Faire face de Serekai

Le sentier menant vers l’est, en direction de la chaîne principale du mont Couronné était plus abrupt que celui reliant Féli-Cité à Charbourg. C’était même l’un des plus difficiles à arpenter de l’ouest de Sinnoh. La pente rocailleuse et aride était couverte de rochers de taille très variable, couvrant la sente étroite qui s’enfonçait dans l’étroit vallon montant vers l’un des trois pics principaux de la montagne.

L’escalade était fatigante, alors que Montagne me suivait, son corps chassant les petits fragments de granit et de grès, qui roulaient vers les côtés, arrêtés par les herbes folles et les masses de schistes sur lesquels poussaient des châtaigniers.

A chaque pas, je pouvais sentir l’effort physique nécessaire dans mes cuisses. La montée était plus fatigante que je ne le pensais, alors que le vent froid du nord s’engouffrait dans le val. Le rideau de sueur moite dans mon cou trempait mon veston de lycra qui me gardait au chaud.

En milieu d’après midi, après avoir franchi le premier col qui culminait à 987 mètres d'altitude, j’eus la surprise de croiser Robin, qui faisait demi-tour depuis Unionpolis.

- Salut, soufflais-je en m’arrêtant pour lui donner une bise, gardant les mains sur les genoux, sentant mon cœur battre la chamade.

Il ne répondit pas. C’était curieux, car d’habitude, je n’avais jamais la possibilité d’en placer une, puisqu’il était toujours le premier à m’aborder. Il me regarda avec une expression abattue. Son regard ambré était plus voilé et distant que d’ordinaire. Ce n’était pas sorcier de comprendre qu’il n’était absolument pas dans son état normal.

- Ca ne va pas ? questionnais-je avec un ton un peu inquiet, mais dont le fond était d'une niaiserie affligeante.

- Rien, dit-il avec un ton que je pouvais presque décrire comme absent. Fais gaffe, y’a des tarés avec des Racaillou qui utilisent Explosion.

Je regardai par réflexe les pokéballs à sa ceinture, comprenant qu’il avait du passer par la même épreuve que moi.

- Je suis désolée, essayais-je de dire pour être à ses cotés durant ce moment atrocement difficile. Je sais que ce n’est pas facile et …

- Qu’est-ce que tu en sais ? me coupa t-il avec un ton sec, que je n’avais jamais entendu venir de sa part. Comment peux-tu dire comment je me sens ?

Je restai interdite, face à la violence de ses mots, alors que je sentais ma sueur froide glisser dans ma nuque.

- Moi aussi je souffre. J’ai perdu un de mes compagnons, tu sais, me justifiais-je avec une voix un peu étranglée. Alors ... s’il te plait, ne passe pas ta colère sur moi.

Il serra les dents, me bousculant avant de redescendre sans ajouter un mot.

- T’es pas obligé de te comporter comme un connard ! lui criais-je en poursuivant ma route.

Furieuse, je poursuivis ma route sans me retourner, ne voulant pas voir s'il avait réagi.

Alors que j’avançais, je repassais lentement ce court mais violent échange. Son comportement était odieux, mais compréhensible. J’avais moi aussi été cassante en me complaisant dans ma douleur. Je comprenais, même si cela n’excusait pas son attitude. J’aurais cependant pu garder ma langue derrière mes dents pour éviter de cracher mon fiel et ajouter de l’huile sur le feu.

Une fois arrivée devant l’entrée, le même frisson que la dernière fois me saisit. C’était à la fois une simple anfractuosité dans la pierre et un gouffre sombre qui semblait vouloir m’avaler. La crainte de l’obscurité me tordis de nouveau les intestins et je restai quelques instants à observer cette falaise, retardant l’inévitable moment ou je devrais m’aventurer sous terre. De vieux arbres tordus et noueux s’accrochaient à la paroi, tenant désespérément à s’agripper à la vie, malgré la rudesse de cette dernière.

Finalement, j’entrai dans la caverne, avec la même appréhension que la dernière fois. Je pénétrai dans ce monde minéral et calcifié, privé de la chaleur du soleil, enveloppé par ce silence sépulcral tout juste brisé par des clapotis de l’eau et les bruissements des ailes de Nosferapti. A nouveau, je m’éclairai avec la faible lumière de ma torche, amenant un peu de vision rassurante dans cette grotte.

Le corridor de granit s’ouvrait dans une caverne plus large, alors que des plots balisaient le chemin menant à Unionpolis. Un panneau établissait un vague schéma, tandis que la carte des grottes de mon guide dévoilait plusieurs boyaux et tunnels qui formaient un dédale naturel s’enfonçant dans les tréfonds du monde. La carte était ornée d’une ligne jaune en pointillé. La légende m’indiqua qu’il s’agissait d’un projet de tunnel sous la montagne pour faciliter le passage entre Charbourg et Unionpolis, afin de gagner du temps en lieu et place de la route passant par le haut col.

Lorsqu’on arrivait au troisième embranchement, un panneau indiquait l’existence d’un projet de percement d’un nouveau passage pour réaliser la jonction vers le réseau déjà existant. Je me penchai pour voir que plusieurs autres feuilles avaient été agrafées et pendaient, à moitié humides et en partie illisible. Fort heureusement, les titres étaient encore lisibles.

« Projet de tronçon trans-coronet à l’étude. Permis de Construction 087 2011-742 déposé le 27/01/88.
Bénéficiaire : Communauté de Sinnoh
Maître d’oeuvre principal : Macro Cosmos Corporation
Statut actuel : actuellement bloqué par décision juridique de la Ligue Pokémon. Voir décision N°87-3-21174 pour plus de détails. »

Une liste impressionnante de conflits juridiques se dressait en dessous, que je n’eus aucunement envie de lire, passant sans vraiment les lire sur les noms de Kemuri et Fils, Devon S.A.R.L et Galaxium Construction.

Quoi qu’il puisse en être, ma priorité était de traverser le dédale et de rejoindre l’autre côté au plus vite. Après quelques mètres à patauger dans des flaques d’eau qui se formaient par le ruissellement de la pluie qui suintait à travers de minuscules anfractuosités dans la pierre, un passage latéral attira mon regard. Loin des balises et du chemin normal, un tunnel s’ouvrait. Ses formes indiquaient qu’il avait été taillé à la pioche et au marteau-piqueur, au vu des débris déblayés en vitesse qui restaient encore sur les côtés. Des traces de roues parallèles indiquaient clairement que des chariots avaient effectué plusieurs passages.

Curieuse, j’avançai pour voir de quoi il en retournait. Le bourdonnement d’une machine en activité me parvint et je décidai d’aller voir de quoi il en retournait. Le tunnel s’enfonçait en pente douce et je pus voir un homme à l’entrée qui semblait surveiller le passage.

Par réflexe, j’éteignis ma lampe et me plaquai contre le mur, profitant de l’obscurité pour observer la scène avec davantage d'attention. Le vigile bougea et je pus distinguer un symbole honni. Sur le coté gauche de sa veste, il y avait un motif cousu, ayant la forme d’un « G » doré et stylisé. L'homme au visage quelconque buvait un café contenu dans une bouteille thermos, son pantalon portait des traces d'humidité après s’être appuyé contre une paroi.

L’homme semblait un peu négligent, comme s’il savait que rien ne pouvait passer devant lui ... ou plutôt comme si personne n'avait intérêt à venir ici.

Toujours accroupie, je rampai devant la guérite, me faufilant dans ce chantier décidément mal gardé. A l'intérieur, plusieurs spots lumineux éclairaient une station de forage bordée de bâtiments érigés à la hâte pour ranger le matériel et abriter le personnel. Je restai en retrait le long de la paroi, loin des projecteurs, avant d’approcher de la cabane en préfabriqué qui se trouvait sur le côté du chantier. Le bâtiment était un peu à l’écart et le ramassis de caisses et de déblais entassé derrière indiquaient qu’il s’agissait d’un lieu ou ils avaient jeté les restes durant leur implantation. Par conséquent, il ne devait plus être très fréquenté. Personne ne semblait se soucier de ce tas de détritus, toute la foule de gens présente s’affairait au fond de la grotte et le bruit de leurs activités cacha celui de mes pas légers.

Une fois cachée derrière ce bâtiment, je regardai autour pour essayer d’en savoir plus. Au dessus de moi, je pus noter que le bureau en préfabriqué disposait d’une petite fenêtre ouverte à l’arrière, afin de faire circuler un peu d’air.

Des voix s’élevaient depuis l’intérieur et je me plaquai en dessous, pour essayer de discerner ce qui se disait. Un homme passa derrière le verre, avec un port si altier que j’échappai à son regard. Cet homme était tellement reconnaissable. C’était le même homme que celui que j’avais croisé avec Robin au Lac Vérité. Ce visage creux et cireux, ce regard acéré … C’était indéniablement cet individu qui répondait au surnom de Hélio.

Je n’osai pas risquer de lever la tête. Accroupie ici, j’étais dans un angle mort, à moins qu’il ne passe la tête à travers la fenêtre. Si je me levai, je serais repérée.

- Je viens au rapport, chef, signala une voix féminine que je reconnus comme celle de la garce ayant tué Châtaigne.

Je dus me retenir, me mordre la main pour ne pas réagir et ne pas compromettre mon infiltration.

- On a des problèmes pour les fouilles, expliqua t-elle en adoptant une voix calme. Le granit est très résistant et nous avons déjà usé trois forets pour atteindre la strate K.

- Jupiter, ces considérations techniques sont de ton ressort, coupa alors son supérieur avec le timbre de voix d’un homme qui avait l’habitude d’être obéi. Nous allons atteindre cette couche. Les relevés stratigraphiques sont formels, ce mont a émergé en premier lors de la formation de Sinnoh. C’est forcément ici que se trouve le quatrième lac. Tu peux disposer et … demande à Uranus de venir.

Un claquement de talons plus tard, la porte s’ouvrit et la femme descendit avec rapidité. Je pus entendre son pas vif s’éloigner en martelant les escaliers de métal, puis le sol de roche grise.

Le chef se retrouva seul, regardant à travers la fenêtre, juste au dessus de moi.

- Je ne peux m’être trompé. L’ancien récit affirme que le temps et l’espace régentaient ce monde, monologua t-il. Deux créateurs, la matière triomphante mais souillée et rendue imparfaite. Il me faut absolument localiser ce lac. Une fois en possession de ces deux pokémon légendaires, je pourrai établir une nouvelle alliance et recréer un monde parfait, pur et sans conflit.

Des pas s’approchèrent et une ombre se dessina sur la paroi devant moi, avant de disparaître, à mon grand soulagement.

Le nouveau toqua, interrompant son chef qui lui demanda d'entrer. Une nouvelle conversation débuta alors dans l’abri.

- Chef, je suis à vos ordres, dit la seconde voix masculine, qui me semblait familière.

- Il faut commencer les préparatifs pour la récupération. Il faudra agir avec subtilité et discrétion pour notre plan et forger la chaîne.

- Notre effort de formation est intensif, dit la voix familière. Cependant, vous n’êtes pas sans savoir que la question de l’énergie est essentielle et que si l’orbe n’est pas trouvé...

- Je suis parfaitement au courant de ces considérations techniques, trancha sèchement le chef.

Il fit un bref rappel des nombreuses difficultés déjà surmontées, avant de citer en exemple les réussites d'un autre commandant affectés à une tâche périlleuse. Apparemment, le commandant Neptune avait eu des ennuis lors de son voyage à l’étranger.

- Qu’en est-il de la gamine ? La dresseuse qui a fait échouer l’opération de nos collègues à Floraville et à fait sauter notre couverture à Vestigion, précisa t-il en me décrivant.

- Oh, je l’ai rencontrée et étudiée ! dit son interlocuteur en riant.

Ce rire résonna en moi. Je me souvins d’où j’ai entendu cet homme ! C’était il y a exactement trois jours, au centre pokémon de Charbourg ! C’était lui, le bel adolescent aux cheveux en bataille qui m’avait consolée.

Il dressa un portrait psychologique de moi, qu’il était terrifiant d’entendre, tant il était exact.

- Peut-elle être retournée ? Je veux entendre ton jugement.

- C’est peu probable. Elle semble être le genre d’imbécile loyale et honnête qui croit en des idéaux de justice et qui craint la loi. Quoique … sa curiosité l’amène à se frotter un peu aux limites de la bienséance. Elle pourrait franchir le pas un jour, si quelque chose la blessait au point de détruire ses certitudes ou la pousser dans ses ultimes retranchements. Cependant, un tel acte ne doit évidemment pas être de notre fait … ou alors elle doit ignorer absolument tout de notre implication.

- Les valeurs … ces conventions sont si absconses. Ce sont des codes imposés par une société, mais qui brident l’action humaine.

- J’ai eu à cœur de m’en délester lorsque vous m’avez montré la vérité, chef, poursuivit le brun.

Heureusement, il n’avait pas d’autre information sur mon entourage et ma famille. Du moins, il ne lui en fit pas part.

- Tous ont leur point de rupture, confirma le dirigeant de l’organisation. Si elle se trouve encore sur notre route, brisez-là.

Le poing qui s‘abattit sur la table ajouta à la menace.

- Ce sera probablement proche dans le futur, supposa le commandant Uranus. Elle semble avoir un talent pour se trouver dans des situations douteuses.

- Demande toutefois à Saturne de lui proposer un recrutement dans l’organisation, si jamais elle passait par Voilaroc. Nous pourrions bénéficier de nouveaux talents dans notre groupe.

J’en avais assez entendu. Cette discussion à mon sujet était terrifiante.

Lorsque le brun s’éloigna, je me dirigeai vers la sortie. Le garde était occupé à lire un petit livre et à boire un café, bâillant en attendant la relève. Passer à son insu ne fut pas plus compliqué qu’à l’aller et dès que je fus cachée derrière une stalagmite, je me mis à courir en suivant les repères peints en direction de la sortie de la grotte.

La grande caverne était bien balisée, me permettant de me repérer vite et de rejoindre l’extérieur.

Finalement, la luminosité finit par s’intensifier et m’éblouir, alors que je me précipitais dehors, voulant mettre le plus de distance entre moi et la Team Galaxie.