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Une Légende s'éveille... de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 02/02/2019 à 11:06
» Dernière mise à jour le 22/04/2019 à 19:07

» Mots-clés :   Hoenn   Mythologie   Organisation criminelle   Présence de personnages du jeu vidéo

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Chapitre 5 : Tensions
Hoenn n’était pas une région où la politique était particulièrement transparente, mais les médias savaient tous que le gouvernement finançait l’expédition de la Team Éco. Techniquement, ils ignoraient l’existence de celle-ci, et Myrmidon n’était pas impliquée, mais ils soupçonnaient quand même une affaire louche. Il y avait ceux qui affirmaient que le Maître des Flots était un Pokémon (parfois d’une nouvelle espèce) entraîné spécialement par la Ligue et contrôlé par les membres de l’expédition afin de plonger la région dans le chaos puis de l’en sortir en se posant en sauveurs, ou bien pour limiter l’influence de l’Armée. D’autres prétendaient que le Maître des Flots était en réalité une arme nouvelle contrôlée par une puissance étrangère (Unys, Kanto voire l’ORU elle-même étaient citées) et que la Ligue ferait mieux de réviser sa politique extérieure. Rares étaient ceux qui ne s’étaient pas encore forgés d’opinion.

Et tous, naturellement, avaient dépêché des reporters au port de Nénucrique pour assister au départ de l’Essex, bien qu’il soit prévu à sept heures du matin.

Tout en fendant à grand-peine cette foule enthousiaste, les actionnaires de Myrmidon commençaient à penser qu’ils auraient mieux fait de passer la nuit sur le bateau comme Matthieu le leur avait proposé.

Monsieur Teach ! Confirmez-vous l’implication du gouvernement de Hoenn dans la rénovation de l’Essex ?

– Le gouvernement…

– Madame Smith ! Combien la Devon SARL a-t-elle payé pour participer à ce gros coup de pub ?

– Que croyez-vous que…

– Monsieur Olmar ! Quel est votre statut juridique exact vis-à-vis de votre employeur, Monsieur Teach ?

Le sbire n’entama même pas une réponse. De toute façon, personne ne l’aurait entendue. Le jeu des questions et, parfois, des débuts de réponses continua ainsi. Lentement, laborieusement, les membres de la Team se frayèrent un chemin vers l’Essex amarré à cent mètres à peine. Il leur fallut près d’un quart d’heure avant de pouvoir s’extraire enfin de la marée humaine. Trop peu pour manquer la marée haute, la vraie, celle de l’océan, mais assez pour commencer à s’inquiéter.

La pression avide de la foule et la conscience de leur retard les avaient tendus. Certains étaient déjà à bout de nerfs, avant même que cela n’arrive. Ce fut Arthur qui le vit en premier. L’homme qui les avait interpellés la veille au soir se tenait sur le bord du quai, juste à côté de la passerelle. Il n’était pas accoudé à la rambarde, non : il se tenait droit, rigide comme un piquet, rigide comme un sermon.

Il ne dit pas un mot, et resta à les toiser d’un air méprisant, sans ciller, les dévisageant les uns après les autres. Il fut le seul de toute cette foule à rester silencieux, lui dont la véhémence les avaient tant ébranlé la veille ; mais ce silence signifiait bien plus que les paroles creuses des journalistes, que leurs questions qui n’attendaient pas de réponses. Il n’avait pas besoin de parler pour communiquer sa vision de l’expédition ; il avait déjà parlé, rien de plus ne pouvait être dit, et il ne faisait que le rappeler.

Ils passèrent devant lui sans parler non plus, comme des condamnés devant le juge qui a prononcé sa sentence. Le malaise était palpable, comme une pâte collante qui s’insinuait autour d’eux, qui les étouffait, effaçait leurs espoirs, leurs rêves de grandeur, pour ne plus laisser que la promesse d’un échec inéluctable.

Vous êtes en retard, dîtes donc ! Qu’est-ce qui vous a retenus ?

La boutade de Matthieu tomba à plat. Arthur répondit, par pure politesse, sans y mettre le moindre entrain.

On a pris le bus.

Le capitaine sourit largement, pour sauver les apparences. Et il ne put s’empêcher de jeter un regard vers le quai. Il savait. L’homme, pour être si près du navire, devait être arrivé une éternité auparavant ; Matthieu l’avait forcément vu, et il ne plaisantait, comme Arthur, que par obligation. Parce que le moral de l’équipe ne devait pas, ne pouvait pas chuter dès le départ.

Mais il était déjà trop tard. Plus que cette imprécation, c’était la lucidité de l’homme qui les effrayait : il croyait ce qu’il avait dit, ce n’était pas un délire d’ivrogne. Il était sincère. C’était aussi dérangeant que d’entendre Max, le plus rationnel de tous, admettre la possibilité, la probabilité, que le Maître des Flots puisse dépasser l’entendement humain, puisse sortir d’un mythe.

***

Une fois tout l’équipage à bord, le navire put appareiller et sortit tranquillement de la rade de Nénucrique, à allure réduite. Arthur vit Matthieu partir à la proue, et l’y rejoignit. Ils restèrent silencieux, admirant silencieusement la mer défiler de part et d’autre d’eux, de plus en plus vite. Finalement, Arthur prit la parole.

Ce type…

– Oui. Nous devons remonter le moral de tes hommes, le plus tôt possible.

– Avant qu’ils ne déteignent sur les tiens, oui. Nous allons au-devant… Je ne sais pas trop de quoi, mais ça a battu une flotte militaire. S’ils y vont avec la peur au ventre, ce n’est pas la peine.

Il y eut un silence, puis Arthur reprit.

Je trouve que le pire, c’est qu’il puisse avoir raison.

Matthieu se tourna vers lui avec un regard circonspect.

Oui, bien sûr, il a tort. Mais nous ne savons pas au-devant de quoi nous allons. À ce jour, c’est la seule hypothèse.

– Ça pourrait être un Wailord mutant, hein.

– Un Wailord contient cent cinquante mètres cube de gras, dont cent vingt-cinq qu’il peut convertir en flotte, ce qui lui prend une bonne heure ; et ensuite, il a besoin de trois jours pour regagner son gras. Un orage qui génère des vagues plus hautes que des vaisseaux de guerre…

– J’ai pas fait beaucoup d’études, mais je me doute bien qu’il faut plus que ça.

– Le vent entre en compte aussi. Mais le vent et la pluie peuvent être reliés, donc on peut faire une estimation.

– Et ?

– Pour générer des vagues de trente mètres, sur la superficie que la flotte occupait… Il faudrait un demi-million de Wailords. Au moins.

Un silence, à nouveau. Ils avaient pris de la vitesse, et l’étrave fendait désormais les vagues régulièrement. Ou plutôt, elle les pulvérisait. La masse énorme du navire projetait des paquets de mer de part et d’autre de sa proue dans un fracas inhabituel pour un baleinier. Ce pseudo-silence devint de plus en plus pesant. Matthieu le rompit.

Donc ça n’est pas un Wailord.

– Ou alors, il a appris une nouvelle méthode de Danse-pluie. Mais…

– Alors, qu’est-ce que ça pourrait être ?

– Je pense que… qu’une créature envoyée par Arceus pour punir Hoenn… C’est absurde. Même s’il existe et a créé l’Univers, pourquoi s’intéresser à nous en particulier ? La vision qu’en a Max ne me satisfait pas plus. Au contraire, ça m’effraie que même lui, qui est carrément psychorigide en matière de science, de tout ce qui est un tant soit peu concret… Même lui…

– Et personnellement, t’en penses quoi ?

– Une horde de Wailord organisée autour d’un dominant a lancé une Danse-Pluie collective quand un gros orage se formait déjà. Ça pourrait suffire, pour la tempête. Mais en même temps… C’est devenu évident que les Pokémons de différentes espèces se sont organisés et collaborent. Il y a un chef. Et ce sera sans doute le plus puissant machin qu’on ait jamais rencontré, parce qu’un tel rassemblement ne s’est jamais produit, même à l’époque de la chasse intensive des Wailords, Sharpedos, et caetera. S’il a provoqué la tempête à lui seul… Notre seule chance sera de le mettre dans nos 1523 balls, à la suite, et d’espérer que l’une au moins arrivera à le piéger.

– C’est assez probable, quand même. Si c’est ça nos chances, ça peut le faire.

– Oui, mais s’il rassemble une armée autour de l’Essex, notre dizaine de Pokémons aura du mal à la contenir. Et ça serait bien qu’ils puissent le blesser un peu, mais si en même temps ils doivent l’empêcher d’approcher du bateau, ils s’épuiseront vite.

– Donc, nos problèmes, c’est de remonter le moral de l’équipage, et de trouver un moyen d’isoler notre adversaire. Pour ça, ça pourrait être pratique de connaître sa nature, non ?

– Si, c’est vrai. Mais comment la déterminer ?

– Max est resté à terre pour ça. Je suis sûr que si tu lui dis de trouver, il trouvera.

– Je l’espère.

– Problème suivant. Vous avez quoi, niveau Pokémons ?

– Mon Sharpedo. Un Magnézone, un Phyllali, un Majaspic, un Kaimorse, un Nostenfer, un Élekable, un Aquali, un Scalproie, un Froussardine, et un Métamorph. Et toi, tes marins ?

– Un Békipan, un Lakmécygne, un Azumarill, et mon Léviator.

– Chapeau pour le dressage du monstre.

– Tu peux parler, avec ton Sharpedo !

– Bref. L’Aquali et l’Azumarill peuvent servir de soigneurs. Nostenfer peut empoisonner et rendre confus, ça peut nous faciliter la vie.

– Ouais, mais s’il est confus il risque de devenir incontrôlable. Plus c’est gros et plus ça s’énerve. Mon père m’a toujours enseigné de ne jamais rendre confus ton adversaire, surtout s’il est plus fort que toi.

– D’accord. Je pense qu’il en sait plus que moi sur le sujet.

– Tu pense bien !

– On pensait se servir de Scalproie comme projectile. Il utiliserait Danse-Lame tranquillement, puis Magnézone le jette sur le gros machin. Et pareil s’il tombe à l’eau, on le ramène, on le soigne et on le renvoie.

– Bonne idée, mais il faudra les y entraîner.

– Les autres pourront être relativement autonomes. Sharpedo, Léviator, Kaimorse et Froussardine, notamment, sont complètement aquatiques. Ils devront disputer l’eau autour du navire au Maître des Flots ; et peut-être aussi à son armée. Je pense qu’ils ne seront pas de trop. Dans la même optique, on avait pensé se servir du Métamorph pour essayer de copier le gros machin, voir si on pouvait le gêner.

– Risqué. S’il est vraiment gros, Métamorph ne pourra pas le copier à taille réelle. Et dans tous les cas, il perdra son duel, sans qu’on sache ce qu’on se prendra comme vague s’ils ne font pas attention à ce qu’il y a autour d’eux – et ils n’y feront pas attention.

– Alors on pourrait lui faire copier le premier KO qu’on peut pas soigner.

– Doubler le Pokémon qui a l’air le plus indispensable, plutôt, parce qu’il faudra l’entraîner aussi. C’est pas trop mal, on arrivera peut-être à tenir un certain temps. Je pense qu’on ne pourra pas faire grand-chose de plus niveau stratégie. Il faudra organiser des réunions avec tout le monde et envisager toutes les situations possibles. Mais oui, niveau Pokémons, on sera plutôt bien équipés.

– Niveau hommes…

– Ce sera le plus gros problème. En général, les sauvages ne valent pas des Pokémons entraînés, même peu nombreux. Le vrai maillon faible, c’est les hommes.

– Comment peut-on éviter qu’ils pensent n’avoir aucune chance ?

La question plana entre eux un moment, sans réponse. Une fois encore, le bruit des vagues combla le silence. Matthieu l’avait toujours trouvé apaisant. Mais aujourd’hui, il lui rappelait ces vagues géantes vers lesquelles l’Essex voguait à toute vapeur, ce monstre qu’ils partaient affronter. Le bruit des vagues lui sembla enfler démesurément. Gêné d’être ainsi perturbé par cette mer qu’il connaissait tant, Matthieu reprit la parole.

Il faut qu’on sache ce qu’on affronte.

– En prenant le risque de les terrifier vraiment…

– Il est à prendre.

Une nouvelle fois, il y eut un court silence.

Arthur, ne le prends pas mal, mais… Quelle autorité exerces-tu sur tes hommes ?

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Je m’y attendais. Écoute, j’ai bien compris que vous n’êtes pas une équipe comme les autres. Je m’en fous. Trafic de drogues, magouilles quelconques… Peu importe. En fait, je n’ai pas envie d’y être mêlé. Mais je te le demande : s’ils craignent pour leurs vies, est-ce que tu pourras encore t’en faire obéir ?

– …Je ne sais pas. Je ne suis pas un chef-né, ou ce genre de chose. Malgré ma famille. Mais… Tu as raison sur un point, nous ne nous sommes pas rassemblés tous ensemble dans les limites de la légalité. Je pense que… Ça n’est pas pour ça qu’ils ont signé, mais si je leur ordonne de filer droit, ils le feront. Probablement. Au début, on risquait plus, d’un certain point de vue.

– Je pensais lancer des rumeurs. Des rumeurs terribles. Le genre de truc qui horrifierait n’importe qui. Leur faire croire que ce qu’on va affronter, c’est vraiment énorme ; plus encore que les bonnes vieilles légendes de marins. Plus que ce que disait le type du quai. Là, il faudra que tes hommes continuent de te suivre. Et ensuite, nous… Comme prévu, nous nous dirigeons vers les zones de récolte d’algues, en attendant qu’un récolteur soit attaqué, ce qui nous indiquera la dernière position du Maître des Flots.

– Oui. Et là, tu voudrais faire en sorte que l’équipage de l’Essex rencontre celui du récolteur et entende leurs récits du combat.

– Oui. Si nous avons assez forcé le trait, la vérité sera très inférieure à la rumeur. Si ça se passe comme ça, les hommes seront soulagés, et pourraient devenir carrément joyeux. Il faudrait qu’on arrive à minimiser le danger comme ça, et on n’aurait plus un problème de moral mais de discipline.

– Et on n’aurait plus qu’à leur dire plus officiellement , comme par un petit discours transmis par les interphones au moment opportun, que ça sera peut-être pire, de s’attendre à tomber sur un gros machin. Oui, c’est une excellente idée. Je pense qu’on pourra difficilement trouver une meilleure préparation au combat. Je devrais arriver à les tenir, dans ce cas. Comment lancer la rumeur elle-même ?

– Je demanderais à un de mes hommes. Il est cynique et désabusé, on n’a pas de fuites à craindre et il fera son petit effet. Bon, alors tout est parfait. J’aime cette position à la proue : d’ici, tous les problèmes apparaissent facile à résoudre !

***

Séraphin Heyscold était bien conservé pour son grand âge. Des années de mer avaient tanné sa peau jusqu’à en faire du cuir, sans pour autant parvenir à la brûler complètement, et son corps noueux avait gardé toute sa force d’antan. Mais son esprit, lui, avait tourné de plus en plus cynique et désabusé en vieillissant. Il écouta sans broncher Matthieu lui expliquer que pour son propre bien, il fallait terrifier l’équipage.

L’idéal, ça aurait été cette vieille légende que tu nous avais sorti un jour, à propos de ce Moyade infernal. Mais en encore plus horrible, si possible.

– Tout est possible, jeune poulpiquet. Je vais leur raconter l’histoire du Tentacruel qui perd tout à cause des humains...

– Celle-là ? Je doute que ça suffise…

– La version originale, telle que je l’aie entendue il y a soixante ans. Elle est vraiment hard. Et en plus… le méchant c’est l’humain. C’est comme dans la réalité : c’est nous qui ravageons le territoire des Pokémons… Pour terrifier un auditoire, le mieux est encore de lui raconter sa propre histoire. Monsieur Teach, vous avez intérêt à travailler votre prestance, parce que vos hommes vont faire des cauchemars cette nuit ! Je ne suis pas Darkrai, mais ce soir, je lui ferais une concurrence sérieuse…

***

Pas mal !

– Sacrée chute !

– Mouais… Vous êtes jeunes, vous ignorez encore tout des souffrances de la vie… Laissez-moi vous conter l’histoire du Tentacruel solitaire… Comme on me l’a racontée il y a longtemps… Plus que je ne veux bien l’admettre…

– J’y crois pas ! Séraphin qui raconte une histoire sans se faire prier !

– Taisez-vous tous ! Laissons-le parler !

Le conteur de la soirée sortit sa pipe. Il la bourra, puis saisit un des tisonniers qui gisaient sur le côté du poêle de la salle commune. Il saisit habilement une braise, la sortit des flammes et la posa délicatement dans sa pipe. Il prit ensuite le temps de tirer une longue bouffée, avant de commencer à parler. L’assistance se taisait religieusement.

Les bonnes histoires sont souvent vieilles… Mais celle-ci, elle ne s’est pas passée il y a bien longtemps… Non, elle est récente. Quelques années, pas plus… Elle commence dans un banc d’algues, à quelques centaines de kilomètres d’ici… Sur des hauts-fonds où des centaines de navires ont fait naufrage… Un endroit apprécié des Moyades… On y trouve des Tentacruels, aussi. Plus rares. Plus puissants…

Les sbires se jetèrent des regards équivoques. Plus puissants que les Moyades… ou bien que les Tentacruels normaux ?

Comment était la vie là-bas, on ne sait trop le dire. Mais un jour, un baleinier comme celui-ci est venu chasser le Wailord, dans le coin. L’équipage à fait l’une des plus grosses prises qu’on ait jamais vu… Un Wailord de trente mètres ! Un véritable filon. Ils l’ont dépecé au-dessus du haut-fond, ont enlevé le gras, et ont rejeté la carcasse à la mer. Mais… Ce n’était pas la mer dont elle était issue… Elle est tombée sur le haut-fond, à quelques mètres de la surface. Les Moyades se sont rassemblés autour. L’esprit du Wailord défunt restait peut-être comestible…

Les deux autres marins connaissaient déjà l’histoire. Ils savaient à quoi s’attendre. Ils savaient que ces Moyades en auraient pour leurs frais…

Mais il ne l’était pas. Ce Wailord-là avait été particulièrement teigneux, de son vivant, et sa mort brutale… Dépecé au-dessus de l’eau, encore vivant, puis déchiqueté au couteau… Imaginez-vous mille blessures infimes, qui vous enlèvent toute votre chair… Sans que rien ne puisse être fait… Cette agonie l’avait… énervé… Quand les Moyades essayèrent de s’en prendre à son esprit, de le faire souffrir encore plus, pour voir ce qu’ils pouvaient en tirer…Il n’a pas apprécié… Pas du tout… Il s’est réincarné, devenant un Spectre. Et il pourchassa sans pitié les Moyades, leur infligeant le sort auquel il avait échappé de leur part…

Ou pas. Autant les sbires étaient choqués de cette description d’horreur, autant les marins étaient surpris de voir le conteur changer l’histoire. Ils écoutaient maintenant aussi attentivement que les autres.

Le banc, qui avait du être paisible autrefois, était maintenant un lieu de violence et de mort… L’eau était rouge de sang, et le Wailord spectral s’en prenait à toute créature vivante… C’est là qu’apparaît ce Tentacruel… On ne sait pas s’il avait une famille, des enfants, ou quelque chose qui s’en rapproche chez ces créatures… Ce qu’on sait, c’est qu’il est apparu peu après dans la rade de Nénucrique. Il se plantait devant tous les bateaux qui sortait du port, il les agressait… oh, gentiment, comme pour jouer… Et ensuite, il se dirigeait vers le banc. Et quand le navire partait ailleurs, il essayait de retourner devant, de les faire changer de direction… C’était un véritable appel à l’aide…

Sbires comme marins étaient subjugués. Aucun ne connaissait la suite de l’histoire. Tous se sentaient proches de ce Tentacruel malgré leur éloignement immense. Ils compatissaient. Ils identifiaient le Pokémon à un humain…

Aucun navire ne s’est dirigé vers le banc. Finalement, c’est le baleinier qui est sorti du port… Là, le Tentacruel l’a attaqué franchement. Puis il a pris la fuite vers le banc. Le navire l’a laissé partir et s’est détourné. Le Tentacruel est encore retourné devant, et a recommencé son grabuge… Là seulement, le capitaine a ordonné au timonier de le suivre. Ça, ils avaient de plus gros équipages, à l’époque…

Les marins sourirent. Des années plus tôt, quand l’histoire n’était vieille que de deux siècles, les équipages étaient déjà plus grands.

Le Tentacruel les a menés au banc. Une fois sur place, il a plongé à la recherche du Wailord, et il l’a attaqué. La bête l’a poursuivi, jusqu’au navire qui avait causé sa perte. Mais… Trouver le Wailord, ça avait pris du temps, et le baleiner n’en avait pas beaucoup… Le Tentacruel a seulement vu que les humains s’étaient détournés de son malheur, dont ils étaient responsables… Il ne vit que la poupe du navire brassant les flots de son hélice… Il ne vit que la trahison de ceux qui avaient enfin accepté de le suivre… Il s’est enfui.

À nouveau, tous étaient également attentifs. À nouveau, l’histoire divergeait de celle qu’ils connaissaient. Et la fin s’annonçait plus terrible…

Il n’a sans doute jamais su que le Wailord avait reconnu le bateau, et avait abandonné sa proie pour attaquer les humains… Il est mort une deuxième fois, mais pas sans les emporter avec lui au fond de l’Océan…

Des frissons parcoururent l’assistance. Le conteur était parvenu à les faire compatir au sort d’un Tentacruel… Celui d’un baleinier, c’était gagné d’avance. Déjà certains voyaient des parallèles, une similitude entre la situation du baleinier du conte et celle qu’ils vivaient, à la poursuite d’un monstre… Ils se trompaient.

Le Tentacruel ne put vivre avec sa souffrance. Les humains avaient détruit sa vie, puis l’avaient abandonné… Il conçut des projets de vengeance… Et il les mena à bien… Vous avez peut-être entendu parler de la Marée Noire de Sindron ? Oui… Je vois que oui… Imaginez-vous que cette catastrophe terrible, cette mort liquide qui a ravagé les côtes de Sindron… C’était le poison d’un Tentacruel…

Les marins affichèrent un air d’horreur. Ça n’avait plus rien de l’histoire qu’ils connaissaient. Une marée noire ? C’était censé être des disparitions de navires ! Mais pour une fois, le conteur avait justifié la véracité de son histoire. S’il affirmait l’avoir entendue ainsi, c’était vrai. Mais pourquoi ressortir de l’ombre la version originale, après des années ? Pourquoi maintenant… et pourquoi si spontanément ?

Bien sûr, les autorités ont parlé de pétrole, comme à chaque fois… Mais en secret, le gouvernement de Sindron a lancé une expédition pour trouver le responsable… Le trouver et le tuer…

La réponse leur creva les yeux. C’était évident. C’était leur histoire. Le conteur leur disait à mots couverts ce qu’il pensait qu’ils chassaient.

Ils cherchèrent leur cible pendant des jours… Après un mois, ils la trouvèrent enfin. Le Tentacruel les inonda de son poison spécialement conçu pour ronger les coques de métal et tuer tout ce qui vit, sous l’eau comme à l’air libre… Les flots en étaient opaques et huileux… Mais ça n’était pas du pétrole, sûrement pas… Le pétrole n’a pas cette teinte vert sale, bilieuse… Ils coulèrent les uns après les autres… Un seul navire survécut.

L’assistance n’avait plus rien d’homogène. Il y avait ceux qui aimaient les histoires d’horreur, et attendaient la fin, la chute terrible, avec effroi et impatience à la fois… Il y avait ceux qui les fuyaient, et qui savaient d’ores et déjà que la nuit serait longue…

Et il y avait ceux qui avaient compris. Sept personnes, pâles comme la mort. Sept personnes qui connaissaient le but du conteur en racontant cette histoire.

Il rentra au port et son équipage affirma que la bête avait vécu… Que l’un des capitaines, voyant son navire couler, avait mis le feu à la sainte-barbe, et que la déflagration qui avait suivi avait tué toute créature vivante à la ronde… Du moins celles qui ne l’étaient pas déjà… Et que les autres capitaines avaient suivi l’exemple, tous ceux qui ne pouvaient sauver leur navire le détruisant… Mais… Entre nous…

Sept personnes qui savaient sur quels mots le conteur clorait son histoire. Celui-ci se pencha en avant, avec un air de conspirateur.

Les uns attendaient des mots qui scelleraient le scénario de leurs rêves. Les autres attendaient la chute avec la gourmandise de ceux qui savaient apprécier une bonne histoire. Et sept personnes attendaient des mots qui termineraient de réduire tous leurs espoirs à néant.

Ils n’ont jamais vu le cadavre du Tentacruel solitaire…