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» Auteur : Lief97 - Voir le profil
» Créé le 14/02/2019 à 15:33
» Dernière mise à jour le 04/04/2019 à 14:35

» Mots-clés :   Action   Guerre   Présence d'armes   Présence de poké-humains   Suspense

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Chapitre 35 : Le retour
« La fleur de l'illusion produit le fruit de la réalité. » Paul Claudel.


***


— Lyco, qu’est-ce que tu as fait ? cria férocement une voix féminine.
— Enfoiré ! rugit un homme. Sale traître !

Des voix, des cris, des pleurs ; le bruit des flammes qui grondent. Un souffle chaud, insupportable. Des bruits de pas précipités, des ordres secs, un fouet qui claque, une détonation sourde.

Une odeur métallique, presque enivrante. Une épaisse fumée malodorante. Les lueurs rougeoyantes, qui s’élèvent haut dans le ciel, dévorant tout sur la plaine à l’agonie. Le vent, froid, glacial. Les bruits lointains et étouffés.

Un sentiment amer ; regret, ou impuissance ?

Le souvenir s’étiole, se défragmente, s’échappe et devient poussière…



***


Lacrya sauta au pied de la palissade ; elle leva les yeux vers le petit chemin de ronde branlant que Boralf achevait de fixer à l’aide de gros clous et de simples planches de bois ; des poutrelles avaient été utilisées comme piliers porteurs. Et en plus de ça, Grocaillou commençait tout juste à ramener des rochers de la forêt voisine, sous la surveillance de quelques pillards, afin de les sculpter et de renforcer encore plus les murs les protégeant.

Avec ça, le campement serait bientôt une véritable petite forteresse !

En plus de ces bonnes nouvelles, des rumeurs couraient dans les bois. Un des groupes de bandits les plus importants de la région avait été attaqué par des pokémons sauvages, plusieurs essaims de scarhinos, visiblement. Ça ne pouvait qu’être bon pour les affaires ; rien de tel pour prendre le contrôle des routes et des trafics. Et puis, forcément, ça diminuait les chances que ces bandits-là les attaquent.

Lacrya était montée dans l’arbre de Piaf la veille ; les prédictions des autres s’étaient avérées. Deux œufs étaient abrités dans les branchages de son nid. Blanc et tachetés de vert, ils donneraient naissance à de petit roucools si tout se passait bien. Des pokémons oiseaux pouvaient toujours dissuader des Insectes de s’en prendre à eux.

— Alors, d’en bas, ça donne quoi ? lança Boralf en se penchant vers Lacrya.
— C’est bon ! répondit-t-elle en levant un pouce en l’air.

Le colosse soupira de soulagement. Ça faisait trois fois qu’ils s’y reprenaient pour fixer la planche en face des piliers de soutien. Pas pour faire joli, mais pour qu’elle soit préservée au mieux et qu’on ne risque pas de passer au travers en posant le pied dessus ; ça aurait été bête de mourir comme ça avec tous les dangers qui rôdaient dehors.

Lacrya se dirigea vers la grotte au pied de la falaise ; c’était là qu’était installé le feu de camp, non loin de l’entrée, et où tout le monde se retrouvait pour manger et dormir, à même l’herbe. Boralf avait prévu de construire un abri en bois bien solide pour dormir dessous et éviter la pluie. Et aussi de construire un petit quelque chose pour les pauvres Tauros et Bourrinos, condamnés à dormir dans la vaste plaine qui leur servait de quartier général. Ces deux-là avaient déjà bien participé pour transporter des matériaux et retirer les mauvaises herbes.

La jeune fille lança un « bonjour » à un des nouveaux membres qui s’éveillait à peine — il était pourtant midi. Mais bon, ils travaillaient tous tellement à construire leur camp qu’ils avaient bien le droit à quelques pauses plus longues que d’habitude.

Soudain, un des guetteurs qui se tenait devant la seule ouverture du mur d’enceinte siffla. Deux fois de suite, rapidement. Signal d’alerte. Quelqu’un ou quelque chose rôdait sûrement là-bas ; et avec la vue dégagée que la sentinelle avait de l’entrée, ça voulait dire que la chose en question était à deux cents ou trois cents mètres d’eux. Danger, ou pas ?

Les pillards s’agitèrent, et saisirent leurs armes. Certains coururent vers la sortie. Lacrya les imita, espérant que leur début de vie paisible n’allait pas être interrompu par une quelconque attaque.

Atteignant la sortie du camp, elle vit d’abord les souches et l’herbe rasée qui entouraient les murs de leur propriété ; et plus loin, une route étroite un peu sableuse, qui s’enfonçait sous les pins ombrageux. Des silhouettes humaines étaient visibles sous les arbres, avançant vers eux. Un gros pokémon avançait au milieu des silhouettes, et un autre plus petit les devançait en zigzaguant de tout côté : sûrement un canidé.

Il ne fallait pas longtemps à Boralf pour comprendre.

— C’est Frison. Et Petite Dent. Darren est de retour !

Les pillards lancèrent des cris de joie, et les nouveaux — ayant entendu beaucoup d’histoire au sujet de leur chef parti au loin — semblèrent excités de le rencontrer. Lacrya plissa les yeux. Quelque chose clochait. Les silhouettes… étaient au nombre de cinq.

Darren avait ramené quelqu’un ici ?

Enfin, le groupe sortit de l’ombre des arbres. Petite Dent jappa plusieurs fois en direction des pillards, mais n’osa pas s’élancer vers eux. Darren leva une main en l’air pour leur signifier qu’il les apercevait.

Lacrya vit que les autres semblaient en forme. Lyco marchait droit, normalement. Avait-il récupéré ses souvenirs ? Allait-il… rester le même ? La considérerait-il encore comme une amie ?

Non loin de là, la jeune fille remarqua le doute et la crainte dans les yeux d’Amelis ; elle avait certainement le même genre de pensées. Lacrya comprenait bien que la jeune fille tenait énormément à Lyco, et ne pouvait s’empêcher de ressentir cette pointe désagréable de jalousie. Peut-être que Lyco se souvenait de leur relation passée, et allait mettre Lacrya au second plan…

« Mais qu’est-ce que je raconte, pensa Lacrya avec colère. Il a le droit. Je suis juste son amie, c’est tout. »

Mettant ces idées de côté, elle remarqua le silence soudain qui saisit les pillards. Boralf dégaina sa hache. Un autre braqua son fusil devant eux.

La cinquième silhouette donna des frissons à Lacrya.

Karyl.



***


Petite Dent les guida trois jours durant.

Le pokémon, plutôt fiable, semblait se diriger principalement vers l’est et les profondeurs de la forêt ; même s’il lui arriva de temps en temps de dévier de son chemin pour faire tomber les compagnons nez à nez avec de petits pokémons sauvages.

Ces détours leur firent perdre du temps, parfois plusieurs heures, mais les grondements de Darren firent vite comprendre au medhyéna qu’il n’y avait pas le temps d’être oisif durant ces recherches capitales. Malgré les efforts d’Ève, le chiot avait encore du mal à se montrer docile. Sa curiosité était sans limites, et le poussait régulièrement à leur jouer des tours.

Pourtant, ils parvinrent enfin sur une route, empruntable en charrette. Darren ne fut pas capable de dire où elle menait, mais elle paraissait être une artère empruntée. Large, elle serpentait dans la forêt, recouverte par endroits de graviers facilitant le passage des carrioles.

La route se sépara vite en deux ; Petite Dent dévia aussitôt vers la droite. Le chemin était déjà plus étroit et visiblement moins emprunté. Les chardons poussaient sur la chaussée déformée. Parfois même, la route disparaissait, remplacée par un simple chemin dans d’épaisses fougères. Le groupe avançait, aux aguets, Frison transportant leurs sacs, infatigable.

Plusieurs autres embranchements se présentèrent ensuite à eux, dans la journée. La végétation était toujours omniprésente, mais il arrivait que le chemin prouve du passage plutôt récent ; des traces de pas dans la boue, de roues, de sabots. Il y avait un campement à proximité. Certains arbres avaient été coupés, il n’en restait que la souche, parfois un tronc couché dénué de ses branches.

La forêt se fit plus clairsemée, plus lumineuse, et la route s’élargit un peu, devenant légèrement sableuse et humide. Soudain, Ève lança un avertissement.

— Y’a un camp dans le coin.

Une odeur de feu de bois leur parvenait entre les pins. Légère, mais perceptible. Ils marchèrent plus prudemment encore, guettant de tout côté ; mais difficile de se cacher par ici. Les troncs étaient espacés, l’herbe basse, les buissons rares. Comme si la zone avait été dépouillée.

— Ils doivent couper du bois par ici, chuchota Darren. Il y a de la sciure.
— Regardez devant, y’a un truc au loin, commenta Lyco.

Les voyageurs continuèrent d’avancer ; par-delà les troncs minces de pins, au loin, ils commençaient à distinguer ce qui ressemblait à des palissades, au-delà d’une portion de plaine rase. L’endroit semblait bien protégé. Des barbelés étaient suspendus par endroits sur les murs de bois. Des tôles étaient fixées dessus, pour résister à des attaques à distance de pokémon. Des rochers avaient été positionnés à certains endroits, formant une véritable petite muraille.

Puis, alors qu’ils continuaient, ils entendirent un sifflement. Deux à la suite.

— Ils nous ont repéré, grogna Darren.

Ils apercevaient maintenant l’entrée du camp entouré de palissades ; un simple espace large de cinq bons mètres, sans murs. Même pas de porte ou de portail. L’endroit devait être assez récent.

— Y’a des chances que ce soit eux, lâcha Ève.
— Ouais, mais faites gaffe, grommela le colosse. Petite Dent, Boralf est là-bas ou pas ?

Le medhyéna, tout excité, ne l’écouta même pas. Remuant la queue avec énergie, il prit de l’avance rapidement, les forçant à accélérer. Ils sortirent de l’orée de la forêt pour se retrouver dans ce semblant de plaine dénudée ; le camp les dominait légèrement, placé sur une légère butte. Une falaise rocheuse semblait s’élever derrière les palissades. L’endroit semblait particulièrement bien placé pour résister à des attaques. Placé en hauteur, entouré de murs et d’une aiguille rocheuse naturelle, c’était le campement parfait.

Un groupe armé se trouvait dans l’entrée. Une vraie petite foule. Darren nota quelques silhouettes et du mouvement en haut des murs, se cachant précipitamment.

Le colosse reconnut enfin, au loin, des visages. Boralf était en première ligne, avec sa hache. Il leva la main en l’air pour leur faire signe. Quelques-uns répondirent, et Darren put brièvement constater qui était vivant et qui n’était pas là.

Il fut surpris de voir qu’il y avait quelques nouvelles têtes. Boralf avait déjà recruté ?

Ils s’approchèrent enfin ; Darren s’apprêtait à saluer Boralf. Mais soudain, la peur se lit dans leurs yeux. Forcément.

Ils venaient de voir Karyl.

Des fusils se levèrent, des armes sortirent de leurs fourreaux.

— Darren ! s’exclama Boralf avec force. N’amène pas ce fou ici ! Il a décimé le groupe pendant…
— Je sais, Boralf ! Je sais ! Baissez vos armes !

L’ordre ne parut pas avoir d’effet sur qui que ce soit. Darren leva une main en l’air. Ceux qui le suivaient s’arrêtèrent à une distance respectable. Lyco se plaça devant Karyl, au cas où.

Darren et Boralf s’avancèrent l’un vers l’autre alors que les deux groupes restaient sur place, tendus.

Le colosse serra fermement la main de son acolyte.

— Vous avez réussi ? demanda d’abord Boralf, un peu nerveux.
— L’ermite, oui.

Le bras droit de Darren désigna Karyl du menton.

— Ce mec, là…
— Oui, Karyl ?
— Il a tué six des nôtres, Darren. Un vrai massacre ! Si vous nous avez retrouvé là, c’est que vous avez dû le comprendre. Qu’est-ce qu’il fout avec vous ?
— Il nous a tout raconté. Poeba y est passé, pas vrai ?
— Y’a pas que lui, je suppose que t’as remarqué…

Darren acquiesça en jetant un œil aux pillards resté dans l’encadrure des murs, à quelques mètres de là. Ils avaient perdu de bons éléments, et de précieux amis.

Mais ils risquaient de perdre un nouvel allié de poids. Il fallait les rassurer au plus vite.

— Écoute, Boralf. Karyl nous a tout dit, mais il veut nous rejoindre. D’après lui, il contrôlait pas ses pouvoirs de Mutant ou un truc dans le genre. Les autres ont choisi de lui faire confiance malgré tout. Je ne te cache pas que je doute fortement à son sujet, mais… tu connais l’entêtement d’Ève et le genre d’arguments que peut sortir Lyco, hein ?
— Faire confiance à ce mec sanguinaire ? Tu l’as pas vu en action, Darren. Il transperçait le ventre de nos camarades, avec sa main, et il balançait leurs boyaux partout. J’ai vu des crânes exploser, Darren.

Des ombres dansaient dans les yeux froncés de Boralf. Darren posa une main sur l’épaule de son acolyte et soupira :

— Je sais, mais on va vous expliquer. Il n’est pas dangereux pour le moment.
— Le ligoter ne change rien.
— Je m’en doute. Mais on n’a qu’à le laisser sous surveillance, des armes gros calibre pointées sur lui, si tu veux. Le temps de parler, de raconter, et de s’expliquer.

Boralf passa une main sur son visage. Il avait l’air exténué. Darren imaginait bien son cher ami s’épuiser à la tâche : il avait réussi à trouver cet endroit, y bâtir des murs, et gonfler leurs rangs. Boralf était à n’en point douter son meilleur homme.

— Très bien, ça me va, grogna-t-il. On va préparer un feu. On a pas mal de bouffe. Au fait ?
— Oui ?
— Lyco a retrouvé la mémoire, du coup ?
— En partie. Ça revient au fur et à mesure.
— Il a le même regard qu’avant…

Les deux hommes se tournèrent brièvement vers le garçon. Il les fixait d’un air froid, presque calculateur ; rien qui ne ressemblât au Lyco amnésique et naïf de l’Arène. Darren fit signe à son groupe d’avancer.

Oui, c’était bien le Lyco d’avant. Celui qui restait secret, échafaudait des plans sans prévenir personne et agissait en solitaire, toujours avec un plan bien précis en tête. Était-ce une bonne ou une mauvaise chose, difficile à dire…



***


Lyco nota du coin de l’œil qu’Ève indiquait à Frison d’aller vers la clairière, au fond de laquelle broutaient Bourrinos et Tauros. L’herbivore meugla et se dirigea vers eux, alors que ceux-ci, l’ayant remarqué, galopaient presque de joie pour venir à son encontre. Petite Dent jappa plusieurs fois et se frotta contre les jambes de tout le monde. Ève se montra particulièrement heureuse de retrouver ses camarades, même si ses yeux trahissaient une certaine tristesse à l’égard des absents.

En s’approchant, Lyco fut immédiatement accosté par Lacrya ; elle le prit dans ses bras si soudainement qu’il faillit tomber en arrière. Avec un sourire embarrassé, il répondit à sa brève étreinte. Quand elle s’écarta de lui, il pouvait lire le soulagement sur son visage.

— C’était vraiment long, ce voyage, lâcha-t-elle d’un air presque gêné. Tu… tu as retrouvé la mémoire ?
— Pas complètement, non. Mais ça va revenir petit à petit, apparemment. Faut juste être patient.

Il se tut avant de constater qu’elle semblait en bonne forme. Elle était un peu moins amaigrie que dans son souvenir. L’ombre de l’Arène ne pesait plus sur ses épaules trop frêles.

— Tu n’as pas été blessée pendant… l’attaque de Karyl, constata-t-il avec soulagement.
— Non, j’ai eu de la chance. D’ailleurs, qu’est-ce qu’il fout avec vous ?

Lyco chercha Karyl des yeux ; Boralf venait juste de le menotter au pied d’un pilier de bois soutenant le mur de garde. Ligoté comme il l’était avec son seul bras, il faisait presque peine à voir. Deux gardes restèrent à proximité, fusils chargés et prêts à tirer.

— On l’a croisé sur le retour. Il nous suivait, plutôt.
— Oui, il voulait te tuer !
— Il a changé d’avis à cause de l’ermite, mais c’est une longue histoire. C’est qui, ces gens ?

Il désignait du menton la ribambelle d’inconnus qui étaient en train de se présenter face aux voyageurs harassés.

— On a recruté pas mal, en arrivant dans ce coin. Par hasard en fait, lâcha-t-elle en souriant. Mais explique-moi mieux, pour Karyl ! Il a massacré tout le monde… c’était… j’en fais encore des cauchemars. Il y avait tellement de sang…
— C’est compliqué… mais je suppose qu’on va avoir le temps de tout raconter dans l’ordre, non ?

Amelis s’avança vers eux, curieuse et hésitante. Lacrya lui sourit pour l’inciter à s’approcher. La jeune fille aux yeux verts allait certainement lui poser la même question qui revenait sans cesse.

— Alors, vous avez vu cet ermite ? interrogea la pillarde. Ève m’a dit que tu te souvenais de certaines choses, c’est bon signe !
— Oui, enfin… j’avoue que mes seuls souvenirs remontent à loin… les plus récents datent de l’attaque contre le Laboratoire Némélia.
— Oh, celui où Darren t’a recruté !

Soudain, Lyco tilta.

— Je me souviens qu’il y avait Ève, mais… pas toi ?
— Non, j’étais restée dans notre camp de l’époque. C’est bien de te souvenir de ça.

Darren interrompit les retrouvailles en tapant dans ses mains pour réclamer l’attention :

— Bon, allons près du feu, on a un tas de choses à se dire, et visiblement on va pouvoir faire connaissance avec les nouveaux. Venez, on va pas rester plantés ici.



***


Les conversations auprès du feu s’éternisèrent tout l’après-midi, et même après la nuit tombée. Ève raconta une bonne partie de leur voyage, se montrant aussi bavarde et enjouée que d’ordinaire.

Le dur trajet à travers les plaines arides balayées par le sable et le vent ; l’attaque des carmaches qui avaient bien failli leur coûter la vie, et à cause de laquelle ils n’avaient plus de charrette ; les soins offerts par la cité des toiles, qui existait encore ; le « vieux fou » et son xatu ; l’océan près duquel certains étaient allé s’aventurer le temps que Lyco se réveille. Et bien entendu, le retour à pied, long et fatigant, et l’arrivée inattendue de Karyl.

Les pillards débattirent longtemps, de manière parfois virulente, au sujet de Karyl. Boralf voulait le tuer sur-le-champ, pour ne pas risquer un autre massacre. Darren, plus mesuré après avoir été de son avis ces derniers jours, avait eu le temps de comprendre que Karyl avait changé, et se montrait docile. Ève semblait assez méfiante à son égard, mais refusait catégoriquement de l’assassiner. Les autres pillards, évidemment, étaient haineux à son égard. Et les nouveaux ne savaient pas où se mettre.

Lyco, fatigué, participait à peine au débat, même pour défendre son point de vue. Il se sentait légèrement nauséeux ; il ignorait si c’était à cause du repas conséquent qu’il venait d’engloutir, ou d’autre chose. Il avait mal à la tête.

Profitant du fait que certains haussaient le ton, s’accaparant toute l’attention, il se leva et s’éloigna de la lumière chaude procurée par le feu. Il aperçut les quelques sentinelles restées à leurs postes sur les murs et dans l’entrée du campement. Préférant s’éloigner de tout le monde, il se dirigea tranquillement dans la pénombre vers la zone où se trouvaient les trois herbivores.

La silhouette de Frison était couchée dans l’herbe. Tauros ruminait près de lui. Seul Bourrinos, à l’écart, était debout, en train de grignoter un tronc d’arbre.
À son approche, le pokémon hennit timidement et s’avança vers lui avec ses lourds sabots. Lyco sourit et lui gratta l’encolure. C’était grâce à lui qu’il était revenu indemne de la prison, et c’était bien l’un des seuls pokémons du groupe auquel il s’était vraiment attaché.

— Ça va, mon vieux ? chuchota Lyco. Ça fait longtemps qu’on s’est pas vus, toi et moi.

L’équidé secoua sa crinière et plongea la tête dans une haute touffe d’herbe ; son appétit n’avait pas de limite. Lyco s’assit sur un petit talus au pied de l’arbre de Piaf, d’après ce qu’il avait compris. Il ferma les yeux, écoutant les renâclements de Bourrinos interrompre la lointaine cacophonie nocturne des Insectes et du vent dans les feuillages.

Son mal de crâne était toujours aussi puissant, mais au moins, il n’y avait personne pour crier et l’aggraver.

— Ça ne va pas ?

Il sursauta ; à deux mètres de là, Lacrya se tenait debout, frissonnante de froid. Lyco, surpris, la regarda s’approcher.

— J’ai un peu mal à la tête, mais ça va.

La jeune femme s’assit près de lui. Visiblement, elle voulait lui parler ; Lyco laissa le silence reprendre ses droits, craignant de la brusquer en lui demandant ce qu’elle voulait. Elle finit, après quelques secondes, par se lancer.

— Dis, Lyco… je… je me disais qu’on se connaissait assez mal finalement.
— Comment ça ? s’étonna-t-il.

Lacrya toussota, gênée.

— Bah, si tu regardes les autres pillards, ils se fréquentent depuis longtemps, ils se racontent leur vie d’avant, tout ça… et je me disais qu’on pourrait peut-être discuter de notre passé. Enfin, je sais que c’est ridicule, dit comme ça, mais…
— Non, non, ce n’est pas ridicule. Mais tu sais, mes souvenirs sont flous, et le resteront sûrement un moment…
— Oui, Ève m’a expliqué. Tu ne veux pas… en parler ?

Lyco se tut. Il n’était pas contre, bien entendu. Il était même plus proche avec Lacrya qu’avec les autres. La demande de la jeune fille, en plus de le prendre au dépourvu, semblait faire écho à quelque chose dans son esprit. Encore. Il détestait ce genre de sentiment. Comme si tout était familier à sa mémoire, mais impossible de se souvenir précisément de quelque chose !

— Lyco ?
— Euh, pardon… oui, je veux bien en discuter.
— Si tu veux, je commence.

Lyco la regarda ; dans l’obscurité, il distinguait sa longue queue-de-cheval ébène qui retombait sur son épaule menue. Ses yeux noirs, qui brillaient légèrement dans la pénombre, regardaient l’horizon. Il aurait juré distinguer une lueur de nostalgie, voire même de mélancolie, dans son regard.

Il s’en voulut soudain. Il avait côtoyé Lacrya, avait combattu avec elle, pendant des semaines, des mois ; et il ne savait rien d’elle. Absolument rien. Il croyait se souvenir avoir entendu les raisons de son enfermement dans l’Arène, une broutille qu’il n’avait même pas jugé bon de se rappeler. Un sentiment amer de culpabilité l’envahit. Pourquoi n’arrivait-il pas à s’ouvrir aux autres, et à s’attacher à eux plus que comme de simples et froids « alliés » ?

— J’ai grandi dans un bidonville, dans le nord du Désert de la Désolation, lâcha Lacrya sur un ton hésitant qui lui ressemblait mal. Je n’ai pas connu mon père. Ma mère a toujours refusé d’en parler. Elle… était infirme. En fait, il lui manquait une jambe, et elle ne pouvait pas travailler. J’ai appris à voler, pour survivre. Avec ma petite sœur.

La voix de la jeune fille se brisa presque. Lyco songea qu’il devait peut-être poser une main sur l’épaule de Lacrya ; dire tout ça semblait difficile pour elle. Difficile mais nécessaire.

Il leva la main, et celle-ci se figea dans les airs. Consoler quelqu’un… ne ressemblait pas à ce que faisait l’ancien Lyco. Le garçon, comme pris entre deux feux, entre son attachement pour Lacrya et sa volonté de fer de ne se lier à personne, resta figé d’incompréhension. Lacrya ne le remarqua pas et continua son récit.

— Ma petite sœur s’appelait Nami. Elle avait deux ans de moins que moi. Tout le monde au bidonville disait qu’on se ressemblait beaucoup. On était inséparables. J’ai appris à Nami comment voler dans les marchés, ou s’en prendre à des voyageurs sans risques. On était obligées de voler pour survivre.

Elle marqua une pause, avant de reprendre à mi-voix.

— Mais un jour, un Némélien a été repéré en ville. Des gens ont été en contact physique avec lui alors qu’il se jetait dans la foule pour les attaquer. Il y a eu une mise en quarantaine… mais malgré toutes nos précautions, Nami a été atteinte. J’ignore pourquoi, sans doute que c’était de la faute d’un de ses amis voleurs… bref, elle est morte très jeune. J’ai continué ma vie de voleuse pour survivre. Ma mère est tombée malade. Une maladie qui ne lui laissait que quelques mois à vivre. Quelques jours après la triste nouvelle, j’ai volé une pomme pour aider un enfant en pleurs sur le marché, et j’ai été arrêtée… tu connais la suite, pas vrai ?

Lyco sentit son esprit s’agiter ; sa mémoire remuait encore. Il se sentit chanceler.

— Lyco ? s’alarma Lacrya alors qu’il s’affalait sur lui-même, à moitié évanoui.

Il entendit sa voix lointaine, aperçut son visage pâle et fin entre ses paupières trop lourdes. Il sombra dans l’inconscience. Un mot résonnait dans sa tête : « voleur ». Répété encore et encore, comme un appel lointain…