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Faire face de Serekai



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Informations

» Auteur : Serekai - Voir le profil
» Créé le 13/12/2020 à 03:10
» Dernière mise à jour le 13/12/2020 à 03:10

» Mots-clés :   Aventure   Présence de personnages du jeu vidéo   Sinnoh

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Chapitre 20 : Fêlure
Le blanc. Un blanc flou ou net, je ne sus pas vraiment comment le définir, envahissait mon champ de vision. Tout semblait happé par ce flou lumineux, à la fois début et fin pour moi, seul horizon indépassable dans mon esprit. Pourtant, à mesure que je cherchais à le pénétrer, ce grand rien fut envahi par un battement régulier. Le son de ma respiration résonnait dans mes tympans, comme un métronome lancinant et désagréable.

Le plafond dansa encore un peu devant moi, comme lorsque j’avais passé une nuit blanche devant le petit écran, à observer des combats. Alors que je voulais me lever, ou du moins lever une main pour me frotter les yeux, mon bras réagit à peine. Je me sentais lourde, comme si un Tutankafer recouvrait mon corps.

Si mon corps était encore amorphe et incapable de réagir, mon esprit commençait à reprendre son rythme normal. Cependant, comme un moteur laissé trop longtemps inutilisé, j’étais encore un peu dans les vapes et mes souvenirs restaient flous. Je cherchai dans le fil de ma mémoire, tentant de remonter la bobine des images. Le combat contre l’administratrice de la team Galaxie me revint lentement en mémoire, depuis ma déclaration arrogante jusqu'au repli de Châtaigne.

Après ces quelques minutes, ma main sembla vouloir bouger. Je la levai vers mon front pour la plaquer sur mon visage. C'était un vieux réflexe un peu idiot, comme si j’allais pouvoir chasser cette migraine avec juste un geste. La perfusion enfoncée dans mon poignet m’apparut alors en gros plan et je grimaçai en frissonnant. J’étais du genre un peu douillette et voir du sang, ou des plaies béantes, me mettait mal à l’aise.

Alors que je regardais la chambre d’hôpital autour de moi, une infirmière à la robe blanche entra. Elle avait le pas léger, avançant doucement, son petit calot restant parfaitement en équilibre sur ses cheveux soigneusement coiffés et tirés en arrière.

- Vous êtes réveillée, constata t-elle d’un ton doux, s’enquérant de mon état. C’est une bonne nouvelle. Cela fait des heures que vous êtes évanouie.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? questionnais-je en sentant mon coeur accélérer. Est-ce que je peux sortir et … ou sont mes pokémon ?

- Vos pokémon sont au centre, rassurez-vous. Un policier du nom de … M.Beladonis, précisa t-elle après avoir regardé un petit carnet, s’est occupé de toutes les formalités nécessaires.

Il était donc encore intervenu. Il devait être intervenu dans le combat et il s’était probablement infiltré dans l’entreprise avant même mon arrivée.

- Je peux partir, alors ? redemandais-je avec une envie de quitter cette pièce tellement blanche et impersonnelle, sans fantaisie et sans âme, qu'elle semblait absorber toute joie.

L’infirmière voulut vérifier l’état de mes blessures et retira les bandages entourant mon front et mon visage.

Les langes de gaze imprégnées de désinfectant tombèrent sur mes genoux. Quelques croûtes de poussière rouge y étaient encore collées, ces traces de sang étaient révélatrices de l'ampleur de la plaie que j’avais reçue lors de l’attaque.

J’ouvris lentement l’œil gauche, papillonnant de la paupière pour chasser le flou des larmes contenues.

Je mis plus d’une minute à m’adapter, assise sur le bord du lit, inspirant fortement cette atmosphère iodée et saturée d'antiseptique.

- La plaie, elle est refermée ? demandais-je en cherchant un objet métallique du regard, espérant capter mon reflet.

La soignante me tendit un petit miroir de poche, dans lequel je pus constater l’étendue des blessures. Outre les taches mauves et rouges qui entouraient mon œil encore injecté de sang, une ligne rose fendait mon sourcil et ma tempe, les points de suture étant encore visibles.

- Vous avez été chanceuse que le coup ne perce pas votre œil. Cela ne s’est pas joué à grand-chose. Un ou deux millimètres de plus et …

Elle se tut, ne voulant pas en dire plus.

- J’aurais pu être borgne en plus d'être défigurée. J'en ai pris plein la gueule, quoi. Combien de temps vais-je devoir attendre pour que l’on retire les points et que je puisse quitter Vergazon ?

Tout ce que je voulais, c'était faire disparaître cette infâmante ligne et quitter cette ville. Je voulais juste m'éloigner de tout ce qui me rappelait cette défaite.

- Comptez encore une petite semaine, pour que tout soit définitivement guéri.

Les pensées s’accumulaient en moi, alors que je restais dans cette salle. Il fallait que je sorte, que je quitte cette pièce, que je fasse quelque chose pour m’occuper l’esprit.

- Je vous remercie des soins. Est-ce que je peux repartir, alors ?

Elle ne sembla pas s’y opposer, mais insista pour que je revienne en cas de douleur ou d’infection … et pour que je fasse retirer les points de suture. Cela signifiait que j’allais devoir rester une petite semaine dans cette ville que je commençais à détester.

Je pris mon sac, avant de me diriger vers la sortie. Je signai le registre d’accueil au plus vite, achetant un sandwich à la volaille dans un distributeur, avant de m’éloigner. Je voulais oublier ce lieu et tout ce qu’il évoquait. Je voulais m’éloigner du lieu me rappelant ma honteuse vulnérabilité. Surtout, je voulais retrouver mes compagnons.

Le centre pokémon était près de l’hôpital, les deux bâtiments partageant un mur mitoyen. C’était pratique et beau d’une certaine façon, illustrant un fait simple et un peu sordide. Humains et pokémon étaient vulnérables à leur façon, tous pouvaient être blessés et même tués.

Dès que j’entrai dans le bâtiment, mes pas me portèrent vers l’accueil. Avec automatisme, les mots quittèrent ma bouche sans que je n'y pense.

- Bonjour, je m’appelle Elizabeth Noyer. Je voudrais récupérer mes pokémon.

La femme au long tablier me demanda mon pokédex, qui afficha mon identité. La photo représentait mon visage dénué de sourire, avec mes deux yeux emplis d’espoir et d’optimisme. Un visage qui contrastait avec celui de la dresseuse vaincue et au regard empli d’amertume.

L’infirmière se dirigea vers une armoire verrouillée, passant sa main devant un dispositif avant d’entrer un code. Elle ouvrit le casier pour me rendre mon ceinturon avec toutes mes pokéballs.

Je sentis une grande joie à l’idée de pouvoir les retrouver. Une chaleur étrange et familière me saisit, alors que je caressais les orbes bicolores.

Je fis sortir Fernando et Amazonas, mais à ma surprise, la pokéball de Châtaigne resta bloquée. Le bouton poussoir ne fonctionnait plus.

- Excusez-moi, mais il y a un problème. La pokéball ne fonctionne pas.

L’infirmière regarda le bouton poussoir et ferma les yeux.

Sans un mot, elle me guida vers une petite chambre et s’assit à mes côtés sur le lit.

Les mots qui quittèrent ses lèvres se perdirent dans mon esprit. Les paroles douces et se voulant apaisantes flottaient dans mes oreilles, sans que je n’en saisisse le sens, tant le message était inconcevable, inacceptable pour moi. C'était impossible, je l'avais rappelé à temps ! Un coup à cet endroit ne pouvait aucunement être létal, c'était forcément un dysfonctionnement.

La femme prononça quelques formules creuses qui semblaient résonner avec le vide en moi, que je n'écoutai même pas.

Mes doigts pressaient la pokéball, qui resterait définitivement scellée, désormais impossible à rouvrir.

Châtaigne ne ressortirait pas.

Je fixai la pokéball, alors que mes larmes coulaient silencieusement sur mes joues, sans même que je m’en rende compte, comme si j’étais détachée de mon enveloppe, réduite à une coquille abritant ma douleur.

Le son d’un claquement me tira à peine de mes pensées, alors que l’infirmière refermait la porte.

Elle avait laissé la clé sur la table de nuit, me laissant seule avec mes autres pokémon. Fernando resta sur le coté, collé à moi, tandis que Amazonas me regardait, les yeux dans les yeux.

Je restai prostrée, la ball entre mes doigts aux jointures blanchies, alors que mes larmes se mêlaient à ma morve et à un mince filet de salive qui coulait sur mon menton. Je devais probablement offrir le plus pathétique des spectacles, mais je m’en foutais totalement. J’étais enveloppée dans un linceul de chagrin et de misère, alors que je laissais des hoquets de chagrin s’évader de ma gorge.

Fernando et Amazonas se blottirent sur mes flancs, agissant comme des réconforts. Ils se collèrent à moi, sans un mot, sans un cri. Ils me laissèrent pleurer de toutes mes forces, bien qu’après des heures, je n’avais plus assez de larmes, ni même plus la force de faire quoi que ce soit.

Je m’assoupis, vautrée dans mon apitoiement et ma peine.

Je ne sais pas combien de temps je restais ainsi, mais lorsque je revins à moi, le soleil était couché.

Les yeux clos, je fus secouée par un coup de tête d’Amazonas.

Hébétée, éclairée par la lueur de la lune, je le vis me donner un coup de bec agressif. Jamais il n’avais osé me blesser et encore moins me frapper. Il me fixa, avec son expression habituelle, quoi que ses paupières étaient légèrement plissées.

- Quoi … fais pas cette gueule là, c’est ma faute, je le sais.

Ma gorge se serra, alors que je prononçais ces mots fatidiques. J’avais le sentiment d’être étranglée, ma bouche sèche comme si j’avais mâché du sel.

- Il est mort, parce que j’ai pas été assez bonne. J’étais pas assez préparée ... Bah devine quoi, j’ai merdé ! Ouais, je sais que t’aurais fait l’affaire. Mais je t’ai pas choisi.

Mes yeux me brûlaient, alors que la culpabilité enveloppait mon larynx, me plongeant dans un mutisme sinistre.

Ce n'était pas juste.

- C’est pas juste ! criais-je en me laissant tomber contre un mur.

- Putain, ta gueule ! beugla une autre voix depuis la chambre voisine.

Je voulais crier ma rage, la hurler, que tout le monde l’entende. Je voulais que tout le monde le sache … que les gens sachent ce que je ressentais.

En pleine nuit, j’ouvris la fenêtre de la petite chambre du centre pokémon, espérant que ce ne soit qu’un mensonge, espérant voir Châtaigne voler gaiement dans le ciel, avec un air confiant, voulant me dire qu’il n’allait pas se faire abattre de sitôt.

Lorsque je regardai dans le ciel dont l'horizon était dessiné par les tours, ce fut juste un paysage de feuilles, de montagnes et de béton qui répondit à ma colère.

Il n’y avait personne.

Il n’y avait ni pluie, ni vent glacial pour faire écho au sentiment glacé qui me mordait depuis l’intérieur. Je sentais cette chose grimper en moi depuis les tripes, m’étrangler lentement, me faire souffrir au point que j’aurais voulu m’arracher le cœur pour continuer à vivre sans cette douleur.

Contrairement aux scènes tragiques grandiloquentes des fictions, rien ne bougeait. Il n’y avait nulle grandes paroles, ni même aucun croassement lugubre. C’était juste le même calme, avec des hululements, quelques vrombissements dans le lointain et rien d’autre.

- C’est pas juste, sanglotais-je en frappant le montant métallique de la fenêtre, m’entaillant légèrement une phalange.

Ca ne l’était pas. Mais il n’y avait personne pour me le dire et personne pour m’écouter.

Le monde s’en foutait.

Le monde continuait à tourner.

C’est juste qu’il tournait sans Châtaigne …

- C’était ma faute …

Je ne pouvais m’empêcher de contempler cette pokéball scellée, ce bouton grisé indiquant l’inéluctable fatalité.

Je la gardai près de moi, m’endormant en la serrant contre moi, comme si j’espérais que ce ne serait qu’un mauvais rêve qui se dissiperait au réveil.