Il n'était qu'un objet. Clovis avait déjà fait le deuil de sa nièce, et ne voyait devant lui, derrière la vitre, qu'un objet, un cobaye. Ce n'était plus Kalie.


***


Kalie se réveilla avec l’impression d’avoir été passée à tabac. Sa tête résonnait comme une enclume sous les coups d’un marteau. Elle était couchée par terre, dans une salle sombre et vide, si ce n’était un lit avec des sangles au milieu, plus tous ces appareils flippants accrochés aux murs. La dernière chose dont elle se souvenait, c’était qu’on l’avait attachée de force, et de la sensation des piqûres partout sur son corps. Clovis l’avait amenée ici. Il avait dit qu’il allait l’aider, qu’il ne l’abandonnerai pas… Avait-il menti ? Ou elle était bien ici pour y être soignée ? La jeune fille se mit assise difficilement. Elle avait la nausée. Elle voulait voir Clovis, immédiatement. Elle mit un certain moment avant de se lever, et de se diriger vers la porte. Mais elle était verrouillée.

- Clovis ! Appela-t-elle. Oncle Clovis !

La panique commença à la gagner. Pourquoi l’avait-on enfermée ici ? Et où était Clovis ? Kalie s’était plutôt imaginée dans une belle salle blanche, entourée de scientifiques qui lui disaient des paroles rassurantes, avec son oncle à ses coté. Elle constata aussi qu’elle n’avait plus sa dague de Lunacier. On la lui avait prise. Un cadeau de son oncle, si cher et incroyable… La porte grinça et Kalie recula.

Deux femmes entrèrent en refermant la porte. Une était une jeune femme à lunette et en blouse blanche de scientifique, qui tenait une tablette numérique. La seconde, qui resta en retrait, était plus âgée. Elle avait un look global effrayant, avec son monocle et son bras en acier. Elle portait une espèce de combinaison rouge et verte qui se prolongeait dans le dos comme une cape. Elle s’adossa à la porte et commença à fumer une cigarette.

- Qu’est-ce qui se passe ? Demanda Kalie. Qui êtes-vous, et où je suis là ?

La jeune scientifique au visage neutre s’approcha, pianotant sur sa tablette.

- Vous ne parlerez que lorsqu’on vous y autorisera. Vous êtes désormais définie comme « Rejetée 16-2018 ». Veuillez retirer vos vêtements. Vous porterez ceci.

Elle lui jeta à ses pieds des habits mauves et sales. Pas de jupes ni de pantalons, seulement une espèce de sac à patata censée lui recouvrir tout le corps.

- Hors de question que je mette ça ! S’indigna Kalie. Où est Clovis ? Veuillez le faire chercher.

La jeune femme du Bureau Analyse haussa les sourcils.

- Monsieur le gouverneur a d’autre chose à faire que de se soucier des Rejetés. Dépêchez-vous de vous déshabiller.

La femme tendit le bras comme pour lui enlever ses vêtements, mais Kalie la chassa d’une tape sur la main.

- Je vous interdis de me toucher ! S’exclama Kalie. Je suis Kalie Warcelos, la nièce du gouverneur ! Des sous-fifres comme vous me doivent le respect !

La jeune scientifique écarquilla les yeux, comme si soudainement une fourmis venait de l’insulter. La femme adossée à la porte ricana ostensiblement.

- Sale Rejetée ! S’écria la scientifique. Comment oses-tu ?!

Elle posa sa tablette sur le lit et s’avança comme pour frapper Kalie, mais la femme au monocle et au bras métallique intervint.

- Laissez. Je m’en charge.

- Madame ? S’étonna la scientifique.

La femme au monocle laissa tomber sa cigarette qu’elle écrasa d’un coup de ses chaussures à haut talon. Puis elle regarda Kalie avec un sourire aimable.

- Je suis Emma Jird, la directrice du Bureau Analyse. Toutes mes excuses pour le manque de manière de ma subordonnée, mademoiselle Warcelos.

Elle tendit son vrai bras à Kalie. Cette dernière, soulagée d’avoir à faire à une haute responsable qui semblait connaître son rang, lui serra la main. Mais alors, aussitôt, Emma Jird l’attira à elle et enfonça sa main d’acier dans son ventre. Kalie eut le souffle coupée, et s’écroula en toussant. Mais Jird n’en avait pas fini. Elle lui donna un coup de pied sur le visage, puis la releva de force et la plaqua contre le mur. Kalie était partagée entre la douleur, la colère et l’humiliation.

- Je crois que tu ne saisis pas bien ta situation, Rejetée, lui dit Emma Jird. Kalie Warcelos a cessé juridiquement d’exister dès que tu as touchée le Mur. Aujourd’hui, tu n’es plus rien. Tu n’as plus aucun droit, aucune existence. Tu n’es qu’une Rejetée parmi tant d’autres, entièrement au bon vouloir de mon Bureau Analyse.

- Vous allez regretter ça ! Cracha Kalie. Mon oncle vous punira quand il saura ce que vous m’avez fait ! Je ne suis pas une Rejetée, ce n’est qu’un malentendu !

Jird éclata de rire.

- Tu es intéressante, comme fille, avoua-t-elle. À ce stade, ils sont déjà tous en train de supplier. Mais ne t’en fais pas. Nous aurons tôt fait de t’arracher les illusions auxquelles tu t’accroches.

Avec son bras mécanique, qui semblait être doté d’une force surhumaine, elle projeta Kalie à l’autre bout de la pièce. Kalie se prit le mur sur le dos, et s’effondra comme une poupée de chiffon. Son ventre la faisait souffrir, elle saignait du nez, et maintenant elle avait dû se briser une ou deux côtes. Mais elle était avant tout Kalie Warcelos. Elle ne plierai pas devant ces gens qui lui étaient inférieurs. Elle brandit sa main, prête à ouvrir la porte de son pouvoir psychique. Mais rien ne se passa. La porte dans son esprit resta hermétiquement close. Son désarroi la trahi, car Jird ricana.

- Oh, on essaie de se servir de ces petits pouvoirs, mademoiselle ? Hélas, ils vous sont indisponibles pour le moment.

Elle lui montra un petit pistolet en forme de seringue.

- La première chose que nous faisons quand nous nous occupons d’un Rejeté, c’est de bloquer ces pouvoirs. Ce petit sérum t’empêche de les utiliser deux heures durant. D’ailleurs, ça va bientôt être l’heure de ta nouvelle injection. Mais avant…

Elle s’approcha lentement de Kalie, l’air menaçant. Toute idée de révolte oubliée, cette dernière se tassa contre le mur.

- Non… Laissez-moi…

Jird la prit par le cou et la plaqua contre le lit. Puis elle entreprit de déchirer tous ces vêtements, la laissant seulement avec sa culotte. Honteuse, Kalie tenta de cacher ses seins avec ses bras, mais Jird ricana et les écarta de force.

- On a encore sa fierté, Rejetée 16-2018 ? Ça n’est d’aucune utilité à un rat de laboratoire comme toi. Comme tout le reste d’ailleurs. Sois-moi reconnaissante ; je vais te débarrasser de ce fardeau inutile.

Elle approcha son bras métallique de la tête de Kalie. Elle remarqua que son index était en fait une petite lame. Puis Jird retira son bras et l’approcha de son ventre, puis plus bas. Kalie gémit.

- Arrêtez ! Qu’est-ce que vous faite ? Non !

- Je te débarrasse de ta fierté, répondit Jird. Elle ne ferait que t’encombrer pour la suite des réjouissances, crois-moi.

Jird lui retira sa culotte, et Kalie sentit la fraicheur de l’acier tâter son intimité.

- NOOOONNNN !

- Ne bouge pas trop, lui conseilla Jird. Ça ferai encore plus mal…

Trop choquée pour crier, trop paralysée par la douleur pour bouger, Kalie ne put que continuer à pleurer. Elle pleura longtemps encore après que ses deux geôlières furent parties, la laissant brisée et ensanglantée sur le sol, autant physiquement que mentalement. Elle n’avait plus rien. Ni ses parents, ni Clovis, ni sa fortune, ni la renommée de son nom. Elle n’avait plus que l’habit miteux que ces femmes lui avaient donné, et son nouveau nom de Rejetée. C’en était presque drôle, la vitesse à laquelle était passée de tout à rien. S’engouffrant dans cet abyme de désespoir qui s’ouvrait sous elle, Kalie se mit à rire et à pleurer en même temps.


***


Kalie ne savait pas trop combien de temps elle resta dans cette salle de torture. L’assistante d’Emma Jird était revenue plusieurs fois pour lui faire subir des tests, plus ou moins douloureux. Elle avait testé sa résistance aux flammes, à l’électricité, et aux coupures. Elle l’avait examinée sous toutes les coutures et les angles possibles, allant jusqu’à lui faire avaler une sonde miniature pour avoir une vue sur son système digestif.

Parfois, la directrice Jird venait aussi. Son assistance, même si elle pouvait être brutale lors de ses tests, effectuait son travail sans hostilité apparente pour Kalie. Mais avec Jird, c’était une autre histoire. Elle ne perdait jamais une occasion de la rabaisser et de la maltraiter, prenant apparemment un plaisir sadique à la faire souffrir. Comment une telle malade pouvait-elle diriger un département aussi important que le Bureau Analyse ?

Kalie ne tenta plus de résister. Elle souffrait en silence. Elle avait bien saisi qu’elle n’avait plus aucun espoir à attendre, de quoi que ce soit. Clovis l’avait abandonnée à son sort, c’était indéniable. Quant à ses parents, ils n’étaient peut-être même pas au courant. Et même si Clovis le leur avait dit, ils devaient la mépriser, maintenant. Elle n’était qu’une sale Rejetée, comme ne manquait pas de lui répéter Jird.

Les journées passaient sans que Kalie puisse les compter. On la nourrissait, chaque soir, avec une espèce de bouillie infâme et sans goût. Au début, Kalie avait refusé de manger, espérant sans doute mourir de faim. Mais au bout d’un moment, Jird était venue avec un gros tuyau qu’elle lui avait enfoncé de force dans la gorge, en glissant la bouillie dedans. Depuis, Kalie s’efforçait de manger tout ce qu’on lui donnait sans faire d’histoire.

Au bout d’un moment qui lui parut être une éternité, on la déplaça. Le Bureau Analyse devait avoir terminé ses tests sur elle. Quand Jird la fit sortir de sa cellule et avancer dans le long couloir sombre, Kalie se disait qu’on l’amenait à son exécution. Elle n’aurait pas pu dire si elle en était apeurée ou soulagée. Mais la directrice Jird s’empressa de corriger sa pensée.

- On a fini les tests préliminaires sur toi, Rejetée 16-2018. Mais il nous reste encore tant à découvrir ! On n’en rencontre pas souvent, des Rejetés à trois pouvoirs.

Kalie la regarda avec des yeux éteints.

- Vous ne tuez pas les Rejetés ?

- Bien sûr que si. Enfin, au bout d’un moment, quand ils n’ont plus rien à nous offrir. Nous ne sommes pas des monstres, penses-tu !

À l’heure actuelle, cette nouvelle ne fit rien du tout à Kalie. Mais elle savait qu’elle aurait été indignée si elle avait appris ça avant. Elle avait toujours pensé que les Rejetés étaient éliminés directement. C’était… plus humain. Mais se servir d’eux comme cobayes, les faire souffrir de la sorte jusqu’au moment de leur exécution… Même eux ne méritaient pas ça. Clovis devait ignorer ça, forcément, sinon il ne l’aurait pas accepté. Son oncle était une personne très humaine et sensible, qui avait pitié des Rejetés. C’était sans doute cette Emma Jird qui était la responsable de toute cette horreur. Clovis devait lui faire confiance, sans savoir qu’elle s’adonnait à torturer les Rejetés. Il n’aurait jamais confié Kalie à cette bonne femme sinon.

- Comme tu peux le voir, nous commençons à manquer de place pour entasser nos sujets, lui dit Jird sur le ton de la conversation en lui montra toutes les salles pleines. Tu vas devoir partager ta nouvelle demeure avec un de tes semblables. Mais nous avons choisi quelqu’un que tu connais. Ça devrait te faire plaisir.

Jird s’arrêta devant une des plaques de verre. Elle entra un code, et poussa Kalie dedans dès qu’elle s’ouvrit. Il y avait en effet quelqu’un d’autre à l’intérieur. Un garçon, portant le même habit que tous les autres Rejetés du centre. Kalie vit avec horreur qu’il s’agissait de Juan Holm. C’était le Rejeté qu’elle avait vu lors de sa sortie dans le 4ème district avec Clovis. Celui qui fréquentait le même lycée qu’elle. Celui qu’elle avait traité par le mépris quand il lui avait demandé de l’aider. Et aujourd’hui, elle était comme lui. Quand Juan la reconnut - ce qui était difficile, dans l’état où elle était - son visage congestionné par de nombreuses blessures se tordit en une grimace de satisfaction perverse, puis il éclata longuement de rire.

- Ahhhh, fit-il quand il eut terminé. Finalement, y’a une justice, dans cette ville pourrie. Qui l’eut cru ? La princesse Warcelos en personne, une Rejetée ? Ah ! Merci Arceus, pour ce dernier instant de plaisir…

Kalie se rendit compte qu’elle était à nouveau l’objet de la farce de Jird et de ses pulsions malsaines. Elle l’avait mise dans cette cellule à dessin, sachant très bien que Juan allait se moquer d’elle, peut-être même la faire souffrir physiquement pour se venger. Mais, après tout ce qu’elle avait vécu entre les griffes du Bureau Analyse, après avoir constaté toute l’horreur que ça faisait d’être un Rejeté, Kalie ne pouvait pas vraiment lui en vouloir.

- Alors ? Quel effet ça fait ? Insista Juan. De savoir que tu es un « monstre asocial » comme moi ?

- Je ne suis pas comme toi, répondit Kalie. Je suis pire.

Comme de toute façon elle avait déjà perdu toute dignité, et qu’elle n’avait pas grand monde avec qui parler, elle raconta tout à Juan. Ce dernier fut légèrement perturbé, comme s’il craignait de partager la même cellule qu’un Rejeté à trois pouvoirs.

- Donc, même au plus profond du trou, les Warcelos arrivent toujours à se distinguer…

Kalie ne répondit pas. Elle aurait préféré toute une vie d’anonymat plutôt que ça.

- Tu sais ce qu’il vont nous faire maintenant ? Demanda Juan.

- Je n’en sais rien, soupira Kalie.

- T’es la nièce du big boss de la ville, et tu ne sais même pas ce qu’il fait aux Rejetés ?!

- Je pensais qu’il les exécutait de suite. Je n’étais pas au courant pour… tout ça. Et je ne pense pas que mon oncle le soit aussi. C’est bien trop cruel.

Juan ricana.

- Pourquoi ? Parce que kidnapper des ados innocents pour les exécuter, ça ne l’était pas assez pour toi ?

- Un humain cesse d’être innocent lorsqu’il devient un Rejeté, récita automatiquement Kalie. C’est pour la sécurité d’Ortris qu’ils sont supprimés.

- Ouais, quelle belle jambe ça nous fait… Quelqu’un comme toi doit être ravie de se sacrifier pour le bonheur de la ville, hein ?

Kalie garda le silence. L’était-elle, en réalité ? Ça ne changeait rien à la situation, bien sûr, mais les jours qui suivirent, tandis que des chercheurs du Bureau Analyse venait la chercher de temps en temps pour d’autre tests plus poussés, Kalie se surprit à réfléchir à la question. Clovis avait toujours dit que la ville d’Ortris et ses citoyens devaient toujours passer devant les intérêts individuels, quels qu’ils soient. Kalie avait accepté la théorie. Mais était-ce juste qu’elle souffre ainsi sans que personne ne le sache ? Était-ce vraiment pour le bonheur d’Ortris et de ses habitants ?

Kalie essayait de trouver des justifications à sa situation. Elle était une Rejetée, elle ne pouvait pas le nier. Elle attendait donc avec appréhension le moment où elle allait perdre les pédales et se transformer en une brute incontrôlable. Mais le temps passait, et Kalie restait elle-même. Comment c’était possible, de toute façon, de changer du jour au lendemain ?

Les pouvoirs qu’offraient le Mur n’avaient aucune incidence sur le cerveau. Du moins, ça n’avait jamais été prouvé scientifiquement. L’on disait que si les Rejetés devenaient mauvais, c’était parce qu’ils étaient grisés et corrompus par leurs pouvoirs. Mais pourquoi ? Cela faisait-il une si grande différence d’avoir deux pouvoirs à la place d’un seul pour qu’on se transforme en un monstre assoiffé de destruction ?

Kalie ne s’était jamais posée la question, acceptant comme tout le monde la version officielle. Les Rejetés étaient tellement crains et haïs depuis l’apparition du Démoniaque que personne ne cherchait à les défendre, ou même à essayer de les comprendre. Mais maintenant qu’elle en était un elle-même, Kalie voyait bien l’absurdité avec laquelle on classifiait les Rejetés comme des nuisibles. Kalie avait beau en être un, elle n’éprouvait aucune envie d’aller tuer des innocents ou détruire des maisons. Ou peut-être seulement ce centre et cette femme, Emma Jird.

Plus les jours passèrent, et plus Kalie trouvait qu’elle faisait les frais d’une immense injustice. Et si c’était son cas à elle, ça devait être aussi pareil pour tous les autres Rejetés. Juan et elle, à force de cohabiter dans cet enfer, en étaient venus à se soutenir. Comme Kalie l’avait toujours pensé avant de découvrir qu’il était un Rejeté, Juan était un garçon sympa. Il avait vite cessé de se moquer de Kalie pour son seul plaisir vengeur. Il s’était mis à parler de sa vie d’avant, de ses parents, et Kalie l’écoutait, comme si se fondre dans la vie d’un autre pouvait l’aider à oublier sa vie actuelle. Bien sûr, parfois, ils faisaient semblant de se battre ou de se disputer. Si cette psychopathe d’Emma Jird découvrait qu’ils s’entendaient bien, elle allait les séparer. Et Kalie ne voulait pas être privé de son seul soutient dans ce centre souterrain infernal.

Quand un jour, elle revint dans la cellule après une séance de tests particulièrement éprouvante, Kalie n’avait plus aucun doute. Jird et ses assistants l’avaient terriblement charcutée, aujourd’hui. Kalie n’avait jamais connu une telle haine pour quelqu’un. Elle ne pouvait plus rester ici sans rien faire et accepter son sort. Un sort injuste. Un sort cruel. Quand ils la remirent dans la cellule, et que Juan la rattrapa avant que ses jambes ne cèdent, Kalie murmura :

- Non…

- Non quoi ?

- Je réponds à ta question. Celle que tu m’as posée quand ils m’ont mise avec toi. Je ne suis pas ravie de me sacrifier pour le bonheur de la ville. Pas comme ça. Je ne l’accepterai plus. Tant pis si je suis égoïste. Après tout, tous les humains sont égoïstes. Pourquoi ça serait différent pour les Rejetés ?

- Mais qu’est-ce que tu comptes faire ?

- M’évader. Ou mourir en essayant. Mais je vais faire quelque chose. Je vais leur apprendre que je suis Kalie Warcelos, et pas la « Rejetée 16-2018 » !