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Entre Destinée et Fatalité de Malak



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» Auteur : Malak - Voir le profil
» Créé le 19/05/2019 à 08:19
» Dernière mise à jour le 01/07/2019 à 19:18

» Mots-clés :   Aventure   Guerre   Médiéval   Mythologie   Présence de Pokémon inventés

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Chapitre 7 : Le Conseil des Héros
An 1700, 13 juin, 11h00, Mauville, Tour Chetiflor




En dépit de ce qu’on pouvait penser de moi et de l’image que mes ennemis me donnaient, j’étais un grand défenseur de la paix. J’aimais la paix. Je ne vivais que pour elle. Une paix qui serait tout aussi éternelle que mon règne, un âge d’or pour la civilisation de Johkania, le plus puissant royaume du monde ! Mais pour qu’il y ait la paix, il fallait aussi la soumission. La soumission à mon pouvoir et à ma sagesse. Et ça, les personnes devant moi ne semblaient pas le comprendre.

J’étais venu en ce lieu neutre, symbole de la paix, qu’était la Tour Chetiflor de Mauville, pour tenter de négocier avec les rebelles. C’était un peu le sommet de la dernière chance avant la guerre civile totale. J’aurai pu venir avec une armée, ou mieux, me servir de la Johkanroc pour annihiler les chefs rebelles à l’occasion. Mais je ne l’avais pas fait, car j’étais un homme de minimum d’honneur, tout comme mon interlocuteur du camps adverse. Celui qui fut autrefois mon meilleur ami, et qui est aujourd’hui mon pire ennemi.

Chacun des deux groupes étaient composés d’une dizaine de gardes, ainsi que de deux conseillers qui accompagnaient le leader. J’avais bien sûr amené ma générale en chef Valrika, et, faute de mieux pour mon second choix, mon fils le prince Kieran, bien qu’il soit un incapable et un lâche. J’avais accompli de grandes choses durant ma longue vie, plus qu’aucun homme avant moi n’en avait fait, mais s’il y avait bien une chose dans laquelle j’avais échoué, c’était bien mes enfants. D’un œil sévère, je dévisageais les deux conseillers qu’Iskurdan avait amené.

- Tu ne perds jamais une occasion de m’insulter, Iskurdan, marmonnai-je. Venir avec ces deux là…

Les deux en question, des membres du cercle rapproché du chef rebelle, étaient deux de mes anciens serviteurs, et non des moindre. Le premier, un petit Pokemon en armure, se nommait Duancelot. Outre le fait d’avoir été mon Pokemon depuis le début de mon règne, il était aussi le symbole de Johkania, dont les couleurs bleu et rouge de la royauté était calqué sur les éléments de son épée double. Duancelot était très vieux ; il avait été le Pokemon de mon ancêtre, le premier de ma lignée, le légendaire Roi-Dynaste Urkarkast, qui a fondé le royaume de Johkania. Il était depuis passé entre les mains de tous ses descendants, jusqu’à moi, ce qui rendait sa trahison d’autant plus abjecte.

Le second personnage était lui bien humain, et était il y a peu encore un des plus puissants nobles du royaume. Mais en réalité, Lord Despero m’avait trahi bien avant de rejoindre la rébellion d’Iskurdan, en s’avérant être depuis un moment un membre éminent des Agents de la Fatalité. Le jeune noble, à l’éternel sourire moqueur, me fit une courbette de son cru.

- C’est moi qui ai insisté auprès du Seigneur Iskurdan pour que ce sommet ait lieu, Votre Majesté, dit-il. Ne m’en tenez pas trop rigueur je vous prie. Mes inquiétudes pour l’avenir de ce royaume sont des plus sincères…

Je me rappelais que j’avais toujours bien apprécié cet homme... avant de découvrir qu’il était un serviteur de Falkarion, bien sûr. Je connaissais sa famille depuis des décennies, son père, son grand-père et son arrière-grand-père avant lui. Mais lui était un véritable serpent, manipulant son petit monde avec des paroles suaves. Je me demandais jusqu’à quel point il a pu parasiter la rébellion d’Iskurdan. Ce dernier était un imbécile fini de faire confiance à ce genre de personnage, qui allait peu à peu étendre l’influence des Agents de la Fatalité au plus haut de l’État.

- Je ne suis venu que pour entendre votre reddition, déclarai-je. Il n’y a que ça que j’accepterai de vous. Rendez-vous, dispersez votre rébellion absurde, et alors peut-être ferai-je montre de clémence.

Naturellement, Iskurdan secoua la tête, ses longs cheveux roux virevoltant de droite à gauche.

- Tu n’as pas l’air de bien saisir la situation, Zephren. Ton armée royale ne cesse d’enchaîner les défaites, tandis que notre révolution grandit de jours en jours. La défection de Duancelot ne sera pas la dernière, crois-moi. Le peuple ne veut plus d’un souverain qui assassine son peuple au gré de son humeur. Tu as autrefois régné avec sagesse, et tu avais le respect des johkaniens. Tu ne règnes désormais plus que par la peur, et tu n’as attiré que leur colère. Nous sommes venus te proposer les conditions de ton renoncement au trône, pour éviter que cela ne tourne à un carnage…

- Si carnage il y aura, il sera de ton côté, répliquai-je. Toi mieux que quiconque connaît l’étendue de mes pouvoirs quand je suis armé de la Johkanroc. Les conseils et la prophétie de ce chien de Breven ne te sauveront pas !

Iskurdan soupira, réellement attristé.

- Alors, la négociation va tourner court. Je crois que nous n’avons plus rien à nous dire.

- Non, effectivement.

En dépit de ma colère, je ressentis tout de même une point de tristesse. Je venais de rendre infranchissable le fossé qui me séparait de mon plus vieux camarade.



***


Le Seigneur Iskurdan Jelv Asuneos, plus connu comme Iskurdan au Cœur d’Or, Aura Gardien d'Arcanin, Grand Maître l’Ordre, Protecteur de Johkania et leader des Dix Héros, fit son entrée dans la salle du conseil d’un pas lourd et épuisé. Sa nature d’Aura Gardien lui permettait de vieillir deux fois plus lentement qu’un homme normal, et même si ses cent seize ans ne se voyaient pas trop dans son physique, son âge commençait à se faire ressentir dans ses yeux. C’était un homme qui en avait trop vu au cour de sa vie, et qui tentait tant bien que mal de conserver le tout en équilibre. Car en effet, depuis la chute de Zephren et de la monarchie, la gouvernance de Johkania ne tenait qu’à ça : l’équilibre.

Pour faire tomber Zephren, Iskurdan avait eu besoin du soutient coalisé des Gardiens de la Destinée et des Agents de la Fatalité. Comme les deux groupes étaient des ennemis jurés de toujours, les faire devenir des alliés n’avait pas été chose facile. Mais heureusement, ils haïssaient Zephren plus qu’ils ne se haïssaient entre eux, notamment à cause du sanglant épisode de la Nuit Rouge, il y a cinq ans de cela, où Zephren avait traqué et massacrer des dizaines d’Agents et de Gardiens. Les deux castes religieuses avaient donc su enterrer la hache de guerre provisoirement pour combattre Zephren.

Mais maintenant que Zephren avait été découpé en dix morceaux, Destinal et les Agents de la Fatalité n’avaient plus d’ennemi commun. Oh, il restait bien le prince en exil Kieran qui tentait de se former un semblant d’armée à Irisia, le fief millénaire des Karkast, mais il n’allait pas tenir bien longtemps ; Durvan, le Sixième Héros, était parti sur place avec ses troupes spéciales de vriffiens pour l’écraser une fois pour toute. De toute façon, ni les Gardiens ni les Agents ne s’étaient souciés de lui. Ils étaient bien trop occupés à se regarder en chien de faïence, comme un Mangriff et un Seviper qui n’attendaient que de se sauter dessus. La lourde tâche d’Iskurdan était de maintenir une paix relative entre eux, car il savait que Johkania ne survivrait pas à une guerre de religion en son sein.

Mais depuis l’arrivée il y a deux ans de ce nouveau Prédicateur, le mystérieux Nukt, à la tête des Agents de la Fatalité, ces derniers semblaient avoir gagné en roublardise, cherchant constamment à défier Destinal, toujours un petit peu plus. La tentative de prise du château royal était sans doute la tentative de trop, et Karion avait répliqué un peu trop violemment en éliminant l’un des trois Adeptes responsables. Du coup évidement, les Agents étaient furieux et réclamaient vengeance. Iskurdan avait donc convoqué le conseil de toute urgence pour trancher ce litige au plus vite avant qu’il ne dégénère.

Cinq des Héros attendaient Iskurdan dans la salle du conseil, et se levèrent quand il apparut. Dans l’ordre de leur numéro, il y avait Duancelot, Alysia, Despero, Fral et Valrika. Iskurdan savait qu’il n’en viendrait pas d’autre. Karion était en train d’interroger les prisonniers qu’il avait fait au Mont Argenté, dans le Saint Monastère de Destinal. Durvan était parti guerroyer à Irisia contre le prince Kieran. Le Roi Reomarinus, souverain des Pokemon de type Eau, ne venait qu’assez rarement, du fait de sa morphologie qui l’obligeait à rester la majeure partie de son temps immergé. Personne ici n’allait se plaindre de son absence, bien sûr. Enfin, Breven, le Premier Héros, était là qu’une fois sur dix, et même quand il était présent, il ne parlait que très peu, semblant se soucier des affaires du royaume comme d’une guigne.

- Merci d’être venus si vite, déclara Iskurdan en s’essayant à sa place centrale. Je déclare donc ce conseil exceptionnel ouvert. L’ordre du jour sera bien sûr ce qui s’est passé hier au Mont Argenté. Il convient au plus vite d’écraser dans l’œuf tout début de conflit entre les Gardiens et les Agents, afin que la paix perdure.

Despero tripota son col à rabat orné d’un énorme rubis. Bien que techniquement, la noblesse avait disparu lors de la Révolution, Despero s’habillait toujours comme le très riche personnage qu’il était. Il portait un costume de la haute bourgeoisie, rouge et noir. Bien qu’il n’avait pas encore quarante ans, ses cheveux étaient d’un gris tendant vers le blanc. Lord Despero était le Cinquième Héros et le représentant des Agents de la Fatalité au Conseil. C’était vraiment un personnage singulier. De haute naissance, il avait donné sa foi à une secte qui encourageait pourtant l’anarchie et la loi du plus fort. Couvert de privilèges et de richesses, il avait abandonné les deux pour se retourner contre son roi et le système de la noblesse. On le surnommait Despero le Damné, du fait de son étrange habitude à provoquer lui-même sa propre chute.

- Si menace de conflit il y a, il est du fait de Destinal, fit-il de sa voix doucereuse. Karion a délibérément exécuté un de nos Adeptes, et fait prisonniers deux autres. Rien que cela pourrait être considéré comme un acte de guerre.

Sainte Alysia, la Quatrième Héros et représentante de Destinal, trouva bien sûr matière à répliquer. Ni Despero ni elle ne pouvait formuler une phrase sans que l’autre ne conteste quelque chose. La championne de Provideum était une jeune femme portant toujours une armure, aux cheveux d’or coiffé en queue de cheval. Elle avait été la première des Héros à rejoindre Iskurdan dans sa rébellion, sans compter Breven. Aux yeux de tous, et même des non-croyants à Destinal, elle incarnait par toutes les pores de sa peau la bravoure et l’honneur.

- Ce sont vos Adeptes qui ont provoqué cela, Lord Despero, et vous le savez très bien. Ils ont attaqué un haut lieu symbolique et touristique, en prenant des civils en otage. Quant à l’adepte qui a été tué, il a clairement refusé de se rendre en tentant d’attaquer Karion, qui n’a fait usage que de son bon droit de légitime défense.

- C’était un meurtre gratuit, comme vous vous en doutez, très chère Sainte, contre-attaqua l’Agent de la Fatalité. Karion n’est pas l’un des Dix Héros pour rien, que je sache ? Il aurait très bien pu maîtriser cet Adepte sans le tuer.

- Il restait tout de même dans son droit, insista Alysia.

Craignant que leur échange n’en finisse pas et qu’il ne dégénère très vite, Iskurdan reprit la parole.

- Avançons un peu, voulez-vous ? Il serait bon d’établir que chaque camps est fautif dès le début, pour ne pas chercher constamment à se renvoyer la responsabilité. On est d’accord que les Agents de la Fatalité n’aurait pas dû chercher à s’emparer du château royal par la force. Et on est aussi d’accord que Karion n’aurait pas dû tuer cet Adepte s’il pouvait faire autrement. La plainte du Prédicateur Nukt concernant la mort de ce dénommé Jyren a bien été entendue par le Conseil. En raison toutefois du caractère totalement illégal et brutal de l’action de ces dits Adeptes, il ne saurait y avoir de dédommagement total. Je demanderai à Karion de produire un communiqué d’excuse à l’adresse du Prédicateur Nukt. Cela vous convient-il ?

Despero n’était pas satisfait, tout comme Alysia. Mais généralement, c’était bon signe. Si une affaire se concluait avec un satisfait et l’autre furieux, l’équilibre tant recherché par ce conseil allait en pâtir sérieusement. Valait mieux qu’ils soient tous les deux un peu frustrés.

- Le père de Jyren est l’un de nos Agents les plus respectés, fit Despero. Il ne se contentera pas d’un petit mot d’excuse…

- Il appartiendra au Prédicateur Nukt de lui faire entendre raison, renchérit Iskurdan. Des charges pèsent toujours sur vos deux autres Adeptes que Karion a fait prisonnier. J’imagine que les Gardiens voudront un procès. Et s’ils enquêtent, découvriront-ils qu’ils ont agi de leur plein gré… ou sur ordre direct du Prédicateur ?

La menace était inutile. Tout le monde ici savait si ces trois adeptes avaient cherché à s’emparer du château de Zephren, c’était qu’ils avaient reçu des ordres en ce sens. Cela faisait bien un an que Despero insistait au conseil pour qu’on donne la propriété du château aux Agents. Bien évidement, personne ne pourrait jamais prouver que le Prédicateur avait donné de tels ordres. Mais valait mieux pour les Agents que les Gardiens n’enquêtent pas de trop près. Despero en était plus que conscient.

- Le Prédicateur veillera que le père de Jyren ne fasse pas de scandale, concéda-t-il. En échange, nous souhaitons la libération immédiate et inconditionnelle de nos deux Adeptes.

C’était ce que voulait entendre Iskurdan, mais Alysia allait difficilement accepter cela. Elle tapa de son poing ganté sur la table.

- Sans procès ni enquête ?! Leurs crimes parlent d’eux-mêmes, Lord Despero !

- Lesquels ? Demanda ce dernier. Ils n’ont tué personne. Ils voulaient juste réclamer ce qui aurait dû être notre bon droit mais que ce conseil nous a toujours refusé !

- Nous ne vous avions pas refusé le château, protesta Iskurdan. Nous vous avions simplement demandé un peu plus de temps pour…

- Pardonnez-moi, Seigneur Iskurdan, mais est-ce que vous avez demandé un peu plus de temps aux Gardiens quand ils ont décidé de se construire un nouveau temple immense et coûteux en plein cœur de la capitale, et ce avec des fonds publics ? Je croyais pourtant que ce royaume était laïque.

Iskurdan soupira. Despero remettait toujours ce sujet sur la table. Mais d’un autre côté, il n’avait pas tort. Il aurait dû se montrer un peu plus regardant face à l’Oracle Joanne et à son désir de faire de Destinal une religion d’État. C’était pour cela qu’il avait réellement envisagé de donner le château du Mont Argenté aux Agents en compensation…

- Ah ahhhhhh, intervint Fral en balançant ses jambes sur sa chaise. J’en ai assez que vous rabâchiez toujours les mêmes choses. Vous pouvez pas vous serrer la main et qu’on en finisse ? J’ai des combats Pokemon importants aujourd’hui…

Fral était la plus jeune des Dix Héros ; et pour cause, elle n’avait que treize ans, et donc que neuf lors de la Révolution. Pourquoi Iskurdan avait-il pris cette fillette avec lui pour l’aider à renverser un roi ? Tout simplement parce qu’elle avait un véritable don avec les Pokemon. Elle pouvait tous les dresser et se faire obéir d’eux. Grâce à Fral, l’armée révolutionnaire avait pu bénéficier du soutient de centaines de Pokemon. Aujourd’hui, Fral s’évertuait à propager ce qu’elle appelait les combats Pokemon dans tout le royaume, et avait même comme idée de fonder une espèce de conseil de dresseurs surpuissants comme elle.

- Sérieux, la politique, c’est franchement barbant… ajouta-t-elle.

Iskurdan ne pouvait pas lui donner tort. En tant qu’Aura Gardien, il était censé être un homme d’action et de terrain, combattant le mal pour protéger le plus grand nombre d’êtres vivants. Et pourtant, il avait passé une grande partie de sa vie à se mêler de la gouvernance de Johkania, que ce soit autrefois aux cotés de Zephren, et encore plus aujourd’hui, où il était l’homme le plus haut placé du pays. À la chute du Roi Éternel, le peuple avait voulu le couronner, lui. Mais Iskurdan avait refusé, prétextant que les Aura Gardiens ne devaient pas revêtir de couronne, et avait opté pour une direction collégiale du royaume avec le Conseil des Héros. Il lui arrivait parfois de le regretter, en se disant que s’il avait été roi, il n’aurait pas laissé Alysia et Despero lui casser continuellement les pieds avec leurs mésententes perpétuelles…

Après vingt minutes de plus de débats, de protestations, de poings sur la table et de menaces à peine voilées, Iskurdan parvint tant bien que mal à faire accepter aux deux camps une solution commune. Karion allait reconnaître la mort de l’Adepte comme une erreur et s’excuser auprès des Agents, mais en son nom seulement, pas en celui de Destinal. Les deux Adeptes emprisonnés au temple seraient libérés sous peu, en échange de quoi le Prédicateur Nukt veillera à ce qu’il n’y ait aucune représailles pour la mort de son Adepte, et devra verser un prix plus lourd que celui qui a été convenu pour l’achat du château royal.

Quand la question fut enfin tranchée, Valrika se leva pour prendre la parole. L’ancienne générale de Zephren et aujourd’hui Neuvième Héros était la chef de la milice les Vengeurs, un groupe armé qu’elle avait crée avec pour unique mission de traquer et d’exterminer tous les membres de la famille royale, qu’ils soient légitimes ou non. Valrika vouait une haine féroce à tout ce qui se rapprochait de près ou de loin aux Karkast. Ancienne maîtresse de Zephren, elle avait été jusqu’à tuer elle-même son bébé tout juste né qu’elle avait eu de lui.

Iskurdan n’aimait pas ses méthodes cruelles ni son obsession dévorante, mais Valrika et ses Vengeurs avaient une triste utilité : celle de maintenir les johkaniens unis sous la haine et quelque personnes, à savoir les Karkast. En maudissant d’une même voix les membres de sang royal qui restaient, ils ne songeaient pas à se faire la guerre entre eux. Mais vu la situation, ça n’allait pas durer longtemps. Valrika avait, en quatre ans, exterminé quasiment tous les Karkast. Il n’en restait plus que deux de connus : le prince en exil Kieran, qui allait bientôt se faire mettre en déroute par Durvan… et un jeune bâtard, petit-fils de Zephren, qui se trouvait être la raison de la prise de parole de Valrika.

- Passons à autre chose. C’est au sujet d’Ametyos. Mes Vengeurs sont encore tombés sur lui non loin de Céladopole.

- Vous m’en direz tant, ricana Despero. Il sortait de mon manoir, avec mon trophée de guerre prit à Zephren.

- Comment se fait-il que vous laissiez un objet pareil sans toute la protection nécessaire ? S’indigna Alysia, laissant clairement sous entendre que Despero était un incompétent.

L’Agent de la Fatalité haussa les épaules.

- Ça fait un moment que je ne vais plus dans mon ancien manoir de Céladopole. Il contient seulement quelque vieilleries de ma famille. Quant à la main de Zephren… bah, ce n’est qu’une main morte. Un trésor purement nostalgique, sans aucune valeur.

- Elle doit pourtant en avoir pour Ametyos, répliqua Valrika. C’est le troisième morceau qu’il vole !

- Oui oui, intervint Fral. Il a même volé la jambe gauche de Zephren que j’avais pourtant secrètement enterrée dans le jardin de grand-père à Bourg de Palette !

- Et il a également cambriolé la demeure de Karion le mois dernier à Ecorcia, conclut Iskurdan. Il semble clair que son but sont les morceaux dispersés de son grand-père que nous avons en notre possession.

Duancelot, le Troisième Héros, un Pokemon Fée et Acier qui savait parler, demanda de sa voix chantonnant :

- Qu’est-ce que cet enfant voudrait faire des restes de Zephren, oui oui oui ?

- Il s’agit sans doute d’une quête symbolique pour lui, répondit Valrika. Il veut rassembler le corps de Zephren et ainsi devenir le porte-étendard de tous les royalistes dispersés ci et là. Il projette de reprendre le trône de son grand-père. C’est clairement un ennemi de la nation.

Iskurdan songea que la question ne se posait de toute façon pas pour Valrika la Vengeresse. Qu’importe pour elle qu’Ametyos Karkast soit une menace ou non ; son sang de Karkast faisait de lui une cible. Iskurdan savait que Valrika n’aurait de cesse de le pourchasser, tout comme elle avait pourchassé sa mère en son temps, la princesse Myrevia.

Songer à la défunte fille de Zephren lui fit mal au ventre, comme d’habitude. Iskurdan l’avait connu depuis sa naissance. Une si charmante enfant. C’était à elle que l’on devait la défaite de Zephren, bien que le peuple l’ignore. Elle avait en effet volé la Johkanroc du roi quelque jours avant l’arrivée des Dix Héros au château. Si Zephren avait possédé la Johkanroc lors de ce combat, l’Histoire aurait été sans doute différente. Mais même cette action n’avait pas suffit à Valrika pour l’épargner ensuite. À peine lui a-t-elle évité l’humiliation et la longue agonie d’une exécution publique en la tuant rapidement en toute discrétion au fin fond d’une ruelle sombre d’Acajou.

Iskurdan avait plaidé pour qu’on la laisse tranquille, mais Valrika avait objecté la dangerosité qu’elle aurait pu représenter à cause de la Johkanroc, la pierre magique de Zephren, qu’elle possédait toujours. Avec une majorité absolue, le Conseil avait décidé sa mort. Iskurdan avait voté contre, de même que Duancelot, mais ils n’avaient pas pu contrebalancer la volonté des autres. Total, Myrevia avait bien été éliminée par Valrika, mais la Johkanroc n’avait pas été retrouvée. Selon toute vraisemblance, Myrevia l’avait transmise à son fils Ametyos. La crainte de tous au Conseil était de voir un Karkast armé de la Johkanroc et s’en servant pour reprendre le pouvoir, aussi les paroles de Valrika firent leur effet.

- Il faut arrêter ce garçon au plus vite, décréta Alysia. Sa Sainteté l’Oracle a parlé en ce sens. Les Karkast sont un fléau qu’il faut éradiquer.

Despero hocha la tête. L’élimination de la lignée royale était probablement le seul sujet sur lequel ils pouvaient tomber d’accord. Iskurdan n’avait pas les même à priori sur ce jeune homme, mais il savait qu’il était inutile d’argumenter ; il serait forcément mis en minorité. Au pire, on l’accuserait même de faire dans le sentimentalisme en tentant de protéger les rejetons de son vieil ami Zephren.

- Vu que nous savons qu’il cherche à réunir les morceaux de son papy, il suffit de lui tendre un piège, proposa Fral.

- Il nous a échappé hier avec l’aide d’un Pokemon Spectre criminel bien connu de la région, indiqua Valrika. Le dénommé Spookiaou, chef d’un groupe de voleur, versé dans l’art des illusions et des tromperies. Si ces deux là s’associaient, nous aurions beaucoup de mal à les attraper, même en connaissant leur objectif.

Valrika avait beau haïr les Karkast comme personne d’autre, Iskurdan savait qu’elle reconnaissait un certain talent à Ametyos pour avoir su lui échapper pendant quatre ans. Aucun autre Karkast n’avait tenu si longtemps face à elle. Le gosse était doué. Il avait forcément dû subir une quelconque formation quelque part pour survivre tout ce temps. Et s’il s’avérait qu’il était capable de se servir de la Johkanroc de Zephren, il pourrait devenir effectivement problématique. Iskurdan ignorait si ce jeune homme avait pour objectif de reconquérir le trône, mais Valrika avait raison sur un point : les royalistes et partisans de l’ancien régime étaient de plus en plus nombreux, et se faisaient de plus en plus entendre. Si on leur donnait une figure de proue comme Ametyos Karkast, ils se déchaîneraient comme jamais, entrainant sans doute Johkania dans une nouvelle guerre civile.

- Fais ce que tu dois faire, Valrika, lui dit Iskurdan. Tu as carte blanche pour sa capture, mais évite les dommages collatéraux le plus possible. Alysia, comme convenu, les Adeptes prisonniers du Saint Monastère devront être libérés au plus vite. J’irai parler avec Karion moi-même. La session est terminée.


***


Une fois la séance du conseil finie, Lord Despero alla retrouver son assistant envoyé par le Prédicateur, qui patientait fébrilement non loin de l’entrée du Haut Conseil.

- Messire ! Fit Rufio Fedoren. C-comment c’est passé la réunion ?

L’assistant de Despero était un jeune Agent de la Fatalité, ordonné il y a peu, aux cheveux noirs bouclés. Il était précieux pour la caste, du fait de son nom. Le clan Fedoren était le seul capable de tailler les Ascalines pour en faire des pierres magiques. Un savoir très ancien, et très recherché, que ce soit des Agents ou de Destinal. La mutation de Rufio à Safrania comme assistant de Despero n’avait donc rien d’un hasard. Ici, il ne courrait aucun danger, et avait tout le temps pour tailler des Ascalines. Despero trouvait le jeune homme un peu naïf dans ses principes, mais il l’aimait bien et profitait pas mal de son savoir. Grâce à lui, il avait une belle collection d’Ascacomb désormais.

- Comme d’habitude, mon cher, répondit Despero. Le Conseil parle beaucoup, mais agit très peu. Le temps où nous faisions parler les armes à la place des paroles s’est terminé en même temps que Zephren…

- Et… pour ma sœur, messire Despero ? Elle va bien ? Qu’est-ce qui a été décidé pour elle ?

C’était là tout ce que Rufio voulait savoir, et ce pourquoi il avait attendu fébrilement l’arrivée de Despero.

- Elle sera libérée sous peu avec l’Adepte Zorander, n’aie nulle crainte, le rassura Despero. Tu peux louer Falkarion que ta sœur n’aie pas eu la bêtise de l’Adepte Jyren de tenter d’assassiner l’un des Dix Héros.

- Ce n’est pas le tempérament qui lui manquerait pour cela, ricana nerveusement Rufio. Mais, Falkarion merci, elle a beau être une sauvage, elle réfléchit tout de même.

Despero se demandait vaguement ce qui était passé par la tête du Prédicateur et de ses conseillers pour qu’ils demandent à Palyne Fedoren, une gamine même pas encore ordonnée, de partir à l’assaut du château royal avec seulement deux autres Adeptes ! D’un point de vue tactique, c’était une folie. Et ça l’était encore plus quand on savait qu’ils avaient pris le risque de perdre l’une de leur seuls deux Fedoren ! Nukt aurait dû faire de la jeune femme une Agent et la muter dans un coin tranquille. Despero l’aurait même prise avec elle, comme son frère. On ne jouait pas ainsi avec la vie d’un Fedoren, connaissant leur valeur et leur rareté. À cause des luttes intestines au sein de leur propre clan et des conflits continuels entre Agents et Gardiens, il n’en restait plus beaucoup aujourd’hui…

- Cette mission était d’une stupidité affligeante, se permit de dire Despero. S’ils m’avaient laissé le temps, j’aurai effectivement pu convaincre Iskurdan et la plupart des autres Héros de nous céder le château. À présent, on devra le payer au prix fort ! Quel crétin a eu une idée pareille, je le demande…

Rufio blêmit. Il n’avait jamais sûrement entendu un Agent critiquer de la sorte le Prédicateur Nukt. Pourtant, Despero ne se gênait pas. Nukt ne pouvait ni l’entendre ni le voir d’ici, et Despero n’avait que trop goûté, depuis son arrivée au pouvoir il y a deux ans, à ses décisions illogiques et dangereuses. Despero regrettait énormément l’ancien Prédicateur, le vieil Ivunio Grande. Contrairement à ce jeunot de Nukt qui réfléchissait une fois sur trois avant d’agir, Grande avait toujours été un fin stratège, et le maître penseur de Despero en politique.

- Il semblerait que ce soit l’Ordonnateur Erekiel qui s’est chargé des détails de cette mission, lui murmura Rufio alors qu’ils marchaient dans les rues bondées de la capitale.

- Pfff, évidement, soupira Despero avec une forte dose de mépris. Déjà que l’idée de base n’était pas des plus pertinentes, si en plus le Prédicateur a confié la logistique à ce crétin, ça ne pouvait que tourner au vinaigre. Et c’est à moi maintenant de réparer leurs bévues au Conseil !

- Je suis navré de ce qu’a pu provoquer ma sœur, messire…

- Ta frangine n’y est pour rien, lui assura Despero. Elle n’a fait qu’obéir à des ordres idiots. Par Falkarion, Erekiel n’a même pas vérifié avant la présence de Karion et de la Sainte Garde dans le secteur !

- Leur présence n’était sans doute dû qu’a une triste fatalité, fit Rufio avec foi.

- Fatalité mes fesses oui, répliqua Despero sans se soucier de jurer. C’était un boulot salopé du début à la fin, c’est tout.

Despero aimait bien la vie à la capitale, et il aimait aussi son travail au Conseil, et ses petits matchs verbaux avec Alysia. Mais parfois, en songeant à ce jeune Prédicateur au sang chaud mais inexpérimenté, écoutant les conseils de débiles finis comme l’Ordonnateur Erekiel, il se disait qu’il devait plier bagage et rentrer à Lavanville de toute urgence pour reprendre les choses en main là-bas. Mais il ne pouvait pas, bien sûr. Il était le seul Agent ayant le droit de siéger au Conseil.

- J’avoue que j’ignore ce que recherche le Prédicateur, admit Despero à son jeune assistant. Mais ses actions m’inquiètent de plus en plus. Tout porte à croire qu’il prépare une guerre contre Destinal. Et visiblement, ça plaît à nombre de nos Agents. Mais je ne sais pas s’ils se rendent bien compte qu’on ne pourra pas gagner. Destinal est presque une religion d’État, avec une forme armée qui lui ait propre, et le soutient d’une partie des autorités. Nous, nous ne sommes qu’une secte qui vit dans l’ombre, et le secret et notre meilleur arme.

Despero pouvait discuter de sujet sensible comme celui là avec Rufio sans crainte, car il savait que le jeune homme ne le trahirai pas, vu que comme lui, il était partisan d’une coexistence plus ou moins pacifique avec les Gardiens de la Destinée.

- Avez-vous évoqué ce sujet avec le Prédicateur, messire ? Demanda-t-il. Il écoutera peut-être vos conseils…

- Je ne sais pas ce qu’écoute Nukt, mais ce n’est sûrement pas des conseils. La seule solution serait d’en parler directement avec le Seigneur Falkarion. Il n’y a que lui qui pourrait faire plier le Prédicateur.

Rufio fronça les sourcils.

- Mais… le Seigneur Falkarion… personne ne sait où il est, à part peut-être le Prédicateur lui-même.

- Je sais, soupira Despero.

Depuis dix ans que Despero avait rejoint les Agents de la Fatalité, il n’avait jamais pu rencontrer leur maître attitré. On disait que le Seigneur Falkarion était un Pokemon très secret, qui n’aimait pas être vu, et qui se souciait peu de la direction des Agents, laissant au Prédicateur tout pouvoir pour les commander. C’était assez triste de servir un Dieu qui ne se montrait jamais. À l’inverse, Provideum, le Maître de la Destinée, était très souvent en contact avec leur Oracle en lui fournissant ses fameuses visions de l’avenir.

- Tâchons de faire ce que nous pouvons ici pour calmer les choses, déclara Despero. J’ai beau chercher querelle à Alysia à chaque session, elle sait très bien que je suis son meilleur allié au sein des Agents de la Fatalité. J’espère juste que l’Oracle Joanne sera plus intelligente que notre Prédicateur et qu’elle se gardera de répondre à ses provocations.





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Image de Duancelot ( au cas où y'aurait des non-lecteurs de X-Squad^^) :