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Portrait de ville de Corpus09



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Informations

» Auteur : Corpus09 - Voir le profil
» Créé le 09/09/2020 à 15:14
» Dernière mise à jour le 09/09/2020 à 15:14

» Mots-clés :   Fanfic collective   Kalos

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Harvey
Le jeune homme attrape le sac de Randonneur qui reposait contre ses pieds avec un soupir d’aise. Un taxi orangé se faufile enfin vers le trottoir de la rue Méridionale, après des heures d’attente. Il va pouvoir rentrer à l’hôtel et terminer cette journée pourrie !

Quelques instants plus tard, il est assis sur la banquette arrière, sur laquelle il pose négligemment son sac. Le chauffeur hausse un sourcil amusé : c’est toujours mieux que la cigarette.

« Bonjour ! lance le passager d’un ton qui se voudrait bien un peu plus enjoué. J’ai cru voir ce slogan, sur votre taxi, ‘‘Racontez, c’est payé’’, mais je préfère vérifier : c’est bien le taxi où on raconte ce qu’on fait à Illumis, pourquoi on prend le taxi et ce qu’on pense de la ville ? »

Le chauffeur hoche la tête en souriant.

« Parfait ! La Place Verte, s’il vous plaît. Alors, je m’appelle Harvey Rent, et je n’ai pas la moindre envie de prendre ce taxi.

» Ça doit vous surprendre, j’imagine ? Pas étonnant, vu que je connais un peu le projet. C’est ma sœur qui m’a tanné pour prendre ce taxi, comme quoi c’est un super projet social, que ça me ferait du bien de dire n’importe quoi à un inconnu, et blah blah blah… Bref, j’ai fini par me retrouver dans la rue, et c’est pour ça que je prends le taxi. »

Le chauffeur s’efforce de ne pas sourire trop ostensiblement ; voilà une course qui commence bien ! Malgré l’autre abruti qui essaie de doubler par la droite, mais ça ce n’est pas en rapport avec le passager. Et puis ce dernier lâche une bombe.

« D’ailleurs à propos de ma sœur Selena, elle est passée là-dedans hier et vous a eu comme chauffeur. Je suis sûr que vous vous en rappelez… »

Le cœur du chauffeur rate un battement— il faut dire que ce sourire en demi-lune de Harvey n’est pas encourageant. Il y a une belle dose de cynique dans ce plissement figé de ses lèvres, et un air de prédateur dans ses yeux… Mais quand il reprend la parole, c’est d’un ton tout-à-fait rassurant.

« Haha, désolé de vous avoir fait peur. Elle adore raconter des balourdises sans nom, et j’avoue pour ma part prendre un plaisir coupable à passer derrière elle pour recoller les morceaux. Tout de même ; si vous aviez vu votre tête… »

Le sourire macabre plane une dernière fois sur ce visage trop innocent pour lui pendant cette dernière phrase, puis disparaît comme un fantôme. La menace qu’il convoie reste pourtant palpable malgré l’affabilité parfaite du jeune homme.

« Donc, pourquoi je prends le taxi, c’est bon. Pourquoi je suis à Illumis, ça va être un peu plus compliqué…

» Tout est parti d’un arrière-cousin germain fasciné par l’art, commence-t-il d’un ton de conteur appréciant son auditoire. Il a fait des études à Volucité, en alternant souvent entre l’histoire et le fast-food dans lequel il travaillait pour financer ça ; puis, il y a deux ans, il a décidé de s’établir à Illumis. Parce que, selon lui, Kalos était la première Région à avoir développé une sorte de beauté dans les armements de destruction massive, avec la forme de fleur de l’Arme Suprême ; guère convainquant comme argument, et j’imagine que ce n’est pas mieux dans la Région concernée.

» Il a donc encore décroché un job en fast-food, et il a commencé à faire des recherches dans les archives des musées de la Région, en partenariat avec je-ne-sais-plus-quelle université. Peut-être celle à laquelle est rattaché votre taxi, qui sait ?

» En tout cas, il n’a pas tardé à obtenir quelques éléments concernant le mécanisme de l’Arme. Hum… Il y a deux ans… Ça ne vous dit rien ? »

Ce récit commence de façon rocambolesque, mais le chauffeur voit où son passager veut en venir. Si c’est bien ça, cette course risque de ne pas être moins surprenante que celle de la veille.

« Je vois que vous avez deviné ! »

Et le frère et la sœur ont le même don agaçant pour ça, se renfrogne le chauffeur.

« C’est véridique, reprend-il. Ce génie du désastre qui nous sert de cousin avait réussi à se faire embaucher dans la chaîne à bas coût de monsieur Lysandre. En apprenant la nature de ses recherches historiques, ce dernier l’a fait virer sans plus de sommation. Ce qui était illégal, aussi le cousin a-t-il porté plainte.

» Bien entendu, le jugement aux Prud’Hommes a été légèrement retardé par toute cette regrettable affaire de destruction du monde. Pas riche pour un sou, le cousin a donc été exproprié et est rentré à Volucité. Il s’est avéré rapidement qu’il avait perdu son Vokit sur place. »

Le taxi a ralenti pendant cette partie du récit, et il est maintenant immobilisé dans un embouteillage. Tant mieux, pense le chauffeur ; il faut vraiment s’accrocher pour suivre cette histoire de fous. Il ne voit pas le lien avec le musée, si tant est que ce point des déclarations de Selena peut être tenu pour vrai, et craint que ce lien n’arrive pas avant quelques heures de plus. En tout cas, ce témoignage va certainement ravir les responsables du projet.

« Il a attendu quelques mois, pour être certain qu’on avait trouvé l’engin, puis l’a appelé depuis son nouveau Vokit, et a tapé la discute avec la personne qui l’avait trouvée. Ou plutôt, je devrais dire qu’il l’a honteusement draguée et qu’ils sont en train de convoler.

» C’est là que moi et ma sœur entrons en scène, car il nous a invités. Notez bien qu’on n’avait rien fait pour, on fait quand même partie d’une branche éloignée de la famille ; il s’est seulement rappelé que ma sœur est bourrée de préjugés sur la ville de l’amouuuuur. »

Le chauffeur ne peut s’empêcher de frissonner en entendant cette imitation glaçante de vérité. S’il avait le moindre doute quant au fait que ces deux-là se connaissaient, il est levé !

« Je suis d’accord avec vous, cet accent est horripilant. Mais ça peut être pratique de savoir le faire.

» Nous arrivons donc ici il y a trois jours. Le premier, Selena a trouvé le moyen de défier le patron de l’hôtel où on logeait : elle a gagné, mais on a dû trouver une chambre ailleurs et le match ne lui avait pas valu assez de sous pour ça. Le second, le cousin a proposé à plus ou moins tous ses invités de leur faire visiter le musée. Il nous a fourni un plan de la ville qui datait de trois ans et on s’est tous perdus. D’ailleurs c’est pour ça que vous avez eu Selena dans votre taxi.

» Et le troisième jour est donc aujourd’hui. Selena s’est tenue à carreau parce que ‘‘l’amouuuuur’’, mais le cousin a annulé son mariage au dernier moment au motif qu’il s’était gouré de personne ; on n’a jamais su comment. Après quoi Selena a soudainement insisté pour me mettre dans ce taxi.

» Et voilà, vous avez toute l’histoire. Vous comprendrez que pouvoir me poser un peu, sur la banquette arrière d’un taxi gratuit était une idée alléchante, et surtout à peu près rassurante. »

Le chauffeur comprend, oui. Il imagine que dans tout ce bazar, son passager avait probablement essayé de maintenir un minimum d’ordre, et probablement échoué.

« Ah, je crois que vous me donnez un mauvais rôle, mon ami. Non, moi j’étais là pour déconseiller son mariage au cousin. Point de vue cynique, tout ça tout ça. »

À ce point, et puisque les embouteillages ont l’air de bien vouloir se dégager, le chauffeur se dit que c’est inutile de continuer à essayer de comprendre, et de juste faire semblant d’écouter en se concentrant sur sa route. Bien sûr, il y a de fortes chances pour que Harvey le remarque, mais ça vaut mieux que de continuer à lui offrir des portes ouvertes. Heureusement, ce dernier ne relève pas.

« Bref… Je pense que comme explication de ma présence dans un taxi, ça devrait suffire. Vous aurez remarqué qu’on est tous plus ou moins délurés dans la famille ; moi y compris, même si c’est moins visible. Disons que je suis le plus réaliste du lot.

» Donc, pour finir, je dois dire ce que je pense d’Illumis. Je me trompe si je dis que vous avez eu beaucoup plus d’avis positifs que négatifs jusqu’à présent ? Non ? »

À nouveau ce demi-sourire, vite reparti une fois de plus. Et toujours cette perspicacité dérangeante. Le chauffeur fronce les sourcils, un peu inquiet. Il n’aime pas beaucoup cette course, si déroutante soit l’histoire qu’a racontée Harvey.

« C’est bien ce que je pensais, oui. Pour ma part, je vois la vie en noir.

» Ces buildings élancés et lumineux, les rues remplies de pistes de roller, tous ces arbres, ce canal bleu cyan… Je ne dirais pas que c’est moche ; ça ne l’est pas. Mais comme la plupart des beautés, celle-ci cache bien son jeu. Comme souvent, la vie est un peu moins rose dans les faubourgs défavorisés.

» Mais ce n’est pas ce qui me saute aux yeux. Ce qui m’a tout de suite séduit, avec cette ville, c’est son histoire récente, et ce qu’elle laisse penser de ses antécédents.

» C’est à peine croyable : un repaire de terroristes destructeurs de planète fringués en costard-cravate flashy, planqué sous un des prestigieux cafés du centre-ville. Et encore plus récemment, un scientifique de ladite organisation, entré en cavale malgré son démantèlement, qui offre à une jeune fille le moyen de commettre toute une série de vols ; jeune fille qui a ensuite fondé sa propre agence de détective, avec l’appui d’un membre des plus éminents des FPI, alors qu’elle n’avait même pas une quinzaine d’années.

» Intriguant, tout cela, intriguant… Pouvez-vous imaginer tout le réseau criminel que cela laisse supposer ? Il y a des complots qui s’ourdissent en sourdine dans cette ville ; dans les bureaux feutrés de quelque haut responsable d’une compagnie importante, dans les tours de bureaux aux vitres sans reflets, dans les salons privés des cafés les plus select… Voilà ce qui m’intéresse, dans cette ville. Cette atmosphère de non-dit. »

Malgré sa résolution de ne pas prêter attention à son passager, le chauffeur ne peut s’empêcher de se sentir glacé par ces paroles. Voilà qui contraste nettement avec la candeur innocente de sa sœur ; ce Harvey prêche la corruption et la décadence, et il sait se montrer, sinon convainquant, au moins frappant.

« Quand on me dit ‘‘Illumis’’, je pense ‘‘cette charmante hypocrisie circulaire’’. Il y a une ambiance particulière, dans ces rues ; tout incite les gens à se détendre et à folâtrer, mais même les badauds les plus débonnaires réagissent sur-le-champ à la moindre étincelle de tension.

» Vous avez certainement entendu parler de ce Topdresseur unovain qui avait voulu capturer le célèbre Azumarill crawleur de la ville, il y a quelque temps ? Le gros Bobby, c’est ça, c’était son nom— à l’Azumarill, pas au Dresseur.

» Il avait réussi à le vaincre en combat de Pokémon — ce qui ne me surprend guère —, mais dès que ce fut évident, la foule qui s’était rassemblée pour assister à l’humiliation de ce Dresseur arrogant par un Pokémon obèse s’est interposée et a tout fait pour empêcher sa capture. J’entends par là qu’elle l’a tabassé ; contrevenant de fait à la Charte du Dressage kalosienne. Pourtant, les autorités n’ont pas levé le petit doigt par la suite. Le Topdresseur était un étranger qui avait mis en danger le patrimoine culturel de la ville : bien sûr que les pontes n’allaient pas froisser la population en le protégeant. Pas avec la réputation des émeutes illumisiennes.

» On a donc une Région pour laquelle un incident diplomatique ne pèse rien en face de l’image de sa capitale. Voilà qui ne fait plus aussi romantique, tout d’un coup… »

Enfin, le taxi débouche sur la Place Verte. Le chauffeur se dépêche avec joie de se garer sur l’une des places de stationnement rapide ; cette course n’est décidément pas plus agréable que celle de la veille.

« Ah, nous sommes donc arrivés, relève Harvey avant de prendre à nouveau ce sourire dérangeant. Eh bien, je vous remercie pour votre conduite sûre. Je ne dirai pas que c’était un agréable moment ; de ce point de vue-à, ma sœur risque d’être déçue. Mais ça devient rare, de nos jours, d’entrer dans une voiture sans craindre pour sa vie. Donc, merci à vous. »

Sur ces mots, il tire son sac hors de l’habitacle, et se fond rapidement dans la dense circulation piétonne de la place. Le chauffeur, lui ne tarde pas à accueillir un nouveau passager. Mais pendant qu’il met le cap sur le Grand Hôtel Le Crésus, une pensée tourne en rond dans sa tête.

Faut-il croire le récit abracadabrantesque de Harvey, ou bien Selena disait-elle la vérité en prétendant appartenir à une pègre ? Il risque de ne jamais trouver la réponse. Il serait bien en peine de dire lequel des deux va le moins hanter ses nuits.


By Ramius