Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Rubis & Saphir - The Origins de Feather17



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Feather17 - Voir le profil
» Créé le 23/08/2020 à 02:28
» Dernière mise à jour le 23/08/2020 à 02:28

» Mots-clés :   Action   Aventure   Drame   Hoenn   Présence de personnages du jeu vidéo

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Film 1 - 3/7 : La couronne de Rosière
Le halo de lumière se restreignit en se concentrant au centre de son nombril, aussi rapidement qu’il était apparu, avant de disparaître intégralement. Le temps qu’il comprît que le sol s’était évaporé sous ses pieds, il sentit un choc dans son dos qui le crispa de douleur. L’arrière de son crâne frappa la même surface dure et il se sentit finalement immobile. Une désagréable sensation d’immatérialité s’empara de son corps, similaire à celle qu’il avait expérimenté des dizaines de fois en se réveillant la nuit et en constatant que, privé de sang, son bras s’était endormi. Soudain, il roula sur le côté et vomit le peu de nourriture qu’il avait ingurgité plus tôt dans la journée. Essoufflé et désorienté, il se laissa un instant pour reprendre ses esprits.
Il régnait un calme paisible autour de lui. Sans ouvrir les yeux, plus par douleur que par crainte, il palpa de ses mains son environnement proche. La sensation réconfortante de reconnaître les centaines de petites tiges d’herbe fraîche sous ses paumes fut de courte durée.
Charles Seko ouvrit les yeux en se redressant d’un coup. Assis dans les hautes herbes, il observa les alentours avec appréhension : il se trouvait au centre d’une gigantesque prairie peuplée d’arbres fruitiers espacés de manière uniforme. Une brise légère ébouriffa sa mèche de cheveux brun grisonnant, et il frissonna de terreur.
— Roxanne ? Dan ? appela-t-il.
Où était passé le centre pokémon et toutes les infrastructures imposantes de Clémenti-ville ? Ou plutôt, quel était ce verger qui s’était métamorphosé autour de lui ? À bien y penser, il n’avait aucune idée de comment se poser toutes les questions qui lui venaient en tête : avait-il été téléporté par une force mystérieuse ou le décor autour de lui avait-il été métamorphosé ? D’ailleurs, qu’est-ce qu’il s’était donc produit au moment où Celebi l’avait touché ?...
Celebi !
Charles bondit d’un coup sur ses jambes et vacilla un instant, la tête lourde et une forte douleur écrasant l’intérieur de son crâne. Il s’efforça à se concentrer davantage et découvrit que le verger s’étendait à perte de vue dans toutes les directions. Son premier réflexe fut de s’assurer que ses affaires personnelles n’avaient pas disparu. Il fut soulagé de constater qu’il était toujours vêtu de son tablier de scientifique posé par-dessus sa chemise quadrillée et son pantalon brun. Un coup d’œil dans les hautes herbes et il discerna son sac à bandoulières. Il farfouilla à l’intérieur et retrouva son Pokénav intact. Il allait pouvoir appeler à l’aide !
Charles entra le numéro de la police et appuya sur le bouton d’appel. Mais une longue tonalité lui fit comprendre qu’il ne captait aucun réseau. Ni l’application d’appel téléphonique, ni celle du contact vidéo, ni même la messagerie instantanée ne fonctionnait. Il vérifia que son appareil captait toujours les ondes radios mais tout ce qu’il intercepta fut un grésillement incessant. Appeler les secours était donc une vaine tentative.
Il rangea son Pokénav dans son sac et fut soulagé d’y retrouver les trois pokéballs contenant les pokémons fraichement capturés pour les futurs dresseurs qui commenceraient leur voyage après les vacances d’hiver. Si un danger mettait sa vie en péril, il pourrait se protéger grâce à Arcko, Poussifeu et Gobou.
Un détail attira l’attention de Charles. La température était plutôt agréable, voire chaleureuse. Le soleil brillait de mille feux dans le ciel azur, et apparaissait à peine à l’horizon, alors que quelques secondes plus tôt, tandis qu’il se trouvait au centre pokémon, un froid hivernal régnait sur le début de soirée à Hoenn.
Tout était clair. En entrant en contact avec Celebi, le Pokémon Fabuleux provenant du futur l’avait transporté à une autre époque. Si ces théories lui étaient apparues fumeuses ce matin, il n’y avait plus aucun doute quant aux pouvoirs exceptionnels du pokémon légendaire. Il imagina, amusé, la tête déconfite que devait tirer la championne de Mérouville et son assistant dans le centre pokémon où il avait disparu, avant d’être pris d’un sursaut d’horreur en comprenant tout ce que son voyage dans le temps impliquait.
Où était-il ? Ou plutôt, quand était-il ? Dans le futur ? Impossible, étant donné que le futur n’existait pas encore. Du moins, si Celebi venait réellement du futur, c’est bien que le futur existât déjà. Ce qui impliquait qu’il n’avait probablement aucun contrôle sur le cours du temps et des évènements, et donc sur la tornade en préparation à Vermilava ? Les êtres humains étaient-ils condamnés à vivre une histoire sur laquelle ils n’avaient aucune prise ? Ou alors, Celebi provenait d’un futur possible et l’avait transporté à cet endroit afin de lui montrer ce qu’il adviendrait de Hoenn après la catastrophe enclenchée à Vermilava ? À moins qu’il l’eût apporté dans le passé ? Dans ce cas, pour quelle raison ? Pour empêcher la création de la tornade ? Ou pour empêcher ceux qui lui avaient dérobé son œuf d’accomplir leur acte ? Ou bien tout cela n’avait peut-être aucun sens et son voyage temporel avait été dicté par le hasard et le chaos ? Et puis surtout, comment allait-il retourner chez lui, ou plutôt à son époque ?
Un douloureux mal de tête brûla son front et ses tempes, et Charles préféra arrêter le long voyage de sa pensée à travers toutes ces hypothèses. La seule manière pour lui de comprendre quand il se trouvait dans l’Histoire et la raison pour laquelle il y avait été amené, c’était en retrouvant Celebi. Si le Pokémon Fabuleux avait voyagé avec lui…
Préférant se donner un objectif plutôt que de rester pétrifié par la compréhension du fait qu’il n’avait aucun pouvoir quant à son retour à son époque, il se mit à ratisser chaque centimètre carré du mystérieux verger à la recherche du Pokémon Fabuleux. Il trouva bien vite une petite boule orange au sol : un des milliers de fruits comestibles du jardin. Affamé, il arracha la peau rugueuse de l’agrume et croqua dans la pulpe juteuse. Une clémentine. Charles faillit s’étouffer tellement le fruit contenait du jus. Jamais il n’avait mangé une clémentine aussi savoureuse. Plus étonnant encore, une seule de ces clémentines semblait suffisante pour atténuer sa faim.
— Je ferais mieux de faire quelques provisions car qui sait combien de temps je vais mettre avant de trouver de la civilisation, se dit-il, avant de se rendre compte avec étonnement qu’il se mettait à parler tout seul.
Son sac à bandoulières rempli de fruits et posé sur son épaule, il se remit en quête de Celebi, mais rien n’y fit. Des heures durant, il ratissa le verger d’arbres en arbres, scrutant herbe après herbe à la recherche d’une petite boule verte. En vain. Celebi était introuvable.
Charles se laissa retomber à l’ombre d’un clémentinier tandis que le soleil au zénith lui brûlait la peau. Si Celebi n’avait pas voyagé avec lui, où qu’il fût sur la flèche du temps, tout espoir de retrouver un jour sa famille était réduit à néant. Si l’on acceptait l’hypothèse selon laquelle il avait voyagé dans le temps, évidemment.
Perdu au milieu d’un verger inconnu, à une époque peut-être inconnue, Charles se sentit bien seul.
— Il faut absolument que je me donne un objectif ! se motiva-t-il, encore une fois désemparé par le fait que la solitude le forçait à se parler à lui-même.
Le dernier endroit connu où il s’était trouvé était Clémenti-ville. De toute évidence, Clémenti-ville n’existait pas à cette époque (s’il n’avait pas tout simplement été téléporté ailleurs dans le monde). Cependant, une culture de fruits comestibles de la sorte trahissait une présence humaine dans les environs. Il lui suffisait alors de s’aventurer au-delà de la limite du verger en espérant tomber sur une ville habitée (si les villes existaient bel et bien à cette époque). Bourg-en-vol étant la ville la plus proche, et surtout visible depuis la côte s’il partait vers le sud, il décida de se mettre en route vers son lieu de résidence. Avec un peu de chance, il croiserait sur le chemin quelqu’un qui pourrait le situer dans l’espace ou le temps.
Il tira son Pokénav de sa sacoche avant de se souvenir que l’appareil n’avait plus de signal GPS.
— Aux grands maux les grands remèdes, il est temps de sortir les bons vieux outils !
Il farfouilla à nouveau dans son sac, redécouvrant une pochette oubliée sur le côté, et en sortit une vieille boussole bosselée ainsi qu’une carte de Hoenn. Pour se rendre au Bourg-en-vol, il fallait se diriger vers le sud-est, rejoindre Rosyères, et continuer plein sud jusqu’à la campagne où il retrouverait son laboratoire. Un tel voyage ne prendrait pas plus d’une journée s’il mettait de l’entrain dans son pas. Vérifiant l’heure par rapport à la position du soleil, il lui en restait à peine six avant que le soleil ne se couchât (ou neuf s’il n’était finalement plus en hiver). Préférant l’hypothèse la plus dramatique, il calcula qu’en six heures de marche, il avait toutes ses chances pour arriver à Rosyères où il chercherait un endroit où loger.
— En espérant que Rosyères existe… marmonna-t-il, toujours aussi étonné d’avoir accepté si vite l’hypothèse selon laquelle il avait voyagé dans le temps.
Prenant une grosse bouffée d’air chaud, il se releva avec entrain et partit d’un pas déterminé vers le sud-est.

Pokémon #201o
Jamais Charles n’avait entrepris un voyage aussi long et solitaire. Habitué des recherches scientifiques en milieux naturels, il avait toujours été accompagné d’assistants, de collègues ou de sa fille Flora, et ne s’était jamais séparé de sa jeep, fidèle automobile qui l’avait transporté aux quatre coins de Hoenn. Aujourd’hui, seul et à pied, il sentait dans ses jambes le temps qui était passé sur son corps depuis son voyage initiatique dans ses jeunes années. À l’époque, il avait démarré du Bourg-en-vol et s’était dirigé vers Clémenti-ville pour décrocher son premier badge. Aujourd’hui, c’était le voyage inverse qu’il réalisait vingt-quatre ans plus tard (du moins, sur sa flèche du temps personnelle).
Hoenn avait bien changé depuis qu’il l’avait traversée pour la première fois. Tout au long de son interminable marche sous une chaleur étouffante, Charles reconnut quelques endroits qui le rassura quant à sa localisation géographique. Il avait reconnu la vallée au sud qui longeait le chemin entre Clémenti-Ville à Rosyères, à la différence près qu’à son époque, le ruisseau qui y coulait était asséché. Aujourd’hui, ou plutôt l’année à laquelle il était apparu, la vallée était remplie d’un très large fleuve qui devait se déverser dans l’océan plus au sud.
Depuis le sommet d’une colline qu’il ne connaissait pas, il avait pu se rendre compte de l’espace infini des paysages qui l’entouraient : bois, forêts, clairières et prairies s’étendaient jusqu’à la chaîne de montagne du Mont Chimnée, minuscule point rouge à l’horizon. Il avait même reconnu le Bois Clémenti à l’ouest, mais dont les proportions dépassaient l’entendement.
Du côté des êtres vivants, Charles n’avait à son grand désarroi rencontré aucun être humain, ni même trouvé de traces de vie humaine. En revanche, il avait eu la chance d’avoir croisé des pokémons, à une fréquence beaucoup moins élevée qu’à son époque tout de même. Le bonheur qu’il avait ressenti en retrouvant les traces de Chenipotte, en découvrant une tanière de Rattata, et même en voyant de ses propres yeux un minuscule Chétiflor ! La bonne nouvelle était donc que les pokémons existaient.
Il était à présent certain de deux choses : la première, c’est qu’il se dirigeait bel et bien en direction de Rosyères. La seconde, c’est qu’il se trouvait quelque part sur la flèche du temps après au moins un million d’années avant son ère, date à laquelle les premiers pokémons étaient apparus à Hoenn.
— Au moins, je risque de croiser des êtres humains, se rassura-t-il à moitié. Quant à savoir s’ils seront Homo Sapiens…

Charles avait poursuivi sa marche rapide toute la journée, perdant du rythme à mesure que le soleil d’été (il en était à présent certain) déclinait vers l’horizon. Il en avait profité pour dégainer son calepin et prendre notes sur la nature qui l’entourait et les pokémons qu’il croisait. Voyager dans le temps était tout de même une bonne opportunité pour tout scientifique qui se respectait d’en connaître davantage sur le passé (ou sur le futur). Jusqu’à présent, ses notes le confortaient à l’idée que le monde ne devait pas être très différent de son époque, car la liste des pokémons qu’il avait observés était à peu près similaire à celle se trouvant dans son Pokédex.
Alors qu’il ajoutait un Tarsal à sa liste, il s’interrompit net dans son travail. Une secousse au sol, à peine perceptible, avait attiré son attention. S’agissait-il d’un pokémon sauvage colossal ? d’un Onyx peut-être ? Non, les secousses étaient de plus en plus perceptibles, comme si la chose approchait à toute vitesse. Charles tendit l’oreille. Oui, il les reconnaissait ! Des coups de sabots dans le sol !
Son cœur se mit à battre à tout rompre. Il y avait bel et bien des êtres humains ! Tout à coup, son excitation fut remplacée par une méfiance : seul sur un chemin à une époque inconnue, il pourrait représenter une menace pour quiconque était en train de s’approcher. Il prit alors la décision de se cacher derrière un buisson par précaution.
Très vite, trois Ponyta apparurent sur le chemin et galopèrent à toute vitesse vers l’est. Charles se mordit la langue pour étouffer une exclamation de surprise. Chaque Ponyta était monté d’un homme adulte. Celui du milieu semblait tenir une petite boule verte dans la main qui ne contrôlait pas sa monture. Les pokémons étaient si rapides qu’il n’eut pas le temps de les examiner davantage derrière son buisson, et ils avaient déjà disparu de l’autre côté du chemin en direction de Rosyères, leurs galops disparaissant dans le silence.
Des humains ! En chair et en os ! Chevauchant des Ponyta ! Il était sauvé. Du moins, s’ils n’étaient pas hostiles à une rencontre avec un inconnu. Cependant, une nouvelle boule d’appréhension était apparue au creux de son estomac : se pouvait-il qu’ils aient retrouvé Celebi ? Il n’en était pas certain, mais il était possible que le pokémon détenu par le cavalier du milieu soit bel et bien le Pokémon Fabuleux.
De toute évidence, il était obligé de suivre leur trace afin de les retrouver et d’entrer en contact avec eux ; il en valait de sa survie. Sans plus attendre, Charles sortit des fourrés sous un soleil couchant et courut sur les pas de ces mystérieux cavaliers.

Pokémon #201s
La poursuite ne fut pas bien longue. Le ciel s’était empourpré lorsque Charles entendit les premières conversations au loin. Préférant rester discret dans un premier temps, il roula en boule son tablier de scientifique dans sa sacoche afin de ne pas attirer l’attention et s’assura qu’il restait bien caché derrière les éléments naturels. Bien vite, il découvrit derrière d’épais arbres un campement rudimentaire. Deux hommes s’affairaient à empiler des branches de bois sec au centre d’un cercle fait de gros caillou. L’un des deux s’adressa à son Ponyta dans une langue inconnue et un jet de flamme sorti de la bouche du cheval embrasa les bouts de bois.
Charles se laissa tomber à genou derrière son arbre, dépité. Il n’avait pas reconnu la langue dans laquelle l’inconnu s’était exprimé. Elle avait une consonnance latine, peut-être similaire à son propre langage, mais elle était restée incompréhensible. Était-il donc dans le passé de Hoenn ?
La chaleur du feu de bois le réconforta tout de même alors que les derniers rayons du soleil disparaissaient derrière les arbres de la forêt. Charles jeta un nouveau coup d’œil au campement. Les trois Ponyta paissaient tranquillement dans un coin tandis que les deux hommes discutaient entre eux, se réchauffant devant le feu de bois, tournant le dos à Charles. Celui-ci observa leur accoutrement : il était fait de peau de bête (« pitié, faites que ce ne soit pas de la fourrure de pokémon ! »). L’un avait quelques plumes dépassant de chacune de ses épaules, ce qui donnait l’impression qu’il pourrait s’envoler à tout moment. L’autre avait une cape plus classique, reconnaissable d’entre milles ! En effet, Charles avait déjà vu cet accoutrement dans un musé d’histoire du Moyen-Âge à Vergazon. La cape de couleur verte et terreuse et, surtout, le col argenté qui entourait le cou du deuxième homme indiquait qu’il avait une position sociale supérieure à celui aux épaulettes de plumes. Si seulement il avait retenu toutes les informations qu’il avait apprises dans ce fameux musé à Mérouville ! Il aurait pu comprendre à quelle époque il se trouvait et d’où ces jeunes hommes provenaient. Car il en était certain à présent, il se trouvait dans le passé de Hoenn, et les hommes devant le feu de camp ne devaient pas avoir plus de trente ans. Petits de taille, ils ne dépassaient pas le mètre cinquante, mais leurs muscles surdéveloppés trahissaient une habitude au combat qui serait un avantage considérable en cas d’affrontement.
Charles observa plus en détail le campement improvisé. Une petite sacoche en toile était posée au sol à droite, reliée à un tronc d’arbre par une corde solidement attachée. Celebi devait se trouver dans la sacoche en toile. Comment allait-il le récupérer ?
De toute évidence, il allait devoir réfléchir à une stratégie car il ne pouvait décemment pas se présenter à eux dans ses vêtements modernes, parlant une langue inconnue pour les hommes du passé, et demander à récupérer le Pokémon Fabuleux qu’ils faisaient prisonnier.
Charles se concentra davantage sur les deux hommes et essaya d’analyser leur langage, dans une tentative désespérée de le reconnaître et, peut-être même, d’essayer de l’imiter.
Bllorn no dere tardar na hora.
— Me dehmando cce ell vu fabar con zeio tera.
— Imallo vulere fabar du eioll lino vrinducumbát. Semper vrindí llos teras cce vax du dondutera naturál.
— Dac, mas zeio tera no va llo imalle du eter xeio xran cumbato.

Charles griffonna le plus vite possible sur son calepin quelques mots qu’il avait pensé reconnaître, voire qu’il trouvait amusant ou similaire à son propre langage. Sa première observation fut qu’en effet, la racine de la langue employée par les deux cavaliers devait être soit similaire à la sienne, soit de la même famille. Et si les deux combattants utilisaient justement l’ancêtre de son propre langage ?
En toute hypothèse, il s’agissait d’une langue très développée car il crut reconnaître quelques signes répétitifs, ce qui indiquait une grammaire étoffée. Même s’il ne les comprenait pas, il était capable de reconnaître les mots faisant partie du lexique à ceux faisant partie de la grammaire, ce qui l’encouragea à penser que cette langue ne devait pas être éloignée de la sienne. Son hypothèse la plus vraisemblable se portait sur l’Ancienne Langue d’Œnn. Malheureusement, il avait toujours refusé de l’étudier à l’université. À présent, il comprit ses parents qui lui avaient juré qu’un jour il le regretterait.
L’homme de gauche reprit la parole :
No se falso. Mas vedent llo luca cce creá llo solina, primo metamorfar edin llu Clemencia Forest, Bllorn credí cce pé avar xos nocredáls donduteras.
Cette fois, il en était sûr, il avait compris au moins deux mots ! « Clemencia Forest », qui se traduisait dans le langage moderne par « la Forêt de Clémente ».
— Le Bois Clémenti… murmura-t-il en griffonnant dans son calepin.
Ces hommes provennaient-ils donc de la région de Clémenti-Ville ? Ou plutôt, ce qui existait à l’époque à cet endroit.
Un autre mot avait attiré son attention car il l’avait déjà lu plusieurs fois au cours de ses recherches sur l’évolution naturelle des pokémons : « tera ». Provenant du grec ancien, ce mot, traduit par « monstre », avait été introduit à Hoenn par les colons grecs lorsqu’ils avaient découvert l’existence des pokémons. Les deux hommes étaient donc en train de discuter d’un pokémon. Parlaient-ils de Celebi ? L’avaient-ils trouvé dans le Bois Clémenti comme lui un jour plus tôt, ou plutôt des centaines d’années plus tard ?
De leur côté, la conversation poursuivait son cours sans permettre à Charles d’analyser plus en profondeur ce qu’ils s’échangeaient :
Sperant cce nosonu Signor acsetara lino cuest. Du fat, no dérenos voyaller du nuvo ? Llo monnun vini.
— Dicá cce vá por notáns minuts. Cuando vará finit, voyallerenos du nuvo.

C’était une très jolie langue, pensa Charles. Avec ses consonnes dures, ses voyelles arrondies, et l’utilisation de quelques consonnes gutturales, il était étonnant que cette langue ait évolué vers un langage plus simple au niveau oral.
Dere vítirsi. Meni Ponita si aburi. E no vu du finit mancar llu zeremonye du Rosiere, llorno dopo na hora.
Charles sursauta. Cette fois-ci, il avait quasiment compris ces étranges paroles ! L’homme avait parlé de son Ponyta et d’une cérémonie qu’il connaissait lui-même très bien : « la cérémonie de la Rosière » ! Sa propre fille avait interprété une danse majestueuse au dernier concours de coordination en l’honneur de cette cérémonie ancestrale. Les cavaliers se dirigeaient-ils en direction de Rosyères afin d’y assister ? Si tel était le cas, il ne pouvait pas manquer une occasion en or afin de l’étudier au plus près !
Pascce ves sécsartele ! Hahaha !
Le rire de l’homme de gauche tonna dans la pénombre. Visiblement, son interlocuteur avait été vexé et s’était levé, révélant une petite épée accrochée à sa ceinture de cuir, qu’il montra avec vigueur.
Stoparó llo ecsistenz du llo piu vyellen du zitat condizion du faluar. Llo dódemas, ce Rosiere se supra bell.
Le rire de l’homme de gauche redoubla de force et ce qu’il lui dit, entre deux bouffées d’air compliquées, échappa à l’attention de Charles. En effet, il s’était caché à nouveau derrière son arbre, assis contre le tronc, et s’était pris la tête dans les mains. Comment allait-il récupérer Celebi, proie de trois chevaliers du passé, quand il était incapable de parler la langue de l’époque et que tout en lui transpirait l’anachronisme ? Devait-il les suivre jusqu’à Rosyères et profiter de la cérémonie pour s’introduire dans le village et récupérer Celebi ? Ou devait-il profiter de la présence de ces trois ravisseurs loin d’un village peuplé afin de les attaquer à l’aide de ses trois pokémons ? Avec un peu de chance, à cette époque, les humains n’avaient pas encore appris à maîtriser les pouvoirs de leurs pokémons, ou plutôt leurs téras, et seraient rapidement vaincus.
Tout à coup, Charles se rendit compte d’un détail : les cavaliers n’étaient que deux ! Où se trouvait donc le troisième ?
Il n’eut pas le temps de se poser la question très longtemps, car à la seconde où il se releva pour observer le campement, celui-ci était vide. Charles se retourna, le cœur battant la chamade, et se sentit happé dans les airs. Un petit homme à la barbe noire hirsute, d’une tête de moins que lui, l’avait saisi de son bras robuste, et l’avait soulevé dans les airs en l’empoignant par sa chemise qui craqua sous la force. Un bouton vola au sol et l’homme jeta un coup d’œil incrédule à l’objet.
Charles essaya d’en profiter pour se libérer de son ennemi, mais sa poigne était trop puissante. Ces cavaliers devaient être de véritables guerriers.
Cci se, dyable ?!
L’homme s’était adressé à lui ! Son haleine putride le prit à la gorge, mais il résista à l’envie de vomir. Il se dégageait de l’homme une odeur de sueur mêlée à de la suie qui était insupportable.
Rehpone, dyable !
Il ne fallait surtout pas qu’il lui réponde, au risque de trahir son origine différente. Faire croire qu’il est un ennemi local était plus intéressant pour sa survie qu’un ennemi démoniaque provenant du futur.
Son assaillant perdit patience et leva son second bras. Une douleur lui traversa le crâne et Charles perdit connaissance.

Pokémon #201n
Lorsqu’il reprit ses esprits, la température avait passablement chuté autour de lui. S’assurant de rester le plus immobile possible et gardant les yeux fermés, il analysa son environnement avec discrétion. La nuit avait dû largement s’écouler car aucune lumière ne traversait ses paupières closes. Une douleur lancinante à ses aisselles et ses épaules lui déchirait le corps, mais il fallait qu’il continue à faire mine d’être inconscient.
Soudain, les sabots des Ponyta reprirent leur trot et il se sentit tiré par les bras dont les poings avaient été ligotés ensemble. Charles poussa un cri de douleur bien malgré lui.
Se no durmit !
Charles se sentit hissé sur ses jambes défaillantes et ouvrit les yeux. Face à lui, le cavalier qui avait montré son épée dans la forêt le dévisageait du regard, comme médusé par son apparence différente.
Perés marllar !
C’était comme s’il lui avait donné un ordre, et Charles n’avait pas besoin d’avoir compris le message. L’homme reprit sa place sur le Ponyta qu’il montait et les trois cavaliers reprirent la route au trot. Tiré par les bras ligotés et raccordés au cavalier, Charles avança tant bien que mal derrière la queue enflammée du pokémon à un rythme insoutenable pour son corps fatigué. Le cavalier de gauche s’inquiéta de son état d’un coup d’œil indiscret et l’homme qui l’avait assommé plus tôt dans la nuit s’adressa à lui.
De finit manyer, casi senos vinits.
Charles acquiesça, comme pour lui faire croire qu’il avait compris, et l’homme sembla tomber dans le panneau. Discrètement, Charles vérifia que son sac à bandoulières faisait bel et bien partie des objets récupérés dans le butin des cavaliers, et il y vit un pan de son tablier de scientifique dépasser. Quels seraient leur réaction lorsqu’ils découvriraient les objets d’une technologie avancée dans son sac, tels que ses pokéballs ou son Pokénav ? Tout ce qu’il avait dans ses poches lui avait été retiré : son calepin, son crayon, ses notes sur l’époque où il se trouvait… Sa chemise pendouillait en lambeau sur ses épaules tandis que son pantalon brun était rempli de boue et de poussière. Il remarqua d’ailleurs qu’une de ses chaussures avait disparu. Où l’emmenaient-ils ? À Rosyères ? À leur Seigneur ? Qu’adviendrait-il de lui ?
La marche au trot se poursuivit pendant de longues minutes, puis des heures…

Petit à petit, le décor se transforma dans la nuit étoilée. Il s’était évadé dans la contemplation de la voie lactée, rarement visible à cause de la pollution lumineuse de son époque moderne, lorsque les Ponyta ralentirent. Devant lui, le chemin boueux arrivait à son terme devant une palissade en bois.
Son ravisseur descendit de sa monture et tambourina à la porte.
Bllorn sum !
Il en était à présent certain, l’homme s’appelait Bllorn et venait de conjuguer le verbe « être ». Charles réunit le peu d’énergie qu’il lui restait afin de rester conscient. La suite des évènements allait sceller son destin ; il devait absolument trouver un moyen de ne pas finir sur un bûcher.
La grande porte en bois de bambou s’ouvrit dans un crissement retentissant. Charles se décala derrière l’arrière-train du Ponyta et découvrit la présence de plusieurs gardes munis de lances et d’armures métalliques. Les hommes échangèrent quelques mots en Ancienne Langue d’Œnn. Puis, Bllorn tira son Ponyta et ses deux acolytes pénétrèrent dans le village avec leur proie.
En pénétrant dans le village protégé des palissades, Charles fut pris d’une émotion indescriptible, entre émerveillement de participer à une partie de son histoire et la crainte du sort qu’on réserverait à un homme venu du futur. Tout autour s’étaient rassemblés des dizaines d’humains tous les plus pouilleux et aux odeurs les plus nauséabondes les uns que les autres. De vieilles dames, de jeunes enfants, de jeunes hommes et des demoiselles, cachés dans des fourrures épaisses, sous des étoffes de plumes, ou des châles brodés. On lui jeta des regards intrigués, d’autres effrayés, d’autres encore fascinés. Certains enfants téméraires tendirent le bras pour le toucher, avant de recevoir les réprimandes des personnages âgées autour.
Charles avança lentement au milieu de la foule de ses ancêtres, tous plus petits que lui. Sans perdre de vue sa sacoche sous le bras du premier cavalier et la besace en toile où se trouvait Celebi dans la main du deuxième, il s’arrêta à la suite du Ponyta au centre du village où se mêlaient les odeurs de poissons frits et de pourriture.
Toujours muet, il observa son geôlier descendre de sa monture et le tirer vers ce qui ressemblait à une minuscule demeure faite de paille et de bouse. On le poussa à l’intérieur et il tomba au sol boueux sur ses genoux tandis que l’on refermait la porte derrière lui. De l’autre côté de la hutte, qui ne devait pas faire plus de dix mètres carrés, un enfant, dont le genre était difficilement reconnaissable, le regarda avec intérêt. Charles leva une main, pour le saluer, et l’enfant se recroquevilla sur lui-même. Ce geste était peut-être un signe d’hostilité à cette époque…
Charles se laissa glisser contre un mur et s’affala au sol en soupirant. Il était leur prisonnier. Combien de temps allait-il rester là ? Comment allait-il se dépêtrer de cette situation ? Qu’il était loin le jour où il avait rencontré Celebi dans le Bois Clémenti… Était-ce la veille ? Ou bien des centaines d’années plus tard ?
Épuisé, il se laissa sombrer dans un sommeil troublé.

« Bang ! »
Charles se réveilla en sursaut. Il faisait une chaleur étouffante dans la hutte où on le retenait prisonnier. Il n’avait donc pas rêvé. Il était bel et bien prisonnier du passé de Hoenn. La douleur lui déchira l’estomac : il n’avait pas mangé depuis des heures. Allait-on le nourrir ? Le plus inquiétant était sa déshydratation qui lui faisait tourner la tête.
De l’autre côté de la hutte, l’enfant-esclave dormait. Ou bien était-il mort ? Qu’importe ; de toute manière, il était déjà mort. Rien n’avait d’importance car tout ceci ne relevait que du passé.
Charles se releva difficilement et s’approcha du mur de paille. En fourrant son index dans la matière, il parvint à arracher un bout de bouse séchée et dévoila un minuscule trou par lequel il put observer ce qui se déroulait à l’extérieur. Quelques Ponyta broutaient paisiblement de l’herbe séchée tandis que des soldats s’activaient sur la place principale du village. Aidés de Machoc et de Makuhita, ils étaient occupés à dresser un amas de bois autour d’une énorme potence. Était-ce la potence sur laquelle on allait le brûler vif ?
Charles se laissa retomber de désespoir.

La journée passa, mais on ne vint pas à sa rencontre, ni pour lui apporter à manger, ni pour lui apporter à boire. L’enfant ne s’était toujours pas réveillé, et il commençait à régner une horrible odeur de pourri dans la hutte. Quelqu’un cria quelque chose, mais il n’y prêta aucune attention. Même l’excitation de vivre dans le passé de Hoenn avait disparu. Il ne resterait de toute manière rien de tout ce qui existait en ce moment. Pas même lui.

Un coup de tonnerre éclata et le tira de son sommeil.
« Plic ! Plic ! »
Quelques gouttes d’eau avaient réussi à s’infiltrer entre le maillage de la matière organique qui composait le plafond et retombaient lourdement aux pieds de l’enfant inerte. Charles se précipita sur la petite flaque d’eau et, sans se soucier ni de l’odeur, ni de l’aspect, du goût, de la couleur ou des quelconques maladies présentes, apporta ses lèvres à la flaque d’eau et l’aspira d’un coup. Puis, il se releva, et ouvrit la bouche afin de recueillir les quelques gouttes d’eau que l’orage lui offrait.

Il ne savait combien d’heures ou même de jours étaient passés. L’enfant dormait toujours. Il dormirait à jamais.

« Clac ! »
La porte s’ouvrit à la volée et Charles rejoignit la réalité. Sa vue trouble mis un certain temps à identifier la personne qui se trouvait devant lui. L’homme se distinguait de tous les villageois par son attirail guerrier et ses atours passablement de meilleure qualité. Un Grahyèna féroce l’accompagnait. Il lui montrait ses crocs et grognait. Son maître lui fit signe de ne pas bouger et le pokémon resta à la porte.
L’homme s’approcha de lui et s’accroupit. Il plongea ses yeux bruns dans le regard épuisé de son prisonnier et examina chaque centimètre de sa peau. Il alla jusqu’à toucher ses membres, palper le coton de sa chemise, vérifier s’il portait les mêmes attributs sexuels que lui en violant son intimité.
Lorsqu’il fut convaincu qu’il s’agissait d’un être humain comme lui, l’homme siffla bruyamment et Bllorn entra dans la hutte avec quelques affaires qu’il donna à son supérieur. Celui-ci lui tendit une gourde en cuir. Sans attendre la permission, Charles l’apporta à sa bouche et but l’intégralité de son contenant. L’eau était toujours aussi acre, mais au moins, elle ne goutait pas la bouse.
Como te camas ? lui demanda-t-il.
Il avait deviné la question. Il posa sa main contre sa poitrine et répondit :
— Charles.
Llarl, répéta difficilement l’homme.
— Como te camas ? répéta Charles en essayant d’imiter l’accent.
L’homme parut surpris de la question, tandis que Bllorn poussa un cri de colère.
Rehpeta su Signor, dyable ! cria-t-il en levant un poing.
Mais son Seigneur l’empêcha de lui porter un coup. En s’adressant à Charles, il imita son geste de la main sur sa poitrine et dit :
Sum llu Signor Ferhart.
Charles répéta lentement le nom, comme pour se l’imprégner.
Du dove vinis ? demanda le Seigneur Ferhart.
Ça y était, l’interrogatoire avait débuté. Quelle que fût la question, il lui était impossible d’apporter une réponse. Premièrement, parce qu’il ne comprenait rien à leur langue. Et puis surtout parce qu’aucune des réponses qu’il avait à apporter ne pourrait satisfaire ses ravisseurs. Tout ce qu’il lui importait, c’était de retrouver Celebi.
Cce fas edin Clemencia ? poursuivit le Seigneur.
Charles baissa les yeux et attendit.
Ses xi crapul du llu Real du Enn ? Cci te mandá iccí ? Llercas llu talisman du balanzie ?
Pauvre homme, s’il savait… Charles regretta ne pas connaître leur langue, rien que pour l’amusement de voir leur visage lorsqu’il leur aurait expliqué qu’il venait du futur.
Rehpone, Llarl !
Il reconnut son prénom. Avec l’accent d’Œnn, l’exotisme qui teintait son prénom lui plut beaucoup.
Cependant, face au silence de leur prisonnier, le Seigneur perdit patience et sortit une dague de sa poche.
— Attendez ! s’écria Charles en perdant ses moyens.
Les deux hommes reculèrent de sursaut. Bllorn fronçait les sourcils, comme s’il venait d’entendre une mélodie étrange. Le Seigneur, quant à lui, avait baissé son arme. Charles avait pris sa décision : puisque sa vie était en jeu, il allait jouer le tout pour le tout.
— Je vous assure que je ne vous veux aucun mal, s’adressa-t-il au Seigneur, et je peux vous expliquer d’où je viens. Mais avant, il me faut ma sacoche !
Charles pointa du doigt son sac à bandoulières que Bllorn gardait à ses pieds. Le Seigneur Ferhart avait reculé d’un pas, terrifié. Évidemment, aucune des langues qu’il ne connaissait dans sa réalité ne correspondait à ce qu’il venait d’entendre. Mais avec un peu de chance, les racines communes de leurs deux langues pourraient lui faire comprendre quelques mots.
Sacoll, répéta le Seigneur, médusé, en jetant un coup d’œil au sac.
Bllorn s’emporta à nouveau dans une colère noire et hurla des paroles trop rapides pour être comprises. Le Seigneur dû se relever afin de le calmer, et il lui arracha le sac des mains. Il siffla, et son Grahyèna grogna à l’encontre de Bllorn. Son sous-fifre comprit le message et quitta la hutte en jetant un dernier regard meurtrier à Charles.
Son coup de poker avait fonctionné ! Sans laisser transparaître sa victoire, Charles attendit que le Seigneur Ferhart lui apportât son sac. Une fois qu’il récupérerait ses affaires, il aurait enfin l’aide de ses trois pokémons et pourrait se sauver de ce village. Il reviendrait pour Celebi. À moins que le Seigneur Ferhart soit plus naïf qu’il ne le pensait ?
Ce-dernier déposa son sac entre lui et Charles, méfiant, mais garda une main dessus.
— Je m’appelle Charles Seko et je viens du futur.
Futur, répéta le Seigneur en prononçant le son « ou », incapable d’imiter le « u ».
— Je suis né en mille neuf cent septante-et-un.
Face au regard consterné de son interlocuteur, Charles dessina les chiffres sur le sol poussiéreux et posa à nouveau sa main contre sa poitrine.
— En quelle année sommes-nous ?
Le Seigneur ne répondit pas, complètement perdu. Charles comprit que la conversation allait être très compliquée.
— Dans ce sac, je possède des objets d’une technologie avancée, poursuivit-il tant bien que mal. Des objets qui ne seront construits que bien des années après vous. Vous permettez ?
Il ouvrit son sac à bandoulières et le Seigneur le laissa faire, de plus en plus curieux. Il sortit alors la première pokéball qu’il trouva et la présenta au Seigneur.
— Ceci est une pokéball, expliqua-t-il. Elle permet d’enfermer en son sein des pokémons, ce que vous appelez des téras.
Tera ?! répéta le Seigneur en reconnaissant enfin un mot.
— Oui ! répondit Charles avec un grand sourire. Des téras ! Appuyez sur ce bouton, allez-y !
Il lui posa la pokéball dans la main et lui indiqua le bouton central. Le Seigneur Ferhart s’exécuta avec appréhension et il recula d’un pas terrifié en voyant un éclair rouge en sortir.
Xeio Pusifu ! s’écria-t-il en reconnaissant le pokémon qui venait de se métamorphoser.
— Oui ! Un Poussifeu, exactement !
Le Poussifeu lança un regard interrogatif à son maître qui le prit dans ses bras.
— Dans le futur, nous collaborons comme vous avec les pokémons, mais nous les entreposons dans ces sphères. À bien y réfléchir, je me rends compte que nous sommes finalement peut-être plus barbares que vous. Tenez, regardez ceci !
Il sortit de sa sacoche son Pokénav et l’alluma. Le Seigneur ne pouvait trembler davantage en voyant s’activer l’appareil numérique, et il préféra appeler son Grahyèna à ses côtés, au cas où. Charles ne pouvait pas attaquer ; ce pokémon surentraîné ne ferait qu’une bouchée de son Poussifeu fraîchement capturé. Mais quelque chose lui disait qu’il était en train d’établir un contact positif avec ce seigneur local.
En navigant dans son Pokénav, Charles lui montra la carte de Hoenn telle qu’elle existait à son époque et zooma sur Rosyères. Puis, il lui afficha le calendrier découpé en douze mois de l’année et le Seigneur Ferhart comprit enfin de quoi il s’agissait.
Duo tresero unde… lut-il en voyant s’afficher la date sur le calendrier.
Alors, dans son regard brilla une lueur de terreur qui indiqua qu’il avait finalement compris. Le Seigneur se releva d’un bond et appela sa garde.
— Attendez ! Attendez !! Tout va bien !!!
Le Seigneur revint vers lui et le força à se relever en le soulevant d’un coup à l’aide de son biceps.
— Poussifeu, apprête-toi au combat… marmonna Charles.
Le Grahyèna aboyait férocement.
Cce dódemas vas ? demanda-t-il avec violence tandis que ses gardes le rejoignaient dans la hutte.
— Du calme !
If vinis du llo dódemas duo tresero unde, cce dódemas vas ?! Vas tresero dódemas ?! REHPONE !!
Perdant patience, il dessina dans la poussière du sol quelques chiffres et planta le visage de Charles à quelques centimètres. Ce-dernier sentit son cœur se serrer dans sa poitrine en lisant : « 1011 ». Il avait voyagé mille ans plus tôt.
Tresero unde !
— Tresero unde, répéta Charles. « Trois zéro onze »… Mille onze !
Bllorn était de retour et lui planta son épée au visage, prêt à lui trancher la gorge s’il ne répondait pas. Charles utilisa toute la force de ses neurones pour résonner. En ayant entendu quelques chiffres dans la conversation, il tenta une réponse d’équilibriste dans leur langue :
Llarl, dit-il en se montrant du doigt, tresero dódemas.
S’il avait bien décrypté leur langue, il devait leur avoir dit être millénaire. L’effet escompté apparut sur leur visage. Impressionné par l’information, comme subjugué par une réalité qui le dépassait, le Seigneur Ferhart se laissa tomber à genoux et se prosterna face à Charles.
Supremo Monarcal ! lui dit-il en lui baisant les pieds.
Les gardes autour de lui poussèrent un cri de stupeur et l’imitèrent rapidement. Même le Grahyena s’était prosterné.
— Si je m’attendais à ça… marmonna Charles à l’attention de son Poussifeu tout aussi désemparé.

Pokémon #201
En sortant de la hutte, il fut ébloui par la lumière du soleil à son zénith. L’été était particulièrement chaud en cette année 1011, et il garda cette information dans un coin de sa tête afin de l’ajouter à tous les manuels d’histoire. C’était certes un détail, mais il était plaisant de le savoir, à présent qu’il était libre.
La nouvelle fit rapidement le tour du village dès sa sortie de la hutte. Bllorn avait crié sur tous les toits un message dans sa Langue d’Œnn et les villageois s’étaient attroupés autour de Charles tel le messie leur apportant le salut. Cette fois-ci, les enfants téméraires qui ne le touchaient pas étaient ceux qui se faisaient réprimander par les personnes âgées. Partout sur son passage, on le palpa, on le toucha, on lui caressa son Poussifeu, on lui adressa des sourires édentés rayonnants et des visages lumineux. On lui servit à manger du « rougeot » grillé, qu’il reconnut comme étant un malheureux Magicarpe comestible. On lui versa des litres et des litres d’un vin âpre. On le nettoya et on le parfuma.
Tous les villageois et tous les pokémons domestiqués passèrent le voir où on l’avait installé : une espèce de trône en bois devant la potence précédemment dressée. Néanmoins, toute cette attention ne lui faisait pas perdre de vue qu’il n’appartenait pas à cette époque et qu’il ferait mieux de trouver un moyen de retourner chez lui. Non pas qu’être Seigneur local d’un village moyenâgeux ne fût pas une aventure épique, mais il avait un Pokémon Fabuleux à retrouver et une fille à sauver d’une tornade. D’ailleurs, peut-être que sa nouvelle position allait l’aider.
— Signor Ferhart !
La nuit était tombée lorsqu’il avait décidé de passer à l’action. Cependant, les villageois semblaient eux aussi attendre de lui quelque chose. Des Makuhita s’étaient mis à taper dans des espèces d’instruments ressemblant à des tambours, tandis que tout le village s’était rassemblé en un arc de cercle devant lui. Le Seigneur Ferhart le rejoignit.
— Ah ! Signor Ferhart !
Il allait devoir redoubler d’effort pour utiliser des mots de leur langue afin de se faire comprendre.
— J’ai besoin d’une petite sacoche, dit-il en mimant l’objet. Sacoll. Dedans, il y a un pokémon qui m’appartient. Xeio tera du Llarl. Un petit pokémon vert.
Charles montra une feuille d’arbre. Le Seigneur Ferhart ne semblait pas comprendre ce qu’il lui demandait. Il fallait qu’il fasse vite, car des enfants s’étaient mis à danser en lançant des pétales de fleur devant lui. Il se concentra du mieux possible pour se souvenir de la conversation entre les cavaliers qui avaient retrouvé Celebi et jeta un coup d’œil à son calepin pour retrouver des mots qu’il avait saisis.
— Xeio tera du Llarl… metamorfar Clemencia Forest… dondutera naturál, dit-il difficilement.
Discuti du zeio tera ? demanda le Seigneur Ferhart en lui montrant du doigt Bllorn.
Le guerrier avait attaché sa petite besace en toile à sa ceinture de cuir d’où dépassait la petite houppette verte et les antennes reconnaissable d’entre milles de Celebi.
— OUI ! s’écria Charles en se relevant de son trône. Zeio tera ! Tera du Llarl !
Il était à deux doigts d’enfin récupérer Celebi, mais le Seigneur Ferhart le poussa à se rassoir.
Vederenos oll piu dopo, Supremo Monarcal, dit-il en le détournant du regard de Bllorn. Por na hora, débenos cominllar llu zeremonye du Rosiere. Atendé finet luno ecsistenz por cce lu avirxinara.
Il fit alors signe à son peuple et la musique reprit de plus belle sous les cris des femmes qui semblaient chanter en chœur. Charles n’avait pas compris un mot de son discours, mais il avait à nouveau reconnu les termes « cérémonie de la Rosière ». Était-il en train d’y participer ?
Devant lui, un Ponyta alluma le bûcher d’un souffle de flammes et le peuple dansa avec joie autour du feu, tournoyant autour des flammes, lançant une poudre spéciale qui provoquait des fumées de toutes les couleurs. On lui porta à boire et à manger, on le décora de bijoux en tous genre. Le spectacle était objectivement magnifique à voir, et Charles profita de ce moment pour noter tout ce à quoi il participait dans son calepin. Une fois de retour en 2011, il allait révolutionner la science historique !
Après de très longues minutes de danses et de chants, après des litres de vins consommés, la foule se sépara en deux et laissa place à une troupe de très jeunes enfants habillés de robes blanches. Au centre du groupe, une jeune adolescente, peut-être plus jeune que sa propre fille Flora, était vêtue d’un simple drap doré. La petite déesse était magnifique à voir. Et propre, ce qui ne pouvait pas en être dit des autres enfants l’entourant !
La très jeune fille était accompagnée d’une toute petite Skitty entièrement rose. Les deux formaient un beau duo d’innocentes princesses. Un des enfants se détacha du groupe et apporta à Charles une espèce de diadème fait de branchage et de fleurs, une véritable couronne de roses blanches. Les chants et les danses s’interrompirent et seul le crépitement des flammes perturbait le silence oppressant. Tous les regards étaient rivés sur lui et sur la jeune fille dans le drap doré.
Charles interrogea le Seigneur Ferhart du regard et celui-ci lui montra la couronne, puis la jeune fille. La cérémonie attendait-elle de lui qu’il orne la chevelure de la jeune fille de la couronne de roses blanches ?
Charles se leva, hésitant, et s’approcha lentement de la jeune fille. Il déposa sur son crâne la couronne sous le regard ému de tous les villageois.
Menu spoza, intervint le Seigneur Ferhart d’une voix imposante, llu Supremo Monarcal fá du ull llu Rosiere !
La jeune fille s’inclina devant Charles et il lui rendit poliment son salut.
Viva llu Rosiere ! cria puissamment le Seigneur Ferhart. Viva llu Supremo Monarcal !
Et le peuple reprit en chœur sur le même ton triomphant :
Viva llu Rosiere ! Viva llu Supremo Monarcal ! Viva llu Rosiere ! Viva llu Supremo Monarcal !
Charles venait de participer à la naissance d’une Rosière. Il se souvint de la prestation de sa fille Flora au concours de coordination de Vermilava. Ce jour-là, Flora avait raconté l’histoire de la cérémonie de la Rosière. D’après elle, la Rosière était l’épouse d’un chef de clan. Toujours accompagnée de son pokémon félin—dans ce cas, Charles reconnut le Skitty—, la Rosière était une jeune fille que l’on récompensait pour sa réputation vertueuse. On disait d’elle qu’elle guidait son peuple vers la vertu et la connaissance éternelle. D’après les récits historiques, un village organisait chaque année une cérémonie où l’on dansait en l’honneur de la Rosière qui se voyait offrir une couronne de roses sur la tête afin de la remercier de sa guidance vers la pureté.
Jusque-là, hormis les symboles philosophiques qu’il avait été incapable de déceler dans la cérémonie, Charles dû s’avouer que sa fille avait fait un travail historique remarquable car c’était exactement ce qu’il venait de vivre, à quelques détails près. Car s’il se souvenait bien, le village était aussi censé se mettre à danser toute la nuit. Or, les villageois semblaient ne pas du tout avoir l’intention de danser. Ils continuaient à les observer, lui et la Rosière, au milieu du cercle qu’ils formaient, le regard ému, et l’impatience trahissant les traits sur leur visage.
Ira, Supremo Monarcal, dit le Seigneur Ferhart visiblement impatient. Avirxine llu Rosiere.
Il semblait bien que tout le monde attendît quelque chose de sa part, mais Charles n’avait aucune idée de ce qu’il était censé faire. Il échangea un regard inquiet avec la Rosière qui n’osait pas le regarder dans les yeux, et lui adressa un sourire poli. Soudain, la jeune fille déboutonna sa robe dorée et la fit tomber à ses pieds, révélant son corps complètement dénudé. Ce n’était qu’un enfant et elle se trouvait nue, face à lui, devant tout le village !
Charles détourna son regard précipitamment, ce qui sembla déplaire fortement au Seigneur Ferhart.
Avirxine llu Rosiere ! répéta-t-il sur un ton plus agressif.
Qu’attendait-il de lui ? Il ne pensait tout de même pas qu’il allait toucher cet enfant ! Les villageois tout autour semblaient tout aussi contrariés que le Seigneur Ferhart. Ce-dernier avança d’un air menaçant vers lui tandis qu’il vit du coin de l’œil Bllorn préparer son épée. Allait-il le forcer à violer la jeune fille ? Finalement, en pratiquant le viol collectif, ces ancêtres étaient véritablement plus barbares.
Avirxine llu Rosiere, ordonna le Seigneur Ferhart en détachant chaque syllabe à quelques centimètres du visage de Charles.
— Vous ne pensez tout de même pas que je vais toucher à cette jeune fille ?
Le Seigneur sembla perturbé par l’utilisation de la langue moderne, comme si son dieu se moquait de lui en n’utilisant pas son langage. Il dégaina sa dague et la planta sur la gorge de Charles. Il était temps pour lui d’arrêter cette mascarade.
— Poussifeu, viens-moi en aide ! cria Charles.
Son cri ainsi que son mouvement de recul terrifièrent le Seigneur Ferhart qui resta pétrifié sur place. La lumière rouge qui fit apparaître Poussifeu devant le bûcher fit hurler d’effroi les villageois qui s’enfuirent en créant un chaos indescriptible.
Charles profita de la cohue pour ramasser la robe dorée de la jeune fille et la lui remettre sur les épaules.
— Ne te laisse jamais toucher sans ton consentement, lui dit-il, sachant très bien que ses paroles seraient vaines.
Le Seigneur Ferhart dégaina une épée et trancha l’air devant lui afin de toucher Charles, mais Poussifeu l’en empêcha en utilisant son attaque « charge » contre la lame. L’épée s’envola et retomba aux pieds de Bllorn.
— Poussifeu, récupère Celebi !
Poussifeu envoya une boule de feu qui, accouplée à la puissance des flammes derrière lui, explosa dangereusement sur le torse de Bllorn. Tandis que sa sacoche tomba au sol, le guerrier se fit propulser contre la hutte en bois derrière lui qui s’effondra sous son poids.
ATACCEVOS ! hurla le Seigneur Ferhart. Defendavos vosonu Signor e vosono lant !
Tous les soldats du village accoururent, armes en main, et formèrent un arc de cercle face à Charles. Le point positif, c’est que leurs pokémons s’étaient enfuis, visiblement aussi effrayés que les villageois. Les êtres humains ne semblaient pas avoir pris l’habitude d’attaquer avec leurs pokémons, à l’exception du Seigneur Ferhart dont le Grahyèna bavait de rage.
— Poussifeu, j’espère que tu es bien entraîné, parce que cela va chauffer !
Le Seigneur Ferhart poussa un cri de rage et les dix soldats se jetèrent sur leur ennemi. Charles bondit sur le côté et laissa Poussifeu mitrailler ses proies de boules de feu. Plusieurs soldats tombèrent au sol, d’autres s’enfuirent, pris de panique. Charles en profita pour ramasser la besace en toile et en extraire Celebi, inconscient.
— Celebi, il est temps de te réveiller et de nous sortir de ce pétrin ! appela Charles.
Mais Celebi restait inerte.
Aron ! Stope llo ecsistenz du zi dyable ! ordonna le Seigneur Ferhart qui restait loin des combats.
Un enfant apparut dans la ligne de soldats. Il avait la peau basanée et portait comme vêtement un simple tissu autour de sa taille. Quelque chose lui disait qu’il n’était pas n’importe quel enfant. D’ailleurs, un Méditikka l’accompagnait.
L’enfant se concentra et quelque chose vibra autour de son cou. En y regardant de plus près, Charles reconnut le Badge Pluie de l’arène d’Atalanopolis. Comment un enfant vivant au onzième siècle pouvait-il être en possession d’un objet n’ayant été construit que dix siècles plus tard ? Se pouvait-il qu’il ait lui aussi voyagé dans le temps ?
C’est alors qu’un jet d’eau puissant se matérialisa à partir de son badge et fusa en direction de Poussifeu qui fut projeté aux pieds de son maître.
— Poussifeu !
Atacce du nuvo ! ordonna le Seigneur Ferhart.
Comment l’enfant était-il capable de maîtriser les pouvoirs des pokémons ? Était-ce dû au badge qu’il portait autour du cou ?
L’enfant se concentra à nouveau et le badge vibra de plus belle. La prochaine attaque lui serait fatale. Il fallait qu’il se sauve, lui, Celebi et la jeune Rosière si possible ! Mais comment ? il était encerclé par des soldats !
Du coin de l’œil, il vit Bllorn réapparaître de la hutte détruite et s’approcher de la Rosière par derrière. Il saisit sa dague et transperça la gorge de la jeune fille.
— NON !!
La Rosiere s’effondra au sol dans un bain de sang et resta inerte. Le Seigneur Ferhart sembla satisfait de cet assassinat et commanda à l’enfant de se dépêcher. Ce-dernier semblait prêt à lancer sa nouvelle attaque.
Charles laissa retomber son calepin et saisit Celebi de ses deux mains.
— Celebi, réveille-toi ! supplia-t-il en le secouant dans tous les sens.
Aron ! cria le Seigneur Frehart.
— Celebi !! Je t’en supplie !!!
Un torrent aquatique apparut depuis le badge du jeune garçon et s’éleva à plus de trois mètres de hauteur.
— CELEBI !!!
C’est alors que le Pokémon Fabuleux ouvrit un œil fébrile. Ses antennes se mirent à vibrer si vite qu’elles disparurent et un halo de lumière blanche transperça la nuit. En s’accrochant à sa besace et son Poussifeu, Charles posa un dernier regard sur le tsunami qui allait s’abattre sur lui. Alors, le décor et les cris en Langue d’Œnn disparurent dans la lumière aveuglante.

Pokémon #201i