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La Cendre et la Braise de Ramius



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Informations

» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 02/07/2019 à 09:35
» Dernière mise à jour le 24/08/2019 à 15:53

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Amitié   Mythologie   Présence d'armes   Suspense

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Chapitre 14 : Le fer et le feu
δ

Ça n’en vaut pas la moitié !

— J’ai une famille à nourrir…

— Oui, ils sont authentiques.

— Disons… Vingt-cinq ?

— Tu sais ce qui m’avait manqué ?

— Le fait est que je suis allé les chercher moi-même !

— Et là, l’autre se retourne et lui dit…

— Les temps sont durs pour tout le monde, hélas…

Non.

— Ah, je la connaissais. Mais elle me fait rire à chaque fois !

— Touchez un peu cette soie ; sentez son déroulement délicat…

— Vingt-cinq… C’est encore cher, mais vous ne vendez jamais que de la qualité…

— Le chaos incomparable de ce marché ! Je crois que je ne l’ai pas assez apprécié la dernière fois que je suis venu ici.

— Au voleur ! Au voleur !

C’est un point de vue que je trouve valable, oui.

— C’est pas moi ! Lâchez-moi ; c’est lui, là-bas !

— Quels tourbillons de couleurs et de formes !

— Petit, c’est la troisième fois que je t’attrape aujourd’hui.

— De matières et de textures !

— Mais j’ai si faim…

— De bruits, de sons et de paroles !

— Il n’y a pas à manger pour les malhonnêtes, ici !

Permets-moi de te signaler que dans l’Essence, ton chaos contient plus de rancœurs que de joies.

— Merci, merci beaucoup ! Où va le monde si même les enfants s’en prennent au commerce, je vous le demande…

— C’est vrai. Quand tu mets plus de deux personnes dans une même pièce, chacune trouvera toujours une excellente raison d’accuser l’autre d’être responsable de tous ses malheurs.

— Monsieur le garde ?

J’ai du mal à voir ce que tu essaie de justifier, là.

— Ta gueule. Et viens par là, le responsable de la sécurité du marché aura deux mots à te dire.

Est-ce que, simplement parce que les Humains cohabitent, la situation est désagréable ? Ou bien est-ce que, parce que les Humains rendent la situation désagréable, il est normal qu’ils en subissent un retour de bâton de la part des autres, le tout se déroulant en même temps ?

— Vous êtes un méchant.

— Un peu des deux, je pense. Comme les deux surviennent ensemble, parce que l’idée de l’un provoque l’autre… Je ne sais pas si on peut séparer ces deux cas.

— Écoute-moi bien, le morveux. T’as de la chance que ce soit moi qui te soit tombé dessus, et un jour, si tu persiste à voler, tu comprendras pourquoi t’as de la chance. Maintenant, la ferme.

Je n’en sors pas vraiment convaincu. Est-ce que tu as vraiment écouté la question ?

— Eh bien…

C’est ça, oui. Bon, en même temps, je comprends un peu. Tu te mets à la place de cet enfant, n’est-ce pas ?

— Oui. Ça me fait toujours mal au cœur de voir ces gamins des rues, sans parents, sans maison, sans rien pour vivre, et traités en coupables.

Pour ma part, je trouve qu’il aurait pu être plus discret avec cette pomme.

— Sévère.

Car la justice que j’ai toujours appliquée est celle du plus fort. Et en même temps, je vois bien qu’elle ne peut pas fonctionner ici. Je crois que je n’arrive toujours pas à appréhender cet ensemble de règles que vous édictez et qui vous permet de vivre ensemble…

— Ça viendra… Il faut toujours du temps pour l’assimiler. Et parfois, il est incapable de régler une situation. Est-ce que les marchands peuvent nourrir tous les enfants des rues ? Cela représente tout de même un investissement lourd.

Si tout Cnossos s’y mettait, ça ne serait pas un problème.

— Certes. Mais pourquoi crois-tu que ces enfants se sont retrouvés dans les rues en premier lieu ? Malgré toute notre société, nous autres Humains avons la trouille rien qu’à l’idée de devoir élever un mioche. La trouille, et la flemme.

Encore une idée que je vais avoir du mal à comprendre.

— Et qui m’énerve rien que d’y penser.

Nous en restons donc là, regardant de plus en plus loin le soldat traîner l’enfant hors du marché. Son casque finit par se fondre dans la foule, et nous le perdons de vue. Autour de nous, acheteurs comme promeneurs se détendent un peu. Un soldat de moins dans le marché, c’est un créneau pour les voleurs ; malgré cela, les soldats (et leurs armures encombrantes) n’ont pas leur place dans ces ruelles étroites. Ils n’y viennent que depuis le retour de Minos, et cette présence inhabituelle pèse à tout le monde.

Icare et moi reprenons notre marche, dérivant entre les étals et les échoppes, attrapant au vol des bouts de phrases, essayant de reconstituer des conversations plus ou moins entières. Bien que guère social, l’Habitant apprécie la vie bouillonnante du marché. Je me demande pourquoi, d’ailleurs ?

C’est très divertissant de considérer que tous ces gens en ont après moi, et d’imaginer des moyens de les écarter. Pas forcément délicatement, je l’admets.

— Je vois.

Il faut dire que le comportement des passants s’y prête assez bien. C’est facilement la troisième fois qu’Icare et moi venons ici, et le fait que je sois accompagné d’un Pyrax commence à se savoir un peu partout ; néanmoins, il reste encore pas mal de gens qui n’ont jamais vu un Habitant d’aussi près (sans parler d’un Habitant aussi élégant qu’un Paillette-du-Volcan), et qui ne se gênent donc pas pour nous dévisager. Or, du point de vue d’Icare, c’est un comportement résolument agressif… Du mien aussi, en fait. Baste !

Excusez-moi… Vous êtes bien Dédale ?

Je connais cette voix… Impossible de m’en souvenir. Bon sang, je ne connais quand même pas trente-six personnes qui parlent avec ce timbre aigrelet et nasillard à la fois, un peu haut perché… Je me retourne.

Mais oui, c’est bien toi. Alors, fripon, j’ai l’impression que tu as fini dans la même mouise que moi, hein ? Et ça vient me donner des conseils ?

Ah, oui. Hioklon. Qu’est-ce qu’il fait au marché de Cnossos ? La dernière fois que je l’ai vu, il détournait une de ses propres œuvres dans son atelier de Sfakia !

Dis donc, tu as perdu ta langue ?

— Mais, oui, bien sûr. Je l’ai échangée contre un nouveau burin !

— Ben voyons. Dis-moi, qu’est-ce que tu fais au marché de Cnossos ? Tu es au courant que le roi a une dent contre toi ?

— Je pourrais te poser la même question ! À ceci près que dans ton cas, je crois que la dent date un peu plus.

— Alors… Oh. Tu permets ?

Sans attendre de réponse, il se décale un peu pour mieux voir le léger attroupement qui commence à se former autour de nous. Un peu gênés d’être pris à laisser traîner leurs oreilles, certains se remettent en marche. Hioklon choisit rapidement une cible parmi ceux qui restent, puis l’apostrophe vivement.

Vous, là ! Oui c’est à toi que j’cause ! Je sens dans votre regard l’éclat du connaisseur… Approchez, approchez ! Que diriez-vous d’acquérir cette petite statuette en ivoire, dont vous avez sûrement deviné la valeur ?

Cette fois-ci, les badauds s’écartent beaucoup plus nettement. Le quasi-interlocuteur de l’artisan, notamment, se cache derrière la foule le plus vite possible, poursuivi par une dernière imprécation.

Revenez, voyons ! Je suis sûr qu’on peut arranger ça si vous ne l’aimez pas !

Satisfait de son effet, Hioklon se tourne à nouveau vers moi. Et remarque un Icare hilare.

Quoi, demande-t-il innocemment, tu n’as jamais vu un marchand faire fuir les clients indésirables ?

Je ne me doutais même pas que les marchands choisissaient leurs clients !

— Ah, mais c’est à la base du métier, mon garçon. Toi, tu n’iras pas loin dans la vente…

Sur cette boutade, il se retourne vers moi.

Donc… Figure-toi que depuis tout récemment, notre roi semble laisser toute l’île tranquille. D’après nos lumineux Stratèges, ça serait dû à un individu à moitié célèbre, qui se trimballe avec rien de moins qu’un Pyrax à ses côtés. Le roi fait une telle fixette sur ce type qu’il en oublie ses autres sujets de préoccupation ! Alors moi, bam, j’en profite pour faire du profit sous son nez.

— Oh, je vois. Je m’attendais à quelque chose dans le genre, oui. Et ce personnage… Ses jours seraient-ils en danger ?

— Si j’étais le roi, oui. C’est un dangereux anarchiste qui monopolise les commandes des nobles, et fait tout pour mettre en danger ses collègues.

— Oh, ciel. Ça va, tes marteaux ?

À notre tour d’éclater de rire. Sous le regard un peu surpris, je m’en rends compte, d’un nouvel attroupement. Il est plus discret que le précédent, les gens sont moins agglutinés. Mais…

Soudain, Hioklon se fige et plisse les paupières. En suivant son regard, j’aperçois une légère cohue, quelques étals plus loin. Les gens se poussent laissent la place.

Des soldats.

Icare réagit plus vite que moi, et attrape une pièce de tissu, un genre de large chiffon, sur l’étal de Hioklon. Un drap, dont il se recouvre. Il me faut un moment avant de comprendre : il est plus visible que moi, et essaie de mieux se fondre dans la foule. Car bien sûr, c’est moi que les soldats sont venus chercher. Qui d’autre ?

Pendant un instant, une boule d’angoisse bloque ma gorge, m’empêche de bouger, de respirer. Et puis Icare commence à zigzaguer entre la foule, et l’adrénaline prend le dessus. Je lui cours après ; ce n’est pas aujourd’hui que Minos m’aura ! (Ça aurait plutôt été hier.)

Nous nous faufilons entre les gens et les étals ; nous sautillons dans des espaces réduits, nous prenons des raccourcis trop étroits pour des soldats en armure. Ceux-ci viennent d’arriver à l’étal de Hioklon ; nous sommes déjà loin. Et on dirait bien qu’ils vont encore prendre du retard… Je m’arrête.

Hioklon se tient au milieu de l’allée qui sépare son étal et celui d’en face. C’est… très noble de sa part, et je ne parviens pas à me détourner. Mais il le faut. Encore une fois. Icare, qui a pris un peu d’avance, revient vers moi et me sort de ma rêverie en me communiquant un sentiment d’urgence brute, désagréable.

… Merci.

Tu me remercieras après. Si tu veux, je peux regarder la scène de loin, puis te la montrer quand nous serons un peu à l’écart.

— S’il te plaît. Bon… Par ici.

Nous recommençons à fuir. Les ruelles étroites du marché sont très pratiques pour se cacher, mais avec un gros défaut : le marché se tient sur une place. Elle est vaste, certes, mais facile à fermer entièrement. Il y a très probablement un bataillon de gardes à chaque entrée, et plusieurs équipes qui fouillent. Tout ça pour moi, je suis flatté !

Je mène Icare jusqu’à un carrefour un peu plus dégagé que la norme. D’ici, en nous plantant au milieu de la voie (ce que je n’hésite pas à faire ; comme si ça changeait quoi que ce soit à la circulation laborieuse), nous avons une assez bonne vue sur les alentours. Si des soldats viennent, nous les verrons venir ! C’est-à-dire, Icare les verra venir. Le Pyrax, toujours sous son drap, prend alors la parole d’un ton grave.

C’est terminé… Hioklon nous a gagné pas mal de temps. Regarde.

Le marché se courbe, devient flou et disparaît.

***
Le capitaine de la patrouille (je reconnais Xanthodipe) s’arrête juste devant Hioklon. Celui-ci, imperturbable, fait semblant de juger et de compter des pièces qu’il tire de sa bourse.

Du large, drôle ! Laisse un peu la place !

— Vous ne voyez pas que je suis occupé ?

Malgré sa voix un peu ridicule, Hioklon a toujours su intimider les gens avec de simples mots. Cette fois-ci, il a pris son ton le plus acariâtre, et quand il relève la tête, c’est pour toiser les gardes d’un œil noir, incroyablement méprisant. Et la mise en scène fonctionne : les rangs des soldats bougent légèrement. Quelques-uns reculent instinctivement, croyant être confrontés à un supérieur ; et ils se cognent dans leurs voisins. Mais Xanthodipe, lui, n’a pas bougé. Hioklon prend un sacré risque en asticotant cette brute…

Tu te crois drôle, le pouilleux ? Je reconnais ta tronche… Tu sais qu’on a un ou deux soldats qui sont censés te surveiller discrètement ?

— Oh, les pauvres. Non seulement ce doit être d’un ennui mortel, mais en plus leur patron en chef vient de les griller !

C’est bien mon ami l’artisan, ça ! Imbattable quand il s’agit de clouer le bec à n’importe qui. Même si, en l’occurrence, j’aurais apprécié qu’il se montre un peu plus prudent…

Bon… Le type que tu essaie de protéger en nous empêchant de lui courir après est une menace pour la Crète. Tu restes dans le chemin, t’en es une aussi. Alors, on t’embarque ou pas ?

— Vous, courir ? Ha ! Quelle absurdité ! Encore plus drôle que celle comme quoi mon ami Dédale pourrait menacer quoi que ce soit, à part peut-être ses outils !

Xanthodipe devient rouge sous l’assaut. Je n’ai même pas le temps de m’inquiéter pour l’artisan ; le soldat porte déjà la main à son fourreau, et en un seul geste dégaine sa lame. Et égorge Hioklon.

La brutalité de ce qui vient de se passer ne me frappe qu’après coup ; pendant un instant irréel, je vois Hioklon tomber au sol, deux grands sourires moqueurs sur son visage, sans comprendre que… Et puis la nausée me saisit ; et je n’ai jamais rien senti de pareil, parce que d’un coup, je me rends compte que dans ce souvenir, je n’ai pas de corps, et je ne sais plus où je suis, je ne suis plus rien, j’ai juste envie de vomir, et je sombre, encore.

***
Un horrible bruit strident me réveille.

Eh, ce n’est pas le moment de faire la sieste !

J’ouvre les yeux ; je suis allongé au sol, sur ce fameux carrefour du marché. Péniblement, j’essaie de me relever, sans réfléchir à une réponse pour Icare.

Bon, t’as l’intention de suivre ton ami, ou de te faire la malle ?

Cette fois-ci, je suis bien obligé de répondre. Je crois… Il vaut sans doute mieux tenter la fuite, non ?

Oui. Sinon, je n’ai pas pu te montrer tout.

— Je… Tu peux m’épargner la fin.

En fait, il se trouve que tu peux en voir toi-même les conséquences en train de remonter la rue.

Je me tourne vers la rue en question, sans chercher à comprendre comment Icare m’a fait comprendre de quelle rue il parlait. Je doute d’être capable de penser, pour le moment…

Cette rue est orientée à l’est, et le Soleil matinal m’éblouit. Il me faut donc un peu de temps avant de discerner quoi que ce soit ; mais quand j’y vois enfin, le spectacle me consterne. La patrouille de Xanthodipe essaie de se frayer un chemin au milieu d’une foule bien disposée à la tabasser. Littéralement !

Je n’avais jamais vu une scène pareille au marché ; les soldats sont bousculés, parfois renversés, et ils ne réagissent qu’à peine, réticents à l’idée de sortir leurs lames contre des civils. Leur capitaine, lui, n’a pas ces scrupules… mais contre ces deux marchands qui essaient de l’assommer avec un banc, je ne donne pas cher de ses chances.

La voie est libre. Si nous nous dirigions tranquillement vers la sortie ?

Sortir du marché. Fuir Cnossos, et après, quoi ? Ces questions me traversent la tête, puis s’en vont. Advienne que pourra ; si Minos tolère un pareil comportement de la part de ses soldats, je pense que je n’ai guère envie de rester là à regarder. Icare comprend très bien ce que je ressens ; sur un regard, nous nous détournons de la rue, et nous partons, ensemble, vers la sortie du marché la plus proche.

Ce faisant, nous croisons trois patrouilles qui courent vers l’émeute, apparemment sans se rendre compte qu’elles en soulèvent aussi sur leur chemin. À ma grande surprise, elles ne font pas attention à nous ; nous nous écartons simplement sur leur passage, et elles passent. C’est extrêmement angoissant… mais surtout la première fois.

En fait, je me surprends à adresser un sourire charmeur aux soldats de la troisième patrouille, en leur faisant un petit signe de la main. Il y en a même un qui me répond ! Et nous atteignons donc la sortie plus hilares qu’inquiets. On dirait bien que j'ai surestimé ma célébrité auprès des soldats.

Comme prévu, elle est gardée. Ce que je n’avais pas prévu, c’était que les patrouilles reviennent vers nous précisément à ce moment-là. Avec, à leur tête, un Xanthodipe furieux en train de m’agonir d’injures.

La première réaction qui me passe par la tête est de sortir du marché le plus vite possible, puis j’imagine la réaction des gardes si je leur demande gentiment de me laisser fuir leur supérieur. Ça n’est qu’à moitié drôle. Je me retourne donc vers le taureau en charge, et m’avance vers lui le plus tranquillement du monde. Comprenant mon intention, Icare me suit. En soignant sa mise en scène : pour se débarrasser du drap dont il s’est recouvert, il y met le feu, tout simplement.

Dédale ! Maudit fils de chienne ! Ce genre de chaos n’arrangera certainement pas le jugement que le roi rendra de toi lors de ton exécution !

— Mon cher Xanthodipe, rétorque-je en prenant mon meilleur accent de la haute ville. Vous me semblez quelque peu énervé, aujourd’hui ; je dirais même, sanguin.

L’autre ne répond pas. La rage déforme son visage, et pourtant il s’arrête à quelques pas de moi.

Je crois que je prendrais un plaisir certain à vous tuer, Dédale… Mais les ordres du roi sont clairs : il veut faire ça lui-même. Ça se comprend, je trouve.

— Et dites-moi, vous avez aimé ça ? De tuer ce pauvre Hioklon, qui ne faisait que plaider mon innocence ?

J’ai dit ça sans trop le prévoir ; et ma voix a failli se briser dès les premiers mots. Mais je suis content de l’avoir dit. Peut-être que oui, le capitaine des gardes a aimé ça. Il n’en reste pas moins qu’il n’apprécie pas de se voir ainsi renvoyé à lui-même.

Saisissez-vous de cet individu ! Je ne veux plus le voir !

À ces mots et à ma grande horreur, ce sont les usagers lambda du marché qui réagissent en premier. Ceux qui se trouvent à proximité se rapprochent de moi en regardant d’un air menaçant les gardes qui commencent à bouger. J’appréhende déjà un nouveau massacre quand Icare calme le jeu. Ou jette de l’huile sur le feu, je ne sais pas.

Excusez-moi, mais j’aimerais bien que vous vous écartiez un peu de ces mauviettes. Ils sont à moi.

Les civils reculent après un temps d’étonnement ; les soldats s’arrêtent, en proie à l’indécision. Seul Xanthodipe continue d’avancer. Avec un air réjoui sur le visage, qui ne laisse rien présager de bon.

En revanche, le roi n’a rien dit de cet Habitant indiscret…

Oh, ça va, j’aurais craint pire. La foule retient son souffle alors que le capitaine des gardes lève son épée. Bien entendu, leur angoisse se trouve être superflue : Icare crache un long jet de flammes au visage de la brute. À entendre son hurlement, ça doit faire très mal. Cependant, je n’arrive pas à compatir pour lui. Comme c’est étrange.

Certes, sa situation ne règle rien, et ajouterait même un surcroît de dégoût à ma nausée qui menace toujours légèrement… Mais sur le coup, je n’ai aucune difficulté à me détacher de sa souffrance.

Tout aussi bizarrement, d’ailleurs, les gardes du marché n’ont pas du tout réagi comme je m’y attendais quand je leur ai demandé de nous laisser passer. Ils ont jeté un coup d’œil terrifié à Icare, qui était en train de s’amuser à intimider les soldats de la patrouille, puis se sont écartés.