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Les Rubans Bleus de Libertina



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» Auteur : Libertina - Voir le profil
» Créé le 28/05/2019 à 01:41
» Dernière mise à jour le 05/04/2022 à 09:24

» Mots-clés :   Absence d'humains   Amitié   Aventure   Drame   Suspense

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CHAPITRE 4 | Le fantôme de l’auberge
• • •
La censure. Voilà un mot qui résonne agréablement aux oreilles de ceux qui détestent la contradiction. En quoi consiste-t-elle ? C’est simple. Son rôle est d’étouffer les voix porteuses d’une vérité qui déplaît. Elle suscite une animosité à l’égard de tous ceux qui veulent l’emporter sur elle. Pire encore, elle a la capacité de contaminer les esprits. À peine s’impose-t-elle dans une société que les individus qui la composent l’adoptent et la relaient. Chose surprenante, quand on sait qu’ils se condamnent eux-mêmes à un silence qu’ils n’ont pas choisi. La censure est l’ennemie de la liberté, dit-on, mais c’est en puisant dans notre liberté que nous réussissons à censurer autrui. Alors de quel côté se ranger lorsque nous comprenons que ces deux concepts sont intrinsèquement liés ? À vrai dire, rares sont ceux qui ont un avis tranché. Nous voguons continuellement entre deux états d’esprit. Certes, nous savons nous indigner face à la censure, mais dans le même temps, nous ne faisons rien pour affaiblir son pouvoir. Nous assistons à son spectacle, et il arrive même parfois que nous applaudissions. Aveuglés par notre ignorance, nous oublions que sous ses airs de justicière, la censure combat la vérité. Et il n’y a rien de plus terrible que de détourner les yeux lorsque la vérité agonise.

C’était encore le petit matin. Zorua et Feunnec arrivèrent enfin à Andela après les deux heures de marche qu’ils avaient dû endurer. Le village n’avait rien d’exceptionnel. Un pâté de maisons était concentré au centre de la bourgade, tandis que quelques autres étaient installées en périphérie. Des chemins de terre sinueux serpentaient entre les habitacles et constituaient les artères du petit hameau. Les deux Pokémon virent au cœur du village une grande place où s’érigeait un certain nombre de petites échoppes. De ces dernières émanaient un parfum enivrant et alléchant d’épices variées. Mais l’heure ne semblait pas être aux emplettes. Un amas inhabituel de Pokémon s’était réuni sur la place et un orateur, debout sur une large estrade, semblait attirer son attention.

« Hé ! Avant qu’on y aille, faudrait p’têtre enlever nos rubans. On risque gros à s’balader comme ça, et j’ai pas envie qu’les Scalproie viennent nous chercher.

- Tu as raison, Feunnec, acquiesça Zorua en commençant à retirer son ruban, c’est plus prudent si on les range dans nos sacs. »

Et les deux Pokémon enlevèrent les rubans qu’ils avaient noués autour de leur cou, puis les rangèrent au fond d’un gros sac rempli de vivres. Une fois les préparatifs terminés, ils se regardèrent droit dans les yeux et hochèrent la tête de haut en bas, de façon à se persuader mutuellement qu’il était temps d’aller voir de plus près. Ils se dirigèrent alors vers la grande place du village, puis se frayèrent un chemin dans la foule qui entourait l’estrade. Ils poussèrent légèrement les Pokémon les plus endurcis afin de se positionner à une bonne distance de l’orateur. Le brouhaha qui remplissait la place disparut progressivement, tandis que le Pokémon sur la plateforme s’apprêtait à prendre la parole.

« Mes amis... J’vous remercie ben de me consacrer d’votre temps. Comme vous l’savez, moi, Flingouste, bah j’suis un simple marchand de pierres, ici à Andela. J’fais mon p’tit business comme tout l’monde, pardi ! Et j’vois pas c’que j’fais de mal. »

Tous les Pokémon furent suspendus à ses lèvres. Certains hochèrent parfois la tête en signe d’approbation. D’autres le saluèrent à l’arrière de la horde et tentèrent d’attirer son attention. Flingouste continua son discours.

« Eh ben figurez-vous qu’ça plaît pas à tout le monde, cette histoire ! Pas plus tard qu’hier, y’a les loustiques d’la reine qui m’ont cherché des noises ! Ils voulaient mes pierres, les p’tits saligauds ! Pac’que pour sûr, elles valent chères mes pierres, donc ça les intéresse d’mettre la patte dessus ! »

Une vague d’indignation parcourut l’auditoire. Certains Pokémon posèrent leurs pattes contre leur bouche pour manifester leur choc. D’autres se détachèrent du spectacle que Flingouste donnait à voir pour engager des conversations à voix basse. Zorua et Feunnec se regardèrent les yeux dans les yeux, l’air un peu perplexe.

« Mais l’père Flingouste, il est pas du genre à s’laisser faire ! Ah ça non ! Mes pierres c’est toute ma vie. J’vais pas laisser des espèces de pantins m’les piquer ! Ils croient qu’ils m’font peur avec leurs armures et leurs gros bras ? Un coup d’pince et ils s’retrouveraient à terre, si j’le voulais ! »

Un fou rire éclata au milieu de la foule. Certains Pokémon applaudirent les propos de Flingouste, tandis que d’autres sautèrent sur place pour acclamer le courage de l’orateur.

« Alors ! Qui c’est qui s’rait prêt à leur mettre la misère à ces canailles ?! »

La ferveur populaire s’éteignit instantanément. La suggestion de Flingouste avait fait basculer l’enthousiasme des villageois dans une terreur intériorisée. Le silence était assourdissant, et Flingouste le reçut comme une épée en plein cœur. Effrayés par les conséquences d’une telle audace, tous les Pokémon se murèrent dans une inaction complice. Les regards se croisèrent, les souffles se coupèrent, les langues se lièrent. De son côté, Zorua fut frappée par la chute brutale des encouragements.

« Oh non, le pauvre..., dit-elle à voix basse au creux de l’oreille droite de Feunnec, je crois que personne n’ose le rejoindre dans son combat.

- C’est pas étonnant. À quoi il s’attendait, sérieusement ? Que le village se soulève et qu’il y ait une révolution ? Faut pas rêver. »

Flingouste, gêné par la situation, se recula de quelques pas en arrière. Il pivota son visage à gauche puis à droite, en quête d’un regard compatissant ou d’un visage rassurant, mais tous les Pokémon fuirent son contact. Certains commencèrent même à quitter la foule pour rejoindre leurs foyers.

« Qu.. quoi ?! Y’a personne qui s’rait d’attaque pour m’filer un coup d’pince ? », s’écria Flingouste au beau milieu de l’estrade.

Pendant que Flingouste s’indigna devant la lâcheté des autres villageois, à l’autre bout du village commencèrent à se faire entendre des pas lourds et pesants. Un cliquetis métallique se répéta machinalement, comme si quelque chose cognait contre une surface d’acier. On distingua d’abord le bruit de plusieurs armures brinquebalantes portées par des corps apparemment robustes. Puis on remarqua l’étrange concordance des pas, à la manière des défilés militaires, qui martelèrent le sol de leurs ondes brutales. Deux Pokémon apparurent ensuite. Ils étaient identiques. Ils possédaient tous deux un corps élancé, perchés sur leurs hautes pattes blanches, et la plupart de leurs membres étaient rouges. Au centre de leur abdomen se trouvaient deux longues scies circulaires qu’ils brandissaient en bombant le torse. Et au-dessus de leur tête, on pouvait admirer un casque aux reflets cuivrés sur lequel trônait une gigantesque lame en acier. L’un croisait ses deux bras vigoureux contre sa poitrine, tandis que l’autre semblait dérouler ce qui s’apparentait à un parchemin.

« Flingouste, c’est bien ça ? demanda l’un en dirigeant son regard perçant vers le Pokémon concerné.

- Uh... Pardi qu’c’est moi...

- Vous êtes en état d’arrestation pour attitude subversive et incitation à la révolte contre l’ordre établi. Veuillez nous suivre ou nous emploierons la force pour vous y contraindre.

- Oh... Bah... Bah... Enfin... Je... »

De nombreuses messes-basses se firent entendre dans l’assemblée. On avait beaucoup de choses à dire, mais il n’était pas envisageable de le faire à haute voix. Zorua agrippa l’une des pattes de Feunnec avec la sienne, tout en regardant avec effroi la scène qui se déroula devant ses yeux. Flingouste, le regard abaissé, descendit de l’estrade et se positionna entre les deux Scalproie. Ces derniers se saisirent des grosses pinces du Pokémon et le trainèrent avec eux en dehors du village. On entendit Flingouste se débattre légèrement, vociférant quelques jurons dans son langage châtier. En quelques secondes, il disparut complètement du champ des visions des autres villageois. Les Pokémon les plus craintifs quittèrent aussitôt la foule pour s’enfermer à double tour chez eux, de peur que les Scalproie refassent surface. D’autres s’indignèrent publiquement, mais en prenant garde à ne pas trop élever la voix. Cependant, pour la plupart des Pokémon, une angoisse s’empara de leur esprit et les empêcha d’émettre la moindre opinion.

« Quelle horreur... Que vont-ils faire de lui ? demanda Zorua d’une voix chancelante et pénétrée.

- J’sais pas. On dit qu’la reine fait des prisonniers, mais en fait, on a jamais vu les prisons. Mystère complet à ce sujet, repartit Feunnec d’un ton monocorde.

- Je suis vraiment choquée... Je ne pensais pas que les Scalproie pouvaient être aussi cruels.

- Eh si. C’est comme ça à Iludere depuis qu’l’autre cinglée est assise sur l’trône. Bon... et si on allait à l’auberge, maintenant ?

- Tu as raison. Je suis fatiguée et j’ai besoin de me remettre de mes émotions. Allons-y ! », répondit Zorua d’un air assuré.


• • •
À Andela se trouvait une auberge réputée. Elle était située à l’extrémité Nord du village, au pied d’un gigantesque arbre qui couvrait l’ensemble du bâtiment de ses longues branches. Elle n’offrait pas un grand confort et n’était pas connue pour la qualité de ses services, mais néanmoins, cette auberge était appréciée par tous les voyageurs qui y créchaient. On disait de cet établissement qu’il savait mettre en avant une atmosphère familiale et qu’on s’y sentait comme chez soi. Sa propriétaire, Pashmilla, avait également une certaine réputation dans les environs. Elle était considérée comme une insupportable pipelette. À peine ouvrait-elle la bouche qu’on priait pour qu’elle se taise. Elle n’était pas spécialement inintéressante, mais elle avait une fâcheuse tendance à s’attarder sur des détails inutiles. Zorua et Feunnec, en remarquant la porte grande ouverte, entrèrent tous deux dans l’auberge. Dès leur arrivée, ils aperçurent des toiles de Mimigal au coin des murs et contre les carreaux. Une pellicule de poussière semblait également recouvrir l’ensemble des tables présentes dans la salle principale. Droit devant eux se trouvait le comptoir de l’auberge, derrière lequel s’était postée Pashmilla. Elle ne les avait pas encore vu entrer, trop occupée à compter les pièces de monnaie qu’elle avait accumulées au cours des derniers jours. Zorua et Feunnec s’avancèrent vers le comptoir, puis posèrent leurs sacs contre le sol dans un bruit sourd. Cela capta l’attention de Pashmilla.

« Mais regardez moi ces nouvelles petites têtes ! s’exclama Pashmilla en ouvrant les bras.

- Bonjour, on est venus...

- Oh n’en dites pas plus ! Vous venez pour louer une chambre, j’imagine ? Ça fait longtemps que je n’ai pas vu des clients étrangers dans le coin... bon, certes, j’ai un peu de mal à faire de la publicité, Andela n’est pas le village le plus connu de la région... Oh, mais, vous avez l’air si jeunes ! Que faites-vous ici, tout seuls ? Où sont vos parents ? Est-ce que vous les avez perdus ? Voulez-vous que je placarde une affiche sur la devanture de l’auberge pour que vous les retrouviez ? Ça me prendra cinq minutes ! Même trois minutes ! Même deux ! Enfin, bien sûr, il faut que je vérifie si j’ai de quoi l’accrocher... Attendez une seconde, il doit y avoir des agrafes quelque part dans ces tiroirs.... »

Alors que Pashmilla s’était penchée par dessus le comptoir pour chercher des agrafes, et que Feunnec et Zorua se regardaient dans le blanc des yeux avec une mine embarrassée, un second Pokémon apparut dans l’établissement. Il s’avança lui aussi vers le comptoir, contourna Feunnec et Zorua avec une discrétion imparable, puis tourna son regard vers Pashmilla. On aurait dit un fantôme qui cherchait à la surprendre. Les rideaux étant fermés, ses deux grands yeux bleus luisaient dans l’obscurité de la pièce.

« Pashmilla... Tu.. Tu embêtes nos amis ! »

À l’entente de ces mots, Pashmilla fit un gigantesque bond, si bien que toutes les agrafes qu’elle avait trouvées tombèrent simultanément contre le carrelage froid du salon.

« Oh... ! Non mais c’est incroyable ça ! Tu sors toujours de nulle part, Galvaran ! À chaque fois, tu me fiches une de ces trouilles ! Regarde maintenant, toutes les agrafes sont tombées ! Je vais devoir tout ramasser par ta faute !

- Pa... Pashmilla, donne moi une clef... Je vais les con... conduire à leur chambre... »

Pashmilla dirigea son regard vers Zorua et Feunnec, qui jusque là n’étaient pas intervenus par peur de déranger l’hôtesse de l’auberge. Elle pencha la tête sur le côté, tout en fronçant légèrement les sourcils.

« Euh... c’est vrai que vous me trouvez embêtante ?

- Euh... Comment dire...

- Ben... Madame Pashmilla...

- Parce qu’on me l’a déjà dit une fois, surenchérit Pashmilla en coupant la phrase de Zorua, et je ne trouve pas ça juste ! Que fais-je de mal sinon m’intéresser à mes clients ? Les gens ne comprennent pas ! C’est important d’établir le contact avec les autres ! Alors peut-être que je suis un peu maladroite, peut-être que je m’exprime mal, mais je vous assure que je fais tout mon possible pour...

- Pashmilla ! Allez, la clef ! s’écria Galvaran en redressant ses oreilles électrifiées.

- Oh là là... D’accord, d’accord, une seconde ! »

Pashmilla se mit sur la pointe des pieds pour récupérer l’une des clefs qui étaient suspendues contre le mur. Elle mit un certain temps à se décider, hésitant entre plusieurs trousseaux de même couleur et de même taille. Une fois sûre d’elle, elle s’empara d’une grosse clef aux teintes cuivrées et la déposa contre le comptoir. Galvaran la récupéra aussitôt, puis il pivota vers Zorua et Feunnec.

« Su... Suivez-moi... », dit-il en balbutiant comme un enfant.

Zorua et Feunnec se saisirent à nouveau des sacs qu’ils avaient posés au pied du comptoir, puis suivirent Galvaran qui les emmena à l’étage de l’auberge. Ils gravirent difficilement les marches grinçantes de l’escalier en bois, qui menaçait à chaque instant de s’écrouler sous leur poids, puis débouchèrent dans un long et sombre couloir. Ils le traversèrent à tâtons, mais la lueur qui émanait des yeux de Galvaran agissait comme de grands phares et dissipait l’obscurité. Ils finirent par arriver à la porte de la chambre qu’ils avaient louée.

« Bon... bah on est arrivés, dit Galvaran en pivotant son regard vers les deux invités.

- Merci bien Galvaran ! On va s’débrouiller maintenant. »

Alors que Zorua et Feunnec s’apprêtaient à entrer dans leur chambre, Galvaran restait immobile. Il les toisait de haut en bas sans dire un mot. Le sourire qu’il affichait continuellement déclina de façon légère, et Feunnec, qui ressentait cette présence intrusive, se tourna de nouveau vers lui.

« Y’a un problème ? demanda-t-il en relevant délicatement le menton.

- Euh... Est-ce que vous êtes super... superstitieux ?

- Superstitieux ? interrogea Zorua en affichant une mine irrésolue.

- Oui.

- Eh bien... Ça dépend du contexte dont on parle... Mais pourquoi cette question ?

- Parce qu’il y a un fan... fantôme qui hante ces couloirs... »

À l’entente de cette révélation, Zorua fit un bond en arrière et se cacha derrière Feunnec, légèrement tremblotante. Feunnec, quant à lui, poussa un petit ricannement devant la réaction de son amie. Il tenta de la rassurer en lui caressant le sommet du crâne avec sa patte velue.

« Mais ça va, Zorua ! J’suis sûr qu’il plaisante, t’as pas à t’en faire !

- Non. C’est la vérité. Il... il apparaît pendant la nuit. Certains disent même l’avoir vu. Moi... Moi je l’ai vu. Et je l’ai même entendu, tiens...

- Bon, on t’remercie Galvaran, mais là t’lui fais peur ! Alors on va entrer dans la chambre et on va gentiment oublier cette histoire, ok ? affirma Feunnec en fronçant légèrement les sourcils.

- Comme vous voulez... Je... je voulais juste vous prévenir... »

Brusqué, Galvaran abaissa légèrement le visage et fuit le regard de Feunnec. Il se dirigea vers la sortie du couloir en dodelinant légèrement de la tête, avant de disparaître dans les ténèbres qui engloutissaient les escaliers en bois de l’auberge.


• • •
Le soir venu, une réception fut organisée au rez-de-chaussée de l’auberge pour célébrer l’arrivée de l’hiver. Alors que la lune scintillait dans un ciel sombre et sans étoile, le personnel de l’établissement se mit à préparer l’événement du mieux qu’il put. Pashmilla avait recouvert toutes les tables d’une nappe colorée et brodée en tissu. Elle avait disposé à leur surface de gros bols de mets appétissants pour que les invités pussent se sustenter. Galvaran, quant à lui, s’était chargé de noter les Pokémon attendus sur une longue liste qu’il a ensuite accrochée sur la devanture de l’auberge. En période de fête hivernale, Pashmilla avait coutume de placer deux petits sapins de chaque côté de l’entrée pour marquer le passage d’une saison à une autre. Galvaran, pour ajouter une touche décorative, s’amusait à enrouler autour des branches de sapin de longs fils d’or qu’il électrifiait à l’aide de ses grandes oreilles. De petites étincelles éclataient alors du pied de l’arbre jusqu’à son sommet, mais la puissance de l’électricité était bien souvent trop forte pour que les branches résistassent toute la soirée.

Les premiers invités commencèrent à affluer quelques minutes après la fin des préparatifs. La liste que Galvaran avait rédigée et accrochée à l’entrée de l’auberge ne servit à rien, car en réalité tout le monde s’invita : les Pokémon du village et ceux qui vivaient aux alentours se confondèrent parmi la foule. Zorua et Feunnec descendirent les escaliers une heure après le début des festivités. La salle principale de l’auberge était pleine à craquer. Ici, des Pokémon qui dégustaient ensemble un grand saladier de baies. Là, d’autres Pokémon qui effectuaient quelques pas de danse. À l’autre bout de la salle, un certain nombre de Pokémon s’était réuni pour aborder l’épineux sujet qu’est la politique. De ce grand rassemblement émanait une incroyable cacophonie qui rendait l’auberge vivante. On aurait dit que c’était elle qui criait.

« Viens, Feunnec. On va se joindre à tout ce beau monde et profiter un peu de la soirée, dit Zorua en esquissant un léger sourire.

- Ouaip. J’te suis. »

Et les deux Pokémon se faufilèrent alors entre tous les invités. Pour ne pas perdre Feunnec dans la foule, Zorua lui avait proposé de se cramponner à sa queue, mais il déclina la proposition affectueusement en affichant une mine fière. Amusée par son attitude, Zorua le taquina en cherchant à l’égarer dans la cohue. Elle slaloma alors rapidement entre les Pokémon sans regarder devant elle, à tel point qu’elle finit par percuter de plein fouet une jeune créature qui dansait au milieu de la pièce. Zorua tomba alors sur ses quatre pattes, entraînant la jeune inconnue dans sa chute.

« C’est pas vrai ! Non mais tu te crois où, toi, à courir comme une folle comme ça ?!

- Pardon, je suis vraiment désolée. C’est de ma faute, je ne regardais pas où j’allais, concéda Zorua en balançant légèrement sa tête de gauche à droite.

- Ah bah on l’avait bien remarqué ! Faudrait faire plus attention la prochaine fois !

- Oh, euh... Oui, je ferai en sorte que ça n’arrive plus. »

Feunnec réussit alors à retrouver la trace de son amie après avoir zigzagué entre tous les Pokémon qui dansaient au milieu de la piste. Il semblait avoir l’air essoufflé.

« Bah, Zorua ! Qu’est-ce’ tu fais par terre comme ça ? s’interrogea Feunnec en montrant un visage légèrement inquiet.

- T’en as de bonnes, toi ! Sans doute parce qu’elle m’a bousculée, la godiche ! s'écria Maracachi.

- Euh... Tu es ?

- Ben dis donc, quel impoli celui-là ! Mais comme t’es plutôt mignon, je vais te dire mon nom. Moi, c’est Maracachi. Mais mes proches m’appellent Chichi. Ou bien, Chi tout court. Même parfois, ils m’appellent Chieuse... ah, mais t’as pas intérêt à m’appeler comme ça, par contre ! s’exclama Maracachi en s’exprimant avec des gestes grandiloquents.

- D’accord... J’vois... »

Tandis que Maracachi se remettait de ses émotions en hurlant sur Feunnec, toutes les lumières de la salle s’éteignirent simultanément. La pièce, plongée pendant quelques instants dans le noir le plus complet, fut finalement éclairée par un maigre faisceau de lumière provenant d’un projecteur suspendu au plafond. Ce rayon de lumière scintillant vint s’abattre sur une grande estrade qui avait été installée au niveau du comptoir. À sa surface, Pashmilla se tenait fièrement debout, aux côtés d’un Pokémon dont le crâne était auréolé de deux bois solides et menaçants. Pour se présenter à l’assemblée, il avait déployé ses grandes ailes marron dont l’envergure équivalait à celle de la scène sur laquelle il se tenait.

« Mes amis, je suis désolée d’interrompre les festivités, mais notre cher duc Noarfang, propriétaire et gestionnaire d’Andela, souhaiterait dire quelques mots, s’exprima Pashmilla d’un ton solennel, avant de reculer dans la pénombre de l’estrade pour laisser place à Noarfang.

- Merci, ma chère Pashmilla, dit-il en s’avançant sur le devant de la scène. Chers habitants d’Andela, et vous autres voyageurs et globe-trotteurs, je souhaitais vous communiquer une information importante. Comme la plupart d’entre vous le savent, ce matin, notre marchand de pierres, Flingouste, a été appréhendé par les autorités royales. Ces dernières m’ont contacté il y a quelques minutes pour m’informer que Flingouste avait été fait prisonnier sur la décision de la reine et qu’il ne reviendra donc pas à Andela. »

Une grande stupeur traversa la foule. Certains Pokémon qui avaient assisté à l’arrestation de Flingouste fondirent en larmes à l’entente de cette nouvelle. Quant à ceux qui n’avaient pas eu vent de cette histoire, ils manifestèrent un grand étonnement et perdirent le goût de la fête. L’atmosphère joyeuse qui avait été suscitée par cette soirée retomba brutalement, ramenant les Pokémon à la terrible réalité de la région d’Iludere.

« Je suis navré de vous apporter des nouvelles aussi peu réjouissantes alors que vous fêtez l’arrivée de l’hiver, comme chaque année. J’espère toutefois que vous réussirez à faire fi de ce tragique événement pour la reste de la soirée. Bien à vous. »

Noarfang quitta alors la scène après avoir effectué une révérence pour saluer tous les Pokémon présents dans la pièce. Toutes les lumières se rallumèrent et la musique reprit entre les murs de l’auberge. Zorua, qui s’était concentrée sur le discours du duc Noarfang, en fut profondément affectée. Elle se tourna alors vers Maracachi et Feunnec, le visage découragé et le regard abattu.

« Oh... Pauvre Flingouste. Il voulait simplement bien faire. Tout d’un coup, je n’ai vraiment plus envie de faire la fête...

- C’est un sacré bonhomme ! Il va s’en sortir, j’en suis sûre ! J’l'ai connu pendant des années, je sais qu’il a la tête dure, ajouta Maracachi en abaissant légèrement la tête.

- Ça ne vous dérange pas si on sort ? Je voudrais prendre un peu l’air.

- Ouais, allez viens on sort. Tu viens avec nous, Chichi ? demanda Feunnec, sourire aux lèvres.

- Je vous suis. Et ne m’appelle pas Chichi ! On n’est pas encore assez intimes ! Grrr... ! »

Les trois Pokémon sortirent alors de l’auberge en se frayant un chemin parmi les autres invités. Ils ouvrirent la porte d’entrée et s’y engouffrèrent pour aller dehors.


• • •
Une paisible et rafraîchissante brise souffla calmement sur le village d’Andela. Au pied de l’auberge éclairée discutèrent depuis vingt minutes trois Pokémon. Il n’y avait pas âme qui vive dans les ruelles, et on peinait à distinguer les silhouettes tant la lumière émanant du bâtiment était faible. La pleine lune étincelait de mille feux dans le ciel noir et menaçant, jetant sur la région d’Iludere ses envoûtants rayons d’argent. Des éclats de voix vinrent briser le silence que faisait peser la nuit sur le village.

« Alors comme ça, vous voulez aller jusqu’au château d’la reine ? Et puis quoi encore, sauver le monde ? Mes pauvres, vous êtes pas au bout d’vos peines, affirma Maracachi avec un air dédaigneux.

- J’vois pas pourquoi on pourrait pas s’y rendre, en fait. C’est juste un château, repartit Feunnec en fronçant les sourcils.

- Bah qu’il est beau celui-là ! s’exclama Maracachi en levant les bras vers le ciel. Faut vraiment être né de la dernière pluie pour imaginer un truc pareil !

- C’est pas parce que t’as pas le courage de t’y rendre que c’est l’cas de tout l’monde.

- C’est pas une question de courage, gros bêta, répondit Maracachi en reprenant son sérieux, c’est une question de bon sens. Vous risquez vos vies en allant là-bas.

- Nous savons ce que nous faisons, Maracachi. C’est gentil de t’inquiéter. Mais on va s’en sortir, dit Zorua en bombant légèrement la poitrine.

- Bah, faites c’que vous voulez. C’est pas moi qui aurai des problèmes. Du coup, pour aller au château, vous devez passer par Tosronie. C’est l’prochain village. J’y vais aussi, d’ailleurs. Je pars demain.

- Ah ouais ? Tu vas faire quoi à Tosronie ? demanda Feunnec l’air interrogatif.

- J’vais m’inscrire à l’Université Pokémon. Paraît-il qu’on y forme des mouvements d’résistance pour provoquer la chute de Milobellus. Ça serait parfait pour une tête brûlée comme moi, rétorqua Maracachi en esquissant un sourire satisfait.

- Des mouvements de résistance ? s'interrogea Zorua.

- Bah oui tiens ! C’est qu’la reine, elle est loin de faire l’unanimité ! Elle est tortionnaire ! Cruelle ! Elle n’a rien à faire au pouvoir ! Bon sang, je n’sais pas ce qui m’retient d’aller lui botter les fesses ! s’écria Maracachi, possédée par sa conviction.

- C’est vrai que Milobellus est excessive. Elle a emprisonné Flingouste, et on ne sait pas ce qu’il adviendra de lui. Toute cette histoire m’inquiète..., déplora Zorua.

- Bon, il s’fait tard, intervint Feunnec en s’étirant légèrement les pattes. J’pense qu’il faut aller s’reposer maintenant.

- Tu as raison, répondit Zorua, rentrons à la chambre. Maracachi, si toi aussi tu te diriges vers Tosronie, alors on se donne rendez-vous demain matin pour le départ.

- C’est entendu ! À demain ! »

Les trois Pokémon se quittèrent alors pour retourner dans leurs chambres respectives. La nuit profonde avait maintenant établi son empire sur l’ensemble du monde, et les étoiles s’étaient lancées dans une ascension vers les plus hauts cieux, d’où elles réverbaient avec une intensité peu commune. On aurait dit que les étoiles s’amusaient à faire des appels de phare aux créatures vivant sur la terre ferme. Elles projetaient leurs rayons scintillants à travers les nuages cotonneux qui peuplaient l’azur sombre de l’horizon.


• • •
Le lendemain matin, alors que l’aurore commençait à dorer le ciel de toute son envergure, Zorua et Feunnec ramassèrent leurs affaires, plièrent leurs bagages et quittèrent leur chambre pour descendre au rez-de-chaussée de l’auberge. Maracachi, elle, attendait déjà à l’entrée de l’établissement, munie de son petit sac en bandoulière qu’elle avait attaché le long de son corps. Les deux compères saluèrent Pashmilla qui s’était levée bien avant eux pour tenir le comptoir et calculer les pièces d’or qu’elle avait gagnées à l’issue de la soirée.

« Passez une belle journée, les enfants ! Et faites attention sur la route ! », dit-elle avec le sourire en saluant les deux Pokémon.

Feunnec saisit les deux petits sacs qu’ils avaient préparés la veille, puis sortit de l’auberge pour rejoindre Maracachi qui s’impatientait à l’extérieur. Alors que Zorua s’apprêtait à lui emboîter le pas, elle fut retenue par un Pokémon qui s’accrocha à l’une de ses pattes arrières. Elle pivota alors son regard vers la créature. Il s’agissait de Galvaran.

« Zorua... Je peux te dire quelque chose ? demanda-t-il en la fixant droit dans les yeux.

- Oh, Galvaran. Oui, bien sûr. Que se passe-t-il ?

- Le fan... le fantôme, il est venu vous rendre visite cette nuit...

- Quoi ?! s’exclama Zorua en écarquillant ses yeux. Mais comment tu sais ?

- Je l’ai entendu se déplacer dans le cou... couloir. Il... il marchait près de votre porte... Mais...

- Mais quoi ?! Qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite ?

- C’était bizarre. Parce que... Parce qu’il m’a paru plus vivant que d’habitude... Alors... Est-ce que c’était le fantôme... Ou bien, quelqu’un de bien réel... ? »

Les deux Pokémon se regardèrent dans le blanc des yeux pendant de longues secondes. Finalement, pressée par le temps, Zorua détacha son regard du visage de Galvaran en affichant une mine déconcertée, puis, en le saluant respectueusement, elle pivota sur elle-même pour se diriger vers la sortie de l'auberge et rejoindre ses amis. Ces derniers disparurent bientôt du champ de vision de Galvaran.

« Mh... Je crois qu’elle ne m’a pas cru... »

• • •