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L'Archange de MissDibule



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» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 15/04/2020 à 11:28
» Dernière mise à jour le 17/03/2021 à 15:28

» Mots-clés :   Aventure   Famille   Mythologie   Sinnoh   Suspense

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Chapitre 3 – Ange gardien
22 janvier 2019, aux abords du village de Bonaugure, région de Sinnoh
Leyenda soupire pour la énième fois tout en descendant du dos de Tornade, qu’elle rappelle ensuite dans sa Poké Ball. Elle n’en revient pas. Elle soupire, alors qu’elle devrait être la plus heureuse du monde : elle dirige enfin toute une équipe de fouilles ! Elle n’est plus celle à qui on donne des directives : c’est elle qui donne les directives. Cependant, on dirait bien que la vie apprécie la torturer, en lui donnant des – faux – espoirs pour ensuite les réduire à néant.

Leyenda soupire une énième fois. Pourquoi tout est si difficile ? Elle obtient enfin un vrai poste intéressant comme meneuse de fouilles, et voilà que tout périclite déjà. Cela fait deux semaines que l’équipe de la jeune archéologue s’évertue à retourner le moindre carré de terre des rives du lac Vérité. Sans succès. Rien n’a encore été trouvé. Pas le moindre objet d’intérêt. Pas le moindre objet tout court, même. C’est à croire que les rives de ce maudit lac n’ont jamais été foulées par qui que ce soit !

Leyenda désespère. Ses subordonnés fatiguent. Elle a de plus en plus de mal à les motiver. À les coordonner. Comme on peut s’y attendre, remplir un rôle tel que le sien est complexe, et la jeune femme songe déjà qu’elle n’est pas à la hauteur de la mission qui lui a été confiée. Elle soupire de nouveau. Puis son téléphone portable sonne.

Elle décroche, et aussitôt une voix féminine suraiguë lui vrille les tympans : « Boss ! L’équipe vient d’arriver sur place, qu’est-ce qu’on fait ? ». Leyenda retient de toutes ses forces un nouveau soupir. La voix appartient à Olga Gassante, une brave fille, quoiqu’un brin empotée, et quelque peu culottée.

— Bonjour Olga, moi aussi je suis ravie d’entendre votre voix, répond sa supérieure d’un ton cordial mais teinté d’ironie. Pour répondre à votre question, eh bien, puisque vous êtes une archéologue, vous allez, comme tous les jours, fouiller attentivement les rives du lac, en particulier près des hautes herbes. Dites à l’équipe d’excavation avec machinerie que j’aimerais qu’ils creusent encore plus profond, d’au moins deux mètres. Quant à vous et votre équipe de dénicheurs, je compte sur vous pour dépoussiérer avec soin le moindre objet déterré, d’autant plus que…

— Quoi ? ENCORE ? l’interrompt sa subordonnée d’un ton presque scandalisé.

— Oui, encore, Olga. Je vous rappelle que c’est votre métier, réplique doucement mais fermement sa patronne.

— Mais vous savez très bien qu’on ne trouve rien ! Ça ne sert à rien qu’on continue à chercher si…

— Bon écoutez, Olga, la coupe à son tour Leyenda, qui commence à perdre patience, ce sont les ordres et vous n’avez pas à les discuter !

— …Très bien, répond finalement Olga d’une voix morne, après un court silence.

— Je préfère ça. On se voit tout à l’heure, je suis presque arrivée au site. Prévenez-moi si vous trouvez quoi que ce soit.

— Si vous voulez, mais ça ne risque pas d’arriver…

— À tout à l’heure, Olga, conclut simplement Leyenda sans relever la remarque.

Après avoir raccroché, la jeune archéologue se sent encore plus démoralisée qu’avant ; Olga a beau être impertinente, elle n’a, dans le fond, pas tort : les fouilles que Leyenda dirige au lac Vérité ne mènent nulle part. Leyenda le sait. Mais ce qu’elle ne sait pas, en revanche, c’est comment l’annoncer à M. Komoss sans risquer d’être renvoyée sur-le-champ.

Accablée, la jeune femme poursuit son chemin la route 201, transie de froid, tout en maudissant intérieurement les restrictions de l’Église, qui interdisent à quiconque de voler à dos de Pokémon au-dessus du sanctuaire que constitue le lac Vérité. Résultat, Leyenda doit chaque matin se poser sur la route 201 et continuer le chemin à pied jusqu’au site de fouilles. « Ce n’est pas si terrible… Quand la température est acceptable ! » peste Leyenda en son for intérieur.

Arrivée au niveau du petit hameau de Bonaugure, la jeune archéologue s’arrête un instant, hésite, puis entre finalement dans la bourgade. Elle se dirige droit vers le panneau d’information du village. Ce n’est pas la première fois qu’elle s’y attarde, bien au contraire ; ce panneau l’intrigue au plus haut point. À chaque fois qu’elle l’observe, elle a le sentiment que quelque chose cloche.

Pourtant, il s’agit simplement d’un banal panneau de bois planté dans le sol, où sont gravés ces quelques mots :

« Bonaugure – Jeune et libre
Un charmant petit village fondé par le couple Oku et Byō Yasakani en 1819. »

L’élément problématique réside dans la date. Pour Leyenda, elle ne semble pas du tout cohérente avec l’histoire de Sinnoh. Bonaugure se situe extrêmement près du lac Vérité, un lieu sacré que l’on tient pour la demeure de Créfollet, être de l’émotion. Il lui semble inconcevable qu’un emplacement géographique aussi fondamental d’un point de vue religieux ait pu rester inhabité pendant aussi longtemps, surtout sous l’Empire de Sinnoh.

Pourtant, après vérification dans les plus anciennes archives, la jeune femme s’est aperçue qu’il n’est nulle part fait mention d’un village autre que Bonaugure qui aurait pu se trouver à cet endroit. C’est inexplicable. C’est comme si Bonaugure était tout bonnement sortie de terre il y a deux cents ans, sans explication. Mais Leyenda ne croit pas aux histoires de village qui poussent comme des champignons. Elle est persuadée qu’une énigme bien plus complexe se cache derrière ce panneau à l’apparence ordinaire.

« Ce n’est pas la première fois que je vous vois ici. »

Leyenda sursaute, interrompue dans le fil de ses pensées. Surprise, la jeune archéologue regarde frénétiquement autour d’elle jusqu’à apercevoir la propriétaire de la voix venant de s’adresser à elle : il s’agit d’une femme d’un grand âge, à la posture digne et aux cheveux de neige.

— Veuillez m’excuser. Je ne voulais pas vous faire peur, jeune fille.

— Oh, non ne vous en faites pas, ce n’est pas grave, Madame. Vous disiez que ce n’était pas la première fois que vous me voyez ici ? s’enquiert Leyenda, curieuse.

— En effet. Je vous ai déjà vue plusieurs fois observer le panneau du village d’un air songeur. Et aujourd’hui, j’ai enfin osé venir à votre rencontre, en me disant que peut-être, vous aussi, vous vous posiez les mêmes questions que moi sur cet endroit.

— Et quelles questions vous posez-vous ? l’interroge aussitôt Leyenda, de plus en plus intéressée par la tournure de la conversation.

— Des questions sur les origines incertaines de ce village. J’ai mes propres idées là-dessus.

— Vraiment ? Accepteriez-vous de m’en faire part ? Je m’appelle Leyenda Myst-Eerie, et je suis archéologue. Tout ce que vous pourrez m’apporter sur l’histoire de Sinnoh m’intéresse vivement !

— Ho ho ho… Une archéologue, hein ? Enchantée, Leyenda. Je suis la doyenne de Bonaugure, Ange Yasakani, se présente à son tour la dame à la chevelure immaculée.

— Enchantée également, Madame Yasakani… commence Leyenda avant de s’interrompre brusquement pour se tourner à nouveau vers le panneau de la ville. Attendez… Yasakani ? Vous voulez dire que…

— C’est exact. Je suis la descendante du couple fondateur de la ville, les Yasakani. Maintenant, si vous voulez bien me suivre, chère Leyenda…

— Vous… suivre ? répète la jeune femme, perdue. Elle a justement l’impression de ne pas tout suivre dans cette conversation surréaliste.

— Eh bien oui. Vous vouliez que je vous parle de Bonaugure, et c’est ce que je compte faire. Mais ce sera plus agréable autour d’une tasse de thé, vous ne pensez pas ? dit Ange avec un sourire.

— Si, bien sûr, mais…

« Mais j’ai une équipe à diriger… » termine-t-elle en pensée. Pourtant, il s’agit d’une occasion rêvée d’en apprendre plus sur Bonaugure, avec la doyenne du village en personne ! D’autant plus que la jeune archéologue est de plus en plus persuadée que le mystère de Bonaugure est en lien avec la menace qui se profile dans l’ombre. « Le lien entre Créfollet et cet endroit est trop étroit pour que cette histoire soit sans rapport. » songe Leyenda.

C’est décidé. Elle doit écouter ce qu’Ange a à lui dire. Elle ne peut pas laisser passer cette chance.

« Vous avez raison, Mme Yasakani, déclare Leyenda avec force. »

Déterminée, Leyenda s’excuse auprès de la doyenne et appelle rapidement son assistant pour le prévenir de son retard. Puis elle le nomme chef des opérations en son absence, lui donne quelques directives et raccroche le plus vite possible pour ne pas faire attendre plus la doyenne. Cette dernière n’a pas cessé de l’observer pendant toute la durée de l’appel, un doux sourire sur le visage.

« Vous m’avez tout l’air d’être une femme très occupée, Mlle Myst-Eerie. Vous êtes sûre que ça ne vous dérange pas de m’accorder un peu de votre temps ? Nous pouvons remettre cette discussion à plus tard si vous le souhaitez… »

Leyenda secoue la tête, catégorique. « Je ne peux pas me permettre de remettre cette discussion à plus tard. Chaque minute… Non, chaque seconde compte. Je n’ai pas le droit de perdre du temps. » pense Leyenda. Mais elle ne peut pas répondre quelque chose d’aussi alarmant à la doyenne. C’est pourquoi elle se contente d’un :

— Non non, ne vous en faites pas, ça ne me dérange pas du tout. Ils peuvent bien survivre une heure sans moi ! répond-elle en plaisantant, pour détendre l’atmosphère.

— Bien. Comme vous voulez.

Si son interlocutrice affiche un sourire apaisant, Leyenda, elle, sent l’angoisse poindre au plus profond de son âme. Elle essaie tant bien que mal de ne pas songer à ce malheur qui rôde sans doute et menace de tout engloutir, mais un mauvais pressentiment parcourt tout son être.

Il est difficile, éprouvant même, de faire partie des rares personnes conscientes du danger que le monde peut encourir. Leyenda se demande pourquoi elle ne songe à cela que maintenant. « Peut-être parce que je ne réalise que maintenant que je ne suis absolument pas celle qui saura nous sauver si nos soupçons s’avèrent vrais. Parce que je suis bonne à rien. » pense la jeune femme avec horreur.

— Mlle Leyenda ? Tout va bien ? Vous êtes très pâle !

La concernée revient aussitôt à la réalité et tente d’oublier l’horrible pensée qui vient de lui traverser l’esprit :

— Oui, ne vous en faites pas, je vais bien. C’est juste que… je suis de constitution fragile.

En temps normal, Leyenda n’aurait jamais annoncé cela de but en blanc à quelqu’un : elle hait plus que tout parler de sa condition physique. Mais dans le cas présent, son handicap lui offre un prétexte parfait pour expliquer la teinte cadavérique que vient soudainement de prendre sa peau. La doyenne, comprenant qu’il s’agit d’un sujet sensible, n’insiste pas et se contente de guider la jeune archéologue jusqu’à chez sa maison, une humble bâtisse de bois dotée d’un toit vert, une architecture partagée par la plupart des habitations du village.

Alors que la bouilloire chauffe intensément, les deux femmes, attablées dans la petite cuisine en bois, s’observent sans qu’aucune des deux n’ose parler. De longues minutes passent, et le silence se fait plus pesant, jusqu’à ce qu’il soit brisé par le sifflement assourdissant de la bouilloire. Ange se munit alors deux tasses et se met à servir le thé. Du thé vert.

Leyenda fixe le liquide glauque d’un œil éteint. Puis soudain elle s’anime :

« Donc, Mme Yasakani, vous aussi vous pensez que Bonaugure n’a pas réellement été fondée en 1819 ? »

Ange la regarde intensément.

« Je fais plus que de le penser, Leyenda. J’en ai la preuve. »

Leyenda ne masque pas sa surprise. Elle ouvre grand les yeux et les oreilles, avide d’entendre la suite. Une preuve ? Une véritable preuve historique ? Leyenda ressent soudainement l’excitation qu’éprouve un historien sur le point de faire une grande découverte. Elle est suspendue aux lèvres de son interlocutrice. Cette dernière ne se fait pas prier pour prouver ce qu’elle avance.

La vieille femme se lève lentement de sa chaise, avec gravité, et s’approche d’une commode en bois sombre à l’air ancien, sous le regard impatient de Leyenda. La doyenne, avec minutie, extirpe d’un tiroir un coffre-fort miniature argenté, aux bordures dorées, qu’elle pose délicatement sur la table, juste devant son invitée. Puis elle glisse la main dans la poche de sa robe blanche et en sort une clé de bronze rouillée, contraste saisissant avec l’aspect rutilant du coffre qu’elle est censée ouvrir.

Sans plus tarder, Ange introduit la clé de bronze dans le coffre d’or et d’argent, puis l’ouvre pour en révéler le contenu : sur le velours noir du coffre est entreposée une feuille de parchemin, protégée d’une enveloppe plastique.

« Je n’aurais jamais pensé montrer un jour ceci à quelqu’un… déclare Ange tout en prenant dans ses mains âgées la fragile feuille, avec mille précautions. »

Puis elle la tend à Leyenda, qui s’en saisit avec tout autant de délicatesse, consciente d’avoir probablement entre les mains un objet d’une inestimable valeur historique.

« Allez-y, lisez-la. Elle est dans ma famille depuis plus de deux siècles. »

Sans se faire prier, Leyenda, dévorée par la curiosité, s’empresse de lire le bout de parchemin, couvert d’une élégante écriture :

« Ma très chère Mère,

Vous ne pouvez imaginer à quel point cela me peine de vous écrire ces mots. Nous formions une famille des plus honorables. Je savais parfaitement que vous feriez une grand-mère formidable pour notre futur enfant, à Byō et à moi. Malheureusement, les dieux Pokémon ont été d’une trop grande générosité avec nous, et nous ont accordé non pas un, mais bien deux enfants.

Hélas, ce don était en réalité une épreuve des dieux, car nous savons tous deux que les gages d’un modeste paysan tel que moi ne permettent pas d’élever deux enfants tout en subvenant aux besoins d’une vénérable personne telle que vous, Mère. Nous aurions bien vite sombré dans la pauvreté puis, pire encore, le déshonneur.

Afin d’éviter à notre famille ce terrible sort, j’ai longuement réfléchi à la meilleure des solutions. Il m’est alors apparu que la solution la plus digne était de vous laisser la maison, une partie de notre mince pécule, ainsi que l’une de nos filles, afin que ni vous ni moi ne souffrions trop financièrement de cette situation fort déplaisante.

J’ai conscience qu’une telle nouvelle, de surcroît annoncée par missive, doit vous faire un choc, Mère. Cependant comprenez bien que je ne quitte pas Bonaugure de gaieté de cœur. Mais cette solution est la seule qui soit acceptable, même si elle semble difficile à accepter.

Quand vous lirez cette lettre, je serai déjà parti, accompagné de Byō et de Marika. Nous vous confions sa sœur. Prenez soin d’elle, Mère.

Adieu.

Votre fils, Oku Yasakani.

Lettre écrite à Bonaugure, le dix-huit septembre 1803 »
La lettre se termine par le tampon officiel – désormais à peine visible, car effacé par le temps – de la famille Yasakani, apposé juste à côté de la date. Une date qui change absolument tout. Une date qui prouve que Bonaugure n’a pas été fondée en 1819. Leyenda n’en croit pas ses yeux. Cette découverte est absolument sensationnelle.

— Madame Yasakani, c’est… C’est… commence Leyenda, qui peine à trouver ses mots sous l’effet de l’excitation.

— Un sacré pendard, répond l’ancienne avec un sourire malicieux.

Leyenda demeure interdite face à cette réponse :

— Pardon ?

— Si mon propre fils m’avait un jour fait un coup pareil, je l’aurais déshérité, poursuit-elle, un sourire plus large encore sur le visage.

Amusée de la réponse d’Ange, Leyenda se fend à son tour d’un sourire et éclate de rire :

— Ah ça, moi aussi !

— Ça vous va nettement mieux de sourire, vous savez, affirme la doyenne.

Gênée, la jeune archéologue s’empresse de revenir au sujet initial :

— Pendard ou pas, ce document, s’il est authentique, constitue une preuve historique inestimable.

— Je peux vous garantir qu’il est authentique. Les Yasakani se le transmettent depuis des générations.

— Accepteriez-vous de me le laisser pour que je puisse m’en assurer ? Vous avez bien sûr le droit de refuser, mais ça m’aiderait beaucoup pour mon travail.

— Au contraire, j’en serais ravie. Si ce torchon écrit par un fils ingrat et indigne peut vous servir, plutôt que de prendre la poussière ici, alors il est tout à vous.

Leyenda sourit de nouveau : Ange est bien plus facétieuse et amusante que ne le laisse supposer son apparence de sage grand-mère. Et elle doit bien admettre que ça ne lui déplaît pas.

— Merci beaucoup.

Ange remet la lettre dans son coffre. Ce dernier, ainsi que sa clé, sont ensuite avalés par la besace de travail de Leyenda. Puis les deux femmes finissent tranquillement leur tasse de thé tout en continuant d’échanger leurs théories sur les origines de Bonaugure :

— À votre avis, qu’est-ce qui a bien pu se passer ? demande Leyenda avant d’avaler une gorgée de thé.

— Je pense qu’un drame a eu lieu dans ce village, déclare gravement Ange.

— Un drame ? Quel genre de drame ? s’enquiert l’archéologue, surprise.

— Ça, je l’ignore. Mais étant donné que ce village n’a laissé quasiment aucune trace de lui avant 1819, le drame a dû être sacrément bien étouffé. C’est pour ça que je pense qu’il est en lien avec l’Empire. Peut-être même que l’Empire en est à l’origine.

— D’autant plus que l’année 1819 est très précisément l’année de la chute de ce même Empire… remarque Leyenda, de plus en plus absorbée par la discussion. Ça semble trop gros pour être une coïncidence.

— Je suis du même avis, approuve Ange.

Suite à cet échange, un ange passe. Les deux femmes semblent complètement perdues dans leurs pensées respectives. Soudain, la doyenne brise la glace :

— Si ce n’est pas trop indiscret, Leyenda, quel genre de travaux menez-vous dans le coin ?

— Eh bien… commence l’archéologue, prise au dépourvu ; elle sait qu’elle ne peut pas trop en dévoiler. Je dirige un site de fouilles près d’ici.

— Ah, mais oui, bien sûr, celui du lac Vérité ! Je vois sans cesse du monde s’agiter là-bas. Les recherches se passent bien ?

Leyenda baisse la tête, la mine soudainement bien plus sombre :

— À la vérité, pas vraiment…

Elle relève la tête, soupire, puis reprend :

— Pas du tout, même.

— Je vois, répond simplement la doyenne. Écoutez, Leyenda. Loin de moi l’idée de vous dire comment faire votre travail, car ce serait présomptueux de ma part, mais… Pourquoi n’envisagez-vous pas d’étendre votre champ de fouilles à l’intérieur de Bonaugure ? Au vu de de notre discussion d’aujourd’hui, je pense que cela pourrait se révéler d’un grand intérêt.

Le regard de Leyenda s’illumine un instant, avant de s’éteindre à nouveau :

— Oh, croyez bien que l’idée m’a effleuré l’esprit plus d’une fois… Mais je ne peux pas vraiment prendre ce genre d’initiatives. On m’a assigné un champ de recherches, et je dois m’y tenir. D’autant plus qu’il n’a pas été facile d’obtenir le droit de fouiller les rives du lac Vérité. Et sans compter le fait que Bonaugure est un territoire habité : personne n’acceptera de voir son village devenir un site de fouilles pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois…

— Mais techniquement, cela pourrait-il se faire ?

— Oui, je suppose… Pour ça il faudrait que je négocie avec mon patron et les habitants de Bonaugure, que je convainque mon équipe de me suivre dans la démarche… En résumé, que je me mette tout le monde à dos, mais oui, je suppose que ce serait possible… répond Leyenda, pince-sans-rire.

— Alors pourquoi pas ? Je suis convaincue que vous avez beaucoup plus à y gagner qu’à y perdre, lui assure Ange, absolument sérieuse.

Leyenda fixe Ange de ses yeux brumeux. Peut-être est-ce elle qui a raison. Peut-être que cette alternative est celle qui lui permettra d’enfin faire une vraie découverte. « Une découverte qui pourrait tous nous aider… » songe-t-elle. Et tant pis pour les obstacles qui se dressent sur son chemin. Rien de grand ne s’est jamais fait sans difficulté.

« Vous avez raison, Mme Yasakani, déclare une nouvelle fois Leyenda avec force. »

*
Leyenda court à en perdre haleine sur la route 201, à tel point qu’elle a l’impression que ses frêles jambes risquent de se rompre à tout moment. Voilà deux semaines que la jeune archéologue a décidé de suivre le conseil d’Ange Yasakani, et d’étendre la zone de son site de fouilles au village de Bonaugure.

Jusqu’ici, la mesure n’a eu pour effet qu’un mécontentement général. Tout d’abord, celui de M. Komoss, qui a cependant été contraint d’accepter lorsqu’il a lui-même pu constater l’absence cruelle de résultats sur la seule zone du lac Vérité. Puis celui des habitants de Bonaugure, qui, comme prévu, n’ont pas été ravis de voir une équipe d’archéologues saccager le beau sol fleuri de leur village. Encore une fois, Leyenda a craint d’avoir échoué. D’être bonne à rien.

Mais en ce matin du 5 février 2019, l’espoir renaît en Leyenda : occupée à coordonner les équipes du lac Vérité, elle s’est immédiatement mise en route vers Bonaugure lorsqu’elle a reçu un appel d’une Olga Gassante hystérique, lui annonçant leur toute première découverte. C’est pourquoi elle court aussi vite qu’elle le peut vers le lieu de la découverte, qui en lui-même est assez extraordinaire. Car il s’agit… du jardin de la demeure d’Ange Yasakani.

Lorsqu’elle arrive à la maison de la doyenne, essoufflée comme jamais, Leyenda est accueillie par un sourire de la vieille femme au doux visage. Ange lui murmure :

— Je sais que vous êtes impatiente, mais pensez à reprendre votre souffle, Leyenda.

— Pff… vous… pff… avez… pff… raison… balbutie la concernée avec peine, haletante, penchée en avant, les mains sur les genoux.

— Je vous avais bien dit qu’étendre les recherches finirait par payer ! Cela dit, je suis la première surprise : je ne m’attendais pas à ce que vous découvriez quelque chose dans mon jardin !

— Moi… pff… non plus ! réussit à articuler Leyenda.

— Allez-y donc, ils n’attendent plus que vous !

Leyenda ne se fait pas prier : elle traverse la maison au pas de course et ouvre en trombe la porte de derrière, qui mène au jardin. Au milieu des fleurs colorées un brin amochées se trouvent d’immenses trous béants, et toute l’équipe de Leyenda se tient à côté de l’un d’eux. En nage mais surexcitée, la cheftaine s’empresse de les rejoindre.

On la laisse passer, et enfin Leyenda peut apercevoir le centre de tous les regards : Olga, qui dépoussière avec minutie ce qui semble être une boîte métallique. « Il n’y a pas à dire, Olga a beau être comme elle est, elle travaille bien quand elle veut » songe Leyenda en voyant le visage concentré de sa subordonnée.

Quand l’apprentie archéologue aux nattes brunes achève enfin de dépoussiérer la mystérieuse boîte, elle se met à exulter de sa voix suraiguë. Leyenda décide alors de la féliciter par des applaudissements amplement mérités :

— Bravo, Olga ! C’est du bon travail ! De l’excellent travail, même !

— Oh boss ! Vous êtes là ! Merciiiiii ! répond sa subordonnée avec enthousiasme.

Surexcitée, Leyenda lui sourit tout en s’approchant d’elle et de sa découverte :

— Alors alors, voyons un peu ce que nous avons là…

Lorsqu’elle est enfin assez proche de l’objet déterré, Leyenda se fige sur place, saisie de stupeur. Sous le regard confus de son équipe, l’archéologue s’engouffre en un éclair dans la maison de la doyenne en hurlant :

— Ange ! Il faut que vous veniez voir ça !

Une fois la doyenne mise face à la découverte, sa réaction ne se fait pas attendre :

— Mais… C’est la boîte de ma famille ! s’exclame Ange, le visage déformé par la surprise.

En effet, le coffret métallique déterré par Olga est exactement le même que celui dans lequel la doyenne conserve la lettre de son aïeul. À l’exception du fait que la serrure de celui-ci a cessé de fonctionner il y a bien longtemps.

— Vite, ouvrez-la, s’il vous plaît, Olga ! lui intime Leyenda.

— D-d’accord ! acquiesce Olga, hébétée.

Les mains tremblantes, la jeune fille s’exécute et soulève doucement le couvercle du petit coffre. À l’intérieur se trouve un tissu rouge presque entièrement recouvert de terre. Olga passe la main dessus et s’écrie :

— Hé ! Il y a un truc là-dedans !

— Dans ce cas, retirez le tissu avec la plus grande précaution, lui conseille Leyenda.

Olga opine du chef, l’air aussi déterminé qu’angoissé. Leyenda vient se placer juste derrière elle. Les mains gantées de la jeune fille effleurent le tissu et l’extraient du coffre avec une extrême prudence. Toute l’assemblée retient son souffle.

— Oh ! s’exclame Olga. C’est un tas de parchemins, on dirait, conclut-elle.

« Pas un simple tas de parchemins, Olga, la corrige en pensée Leyenda, le regard fixé sur les feuilles de parchemin recouvertes d’encre. C’est bien plus que ça. Ça a tout l’air d’être…

Un journal intime. »