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Les Apôtres d'Erubin de Malak



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» Auteur : Malak - Voir le profil
» Créé le 06/12/2020 à 08:42
» Dernière mise à jour le 06/12/2020 à 08:42

» Mots-clés :   Amitié   Aventure   Drame   Mythologie   Présence de Pokémon inventés

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Chapitre 33 : Le départ de deux Apôtres
Erable fut le dernier à sortir du Mont Creuset, et fut immédiatement entouré par plusieurs Rockets qui gardaient l'entrée, armes au poing.

- Professeur Erable, monsieur, vous êtes blessé ? Demanda un sbire. Venez, nous avons une équipe médicale.

- Je vais bien. Qu'on s'occupe de mes compagnons, en particulier le Pokemon mauve avec de petites ailes. Il est gravement atteint.

- Nous le savons monsieur, ne vous inquiétez pas. Y'a-t-il encore des ennemis à l'intérieur ?

Erable songea à Slender, transformé en racines et réfugié sous terre, et à Fantastux, qui pouvait traverser tous les solides. Il était impossible de les rattraper, eux.

- Un seul, répondit-il. Un homme vêtu de noir. Mais je ne vous conseille pas d'essayer de l'appréhender.

Pour le scientifique qu'il était, les capacités de ce Vrakdale et son insensibilité à la Bénédiction d'Erubin étaient un vrai mystère. Les Rockets ne l'écoutèrent pas et s'engouffrèrent dans la grotte. Erable fut escorté jusqu'à un petit poste de commandement improvisé, où un gradé Rocket suivait l'intervention des médecins et Pokemon soignants sur les Gardiens de l'Innocence blessés. Quand il vit Erable arriver, il le salua respectueusement.

- Professeur Erable, je suis le colonel Mayer de la Team Rocket. Nous sommes ici pour vous assister, sur demande de monsieur Vaslot Worm, le maître espion de l'Agent 003.

- C'est fort aimable à vous, colonel. Le jeune Vaslot n'est pas venu ?

- Si. Il est avec son propre groupe, devant la seconde entrée du Mont. Nous sommes à votre service, monsieur. Que devons-nous faire ?

- Le combat est terminé, colonel. Mais nous apprécierons votre assistance médicale et votre prise en charge.

- Nous pouvons donner à vos hommes les premiers soins ici-même, puis amener les cas les plus sérieux jusqu'à notre base à Acajou, qui dispose d'un hôpital spécialisé.

Erable observa ses fidèles Gardiens, la plupart assis ou couchés tandis que les médecins Rockets s'occupaient d'eux. Dan avait été transpercé à l'épaule par l'un des tentacules de Slender, mais répétait que ce n'était rien. Leslia s'était visiblement cassée une jambe, et sa mère la comtesse avait du mal à reprendre son souffle. Les jumelles Sally et Selly allaient bien, mais leurs deux Pokemon restants étaient dans un état sérieux, de même que l'autre dresseur survivant qui avait aidé Dan et Leslia contre Slender. Et puis il y avait Henrich et Togesplit, bien sûr. Le premier souffrait de brûlures assez sérieuses, car même si Togesplit avait miniaturisé le jet de lave, des petits filets de magma l'avaient semble-t-il atteint aux jambes. Quant à Togesplit, il avait l'air d'aller très mal, du sang sortant de sa bouche, de son nez et de ses yeux. Il avait largement dépassé la limite d'utilisation de son Talent spécial.

- Quand tout sera sécurisé, nous aimerions pouvoir retourner dedans, dit Erable au colonel Rocket. Nous pourrons peut-être récupérer certaines données sur ce que nos ennemis faisaient ici... et un de nos hommes et deux Pokemon sont tombés là-bas. Nous ramènerons leurs corps chez nous.

Mayer garda un silence respectueux un moment, avant de demander :

- Sauf votre respect professeur, qui sont ces types au juste ? Vous aviez avec vous plusieurs dresseurs, et surtout le Top Ranger qui s'est illustré à Fiore. Quel est leur niveau de dangerosité, et que veulent-ils ? M'sieur Worm n'a pas dit grand-chose, mais si des ennemis potentiels de la Team Rocket rodent dans les parages, le général de ma base devrait être averti.

- Je crains de ne pouvoir en dire plus que Vaslot Worm, colonel. Les activités de... mon groupe sont plus ou moins secrètes, et vous en apprendre plus sur nos ennemis serait déjà rompre ce secret. Vous devez juste savoir que ces individus ne sont pas seulement mes ennemis à moi, mais ceux de tout le monde. Team Rocket ou Dignitaires, ils s'en moquent totalement. Leur seul but est de provoquer le plus de désordre possible dans le monde entier, en usant de méthodes des plus odieuses.

Henrich, en dépit de ses brûlures, était en train de repousser tous les médecins ou Pokemon soignants qui tentaient de l'approcher en leur disant de se concentrer sur Togesplit. Mais même les nombreux Vibra-Soin lancés par un Leveinard couplés à l'Aromathérapie d'un Macronium ne semblaient pas aider Togesplit. Ses dommages, nés de l'utilisation prolongée de son Talent, étaient trop profonds. Le médecin Rocket qui l'examinait secoua la tête, se leva et alla dire discrètement à Erable :

- Je n'ai jamais vu ce Pokemon, donc je ne saurais pas trop me prononcer, mais ce qui est sûr, c'est que ses organes sont en train de le lâcher un par un. Je suis désolé professeur, mais nous sommes impuissants, et il ne tiendra pas jusqu'à notre base.

Erable hocha la tête d'un air affligé, et Henrich, qui avait vu l'air défait du médecin, n'avait pas besoin d'entendre ses paroles pour comprendre. Il se dégagea violemment des infirmiers pour s'accroupir auprès de son ami.

- Fais pas le con, bro ! Tu m'entends ?! On s'est bougé le fion jusqu'ici pour toi ! Tu ne peux pas nous lâcher maintenant !

L'évidente agonie de Togesplit ne le priva pas de son ton désagréable quand il répliqua :

- Je ne me... rappelle pas vous avoir sonné. J'avais décidé... de mourir tout seul, et voilà que maintenant... par votre faute... je me donne en spectacle devant tout le monde...

Les yeux vitreux du Pokemon cherchèrent ceux du Premier Apôtre.

- Je lui ai... montré, à cet enfoiré... Hein, professeur ? Que j'étais... moi. Que mes sentiments... m'appartenaient. Qu'il ne pouvait plus... décider pour moi...

- Tout à fait, mon ami, acquiesça gravement Erable. Il n'a jamais pu te retirer ton cœur, ni te remodeler à son image, pervertie et corrompue.

- T'aurais pas dû faire ça, protesta Henrich, en jetant au loin ses lunettes teintées pour s'essuyer rageusement les yeux. Bordel, c'est absolument pas ton genre de te sacrifier pour sauver un humain !

- La ferme, crétin... Je ne sais pas pourquoi... j'ai fait ça. Et de toute façon, ça me regarde. Mais ne va... surtout pas croire... que c'est parce que je tenais à ta stupide gueule de con chevelu... C'était juste pour contredire Vaalzemon. Juste... pour ça...

Ce furent les derniers mots de Togesplit. Il mourut comme il avait vécu, dans le déni et la mauvaise foi. Mais si ces mots disaient quelque chose, son visage serein et son mince sourire dans la mort, lui, affirmait le contraire. Dans les bras d'Henrich qui pleurait et hurlait de rage, Togesplit avait enfin trouvé la paix qu'il n'avait jamais pu obtenir de son vivant.


***


Vaslot, avec six hommes armés et pourvus de Pokemon, gardaient la seconde entrée du Mont Creuset, celle à mi-chemin de Rosalia et d'Acajou. Il venait de recevoir un message du colonel Mayer, postée près de l'entrée à côté d'Acajou, comme quoi Erable et les autres Gardiens étaient sortis, dont certains en sale état. Le jeune Rocket espérait secrètement qu'un Apôtre ou deux y soient restés. Plus vite des places se libéreraient, plus vite Vaslot parviendrait à ce grade au sein des Gardiens. Comme il était l'un des très rares Rockets au service de l'Innocence, et le seul avec un poste si bien placé, il avait de quoi se rendre indispensable aux yeux d'Erable.

Bien sûr, être l'un des dirigeants des Gardiens de l'Innocence n'offrait aucun pouvoir réel, vu que cette organisation n'avait aucune existence officielle, ne recherchait aucun profit et n'imposait quasiment aucune règle à ses membres. Mais quand Vaslot voyait une possibilité de monter plus haut, il ne pouvait s’empêcher de la saisir, même si ça ne lui rapporterait rien de bien concret. Au pire, il pourrait toujours se mettre le brave ex-professeur dans la poche. Erable était un homme reconnu et très influent.

- C'est bon messieurs, on va sur l'autre rive, ordonna Vaslot. Je veux que deux restent quand même pour garder l'entrée, le temps que vos gars d'Acajou sécurisent totalement cette grotte géante.

- M-monsieur Worm ! Fit l'un des sbires, soudain sur ses gardes, en pointant son arme sur quelque chose derrière lui.

Vaslot se retourna lentement. Un homme venait de sortir de la grotte. Vêtu d'un imperméable noir et d'un poncho de la même couleur, l'individu ne semblait pas armé, mais ça n’empêchait pas Vaslot de lancer sa Pokeball contenant son Hypnomade, et de se saisir de son pistolet. Même avec rien dans les mains, cet homme dégageait une aura dangereuse. Peut-être était-ce à cause de sa peau purulente et rougie en divers endroit, ou encore de son regard extrêmement confiant, comme s'il savait qu'il ne risquait rien même face à sept Rockets armés.

- Plus un geste ! Ordonna Vaslot. Les mains sur la tête, et identifiez-vous !

L'homme leur jeta qu'un regard ennuyé, comme s'ils n'étaient rien d'autres que des mouches inopportunes. Vu son visage, il ne devait pas être bien plus âgé que Vaslot. Et d'ailleurs, ce dernier avait l'impression de l'avoir déjà vu quelque part. Il n'arrivait pas à mettre de nom dessus, mais il en était certain : il avait vu son visage sur une photo, et donc très probablement sur les dossiers de la Team Rocket qu'il avait épluché en long en large et en travers. L'homme perçut cette reconnaissance dans le regard de Vaslot, et sourit.

- Vous ne voudriez pas faire comme si vous ne m'avez jamais vu ? Je n'aimerai pas avoir à tuer d'ex-collègues. Un serment sur le R rouge, c'est un truc qui reste à vie...

- Une vie qui ne dure généralement pas très longtemps si on s'amuse à trahir ce serment, ajouta Vaslot. Vous êtes l'un des Agents de la Corruption ?

L'ancien Rocket haussa les sourcils.

- Tiens ? La Team est au courant à propos de nous ?

- Si vous en avez fait partie, vous ne devriez pas sous-estimer son service de renseignement.

Bien sûr, Vaslot bluffait. La Team n'avait aucune idée de qui étaient les Agents. Si Vaslot le savait, c'était uniquement parce qu'il était aussi un Gardien de l'Innocence.

- Si vous étiez si bien renseigné sur moi, je peux vous assurer que vous ne seriez en train de pointer d'arme sur moi, renchérit l'Agent de la Corruption. Vous seriez plutôt en train de nager à toute vitesse jusqu'à l'autre rive.

Vaslot n'avait pas besoin qu'il le lui dise. Il sentait bien que cet homme était dangereux. Il le sentait jusque dans ses tripes, lui qui avait grandi livré à lui-même en prenant tous les risques pour survivre. Mais ça ne semblait pas être le cas de ses sbires, qui n'attendaient qu'un mot de lui pour ouvrir le feu. Et Vaslot était certain que ce serait la dernière chose qu'ils feraient.

Le souci, c'était qu'il ne voulait pas perdre la face devant ses hommes. Surtout que ce n'étaient même pas les siens, en plus, mais ceux de la base d'Acajou, qui pourraient répéter à leurs supérieurs que Vaslot Worm, l'efficace et ambitieux second de l'Agent 003, s'était défilé face à un homme désarmé. Comme s'il voyait l'hésitation du jeune Rocket, l'Agent étira ses lèvres craquelées en un sourire ironique.

- On pense encore à sa réputation à un moment pareil ? C'est généralement signe d'un glorieux avenir au sein de la Team Rocket... ou bien d'une fin prématurée. Mais allez, je suis un gars sympa. Je vais résoudre ce fâcheux dilemme pour vous.

L'homme en noir se contenta de taper du pied contre le sol, sans même bouger de place, et des cris terribles jaillirent de part et d'autres de Vaslot. Le sol venait comme d'exploser juste sous les pieds de ses six sbires, et un torrent de magma les engloutit. Vaslot n'était pas quelqu'un de facilement impressionnable, mais là pour le coup, il fut horrifié par la fin brutale de ses hommes, consumés vivants dans d'affreux hurlements.

L'un d'entre eux, devenu une torche humaine, courrait en s'époumonant, et ses cordes vocales brûlèrent bien avant qu'il eut cessé de courir. Un autre était en train de fondre lentement à partir des jambes, et tendait le bras vers Vaslot en un cri silencieux comme s'il le suppliait de le sauver. En une vingtaine de seconde, il ne restait quasiment rien des six êtres humains. Vaslot se rendit compte que ses jambes étaient en train de jouer des castagnettes avant qu'elles ne puissent plus supporter le poids de son corps et que le jeune homme ne tombe par terre, la respiration haletante.

- Voilà, problème résolu, lui dit le mystérieux Agent. Vous pourrez raconter à vos supérieurs que tous vos gars ont été décimés et que vous avez réussi à survivre après une lutte endiablée, uniquement pour transmettre ce que vous avez vu. Si vous la jouez fine, vous pourriez même espérer une promotion.

Vaslot tremblait toujours, mais ce fut cette fois plus de rage que de peur. Même dans son adolescence malmenée par les petits truands d'Almia, il n'avait jamais été aussi humilié.

- Donnez-moi votre nom, exigea-t-il.

- Je pense en avoir déjà assez fait pour vous, répliqua l'Agent. Rapporter un pouvoir comme le mien est plus important qu'un nom.

- Ce n'est pas pour mes supérieurs, ni pour les Gardiens. Je ne le dirai à personne. Je le veux juste pour moi, pour pouvoir mettre un nom sur mon humiliation et ma haine, et sur mon désir de vous tuer un jour.

D'abord surpris par le culot du jeune Rocket, l'Agent éclata de rire.

- Amusant. Eh bien mon gars, si tu veux me tuer, ne te gène pas, ça me rendra même un sacré service. Bah, de toute façon, mon nom n'est pas vraiment un secret, tu pourrais le retrouver facilement dans les anciens dossiers Rockets. Capitaine Fedan Vrakdale, de l'unité de Recherche et d'Information de la base G-5.

Il lui passa devant en secouant la main.

- Au plaisir, et à la Gloire Suprême du R rouge, ironisa-t-il.


***


Les Apôtres s'étaient assis sur leurs sièges réservés, dans la salle du conseil, chacun coulant un regard peiné vers le siège désormais vide de Togesplit. Dan se souvint que de toute façon, il était toujours vide, le Pokemon ne s'asseyant jamais. Mais cette fois-ci, un second siège resta inutilisé. Henrich demeura debout, même quand les quatre autres se furent assis.

- Je quitte les Apôtres d'Erubin, annonça-t-il d'un coup. Non, en fait... j'arrête carrément d'être un Gardien de l'Innocence.

Tous le regardèrent d'un air stupéfait. Erable se racla la gorge et dit d'un ton doux :

- Henrich, vous êtes bouleversé, et c'est bien légitime. Vous ne devriez pas prendre de décision rapide en ce moment. Il faut vous reposer pour prendre le temps de...

- C'est tout réfléchi, professeur, coupa Henrich. J'ai échoué comme Gardien de l'Innocence. Je n'ai pas été capable d'apporter un semblant de paix à un seul Pokemon que j'avais pris sur moi de sauver. Je l'ai mené à sa perte.

- Personne ne pouvait sauver Togesplit de lui-même, rétorqua Dan. Tu le sais, vieux. Tu as fait ce que tu as pu. Il a pris ses décisions de A à Z. Quand il a décidé de tuer Verelosius. Quand il a décidé de nous quitter pour retrouver le Marquis. Et quand il a décidé de te sauver quitte à sacrifier sa vie. En bien ou en mal, en réfléchi ou instinctivement, personne ne l'a influencé.

- C'est vrai, monsieur Yasmin, approuva la comtesse Divalina. Si nous lui renions son libre-arbitre, nous ne vaudrions pas mieux que Vaalzemon.

Mais Henrich secoua la tête, guère réconforté.

- Il y a des choix qu'un ami peut toujours influencer. Et j'ose prétendre à ce titre, ou bien il ne serait pas mort pour moi. Je ne pense pas que l'Innocence soit en mesure de me toucher, à présent. Je suis plein de haine envers le Marquis et ce Vrakdale. Et j'ai vu ce que la haine et la rancœur peuvent nous pousser à faire. J'ai eu tort depuis le début. En effet, nous n'aurions jamais dû faire rentrer Togesplit parmi nous. Peut-être alors aurait-il eu un destin différent. J'ignore ce que sera le mien désormais, et je serai à jamais un ennemi d'Horrorscor... mais plus parmi vous. Je n'en ai plus l'étoffe, ni la volonté. Je suis désolé.

Erable laissa passer une dizaine de secondes de silence, avant de se lever et se diriger vers le jeune homme aux longs cheveux, pour lui prendre l'épaule de façon paternelle.

- Vous n'avez pas à être désolé. Vous êtes un homme bon, Henrich, et vous le resterez, de ça j'en suis sûr, Quelle que soit la voie que vous choisirez. Nous respecterons votre choix, bien évidemment.

- Merci, professeur. Merci... à vous tous.

- Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ? Demanda Dan avant qu'Henrich ne sorte de la salle.

- J'en sais rien, admit Henrich. Je vivrai toujours selon les préceptes d'Erubin, mais pour le reste... advienne que pourra. Mais j'te promets que je vais pas me recycler dans la culture de drogue, si c'est ton inquiétude, bro.

Dan sourit et alla le prendre dans ses bras. Son premier ami parmi les Gardiens. Un type bizarre, marginal et souvent à l'ouest quand il était défoncé, mais avec un cœur énorme. Henrich s'inclina une dernière fois devant les Apôtres avant de sortir. Quand il fut dehors, il s'adossa à la lourde porte pour respirer pleinement, comme libéré d'un poids. Il se dit qu'il était un lâche et un lâcheur, mais il ne regrettait pas sa décision. Sa volonté affermit, il alla dans la petite chambre d'ami que la comtesse avait mis à sa disposition depuis toutes ces années pour la vider. Il n'avait pas grand-chose de toute façon. Ce ne fut qu'avec un seul carton qu'il se rendit sur le seuil du manoir.

Quitter cette demeure lui faisait un pincement au cœur malgré tout. Avant que le professeur Erable ne le recrute parmi les Gardiens il y a six ans et que la comtesse accepte de le loger ici, Henrich était un SDF. Non pas par manque de moyen – bien qu'il n'ait jamais roulé sur l'or – mais par choix. Henrich avait toujours été un vagabond, préférant de loin la vie sauvage auprès des Pokemon que la civilisation avec ses pairs. Vivre ici, même s'il n'y restait jamais bien longtemps, l'avait comme qui dirait requinqué. En fait, c'était moins le lit douillet que le contact avec tous ses amis Gardiens qui allait lui manquer. Surtout le contact avec une personne en particulier.

- HENRICH !

Le jeune homme ferma les yeux. Il avait espéré partir sans passer par les adieux difficiles avec cette personne en question, mais c'était visiblement raté. Il se retourna pour voir Musmelian, la fille aînée de la comtesse, descendre le hall d'entrée à grande enjambée.

- Mère m'a dit que vous nous quittiez ?

- C'est exact, mademoiselle.

- Et vous pensiez partir en me laissant là ? Ne vous ai-je pas hier émit le souhait de quitter ce manoir avec vous ?

- Made... Musmelian, je vous apprécie... beaucoup, croyez-le, mais ce serait irresponsable de ma part de vous amener, et j'ai déjà largement dépassé mon seuil d'irresponsabilité ces dernières heures.

La jeune femme aux cheveux blancs posa tendrement sa main sur sa joue. Même s'il ne devrait pas, Henrich frémit de bonheur à ce touché chaud et réconfortant.

- Je sais que l'Apôtre Togesplit qui nous a quitté était votre ami, et je vous présente mes sincères condoléances.

- Il est mort à cause de moi. Et même si je ne suis plus Gardien, je suis toujours dans le collimateur des Agents. Rester avec moi serait dangereux pour vous. Je ne veux pas d'une autre mort sur la conscience.

Musmelian ricana.

- Parce que vous pensez que, même si je ne suis pas Gardienne, je suis en dehors de tout cela aux yeux des Agents ? Moi, une Divalina, membre d'une famille qui combat Horrorscor depuis plus d'un demi-siècle ?

- Vous êtes en sécurité dans ce manoir. Il dispose de protections que même le Marquis ne pourrait pas...

- Je ne vais pas rester cloîtrée éternellement ici par crainte de ces malades ! S'énerva Musmelian. Je ne vivrai pas aux frais de ma sœur ni ne serait un fardeau pour elle, je vous l'ai déjà dit. Je vous aime, Henrich. Êtes-vous à ce point particulièrement lent pour ne pas vous en être rendu compte ?

- Je... je vous aime aussi, mais... madame votre mère ? La tradition aristocratique ? Je ne peux pas...

Musmelian l'arrêta en plaçant ses lèvres sur les siennes, et Henrich oublia momentanément toutes ses protestations. Il s'était défoncé à pas mal de choses dans sa vie, mais ça, c'était au-delà de toutes les herbes ou toutes les poudres qui existaient.

- Au diable ma mère. Au diable les Divalina, et leurs traditions. Au diable les Gardiens, et au diable les Agents. Je vous aime. Je veux vivre avec vous. Est-ce aussi votre cas, Henrich ? Il vous suffit de dire « non », et je resterai ici.

Henrich secoua la tête, vaincu.

- Vous savez que je ne pourrai jamais le prononcer. Ce serait le mot le plus faux de tous les temps...

Ce furent donc à deux que Henrich et Musmelian franchirent les énormes grilles du manoir Divalina. Musmelian n'avait rien amené, malgré ses nombreuses collections d'objets particulièrement beaux et chers. Elle n'avait laissé qu'une lettre destinée à sa mère et à sa sœur Leslia, pour expliquer son choix. Henrich ne savait toujours pas ce qu'il allait faire, ni où, mais avec Musmelian à ses côtés, qu'importe ce que la vie allait lui placer devant lui, il savait qu'il pourrait surmonter n'importe quoi.