Rubis & Saphir - The Origins de Feather17

Nénucrique
23 août 1971

— « Il était une fois, un jeune héritier désireux d’en connaître davantage sur son destin. Il consulta toutes les bibliothèques de son royaume, interrogea tous les savants de ses terres, et enquêta auprès de tous les devins de son pays. Rien ne le satisfit : ni l’historique complet de ses futures batailles gagnées, ni les détails croustillants de ses nombreuses futures maîtresses. Ainsi, quittant tout, femme, enfants et sujets, s’en alla sur les chemins ce naïf héritier en quête de réponses sur l’avenir de son existence. Car s’il était naïf, il détenait tout de même une information qui l’emplissait d’espoir : il existait quelque part un œuf contenant la vie que l’on appelait « le Cadeau de la Paix ». Le pouvoir paisible que contenait l’œuf permettrait à quiconque se l’appropriait de mener une vie éternelle faite de tranquillité et de fortune. Malheureusement, deux obstacles s’offraient à lui : le Cadeau de la Paix était défendu d’un vaillant protecteur, et seul un être dénué d’ambitions ténébreuses pouvait se l’arroger. Si tel n’était pas le cas, malheur arriverait au dément qui comptait s’en emparer !
« Le voyage du courageux héritier était tout tracé : il allait retrouver trace du protecteur et faire preuve de ruse afin de soulever dans ses mains l’œuf qui lui apporterait la vie éternelle. Son voyage dura des nuits, des semaines, des mois et des années. Traversant les montagnes les plus enneigées, les déserts les plus torrides, et les lacs les plus profonds, il s’était juré de ne pas cesser ses recherches sans mettre la main sur le Cadeau de la Paix. L’ingénieux héritier se doutait bien qu’à moins d’une faveur de la part du protecteur du Cadeau la Paix, il pourrait passer l’entièreté de son existence à ratisser la forêt sans qu’il ne trouvât le moindre indice quant à sa localisation. Alors, il lui tendit un piège, et sa détermination attira finalement l’attention du protecteur fabuleux.
« Un matin, l’elfe protecteur s’approcha discrètement, penaud, de la couche du rusé héritier afin de l’examiner de plus près. Jamais il n’avait rencontré pareil homme : sa détermination n’avait d’égal que sa fougue, et dans ses yeux se lisait sa volonté inébranlable de mettre la main sur le Cadeau de la Paix. Habile, l’héritier cessa sa fausse sieste et domina l’elfe protecteur de tout son être. Piégé, ce-dernier se retrouva à la merci de l’humain, et aucun de ses pouvoirs ne put l’en libérer. Le victorieux héritier fêta son succès et contraint l’elfe à lui délivrer l’œuf contenant le Cadeau de la Paix.
« Démuni, l’elfe lui apporta l’œuf. Il était petit, étiré, craquelé et recouvert d’une écaille d’un noir oppressant. De ses fissures apparaissaient un éclat lumineux : la Paix. L’héritier ne perdit pas de temps : il toucha avec ferveur le Cadeau de la Paix. Au contact de sa paume, l’œuf se fissura davantage et l’éclat lumineux lui enveloppa le corps en entier. Son âme était sondée : méritait-il de recevoir la vie éternelle ? Le Cadeau de la Paix avait pris sa décision.
« Dans un dernier regard, le pauvre héritier fut irradié par l’éclat interdit qui s’empara de son cœur, craquelant sa propre peau, noircissant ses veines et étouffant son âme. Alors, le corps du vil héritier s’effondra et demeura inerte jusqu’au bout de l’éternité. Ainsi, le Cadeau de la Paix ne lui avait pas été offert.
« L’elfe protecteur s’en retourna enfin à sa mission immortelle, s’envolant dans les cieux avec le Cadeau de la Paix et disparaissant dans le temps.
Le jeune garçon referma son bouquin épais et toisa son public du regard. Les quelques enfants qu’on lui avait confiés s’étaient agglutinés les uns contre les autres, comme pour se rassurer. Terrorisés par l’histoire qu’ils venaient d’entendre, ils attendirent sans bouger que leur gardien d’un soir les réconforte.
— Moralité : la vie éternelle, ça se mérite.
Il était très fier de son effet. L’un des enfants s’était mis à pleurer bruyamment et il leva les yeux au ciel. Pourrait-on un jour lui confier des gamins un peu moins faibles ?
— Bon, allez au lit les mioches, leur lança-t-il.
Il se leva du canapé et abandonna à leur triste sort les enfants terrifiés. L’un d’eux, en revanche, l’avait suivi jusqu’à la bibliothèque où il était occupé à ranger son livre de contes.
— Tu peux me le relire encore une fois ?
Étonné, il jeta un coup d’œil à l’enfant qui requérait son attention. Reconnaissant sa tignasse rousse, il lui adressa un sourire satisfait.
— Tu ne devrais pas aller te coucher à cette heure-ci, toi ?
— Je ne peux pas dormir sans une histoire.
— Tu viens d’en avoir une.
— Peut-être que je veux le Cadeau de la Paix, moi aussi, pour pouvoir dormir.
Le jeune garçon leva un sourcil.
— Tu te crois méritant à ce point-là ? Tu penses que tu serais l’exception dans toute l’histoire de l’humanité ?
L’enfant se raidit, comme décontenancé.
— Tu veux dire que… jamais personne n’a pu toucher l’œuf sans… sans…
— Sans mourir ? termina le jeune garçon en ajoutant du drame dans le ton de sa voix, comme pour terrifier davantage l’enfant. Tu penses bien que si quelqu’un avait eu la vie éternelle, on le saurait.
Il prit l’enfant par la main et l’emmena à sa chambre. Le couchant dans son lit, il se délecta du regard déterminé dans les yeux du petit.
— Tu crois que c’est qui, le protecteur ?
— C’est un Celebi, voyons !
— Tu dis ça comme si tu le savais de source sûre !
— Ça parait logique : il vit en forêt et voyage dans le temps pour protéger son œuf. C’est un Celebi.
L’enfant se renfrogna dans son lit et lui tourna le dos.
— Pourquoi tu tires la tête ?
— Je ne tire pas la tête.
— Si, tu tires la tête. Dis-moi pourquoi.
L’enfant se tourna à nouveau vers lui, visiblement contrarié.
— Parce que si c’est un Celebi qui le protège, je vais avoir beaucoup de mal à mettre la main dessus.
— Pourquoi tu voudrais cet œuf, après tout ?
— Pour pouvoir partager la paix qu’il contient à tous ceux qui en ont besoin, répondit simplement l’enfant.
Le jeune garçon pouffa de rire en soulevant les épaules, ce qui fâcha davantage l’enfant.
— Quoi ?! Ce n’est pas assez noble ? Tu crois que je ne le mériterais pas ?
— Écoute-moi bien. Si un jour je tombe sur l’œuf, je compte bien l’utiliser pour moi-même afin de réussir tout ce que j’entreprends. Avec la vie éternelle et la fortune, je vais pouvoir moi-même aider les gens qui en ont besoin.
— Tu veux le garder pour toi !
— Si tu partages ce pouvoir, sa force sera aussi partagée, gros bêta ! Alors que si tu le gardes pour toi, tu pourras aider le plus de gens possible.
— N’empêche que c’est moins noble.
— Le résultat est le même non ? On veut tous les deux sauver un maximum de personnes dans le besoin.
L’enfant se détendit et offrit son premier sourire au jeune garçon.
— De toute façon, c’est rien qu’une histoire, soupira l’enfant en se blottissant dans ses draps.
— Un jour, j’aurai cet œuf, promit le jeune garçon.
— Tu délires encore, Arthurus.
— Il faut avoir des objectifs dans la vie, Maxime. Sinon, tu mourras comme le commun des mortels. Et ça, il en est hors de question.
À ces mots, le jeune garçon ébouriffa les cheveux de l’enfant, éteignit la lampe de chevet et quitta la chambre. Seul dans les ténèbres, l’enfant ferma les yeux et se laissa happer par un monde dans lequel la vie éternelle lui apparaissait à portée de main.