Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Hommage à Bienveillance de Frostou



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Frostou - Voir le profil
» Créé le 27/02/2019 à 12:16
» Dernière mise à jour le 27/02/2019 à 12:16

» Mots-clés :   Kanto   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Les héros
Jamais je n'aurais imaginé vivre tant de choses. J'ai été un homme heureux, marié à une tendre femme qui m'a toujours soutenu. J'ai pu assister à la naissance de mes enfants, j'ai pu les observer grandir. J'ai même pu les marier et rencontrer mes petits-enfants, ainsi que quelques arrières petits-enfants. En somme, j'ai eu une vie formidable, que le monde entier pourrait m'envier.

Je n'ai presque rien à dire à ma famille, si ce n'est que je les aime tous, depuis tant d'années, et que, parti au loin, jamais je ne les oublierai. Peut-être que pour beaucoup, ces mots seront quelques peu étranges, car j'ai plus passé la seconde moitié de ma vie à boire du café et à guider des jeunes dresseurs partis à l'aventure pour la ligue Pokémon.

Ah ! Je me souviens de ce temps-là, il y a vingt ans, lorsque la première édition avait débuté. J'observais déjà des jeunes enfants partir à l'aventure depuis tant d'années, pour découvrir le monde. Peu de monde s'en souvient, mais après la fin de la dernière guerre, qui réveilla les consciences encore une fois, tout comme après la Grande Guerre mille ans auparavant, un âge de paix était possible.

Certains n'y croyait pas, pensant que l'être humain était trop odieux et égoïste pour penser à autre chose qu'à sa propre survie. Moi, à ce moment-là, j'étais encore un enfant, qui rêvait de parcourir la terre, comme beaucoup avant moi, et comme tant d'autres après moi. Je n'ai malheureusement pas pu partir. Non pas que j'étais incapable, mais parce que ma mère, ayant perdu mon père et mon frère aîné, avait besoin de moi. Je devais la protéger.

Ma mère était une femme exemplaire et courageuse. La guerre fit de grands ravages de par le monde, jusqu'à Kanto, alors que nous étions pourtant bien loin du conflit. Nous n'aurions pas dû perdre tant de frères, mais l'honneur et la volonté d'aider a poussé bon nombre d'hommes et quelques femmes à quitter leurs foyers et prendre les armes. J'étais bien trop jeune pour suivre mon père, dont je n'ai plus qu'un vague souvenir.

Je me souviens de ce jour, où le maire de Jadielle – le grand-père de notre actuel maire qui est son portrait craché – annonça la mort de mon père à ma mère. Il lui dit, les larmes aux yeux « Jack est mort. » et tenta de la réconforter. En vain, tant lui aussi, était touché par cette mort si imprévue. Ce n'est que quelques jours plus tard que je revis le visage de ma mère souriant. Un sourire triste. Je m'entends encore lui dire ce jour-là si innocemment : « Maman, ne t'inquiète pas, je te protégerai toute ma vie ». Une promesse à laquelle je me suis tenu jusqu'à son décès, qui arriva à mes trente ans.

Pendant cette vingtaine d'années, je vis ma mère vivre comme elle l'a toujours été. Si je devais la décrire, je dirais qu'elle était généreuse. Son courage venait de sa générosité. Elle ne se contentait pas d'être une femme forte et indépendante, qui éleva ses fils seule, mais elle aidait tous les enfants dans le besoin, et soignait tous les pauvres Pokémon blessés qu'elle pouvait croiser. Avant sa mort, beaucoup la surnommait « Mamie Joëlle » de part sa grande ressemblance avec les infirmières qui commençaient à peine à jalonner le pays pour s'installer dans chaque ville et aider bénévolement les dresseurs et leurs amis. Pourtant, elle n'avait aucun lien familiale avec ces jeunes filles dont le cœur ressemblait tant à celui que je voyais chez ma mère.

Je ne regrette pas. Avoir accompagné ma mère pendant toutes ces années m'a comblé de bonheur. Même si je n'ai pas découvert le monde, même si je ne suis pas parti m'aventurer dans toutes les montagnes et les forêts de notre belle région, j'ai pu vivre paisiblement pendant toutes ces années, chose que mes ancêtres n'ont peut-être jamais connu.

***

Après le décès de ma mère, je me souviens encore de ces conversations avec mes amis auprès d'un petit feu de camp. Certains disaient « Va, découvre le monde. Il a besoin de quelqu'un comme toi. », tant d'incitations à partir et voyager, comme tous ces jeunes que je voyais passer chaque année. Je m'y refusais. J'avais encore tant de choses à offrir à ma famille, à enseigner à mes enfants, à partager avec ma femme enceinte d'un future beau gaillard. Je ne pouvais accepter de prendre une décision si incongrue, si égoïste, si lâche.

Je sais que ma femme ne m'en aurais jamais voulu. Elle est à l'image de toutes les femmes : parfaite. Ne pas la mentionner serait un affront honteux et inacceptable. Notre rencontre hante joyeusement ma mémoire. C'était lors d'une journée d'été. J'ai toujours été matinal, bien que plus le temps passait, plus le café m'était indispensable pour démarrer la journée. Encore frais et capable de vivre sans caféine, je me baladais, trottant, dans les petites ruelles de Jadielle. Arrivé aux abords du lac qui délimite le hameau à l'Ouest, je m'émerveillais comme chaque jour de ces couleurs chatoyantes qui se reflètent sur le bleu onduleux de l'eau. Mais c'est en observant avec plus de rigueur qui j'y distinguais dans ces couleurs l'ombre d'une jeune femme.

Elle m'a plu dès le premier regard que j'ai porté sur elle. Elle a toujours aimé les Rondoudou, ces êtres roses dont le chant pourrait même endormir un insomniaque. Ses habits portaient la couleur canonique de ce dernier, c'est-à-dire le rose. Elle portait un ruban de la même couleur, bien que d'un rose plus clair que le reste de ses vêtements. Ce dernier mettait en valeur ses beaux yeux bleu dans lesquelles je me noyais déjà d'amour. Et de toute sa beauté, ce qui m'a le plus touché est sans équivoque ses joues rondes, qui semblait se gonfler quand elle s'énervait. Sans trait d'humour, ma femme devait être dans une ancienne vie un vrai Rondoudou. Mais il va sans dire que je préfère évidemment cette ravissante créature que son incarnation précédente.

Notre amour ne peut pas être éternel, ma chère et tendre, puisque je ne le suis pas. Mais si j'avais pu te dire tout ce que tu m'as apporté, tout ce qui a fait que je suis l'homme que j'ai été, et j'espère, le mari que tu as voulu... Je n'ai aucun regret, à l'exception de ne pas t'avoir rendue encore plus heureuse. Je n'ai pas été le mari le plus facile que l'on puisse espérer, mais j'ai toujours essayé d'être aimant. Je te prie de m'excuser de mes échecs et de ne pas me juger coupable de t'avoir abandonnée, après tant d'années passées avec toi.

***

Après la naissance de mon dernier fils, ma vie professionnelle était un peu plus compliquée. Le monde jouissait d'une paix inouïe et le développement de la technique transformait nos vies. Kanto ne faisait pas exception à la règle, quoiqu'elle restait un havre de paix, en comparaison à d'autres régions du monde où les mégapoles poussent comme des champignons. Ainsi je devais beaucoup me déplacer dans la région et je partais souvent en mission pour Safrania et Carmin-sur-mer. En tant que conseiller indépendant attaché à la Sylphe, je me devais d'aller aux réunions importantes du groupe.

Ne vous méprenez-pas pas sur mon rôle au sein de la Sylphe, ni même du nom pompeux de « conseiller » que le groupe m'octroyait. Dans la réalité, le seul travail que je faisais était de lire tous les documents – beaucoup de business plan comme ils l'appellent – et d'en donner mon avis durant la réunion. Mais le fondateur du groupe était un grand ami, que je considère encore aujourd'hui comme un homme bon, et qui su utiliser la technique pour faire du profit, certes, mais en évitant beaucoup d'écueils dont l'outrance. Sa devise, qui est aussi la mienne, est d'être heureux lorsque autour de soi je peux lire le bonheur sur les visages.

Je ne peux qu'ajouter que je lui en suis reconnaissant de m'avoir accordé sa confiance. J'espère que ses enfants reprendront la belle entreprise qu'il a construit avec soin, et qu'ils poursuivront l'aventure commencée lors d'une période faste et où la vie était si simple et dénuée des complexités produites par les progrès techniques de ce nouveau siècle. Je leur souhaite réussite et bonheur, tout comme à tout le peuple de Kanto et au monde entier. Que la paix dure !

***

Enfin, j'ai quelques mots à transmettre à une personne particulière. Vous le reconnaîtrez sûrement, et j'aurais aimé pouvoir le revoir encore une dernière fois. Mais la vie en a décidé autrement, hélas ! Notre rencontre tenait peut-être du destin, sûrement du hasard. J'étais déjà à la retraite, et passait le clair de mon temps à boire du café et à discuter avec qui veut de ma belle et heureuse vie. En somme, je partageais mon expérience, que je pensais déjà achevée par mon grand âge, et sans me douter que je vivrais encore pour quelques années. Mais cet enfant de dix ans me prouva tout le contraire.

Oui, la dernière leçon de vie que j'ai apprise m'a été enseignée par un enfant de dix ans. Je n'ai jamais raconté cette anecdote à qui que ce soit, tant elle me coûtait de la dire. Pas que j'en avais honte, mais en la partageant, j'avais peur de perdre ce souvenir si précieux. C'est-à-dire qu'un souvenir partagé ne vous appartient plus vraiment. Il entre dans le domaine public, et forme ce qui nous lie. Le souvenir devient alors quelque chose de commun, que chacun peut manipuler à sa guise, que chacun peut transformer.

J'étais égoïste, je l'avoue. J'ai pris le risque de faire tomber dans l'oubli quelque chose qui me tient à cœur, quitte à perdre une part de notre histoire. Moi qui aie contribuer à créer du commun toute ma vie, à partager mon expérience auprès de la jeune génération, à transmettre des valeurs universelles du respect de l'humain, j'ai failli à la tâche que je me suis moi-même fixé. J'espère que ce message va réparer mes erreurs, et que toi, tu me pardonneras de mes égarements.

Bien que cette lettre est destinée à qui souhaite la lire, je souhaite terminer part un message personnelle. Je te dois cette rencontre, cet enseignement. J'ai pu admirer ton parcours grâce à la télévision et je suis certain que tu m'écoutes aujourd'hui. Lorsque je t'ai montré comment attraper un Aspicot, je pensais que tu étais tout identique aux autres enfants, plein de fougues et de vitalité. Mais tu as su montrer au monde, et à moi ce jour-là, ce qui faisait ton identité. Ton sens de l'honneur, ton respect d'autrui, ta modestie et ton sang-froid a inspiré toute une génération d'enfants. Après ta victoire, et ta disparition temporaire, chaque année, je les voyais débouler à Jadielle, prêt à en découdre avec le monde, dans l'espoir d'apporter ce brin de quelque chose que tu as su marquer dans l'histoire.

***************

L'histoire de Bienveillance n'était pas finie. Il ne put l'accepter. Coiffé d'un discret ensemble noir, il se leva. Seul à se lever dans l'assistance, des voix s'élevèrent. « Qui est-ce ?  », « Que fait-il ? » furent des phrases qui, prononcées par des dizaines de personnes en même temps, provoquèrent un écho sans réponse. Face à cette homme en noir, le fils cadet resta immobile, les yeux rivés sur son pupitre, comme s'il était déjà au courant de la suite des événements.

Blue, devant, se leva pour mieux observer ce qu'il se passait à l'arrière. Silencieux, il comprit. Red n'était pas mort, il était là. Leurs regards se croisèrent. Même si son chapeau lui cachait une partie du visage, Blue distingua clairement le visage fermé de son rival, comme vingt ans auparavant. Les caméras du monde entier diffusait ces images que les journalistes ne savaient pas traiter, tant elles paraissaient surréalistes. Les dernières nouvelles de Red remontaient à presque vingt ans, quand un jeune homme vainqueur de la ligue indigo avait clamé l'avoir rencontré dans le Mont Argenté, sans que personne ne le crut. D'autres avaient spéculer qu'il était retenu prisonnier quelque part dans cette même montagne. Une autre rumeur, plus persistante, faisaient état de sa mort.

Certains n'en croyaient pas leur yeux, mais personne n'osa dire mot, ni faire le moindre mouvement. Ce temps long et silencieux semblait ne jamais se finir. Blue, son sourire narquois d'antan sur les lèvres, coupa ce moment unique : « Bienvenue à la maison, Red. Je t'attendais. » Red acquiesça pour seul réponse. Il quitta ensuite l'assistance pour se mettre au pied de l'estrade, face à Blue. Sans dire un mot, il sortit une pokéball et la montra à Blue, en signe de défi.

« C'est ce qu'il aurait voulu », dit alors Blue, qui attendit l'accord verbal du fils de Bienveillance. Les deux hommes allaient rendre leur véritable hommage, celui que Bienveillance aurait voulu voir, et qui vaut bien plus que tous les discours entendus jusqu'à présent.