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Disparition de Suroh



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» Auteur : Suroh - Voir le profil
» Créé le 25/10/2019 à 23:30
» Dernière mise à jour le 25/10/2019 à 23:30

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Ce n’est qu’une question de bière
Le navire voguait vers Galar. Doucement, au gré des vagues, il se frayait un chemin dans la houle. Le temps était resplendissant.

À l’intérieur de ce rafiot, dans une cabine, et tous deux assis sur un lit, discutaient Tarak et le Professeur Chen.

« Vous savez par où commencer nos recherches ? demandait le Professeur.

– J’ai bien quelques idées, répondait Tarak, mais je ne suis sûr de rien. On pourrait aller faire un tour sur la côte ouest, c’est là que sont les industries les plus performantes du pays. Vous pourriez y trouver le meilleur matériel et, naturellement, les meilleurs médecins. Si vous retrouviez votre mémoire, ça vous ferait un bon point de départ, non ?

– Certainement, oui, certainement…

– Vous ne me semblez pas convaincu.

– Non, pas vraiment. Ce n’est pas contre vous ! se hâta de justifier le Professeur Chen. Mais une telle amnésie… Je doute qu’elle puisse se soigner rapidement. Une cure, ça risquerait de se compter en semaines, voire en mois… Et je n’ai pas le temps d’attendre. J’ai un mauvais pressentiment, Maître, et au-delà de ça on ne peut pas attendre. Un phénomène inconnu tue des Pokémon ! C’est irréel, moi-même j’ai du mal à y croire. Nos amis peuvent résister à des attaques Ultralaser, Siphon, Déflagration, mais aujourd’hui quelque chose de pernicieux les envoie au tapis, presque naturellement. Vous vous rendez compte ? Mon sang bouillonne rien qu’à l’idée.

– Vous n’imaginez pas à quel point ce point me touche, Professeur. Il s’agit de mes sujets. Les Pokémon tout autant que les citoyens. Chaque mort… Professeur, chaque mort a été un cauchemar pour moi. »

Tarak regarda intensément le Professeur Chen. Un regard puissant. Un regard de monarque. Mais un regard si digne, d’habitude si confiant, que la nuance zinzoline de désespoir n’en ressortait que plus dévastatrice.

« Professeur… Je suis aussi perdu que vous. Moi aussi je voudrais savoir. Et moi aussi j’ai mes raisons… Briquet… Oh… Briquet… Vous avez perdu quelqu’un, et pour ma part je risque tout autant de perdre un Pokémon. Briquet peut méga-évoluer, et il est sûrement bien plus puissant que tous ces Pokémon qui sont morts récemment. Lui aussi peut mourir… Et ça me terrifie. S’il meurt je serais dévasté…

– Oui… Je peux bien comprendre cela… Oh, ma belle… murmura longuement le vieil homme.

– Professeur… En parlant de cela… Puis-je vous poser une question ?

– Naturellement, Maître, si je peux y répondre, j’en serais ravi.

– C’est bien votre Shaofouine que vous pleurez avec tant de peine ? »

Le tact. Vertu aujourd’hui si sous-estimée.

Chen eut un mouvement de recul, ses yeux s’embuèrent de larmes.

« Oui, Tarak… Oui… »

Le gaffeur, ayant compris sa bourde, chercha à se rattraper à quelque chose pour que le Professeur ne s’effondre pas, là, devant lui.

« Euh, Professeur… Ça vous dirait qu’on mange un Fish & Chips au port ? »

Subtil.

Le Professeur Chen passa la manche de sa main sur ses yeux humides, et les rendit plus secs, moins sensibles. Du moins en apparence. Un surgissement de regrets, de peur profonde, et un trou, un déchirement fondamental, s’étaient réveillés à la mention de son Pokémon bien-aimé… Ses membres, instantanément engourdis par un souvenir empreint de brume, comme s’il avait couru, un jour, sous la pluie, les membres engourdis, la tête étourdie, diaphane dans une dystopie ayant diamétralement divisé son âme… Mais quoi, pourquoi pense-t-il de telles choses ?

« Oui, pourquoi pas, Tarak. »

Le bateau continua sa course sur les flots, jusqu’à arriver au port de Shrimp. Il aborda en solitaire, car aucun autre rafiot ne mouillait près du quais réservé aux navires arrivés de pays étrangers.

Tarak et le Professeur mirent pied à terre, leur peau caressée par un vent chaleureux. Comme si le pays de Galar les saluait avec plaisir, enchanté de leur présence sur son sol. Les deux hommes marchèrent sur le ponton de pierre. Le Professeur promena son regard sur ce port nouveau.

À sa droite, un immense phare rouge et blanc se dressait. Un bâtiment à la pointe de la modernité, et pourtant hérité du passé ; la lumière puissante qu’il émettait irradiait sur les flots, voguant jusqu’au firmament. Ce n’était pas là la lumière naturelle d’un phare antique, peut-être était-elle le produit de l’association du génie humain avec les pouvoirs de Pokémon ?

Alors que le sol sous les pieds du Professeur devint béton, il se surprit à songer que la masse verdoyante près du phare était somme toute la bienvenue dans un tel paysage d’artifices. Car elle en imposait, quand même.

Il prit le temps de la détailler avec délice : cet îlot de verdure dans une mer de béton jurait agréablement. Elle ressemblait à une pièce montée : le dernier étage, dominé par des chênes gigantesques, s’enracinait dans un lac de verdure – le deuxième étage –, lac de verdure qui, remarquait le Professeur, était ancré dans un océan végétal et minéral, solide comme le roc.

Alors que son esprit se laissait emporter par ces douces considérations, le Professeur avançait, et suivait Tarak comme un automate. Son esprit scientifique, et quelque peu juvénile, distrait par toutes ces beautés, ne voyait du monde que son aspect extraordinaire. Chose peu commune, et plutôt sublime, certes, mais qui avait l’inconvénient de priver le Professeur d’informations pour le moins nécessaires.

Car autour de lui, le monde est hostile.

Tarak l’emmenait vers l’un des nombreux pubs qui faisaient face à l’océan, profitant du cadre pour attirer une clientèle voyageuse. Par les temps qui courraient, les affaires allaient donc plutôt mal : des histoires de morts incompréhensibles repoussent les touristes encore plus efficacement qu’un Max Repousse ne vous fait détaler un Zigzaton.

Ces pubs, qui avaient pourtant eu le vent en poupe en se convertissant en restaurants, avaient donc dû retrouver leur fonction d’origine : vendre de l’alcool et voir s’agglutiner toute la misère du monde entre leurs murs. Avec le tourisme, ces pubs s’étaient travestis, s’étaient fait restaurants aguicheurs ; maintenant que celui-ci avait dépéri, voilà qu’ils redevenaient des fontaines de bière, pour le plus grand malheur des autorités.

Ou bien leur plus grand bonheur, car alors que Tarak entraînait le Professeur à l’intérieur de l’un de ces pubs, un sourire d’ivrogne étira les traits du Roi de Galar.

« Ne m’aviez-vous pas proposé de manger un Fish & Chips, Tarak ? Je savais que votre pays aimait la bière, mais à ce point ! Vous nourrissez vos poissons avec de l’alcool et vous les donnez ensuite à manger, c’est ça ?

– Non, mon brave ! rit de bon cœur Tarak. C’est que, voyez-vous, avant que tous ces… événements… n’arrivent à Galar, ce pub proposait le meilleur Fish & Chips de la région ! Pour être honnête, j’ai oublié qu’il n’en font plus aujourd’hui, mais, eh, une bière ne fait jamais de mal, non ? Venez donc, venez donc, goûtez par vous-même, vous m’en direz des nouvelles !

– Vous savez, Tarak, je ne suis pas très très biè… » essaya de répondre le Professeur, avant qu’une bière n’apparaisse comme par magie dans ses mains.

Il venait en effet de mettre l’ongle de l’orteil du pied droit sur le premier centimètre-carré de la première latte de parquet de l’entrée du pub, il n’en faut pas plus pour avoir sa propre chope ! « Quel pays de fous ! » pensa le Professeur.

Tarak, d’une accolade musclée, le poussa plus en avant, de sorte que le Professeur sautât à pieds joints dans la pièce. Et c’est alors qu’il se retrouva au beau milieu d’un banc de Sharpedo, d’une meute de Grahyéna, en bref, d’un contingent d’Ixon ! Ce groupe était composé de centaines d’hommes puant l’alcool, tous débauchés, désœuvrés, désemparés face à la vie, et perdus. De braves types.

Seul face à tous, le Professeur Chen n’avait que Tarak comme bouée pour l’empêcher de se noyer, il s’agrippa donc la main de ce dernier avec force, laissant de côté toute pudeur. Tarak l’emmena donc au bar, là où l’autorité du barman repoussait au loin les plus ivrognes.

« Professeur, dit Tarak, je suis désolé de ne pas avoir été très délicat avec vous tout à l’heure, ma question était assez subite, mais c’est que je crois que la disparition de votre Pokémon est la clé de tout. Je sais combien c’est difficile pour vous d’en parler… Vous êtes amnésique et manifestement la seule chose qui occupe votre esprit à ce sujet, c’est votre douloureux manque. Mais j’ai besoin d’en savoir plus, il n’y a rien – vraiment rien – que vous puissiez me dire à propos de cette disparition ?

- Tarak… Je sais que vous voulez agir au mieux, mais je ne peux rien vous dire. Je sauve les apparences tant que je le peux mais je me sens vide à l’intérieur, comme si on m’avait extrait toute ma substance, vous vous rendez compte ? Je voudrais vous aider, mais je ne peux pas. Je me force à penser à mille et une choses, à m’extasier sur tout et n’importe quoi pour oublier ma douleur, je vous le dis tel que je le ressens. Et le pire, Tarak, c’est que je ne sais rien. Vous imaginez ? Quelqu’un m’a fait du mal alors que je voulais quitter le port. Peut-être que j’avais trouvé des éléments intéressants sur ces morts ? Je ne sais pas…

- Professeur. Je vais préciser mon idée, peut-être que ça va vous aider à vous souvenir. Enfin, d’abord, buvez donc ; oui, voilà, vous verrez, ça vous fera du bien. Allez, trinquons à votre mémoire ! Voilà, donc je disais. Je vais être honnête avec vous, car rien ne m’en empêche : tout ce qui a été dit lors de la réunion, ce n’était qu’un ramassis de conneries.

- Je vous demande pardon ? réagit le Professeur en fronçant les sourcils.

- Ces histoires de climat qui tuerait des Pokémon, de Gigamax ou je ne sais quoi… À mon avis, rien de tout ça n’est vrai. Vous n’étiez pas là lors de leurs démonstrations compliquées, de leurs arguments débiles… Rien n’était clair, et je vais bien vous dire une chose : si une prise de position n’est pas claire, c’est qu’elle n’est pas fondée.

- Pourquoi pas, Tarak, pourquoi pas. Mais pourquoi mentiraient-ils ? Et quel lien avec moi ? »

Le Roi de Galar vida d’une traite sa chope de bière, et engagea du regard le Professeur Chen à en faire autant. Ce dernier finit avec peine de boire, et à peine la dernière goutte s’était-elle écrasée sur sa langue, que son verre était à nouveau plein.

« Je ne pense pas qu’ils veuillent à mal. Ils essaient de trouver, c’est tout. Mais ils sont tous cantonnés dans leurs esprits, barricadés dans leurs spécialités, ils n’ont pas le bon regard, ils pensent qu’ils peuvent voir mais ils sont aveuglés par des œillères terribles. Les climatologues parlent de climat, les politiciens parlent de politique, ils ne voient pas la situation.

– Et vous, Tarak, vous pensez que vous pouvez voir mieux que tout le monde ? ironisa le Professeur, la langue déliée par l’alcool.

– Mon regard n’est pas le même. Votre amnésie, ces morts, la climat qui se modifie peu à peu, les autres pays qui nous regardent de haut, vous pensez que tout ça n’est pas lié ? Bien sûr que si. Une autre bière, s’il vous plaît, barman. Tout s’implique, tout est lié, tout va de pair, tout va nous mener dans une situation que personne ne peut prévoir ! J’aime mon Dracaufeu car il est puissant, qu’il peut méga-évoluer de deux façons différentes, mais là on croirait qu’il risque de mourir ! Quelles implications tout ça va avoir, hein ! Allez chef, donne-moi encore à boire ! Pourquoi tu crois que tu es amnésique ? Pourquoi ! J’ai besoin de le savoir, putain, sinon on va tous crever !! »

Le poing de Tarak s’abattit violemment sur le bar, faisant taire toute la salle. Le Professeur Chen, effaré par cet emportement soudain, se releva brusquement et mit devant lui les paumes de ses mains, comme pour se protéger des prunelles incendiaires du personnage qu’il avait face à lui. Mais il n’était pas assuré, et il tremblait comme un Moumouton face à un Corvallius.

Le Professeur Chen, déstabilisé, ne savait pas quoi faire. Autour de lui les conversations reprenaient, la rumeur s’élevant à nouveau, moins menaçante, plus enivrée ; en effet l’un des lascars s’était rendu compte que le type bourré et énervé du bar, n’était autre que Tarak, Roi et Maître du pays de Galar. Ce dernier se rendit compte de son emportement ; il se leva donc, tête baissée, et il sortit du bar.

Le Professeur Chen hésita, puis le rejoignit dehors. Les regards de quelques curieux le suivirent jusqu’à ce que sa silhouette rejoigne la lueur terne du jour.

Le barman les regardait s’en aller d’un air inquiet ; eh, qui allait payer les consommations ?

Depuis la terre, on ne voyait qu’un ciel couvert de nuages, ils s’étendaient en une immense colonne nébuleuse qui semblait vouloir écraser la terre par sa densité. Son air chargé d’électricité paraissait prêt à exploser à chaque instant, et une pluie grise, une pluie de ville, tomba sur le port de Shrimp.

Le Professeur Chen hésita encore, devant lui Tarak était assis face à l’océan, tout silencieux. Il pensa que la journée n’était pas vraiment commune, que lui-même ne savait pas vraiment où il en était, et que Tarak était un drôle de bonhomme.

La fraîcheur d’un mistral artokodien revigorait ces deux esprits embrumés par l’alcool.

« Tarak, connaissez-vous un endroit par ici où on pourrait se reposer ? dit le Professeur Chen. J’ai l’impression que nous sommes tous les deux bien fatigués, on pourra reparler de tout cela demain une fois qu’on se sera reposés. Je ne sais pas quelle heure il est, mais ça ne nous fera pas de mal de nous poser quelques heures avant de dormir. On n’en sera que plus efficaces, vous ne pensez pas ? Et puis j’ai l’impression que vous ne tenez pas très bien l’alcool, allez, je ne vous tiens pas rigueur de ce qui s’est passé… Allons nous reposer, qu’en pensez-vous ? »

L’autre ne mouftait pas. Le Professeur Chen s’approcha de Tarak. La pluie se mua progressivement en grêle, et dans le ciel naquit un orage presqu’adamentin, impitoyable. Le quai sur lequel étaient assis les deux hommes se vida, chacun rentrant chez lui pour se reposer ; des éclairs zébraient le ciel dans un tonnerre assourdissant. La colonne de nuages se déchirait de l’intérieur alors que la foudre l’écorchait de l’intérieur. Les larmes et le sang du ciel se mêlaient, et cette pluie douloureuse s’abattait sur les deux hommes.

Tarak se leva.

« Non, Professeur. Je crois que j’ai compris. Je sais pourquoi les événements se sont produits ainsi. »

Chen ne savait pas quoi en penser, il frissonnait, et le froid naissant mordait sa peau. Il sentait de moins en moins le bout de ses mains, le bout de ses pieds. Il avait rabattu sa capuche sur sa tête et essayait de se protéger du vent et de la grêle.

Tarak fit un pas vers le Professeur. Il avait le regard dément. Ses yeux étaient injectés de sang. Insomnie, colère ou folie ? La réponse fut claire pour Chen, qui se sentait tétanisé par la peur.

Dans une révélation fulgurante, cette peur transcendante réveilla en Chen une ébauche de souvenir ; il avait la certitude qu’il avait déjà connu cette situation, oui, ce n’était pas la première fois que cette peur l’assaillait ainsi ! Il se raccrocha à cette conviction comme un condamné à la corde qui se resserre autour de son cou, quand Tarak le frappa et le poussa à terre.

Le déluge s’intensifia, l’orage se mua en une tempête assourdissante, qui faisait branler les édifices, qui arrachait aux arbres leurs branches, qui donnait vie aux navires du port, qui menaçait les côtes d’un tsunami.

Tarak saisit au cou le Professeur Chen et, tétanisé, ce dernier ne put que vivre la scène comme un spectateur : son corps, paralysé par l’incompréhension et la terreur, ne répondait plus.

Les lèvres de Tarak s’entr’ouvraient, une vérité terrible s’apprêtait à en sortir. Ses yeux s’écarquillèrent cependant, alors qu’il voyait une demi-douzaine d’hommes se rapprocher du Professeur par derrière. Dans un coup de sang, il arracha le brassard qu’il portait au poignet gauche et le fourra dans l’une des poches du Professeur.

C’est alors qu’un éclair plus puissant, plus incisif et plus humain que les autres, foudroya le Professeur Chen, et que tout devint noir.