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Dissension de Lacrima



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Informations

» Auteur : Lacrima - Voir le profil
» Créé le 15/10/2019 à 08:28
» Dernière mise à jour le 15/10/2019 à 08:28

» Mots-clés :   Action   Hoenn   Organisation criminelle   Présence de personnages du jeu vidéo

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Chapitre 12 - Sommation
Ce matin, Jordan avait eu beaucoup de mal à se lever de son lit. Son frère s'était marié la veille et ils avaient fêté l’évènement jusqu’à une heure déraisonnable, même s’il travaillait aujourd’hui, un dimanche. C’était la journée la mieux payée alors il ne s’en plaignait pas vraiment, c'était surtout la gueule de bois qui le gênait.

Il avait pris une aspirine en partant de chez lui, puis une cigarette en arrivant au travail, avant de se faire couler un café à la machine.

Ce truc avait un goût immonde. Le distributeur était en maintenance et seul le cappuccino noisette était disponible. Et Jordan avait toujours eu horreur de la noisette.

Mais après tout, qui s'intéresse aux goûts de Jordan ? Il a bien plus intéressant à partager.

Son travail par exemple. Jordan adore son travail. Il avait été jeté de son ancien boulot comme un vieux déchet, et s'était presque littéralement retrouvé sur le pavé du jour au lendemain. Pendant le mois le plus long de sa vie, lui et sa compagne avaient mangé plus de pâtes qu'ils ne l'auraient souhaité.
Mais un heureux hasard fit qu'un jour il tomba sur un vieil ami, en faisant ses courses. Jordan n'avait eu aucune honte à lui raconter sa mésaventure ; il n’avait après tout rien fait de mal, et l'usine dans laquelle il avait si longtemps travaillé était au bord de la faillite.

C'est là que son ami lui parla de son job, chez Devon.

La société n'avait jamais connu pareil essor depuis sa création et agrandissait sans cesse ses usines de traitement, ses bureaux et son influence en général. Ils avaient besoin de tout ; de main d’œuvre, de techniciens, de chargés de communication… et de personnel pour veiller au bon fonctionnement de tout ce petit monde.
Deux postes supplémentaires en vidéosurveillance avaient été créés et n'attendaient plus que Jordan. Son vieil ami lui fit rapidement rencontrer le recruteur et il s’était présenté aux locaux dès la semaine suivante, dans son nouvel uniforme.

L'usine était un véritable monstre de métal, crachant de la fumée blanche et vrombissant de jour comme de nuit. Il s'était perdu dans le dédale de salles plus d'une fois, mais il y avait toujours eu quelqu'un pour lui indiquer sa direction.
Les gens semblaient heureux ici. Rien à voir avec son ancien travail, où tous sentaient le chômage rôder derrière chaque poutre en fer. Là, les ouvriers, les techniciens, n'importe qui… ils étaient étonnamment bien payés pour leurs qualifications. Une ou deux centaines de Pokés supplémentaires qui faisaient tant de différence à la fin du mois.

Jordan n'échappait pas à la règle et en était ravi. Il salua les veilleurs de nuit d'un vague signe de la main alors qu’ils quittaient la salle de vidéosurveillance, fatigués mais soulagés.

Lorsqu'il s'installa aux côtés de son collègue, ils échangèrent une poignée de main amicale.

« Alors, ce mariage ? C'était comment ?
- Très sympa, on s'est bien amusés. Et puis ils ont l'air heureux tous les deux.
- Bon, bien, bien. Et ta femme ? »

Il échappa un sourire en pensant au visage radieux de sa dulcinée, et son ventre rond.

« Elle tient le coup, mais elle est vraiment fatiguée. C'est pour le mois prochain ! »

Son collègue s'enthousiasma à la nouvelle.

« Super ! Alors tu nous paieras un coup à la petite Laurie, hein ?
- Oui, on fêtera ça, pas de souci. Mais pas au bureau !
- Certes, certes. »

Jordan s'installa confortablement dans son fauteuil et passa rapidement en révision toutes les caméras. Il put voir sur l'une d'elles trois personnes qui fouillaient dans un sac de sport, près de l'entrée de l'usine, et fronça les sourcils.

« Hé, ils font quoi ces zigotos à ton avis ? »

Comme pour répondre à sa question, ils extirpèrent une longue banderole de tissus blanc couverte de lettres vertes et rouges. Son camarade grommela.

« T'en fais pas, il y a encore une manif' de prévue aujourd'hui. Les écolos ne veulent pas nous lâcher depuis cette histoire d'empoisonnement de pêcheurs ou quoi… pourtant il paraît que le patron de Devon leur a offert une somme faramineuse pour s'acheter de l'équipement médical et du poisson frais en guise d'excuses. »

Jordan haussa les épaules.

« Ils ne peuvent rien faire contre le développement. La technologie va trop vite, et Devon doit toujours fabriquer plus de Multi-Navi. Ils sortent un nouveau modèle tous les ans, et franchement vu la demande, ce n’est pas un petit groupe de pêcheurs qui va les ralentir. »

L'autre reprit de plus belle.

« Ouais. C'est triste pour eux mais, en plus, leur village n’est pas un lieu touristique, alors ils n’ont pas besoin de rester. Ils ont qu'à bouger vers un archipel d'écolos ! Nous on avance avec notre temps, ça fait bien longtemps qu'on a des chalutiers pendant que ces types pêchent encore à la barque et au harpon. »

Sous leurs yeux, le groupe de manifestants se formait et en moins d'une heure, ils étaient plus d’une centaine à lever des panneaux au-dessus de leurs têtes. Un meneur sortit un haut-parleur et commença à s'adresser à la foule, et Jordan félicita intérieurement Devon de ne pas avoir mis de micros sur leurs caméras. Il avait assez mal au crâne comme ça, pas la peine d'entendre des slogans à la con scandés toute la journée.
Il soupira profondément, presque embêté pour les manifestants qui paraissaient si minuscules face à la grille d'entrée, et se leva de son siège.

« Je vais avoir besoin d'un café. »



La journée s'écoula ainsi. Lentement, sûrement. Les manifestants gardèrent Jordan et son collègue occupés toute la journée ; ils étaient toujours là lorsqu’ils étaient revenus de la cantine, et le seraient certainement au moment de partir ce soir.

Par la fenêtre de son bureau, il pouvait admirer le bleu de l'océan lorsque les caméras le lassaient. Le vent soufflait fort aujourd’hui et il fut surpris de voir que quelques personnes s'étaient risquées à faire trempette avec leurs Pokémon. Ils devaient préparer un jeu d'équipe, car il crut discerner plusieurs gamins qui formaient des groupes de trois ou quatre.
Jordan les aurait sûrement enviés si l'eau n'avait pas été si froide en cette saison, et le cuir de son fauteuil si confortable. Au lieu de ça, il sortit un paquet de tuiles au paprika de sa sacoche et les grignota une par une en les regardant se rapprocher de la rive, jusqu'à ce qu'ils quittent son champ de vision.

Ils avaient certainement regagné la plage, il faisait vraiment trop froid pour se baigner ces temps-ci. Et puis les vagues pouvaient se montrer dangereuses, surtout si près de falaises.

Pendant un moment, il hésita à aller vérifier d’un coup d’œil si les gosses avaient bien atteint la rive, mais un bruit sourd l'interrompit et il tendit l'oreille. Il s'agissait d'un grincement… d'un crissement, peut-être ? Il n'en était pas sûr, et ouvrit la fenêtre pour mieux entendre.
Malheureusement, le tout fut couvert par le bruit des vagues et il la referma pour empêcher l'air frais d'envahir la pièce.

Il était seul pour surveiller les caméras maintenant que son collègue était parti aux toilettes, et engloutit une petite pile de tuiles avant de s'asseoir de nouveau. Il se prit à détailler les manifestants qui s'en allaient petit à petit, seul les plus obstinés restant plantés devant les barrières. Des petits malins se mettaient maintenant à jeter des pierres et autres objets sur la façade et Jordan devait veiller à ce qu'il n'y ait aucun débordement, sous peine de devoir prévenir la sécurité.

Il leur tapa rapidement un message par mail pour leur demander de se tenir prêts et de demander aux manifestants de reculer.
Il ne tenait pas à recevoir une pierre sur la tête en sortant du travail.
Et puis si Devon le payait aussi généreusement, il avait plutôt intérêt à bien faire son travail. Il n'avait aucune envie de se voir licencié pour quelques états d'âme.

Il ne vit pas, sur les écrans dans son dos, les cuves d'eaux usées bouillonner dans les salles de traitement.



Alors qu'au loin des silhouettes filèrent à la surface de l'eau, les immenses cuves dans lesquelles décantaient les eaux usagées de Devon se mirent à frémir.
Le liquide presque visqueux n'avait plus la place de sortir. La pression se mit dangereusement à augmenter, alors qu'un étage au-dessus les employés ne se rendaient compte de rien.

Au vu du débit avec lequel les eaux étaient acheminées, il ne leur fallut pas plus d'une vingtaine de minutes pour déborder. Le premier à s'en rendre compte fut évidemment Jordan, qui remarqua un inquiétant filtre brumeux sur son écran.

Il n'y avait tout d’abord pas prêté attention, trop concentré sur des manifestants prêts à en découdre avec la sécurité. C'est en voyant certains employés cesser de travailler pour regarder en l'air qu'il s'était penché sur son écran.

Maintenant, la plupart des travailleurs portaient leur main à leur visage et certains quittèrent la pièce sans demander leur reste.
Étrangement, il s'agissait de la salle située juste au-dessus des cuves…

« Merde ! » s'exclama-t-il en notant que celles-ci débordaient à présent tant et si bien qu'elles noyaient la salle sous cinq bons centimètres d'eau. Il ne lui fallut pas une seconde de plus pour plonger sur le téléphone de la sécurité, alors qu’une odeur inquiétante envahissait déjà la pièce.

« Hé, sécurité ! Répondez ! » fit-il en tapotant fébrilement sur tous les numéros de son combiné en espérant que quelqu'un décroche. Personne à l'accueil, évidemment. Ses doigts moites glissèrent sur les touches du combiné alors qu’il tapait le numéro de la sécurité.

« Ces enfoirés d’écolos n’ont pas raté leur coup, là... »

Il en était certain, quelqu'un devait être derrière tout ça. Qu'est-ce qui aurait pu empêcher un bassin de se vider ? Impossible de boucher un conduit d'évacuation de la taille de ceux de l'usine sans le vouloir. Ces salauds avaient dû se servir des lancers de pierre comme d'une diversion…

Une voix grésilla enfin au combiné alors que l'odeur dans son bureau devenait insupportable. Les gaz se propageaient beaucoup trop rapidement dans l'immense bâtiment et le système de ventilation ultra-moderne y était sans doute pour quelque chose.

« Sécurité, j'écoute ?
- Oui ! Ici Jordan, de la surveillance. On a un souci avec les cuves d'eaux usagées, elles débordent et les gaz se sont accumulés dans la pièce. Maintenant il y en a partout dans le bâtiment, il va falloir évacuer les employés et régler ça en vitesse !
- Comment ?! s'exclama-t-il, abasourdi. Mais il n'y avait aucun système d'alarme dans la pièce ?
- J’imagine que Devon avait trop confiance en son système d'évacuation. Mais on n’a pas le temps, faites ce que je vous dis ! »

Il fut pris d'une quinte de toux au moment de raccrocher et l'odeur âcre et puissante des vapeurs lui donna la nausée. Sans le moindre regard pour ses écrans et les manifestants déchaînés, il s'empara de sa sacoche et se rua hors de son bureau.

Pitié, qu'il n'aie pas respiré suffisamment de cette saloperie pour s'empoisonner…




Carvanha fendait les eaux à toute allure, ravi de pouvoir se déplacer aussi librement. Sur son dos, Arthur fixait l'horizon les yeux plissés, sans broncher. Il avait l'air étonnamment grave.
Le Carvanha de Sarah le rattrapa en deux bonds et elle lui servit son plus beau sourire, radieuse.

« Eh, ne fais pas cette tête, mon grand. On l'a fait ! Et je pense même pouvoir affirmer qu'on a réussi. »

Le brun basané lui servit une petite moue en retour. « J'espère qu'ils comprendront la leçon. Je n'ai pas vraiment envie de remettre tout le monde en danger comme ça. J'espère vraiment qu'on ne nous a pas vus, mais en plein jour et avec le nombre de fenêtres qu'ils ont dans leurs bureaux... »

Elle leva les yeux au ciel et lui désigna le groupe d'une dizaine de personnes qui les suivait à dos de Pokémon, ravis.

« Regarde. Ils attendaient juste que quelqu'un leur donne l'opportunité de se venger de ces salauds, et tu l'as fait. Pas besoin d'avoir de scrupules avec des personnes aussi égoïstes et cupides, Arthur. On fait ce qu'il faut pour ne pas avoir à mourir à petit feu, d'empoisonnement comme de faim. »

L'adolescent se tourna vers ses camarades, et certains qui le remarquèrent lui adressèrent un pouce vainqueur ou des sourires carnassiers. En effet, même ceux qui étaient les plus indécis au début semblaient ravis de leur action contre Devon. Et puis, après tout, il n'y avait pas mort d'homme. Il haussa les épaules et se retourna vers Sarah.

« - Tu as raison. » Il marqua une pause, hésitant. « Je n'ai juste pas très envie de recommencer une escapade du genre. Il va falloir qu'ils calment le jeu, maintenant que le message est passé.
- Tu sais, s'il faut recommencer, je le ferai sans scrupules.
- Tu ne devrais pas, trancha-t-il sévèrement. Je sais que tu en es capable, Sarah. Mais n'oublie pas qu'ils vont certainement installer un système de surveillance près des sorties des tuyaux, maintenant. Il faudra alors trouver autre chose et ça risque de prendre des mois.
- Et alors ? Tu n'es pas à la hauteur ? Parce que moi, j'adore les défis. Et t'en fais pas, si jamais tu n'as plus envie de participer à ces « escapades », je m'en occuperais. Toi non plus tu n'es pas obligé de le faire. »

Arthur ne répondit pas. Il n'avait rien à répondre. Il n'était certainement pas la hauteur, et Sarah avait raison de vouloir insister en fin de compte. Leur vie était en jeu, d'une certaine manière. Ils avaient le droit de se faire entendre.

Si son amie se montrait plus bornée que Devon, alors il le serait aussi, sans aucun doute. Sinon, Annie et Emi seraient obligées de déménager, de changer de vie. Tout ça pour quelques babioles électroniques dont il ne comprenait pas – ou ne pouvait pas comprendre l'utilité.

Il leur fallut un quart d'heure pour atteindre Pacifiville, en silence pour les deux meneurs, dans la joie et l'excitation pour ceux qui les suivaient. Le petit groupe s'était absenté pendant toute la matinée et le début de l'après-midi, et ils furent accueillis par plusieurs adultes inquiets… et une petite furie brune qui bondit sur le ponton en les voyant.

« Arthur ! » hurla-t-elle en le reconnaissant au loin. « Aaaa-rthuuur ! »

Sa réaction arracha un sourire au garçon qui lui fit signe et se dirigea vers elle.

« Hé, salut. Bien dormi ?
- T'es parti sans me réveiller ce matin ! T'étais où cette fois, encore ? »

Elle gonfla les joues, boudeuse, et plaça ses poings sur ses hanches. Son frère adoptif se gratta la tête et soupira.

« On est allés au marché de Poivressel. »

La gamine ouvrit des yeux ronds et il détourna le regard, attendant ses réprimandes. Elle adorait leurs rares escapades sur la terre ferme, et lui en voudrait sûrement à mort de l’avoir fait sans elle. Il l'aurait emmenée, bien sûr, mais là… non, il ne pouvait décidément pas lui dire ce qu'il était vraiment allé faire. Même quand les adultes seraient loin d'eux.
Il ne pouvait tout simplement pas la mettre dans la confidence.

Elle le fusilla du regard pendant ce qui lui sembla une éternité, tandis que dans leur dos le petit groupe éclatait aux quatre coins de Pacifiville, les plus jeunes rassurant leurs parents en expliquant leur retard par un prétendu pique-nique. Arthur ne les écouta pas et remarqua à peine qu'ils s'étaient éloignés, Sarah y compris, sans vraiment faire attention aux deux enfants encore debout sur le pont.

Finalement, Emi se détendit et croisa les bras.

« Bon. Je te connais, le marché c'est pas vraiment ton truc. T'y serais pas allé comme ça en douce. La dernière fois que tu m'as fait le coup c'était pour m'offrir des boucles d'oreilles, mais là tu n'as rien sur toi, même pas un sac. Alors ? »

Elle tapota nerveusement les planches de bois du pied et Arthur échappa un sourire, à la fois nerveux et soulagé.

« On ne peut rien te cacher. On a fait semblant d'aller au marché de Poivressel, mais on ne l'a pas fait. »

Une étincelle de malice passa dans les yeux d'Emi et elle s'avança sur la pointe des pieds pour se rapprocher d'Arthur, tout sourire.

« Allez, tu peux tout me dire tu sais ? Vous avez fait quoi ? »

Il hocha négativement la tête et elle se laissa retomber sur la plante des pieds, déçue.

« Je ne peux pas te dire, mais c'était quelque chose d'un peu dangereux. C'est pour ça que je ne t'ai pas dit de venir. »

La petite sembla comprendre qu'elle n’obtiendrait rien de plus et que ce n'était pas juste pour la taquiner, cette fois. Vexée malgré tout de le pas être mise dans la confidence, elle prit le garçon dans ses petits bras et sourit.

« Ok, je dis rien. Je suis juste contente que tu sois rentré, quand on a vu le vent se lever on s'est fait du souci avec Annie. »

Il posa une main protectrice sur sa petite tête en tournant la tête en direction de Poivressel, pensif.

« Je sais, désolé. Content aussi de te retrouver, Emi. »




Pendant ce temps, à l'autre bout de l'archipel, Max faisait ses derniers adieux à quelqu'un qu'il aurait bien aimé, lui aussi, pouvoir voir rentrer.